La situation en Palestine : exposé réalisé lors de l'Université d'été de la LCR-NPA
Cet exposé a pour objet d’essayer de saisir les dynamiques actuelles dans les territoires palestiniens, du point de vue du projet sioniste mais aussi et surtout de celui de la société et des forces politiques palestiniennes, et donc de comprendre ce qui se passe en Palestine pour mieux pouvoir agir. 2008 marque le soixantième anniversaire de la création de l’Etat d’Israël. Je reviendrai donc dans un premier temps sur les événements de 1948, révélateurs de la vraie nature et du sens du projet sioniste, et fondateurs de la lutte du peuple palestinien. Il sera impossible ici de couvrir les 60 années qui se sont écoulées depuis. J’ai donc choisi de m’attarder, dans un second temps, sur un moment révélateur, la victoire électorale du Hamas en janvier 2006, son sens et ses conséquences. Enfin, je tenterai de donner des éléments de réflexion quant à la situation de la « résistance palestinienne », tant du point de vue des conditions concrètes dans lesquelles les Palestiniens tentent de résister que des initiatives actuellement prises dans les territoires occupés.
I) Le vrai visage du projet sioniste et les fondements de la question palestinienne : 1948
1) Un projet colonial et raciste
Le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclame l’indépendance de l’Etat d’Israël, quasi-immédiatement reconnu par les puissances impérialistes. La « Communauté internationale » confère ainsi, de manière décisive, une légitimité à un projet colonial et raciste, le projet sioniste d’établissement d’un Etat juif en terre de Palestine, auparavant sous mandat britannique.
Un projet colonial car il repose sur l’implantation d’une population très majoritairement européenne sur une terre arabe. En 1948, les Arabes palestiniens représentent plus des 2/3 de la population de la Palestine mandataire.
Un projet raciste car il opère une stricte distinction entre Juifs et non-Juifs, la judéité étant le critère déterminant de la citoyenneté et de la pleine jouissance des droits politiques, économiques et sociaux dans l’Etat d’Israël.
2) Nettoyage ethnique
Il existe une contradiction essentielle dans le projet sioniste : la Palestine est une terre majoritairement peuplée d’Arabes non-juifs et l’Etat d’Israël devra, pour bénéficier du soutien international, préserver les apparences d’une démocratie. La seule solution, pour les dirigeants sionistes, qui souhaitent intégrer à l’Etat juif le plus de territoire possible, est donc de chasser les Palestiniens de leur terre. Ils pourront ainsi affirmer qu’Israël est un « Etat juif et démocratique », malgré l’apparente contradiction dans les termes.
Entre 1947 et 1949, plus de 800 000 Palestiniens, soit 80% de ceux qui résidaient à l’intérieur du territoire sur lequel Israël proclame son indépendance, sont expulsés et deviennent des réfugiés. Ce ne sont pas des victimes « collatérales » de la guerre de 1948, mais les victimes d’un plan d’expulsion minutieusement établi, le Plan Daleth, dont l’objectif était simple : le plus de terre et le moins d’Arabes possible sous juridiction israélienne.
L’Etat juif était né, non pas d’un miracle, comme l’a encore récemment déclaré le Premier Ministre britannique Gordon Brown, mais du nettoyage ethnique, au terme duquel moins d’1/3 de la population s’attribue 78% de la superficie de la Palestine du Mandat. Pour les Palestiniens, c’est la Nakba, la Catastrophe, moment fondateur de leur lutte d’émancipation nationale. Le peuple palestinien est aujourd’hui encore très largement un peuple de réfugiés : selon les dernières statistiques, 7 millions sur une population totale de 10 millions, soit 70% d’entre eux.
3) Israël, au service des puissances impériales
Israël se construit une double légitimité, idéologique et politique, qui va progressivement conduire l’ensemble des grandes puissances à soutenir de façon quasi-inconditionnelle la politique expansionniste et guerrière de l’Etat juif.
