Un avocat dénonce "l'impunité" des jihadistes français de retour de Syrie
Dernière modification : 01/10/2015
Les parents d'un soldat décapité par l'EI en Syrie dans une vidéo où apparaît le jihadiste français Maxime Hauchard se sont portés partie civile en France. Leur avocat, Fabrice Delinde, a expliqué à France 24, les enjeux d'une telle démarche.
C’est une première. Une famille syrienne se constitue partie civile en France dans une affaire impliquant le Français Maxime Hauchard. Ce dernier était apparu dans une vidéo diffusée en novembre 2014 par l’organisation de l’État islamique, sur laquelle l’otage américain Peter Kassig, ainsi que de 18 hommes présentés comme des soldats syriens, ont été décapités.Selon des informations du "Monde" publiées le 29 septembre, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, a jugé recevable la plainte des parents de l’un de ces militaires qui ont reconnu leur fils sur la vidéo. D’après les images, le fils de cette famille n’est pas la victime directe de Maxime Hauchard mais celle d’un autre jihadiste qui se tient à côté de lui, précise le quotidien, ce qui explique que la justice française avait dans un premier temps refusé d'ouvrir une procédure.
L'avocat de la famille syrienne, Fabrice Delinde, s’est rendu à Homs, en Syrie, pour recueillir leur témoignage. Ce n’était pas son premier voyage en Syrie ; il s’était déjà rendu avec un groupe d’avocats français, dans le pays en guerre depuis plus de quatre ans, à l’invitation du barreau de Damas. Il est réputé favorable au régime syrien depuis qu'il a signé une pétition s’opposant à l’ingérence des puissances étrangères en Syrie. Dans un entretien avec France 24, il explique l’importance de cette procédure à ses yeux.
France 24 : Que signifie, selon vous, le fait qu’une famille syrienne se porte partie civile en France dans une affaire impliquant un jihadiste français ?
Fabrice Delinde : C’est une première et c’est un symbole, car pour l’instant, bien qu’il y ait des dizaines de dossiers d’instruction ouverts à l’encontre de jihadistes français ayant opéré en Syrie, il n’y avait aucune victime syrienne déclarée. C’est inadmissible, car sans victime on ne peut instruire à charge, donc dans l’extrême majorité des cas, les jihadistes de retour de Syrie ne sont pas poursuivis pour les crimes, qu’ils ont pu commettre en Syrie et qui peuvent être de nature très grave (meurtre, viol, séquestration, torture…).
Qu’attendez vous de cette procédure ?
J’espère faire prendre conscience aux autorités judiciaires des carences lourdes du système, d’autant plus graves qu’on est devant un contentieux de masse, concernant les crimes les plus graves qui soient. Il y a, en effet, selon les autorités françaises, un millier de Français environ, partis faire le jihad en Syrie et des centaines qui sont revenus.
À l’heure actuelle, que se passe-t-il pour les Français, qui rentrent de Syrie, présumés jihadistes ?
Ils sont poursuivis et condamnés pour association de malfaiteurs, ce qui est très mineur par rapport à leurs crimes qui s’apparentent à des crimes contre l’Humanité. Il y des Français qui ont rejoint l’organisation de l’EI ou le Front al-Nosra, or ces gens coupent des têtes, torturent et se livrent à l’épuration ethnique en Syrie et en Irak, ils sont comparables aux nazis. Or, on n’a pas poursuivi les SS pour association de malfaiteurs.
Quels problèmes cela pose-t-il ?
On se retrouve dans une situation d’impunité de crimes atroces commis en Syrie, due aux carences du parquet. Or l’impunité favorise la récidive.
Selon vous, que pourrait faire la justice française ?
Au vu de la gravité des crimes, je ne comprends pas qu’on ne mette pas tous les moyens possibles. Or, il y a beaucoup de choses qui peuvent être mises en œuvre quand c’est nécessaire, comme des commissions rogatoires internationales, ou de l’entraide entre les services judicaires. À titre d’exemple, dans des cas de cambriolages en série, commis par des ressortissants des pays de l’est de l’Europe, il n’est pas rare que le Parquet diligente des enquêtes dans les pays d’origine pour évaluer le train de vie des proches des accusés. C’est donc possible au niveau juridique. Pour ma part, j’appelle le Parquet à enquêter sur la nature et l’étendue de ces crimes, il faut entendre les victimes et leurs proches.
Quelle est la prochaine étape dans votre procédure, pensez-vous qu’il sera possible d’enquêter?
Il y a eu pas plus tard qu’aujourd’hui des éléments nouveaux : j’ai appris par courrier que le parquet se pourvoyait en cassation contre la décision de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris. Il refuse donc que les parents de la victime soient entendus. C’est très rare que le parquet se pourvoie en cassation. Je ne connais pas encore les motifs invoqués mais je pense que c’est parce qu’il ne s’agit pas de la victime directe d’Hauchard, or, c’est contredire la notion même d’association de malfaiteurs. Dans des affaires où des personnes sont poursuivies pour association de malfaiteurs, on estime qu’ils sont associés et sont tous condamnés. Hauchard n’a peut-être pas coupé la tête du fils de mes clients, mais il l’a peut-être ligoté, séquestré ou que sais-je encore. Pour moi, cela relève de l’acharnement, et ce qui se passe est grave : au lieu de se positionner du côté des victimes, le procureur se place du côté d’Hauchard. Il agit comme le ferait son avocat. On connaîtra la décision de la cour de cassation dans quelques mois.
Pourquoi, selon vous, la justice française agit-elle ainsi et n’enquête-t-elle pas sur les crimes des Français en Syrie ?
Justement je pose la question. On a un millier de français qui font le jihad en Syrie et commettent des crimes et dont certains, revenus en France restent impunis. C’est une erreur, car la justice fait œuvre de pédagogie pour dissuader ceux qui pourraient être tentés… Il est évident que les raisons sont politiques : le Parquet ne veut pas avoir à collaborer avec la justice syrienne pour ne pas sembler coopérer avec le régime syrien.
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