- Une légitimité idéologique : les dirigeants sionistes, non contents de voler la terre, vont également voler la mémoire. La mémoire du génocide juif et des 6 millions de morts, en installant progressivement l’idée que la constitution de l’Etat d’Israël et l’ensemble de ses décisions politiques ne sont que la conséquence logique et la seule réponse possible aux horreurs perpétrées par les Nazis. Il s’agit de jouer sur la culpabilité européenne tout en ne froissant pas les gouvernements et les populations, la faute commise étant payée par les Palestiniens, pourtant totalement étrangers aux événements tragiques de la deuxième Guerre Mondiale. L’escroquerie intellectuelle est la suivante : l’existence passée des camps de concentration justifie l’existence éternelle des camps de réfugiés.
- Une légitimité politique : dès ses origines le projet sioniste s’est affirmé comme un auxiliaire des puissances impériales. Le père fondateur du sionisme, Theodor Herzl, écrivait dès la fin du 19ème siècle que « l’Etat juif sera[it] un rempart de la civilisation contre la barbarie »… Il n’est guère étonnant dès lors que, dans le contexte post-deuxième Guerre Mondiale, qui est notamment celui du développement des luttes d’émancipation nationale contre les puissances coloniales, ces dernières aient vu d’un œil bienveillant l’implantation d’un Etat ami dans une région aux enjeux économiques et géostratégiques majeurs.
C’est ainsi qu’en 1956, lorsque le dirigeant égyptien Nasser nationalise le Canal de Suez, Israël est partie prenante de l’opération franco-britannique visant à reprendre le contrôle du Canal. Israël s’adapte progressivement aux changements qui s’opèrent dans les rapports de force entre puissances impériales et fait preuve de son allégeance à l’impérialisme qui devient dominant, l’impérialisme états-unien : en juin 1967, l’armée israélienne écrase, lors de la Guerre des 6 jours, les armées arabes et notamment celles de deux adversaires déclarés des Etats-Unis, l’Egypte et la Syrie. Israël porte un coup fatal au nationalisme arabe, qui ne se relèvera jamais de cette défaite, montre son rôle de précieux auxiliaire régional, s’assurant ainsi du soutien quasi-indéfectible des Etats-Unis, tout en conquérant, entre autres, la Cisjordanie et la Bande de Gaza, achevant de la sorte la conquête de l’ensemble de la Palestine
⇒ Trois points essentiels sont à retenir :
- Le caractère colonial et raciste de l’Etat d’Israël n’est pas accidentel mais structurel : établir un Etat juif sur une terre majoritairement peuplée d’Arabes non-juifs signifie guerres, expulsions, colonisation et répression de tout mouvement d’émancipation nationale.
- Le fondement de la lutte de libération nationale palestinienne est l’expulsion de 1947-49 : les Palestiniens sont très majoritairement des réfugiés aspirant à revenir sur leurs terres et aucune « solution » à la question palestinienne ne pourra faire l’impasse sur la revendication du droit au retour. Au contraire, cette revendication est la substance même de la cause palestinienne.
- Le rôle d’Israël dans le système impérialiste est un rôle fonctionnel : l’Etat juif a, sans discontinuer depuis 60 ans, joué le rôle de sous-traitant des puissances impériales, principalement des Etats-Unis, au Moyen-Orient. Aujourd’hui sa tâche est de neutraliser les deux facteurs qui déstabilisent le plus la région : le peuple palestinien et la résistance libanaise, notamment le Hezbollah. Et demain, l’Iran ?
II) La victoire du Hamas lors des élections de janvier 2006 et ses suites : révélateur et accélérateur des dynamiques et des contradictions dans les territoires palestiniens
1) Que signifie, en janvier 2006, la victoire du Hamas aux élections législatives ?
- La défaite logique de la direction sortante de l’Autorité Palestinienne (AP) : le groupe dirigeant de l’AP se compose quasi-exclusivement de cadres de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) exilés à Tunis, qui sont revenus dans les territoires palestiniens en 1994, suite à la signature des Accords d’Oslo. Ils ont une base sociale très limitée et n’ont été acceptés par la population que dans la mesure où ils promettaient la fin de l’occupation et la satisfaction des droits nationaux du peuple palestinien. Mais c’est le contraire qui se passe au cours de la deuxième moitié des années 90 et au début des années 2000 : impasse politique, extension de la colonisation, poursuite de la répression…
Ils multiplient en outre multiplient les pratiques autoritaires, s’enrichissent grâce à la corruption et au détournement des aides, développent de véritables réseaux mafieux… et collaborent avec Israël : arrestation de centaines de résistants, dont une partie sont remis aux autorités israéliennes, mais aussi contrats économiques pour le moins « douteux ». C’est ainsi que Jamil Tarifi, plusieurs fois ministre, empoche de juteux bénéfices en construisant les routes reliant les colonies ou qu’Ahmed Qoreï, à une époque Premier Ministre et aujourd’hui encore principal négociateur palestinien, fournit du ciment pour la construction de certaines colonies et même, selon une commission parlementaire palestinienne, pour le Mur.
- La victoire logique du Hamas : ce courant s’est développé et est apparu comme « l’autre voie », en alliant soutien matériel à la population (hôpitaux, écoles, aides financières directes…), critique virulente du Processus d’Oslo et poursuite de la résistance contre Israël. Les organisations de gauche (Front Populaire de Libération de la Palestine, Front Démocratique de Libération de la Palestine, Parti du Peuple Palestinien), considérablement affaiblies par la chute de l’URSS et suivistes, pour ne pas dire opportunistes, vis-à-vis de l’AP et d’Oslo, ne sont pas apparues comme une alternative crédible.
- Le sens du vote de 2006 est clair : il s’est agi d’exprimer un refus de la capitulation et de la collaboration, un refus de se soumettre aux « solutions » parrainées par les impérialistes et une volonté de poursuivre la lutte, par tous les moyens nécessaires, contre l’occupation et pour la satisfaction de l’ensemble des droits du peuple palestinien.
Ce vote est un vote politique et non un vote « religieux ». Le Hamas a été majoritaire dans des zones à forte majorité chrétienne, comme à Béthléem, dans lesquelles on ne peut guère soupçonner la population de souhaiter l’établissement d’un « Etat islamique » ou, pour reprendre une expression en vogue en Israël et dans certaines capitales occidentales, un « Hamastan ». C’est précisément parce que ce vote était un vote politique, une véritable Intifada électorale, que les puissances impérialistes et Israël ont décidé, dès les résultats proclamés, d’en faire payer le prix à la population.
2) Du boycott au putsch
Dès les premières semaines qui suivent le vote, un boycott économique, politique et diplomatique se met en place, qui va considérablement renforcer l’isolement international des Palestiniens et aggraver leurs conditions de vie. Ce boycott est organisé conjointement par l’Union européenne, les Etats-Unis, Israël et la plupart des régimes arabes, et sera doublé à l’été 2006 d’une offensive israélienne contre la Bande de Gaza, place-forte du Hamas. Il s’agit d’isoler ce dernier et de le désigner comme responsable de la dégradation de la situation, afin d’encourager la population à se soulever contre lui. Mais la manœuvre échoue puisque la popularité du Hamas, loin de diminuer, a tendance à s’accroître.
Israël et ses alliés passent donc au « Plan B » : renverser militairement le Hamas en s’appuyant sur une fraction de la direction sortante de l’AP, prête à tout pour revenir aux affaires. Un plan est élaboré à Washington, par le Département d’Etat, la CIA, les services israéliens et la fraction pustchiste de l’AP, dirigé par le député Fatah Mohammad Dahlan, qui bénéficie du soutien implicite du Président Abbas. Il s’agit, en armant et en formant plusieurs centaines d’hommes de Dahlan en Egypte et en Jordanie, en les introduisant progressivement dans la Bande de Gaza et en armant les milices de Dahlan déjà implantées sur place, de renverser militairement le Hamas et de rendre le pouvoir aux « amis » des Etats-Unis et d’Israël. En juin 2007, le Hamas, qui a pressenti la menace, décide de prendre les devants et inflige en à peine 48 heures une défaite aux putschistes qui sont contraints de fuir la Bande de Gaza.
C’est à la lumière de cette tentative de putsch avortée et de ses conséquences immédiates que l’on peut comprendre la situation chaotique que connaissent aujourd’hui les territoires palestiniens.
3) Toujours pas d’Etat mais deux gouvernements
- Débarrassé des milices de Dahlan, le Hamas assure son emprise sur l’ensemble de la Bande de Gaza. Ce contrôle exclusif du territoire va s’accompagner de mesures répressives (arrestations, interdiction de journaux, fermeture de stations de radio…) à l’égard des autres forces politiques et d’un refus de partager le pouvoir, y compris avec les organisations déterminées à poursuivre la résistance. En Cisjordanie le Hamas renonce à se battre pour quelques zones autonomes en réalité sous contrôle israélien, se met en retrait et doit, qui plus est, faire face à la répression conjointe d’Israël et de l’AP. Au début de l’été 2008, les termes de la trêve signée avec Israël semblent indiquer que le Hamas a fait de ce qui pouvait apparaître comme une réponse excessive à la tentative de putsch une véritable orientation : la trêve, et c’est une première, ne concerne que la Bande de Gaza et elle a été négociée par les seuls représentants du Hamas. Décidées à faire respecter le cessez-le-feu, les forces de sécurité du Hamas ont arrêté plusieurs combattants du Jihad ou du FPLP qui, considérant qu’Israël ne tenait pas compte de la trêve, avaient repris les tirs de roquettes.
- Après le putsch avorté de Gaza, le Président Abbas (Abu Mazen) décrète l’état d’urgence et nomme un Cabinet dirigé par Salam Fayyad. Ancien Ministre des Finances, Fayyad a fait une carrière de haut fonctionnaire à la Banque Mondiale et au FMI et bénéficie de la confiance des Etats-Unis et de l’Union européenne. Il avait présenté une liste lors des législatives et obtenu moins de 2% des sièges. Mais l’essentiel n’est pas là : avec le gouvernement Fayyad, les aides économiques reprennent et, à la fin de l’année 2007, ce sont 7 milliards de dollars qui sont promis à l’AP lors d’une conférence à Paris.
Mais ce retour des aides n’est pas sans contrepartie. Les donateurs exigent qu’Abu Mazen et Fayyad participent à la mise en place ce que l’on peut appeler un Plan « silence contre nourriture » : le retour des aides internationales est conditionné au désarmement de la résistance en Cisjordanie et à l’adoption d’un certain nombre de mesures permettant l’adaptation définitive de l’économie palestinienne aux principes du capitalisme néo-libéral et la normalisation totale des relations économiques avec Israël.
Les forces de sécurité sont réformées, les cadres ayant un passé militant sont mis à l’écart ou à la retraite et remplacé par des « professionnels » du maintien de l’ordre, souvent formés par les Etats-Unis, l’Egypte ou la Jordanie, tout comme les milliers de nouvelles recrues chargées de rétablir l’ordre dans les Zones autonomes palestiniennes de Cisjordanie. Des centaines d’arrestations ont lieu, entre autres au cours d’opérations de « restauration de l’ordre » dans des villes comme Jénine ou Naplouse. Le chaos régnait dans ces villes et la population devait faire face à la loi des gangs et des mafias, mais l’AP en a profité pour traquer et arrêter les derniers combattants armés du Jihad, du Hamas ou même du Fatah. La totalité d’entre eux sont aujourd’hui désarmés et/ou en prison.
Sur le plan économique, c’est un véritable Plan d’Ajustement Structurel qui est mis en place : réduction de la dépense publique, privatisations, gel des salaires des fonctionnaires, coupes franches dans les budgets sociaux (pour la période 2008-2010, les budgets « Santé » et « Education » additionnés équivalent au budget « Sécurité »)… Fayyad multiplie en outre les projets économiques conjoints avec Israël (Zones industrielles, projets touristiques…) et accélère la normalisation des relations économiques avec l’occupant, la fin de l’occupation n’étant pas posée comme préalable à la mise en place de ces projets. Cette normalisation des relations est sans aucun doute le prélude à la normalisation des relations économiques d’Israël avec le reste des pays arabes.
⇒ La situation dans les territoires palestiniens est donc doublement contradictoire :
- Il existe tout d’abord une contradiction majeure entre les aspirations de la population, telles qu’elles se sont exprimées lors des élections de 2006 et telles que chacun peut les entendre dans la rue palestinienne, et la direction de l’AP, reconnue comme « seule légitime » par les pays occidentaux et par Israël. Tandis que la conquête sioniste se poursuit, avec le siège de Gaza, l’enfermement quasi-achevé des Palestiniens dans des cantons entourés de murs et l’annexion, de fait, de plus de 50% de la Cisjordanie à Israël, Abu Mazen et Fayyad plient doucement l’échine et obéissent quasiment sans protester à Israël et à ses alliés.
- Il existe également une contradiction entre le « mandat » du Hamas et son orientation effective. Tout indique qu’une fraction significative de la direction du Hamas, socialement identifiable comme membre de la petite bourgeoisie commerçante et intellectuelle, est disposée à trouver sa place au sein des projets états-Uniens pour le Moyen-Orient. Ils tentent en effet de faire preuve de leur bonne volonté, notamment avec la signature et le respect de la trêve, qui n’est pourtant pas respectée par Israël, et de démontrer leur capacité à faire ce que l’AP n’avait pas réussi à faire par le passé : neutraliser la résistance et contrôler les zones incontrôlables pour Israël, comme la Bande de Gaza. Le mouvement Hamas est en pleine évolution, des fissures sont de plus en plus visibles en son sein et si la direction prise est maintenue, nul doute qu’il devra faire face à la colère de la population et d’une partie de sa base. Pour la première fois des dirigeants du Hamas ont critiqué, cet été, la politique du mouvement à Gaza.
III) Dans ces conditions, quelle résistance palestinienne ?
1) Les effets de l’occupation israélienne
- L’isolement de la Bande de Gaza et la fragmentation de la Cisjordanie en plusieurs dizaines d’entités territoriales séparées les unes des autres par des points de contrôle israéliens réduisent considérablement toute activité économique, sociale et politique. Cela confronte tous ceux et toutes celles qui souhaitent, d’une façon ou d’une autre, poursuivre la résistance, à une difficulté majeure : non seulement les situations varient selon les zones autonomes, mais surtout il est de plus en plus difficile, dans ces conditions, de développer un projet politique « national ». Difficulté pour se déplacer, pour se réunir, pour mener des actions en commun sur l’ensemble du territoire… Autant de facteurs qui handicapent considérablement quiconque tente d’organiser une résistance unifiée sur l’ensemble des territoires palestiniens.
- La répression israélienne se poursuit et s’est même considérablement accentuée au cours de l’année 2008 : les incursions, bombardements, assassinats extra-judiciaires… ont causé plus de morts depuis le début de 2008 qu’au cours des 18 mois précédents. Il y a aujourd’hui en outre près de 12 000 détenus palestiniens dans les prisons israéliennes, et malgré quelques médiatiques libérations ce nombre ne cesse de s’accroître. A titre de comparaison, rapporté au nombre d’habitants, c’est comme s’il y avait en France 200 000 prisonniers politiques…
- L’asphyxie économique conduit la quasi-totalité des habitants des territoires palestiniens à se préoccuper davantage de leur survie que de la lutte d’émancipation : le chômage endémique et la hausse des prix (nombre de produits de première nécessité ont vu leurs prix doubler en l’espace d’un an…) affectent l’ensemble de la société palestinienne et ont pour une conséquence une dichotomie de plus en plus importante entre problématiques du quotidien et lutte de libération nationale, ainsi qu’une montée des idéologies et des comportements individualistes.
- Enfin, cette situation entraîne des dégâts psychologiques majeurs. Prisonniers du quotidien, prisonniers dans leur « Zone autonome », les Palestiniens ont de plus en plus de difficultés à se projeter dans le temps et dans l’espace, ce qui a deux conséquences majeures : un repli sur la ville, le village, le camp, la famille… et l’impossibilité de penser des projets sur le moyen ou le long terme. Des conditions qui pénalisent grandement celles et ceux qui tentent de repenser un projet de libération collectif qui implique nécessairement une vision débarrassée des contingences du quotidien et de toute forme de repli local et/ou familial.
2) Des interrogations majeures, un débat désorganisé
La « Deuxième Intifada » est bien finie. Elle se solde par une défaite majeure, sur le plan militaire, politique et idéologique. Nombre de questions se posent de manière ouverte, qui reposent, de fait, la question nationale palestinienne à la lumière des événements de 1948 et de tout ce qui s'est passé depuis, dans la société et chez nombre de militants et de forces politiques. On pourrait résumer ces interrogations en 5 questions génériques même si le débat n’est pas organisé et clairement formulé, mais plutôt diffus dans l’ensemble des territoires palestiniens :
- Que signifie aujourd’hui la revendication de l’Etat palestinien indépendant aux côtés d’Israël, même à titre transitoire ? La Cisjordanie a été intégrée à Israël, économiquement, politiquement, démographiquement. Dans ces conditions quelle pertinence a la revendication de l’Etat indépendant qui, pour Israël, n’a jamais signifié autre chose que quelques cantons isolés, encerclés par des Murs, sans aucune viabilité ?
- Quelle articulation entre résistance populaire, impliquant l’ensemble de la société palestinienne, le mouvement syndical et associatif, les forces politiques… et résistance armée ?
- Comment réunifier l’ensemble du peuple palestinien ? Le peuple palestinien est en effet fortement divisé : Palestiniens résidant en Israël (1.2 million), en Cisjordanie (2.3 millions), à Gaza (1.4 millions), dans les autres pays arabes (4.8 millions, dont 3.1 millions en Jordanie), division à laquelle s’ajoute celle entre réfugiés (7 millions) et non-réfugiés (3 millions).
- Quel cadre politique pour le Mouvement de libération nationale ? La division du mouvement affaiblit considérablement la lutte et la constitution d’un cadre commun, au-delà de la vieille OLP, posant la question de la résistance et du combat pour l’émancipation, et pas celui de la gestion des Zones autonomes allouées par Israël est, même si ce n’est qu’à un stade relativement peu avancé, ouvertement posée.
- Quels liens développer avec le mouvement de solidarité internationale, afin que cette solidarité soit politique et non caritative, efficace et pas seulement symbolique ? Et comment, notamment, faire reprendre à l’ensemble du mouvement de solidarité le mot d’ordre le plus consensuel dans le mouvement associatif, syndical et politique palestinien, celui du boycott total (économique, politique, diplomatique, académique, culturel…) d’Israël, qui a fait ses preuves lors du combat contre le régime d’Apartheid en Afrique du Sud ?
3) Résister aujourd’hui en Palestine
Le projet sioniste porte en lui la négation et donc la destruction de la société et de l’identité palestiniennes. La défaite de la « Deuxième Intifada », la faillite de l’AP, le cours suivi par le Hamas… réduisent considérablement les marges de manœuvre de ceux qui veulent encore résister, envers et contre tout et tous. Autour, notamment, de militants ou d’anciens militants du FPLP ou du Fatah, nombre d’initiatives sont néanmoins prises, surtout dans les camps de réfugiés, dans lesquels se trouvent ceux qui n’ont rien à gagner à une trêve débouchant sur un accord partiel. Leur objectif est double :
Maintenir, coûte que coûte, les revendications essentielles du peuple palestinien, et notamment celles du droit au retour des réfugiés. Cela passe par l’organisation d’expositions, de rencontres entre les plus jeunes et les anciens, autrefois chassés par les milices sionistes, de manifestations de rue… qui visent à transmettre l’héritage et à continuer de rendre visible cette revendication.
Au-delà, il s’agit tout simplement de résister à l’entreprise sioniste de sociocide, en redonnant son sens à l’action collective, en luttant contre les replis individualistes, en maintenant et en reconstruisant l’esprit de résistance dans une période de reflux : associations de femmes, coopératives agricoles, syndicats indépendants de l’AP, comités de familles de prisonniers, comités de village, centres culturels dans les camps de réfugiés… Il s’agit, souvent au-delà des clivages politiques, de pallier la déroute de l’AP et des partis politiques, de sauver ce qui reste à sauver de la société palestinienne et de reconstruire ainsi, progressivement, l’esprit de résistance, mais aussi de préparer les générations futures à la lutte.
Chacun sait en effet que, dans une société où plus de 50% de la population a moins de 15 ans, la réalité aura rapidement raison des promesses de lendemains qui chantent et que ce sont pas les flics de l’AP ou les forces de sécurité du Hamas qui empêcheront une nouvelle génération de se soulever contre ses oppresseurs, israéliens mais aussi, le cas échéant, palestiniens.
Quand cela se produira-t-il ? Nul ne peut le dire précisément. Mais il est certain que la population n’attendra pas la refonte du mouvement national, de son programme et de sa stratégie ou un accord entre les forces palestiniennes pour se révolter à nouveau. C’est en revanche de ces derniers facteurs, ainsi que du succès des initiatives décrites plus haut, que dépendront, en grande partie, le visage et l’issue de ce soulèvement.
par Julien Salingue publié dans : Articles d'analyse
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