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La vente aux enchères d’« Artistes à la une », prévue le 27 janvier chez Artcurial au profit de l’association Reporters sans frontières (RSF), avait pour but de défendre la liberté d’expression dans le monde. C’est ironiquement un acte de censure qui l’aura fait annuler. Cet ensemble de près de quarante « unes » du quotidien Libération revisitées par des artistes français (Jacques Villeglé, Laurent Grasso, Tania Mouraud, Robert Combas, Jean-Michel Alberola, Jean-Michel Othoniel, Invader, Zevs…) ou étrangers, comme l’Allemand Nils-Udo et les Libanais Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, avait été exposé en amont, gratuitement et sans présenter le moindre incident, les 12 et 13 décembre au Palais de Tokyo, à Paris. « Ce portrait met aux enchères un projet terroriste » Fin décembre 2015, la maison de vente Artcurial recevait un courrier de l’ambassade d’Israël en France signalant une œuvre jugée offensante : celle imaginée par Ernest Pignon-Ernest. Sur la « une » de Libération traitant de l’après-Yasser Arafat, publiée le jour de son enterrement, en 2004, cette figure de l’art urbain a dessiné le portrait de l’homme politique et chef militaire palestinien Marwan Barghouti, accompagné de quelques mots : « En 1980, quand j’ai dessiné Mandela, on m’a dit que c’était un terroriste. » « Ce portrait met aux enchères un projet terroriste là où l’on cherche à faire croire qu’il s’agirait d’un homme de paix [en] le comparant à une grande figure internationalement reconnue : Nelson Mandela », s’est indignée l’ambassade dans son courrier (que Le Monde a pu consulter). Figure laïque emblématique de la lutte pour le retrait complet d’Israël des territoires occupés en 1967, Marwan Barghouti, 56 ans, ex-chef du Tanzim, la branche armée du Fatah, est incarcéré depuis 2002 dans une prison de haute-sécurité israélienne, condamné à cinq peines de prison à perpétuité. « Marwan Barghouti est emprisonné à vie en Israël pour avoir été le cerveau de la seconde Intifada (2000-2005) et de ce fait, responsable de la mort de centaines de personnes, juives et non-juives », poursuivait l’ambassade, qui demandait à Artcurial « de bien vouloir retirer de la vente ce lot qui risque fort de semer la confusion et de porter préjudice à [sa] réputation ». Requête à laquelle le président délégué de la maison de ventes, François Tajan, a accepté d’accéder en retirant ce lot de la vente, « au motif des attentats récents, de la prorogation de l’état d’urgence et des potentiels troubles à l’ordre public », cite Libération. Sur la page dédiée à la vente, le lot 27, qui correspondait à l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest, disparaît alors. « J’ai vu la violence faite au peuple palestinien » « Ce que j’ai écrit à côté de mon portrait de Barghouti est vrai : quand j’ai fait le portrait de Mandela, en plein apartheid, alors qu’il était en prison à perpétuité après avoir dirigé la branche armée de l’ANC [le Congrès national africain], on m’a dit que je dessinais un terroriste, se défend Ernest Pignon-Ernest. Or à l’image de Mandela, il n’est pas exclu que Marwan Barghouti soit un jour élu président de la Palestine », affirme l’artiste. Il n’est pas le seul à établir un parallèle entre les deux hommes, comme en témoigne le site du quotidien de gauche israélien Haaretz. « Je n’ai pas cherché la provocation avec cette “une”, assure encore l’artiste. Je ne fais jamais d’œuvre aussi politique, mais il se trouve que le contexte s’y prêtait, puisqu’on demandait à des artistes de s’exprimer sur la “une” d’un journal, donc sur l’actualité. Or, je pense qu’on ne parle pas assez de la misère et du désespoir du peuple palestinien. Je suis allé à Ramallah, et la vie sur place m’a fait penser au régime de l’apartheid. J’ai vu la violence faite au peuple palestinien. Les centaines de résolutions de l’ONU qui condamnent l’attitude d’Israël ne sont pas appliquées. » Ernest Pignon-Ernest s’étonne par ailleurs de l’effet contre-productif de cette censure. « Peu de gens connaissent Barghouti finalement, et si l’ambassade d’Israël n’avait rien dit ni obtenu gain de cause, ce dessin serait passé inaperçu… » « Le respect de la liberté des créateurs » Libération avait, ces derniers jours, exprimé son désaccord avec le choix d’Artcurial. « Nous souhaitons vivement que l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest soit maintenue au catalogue de la vente (...), sachant, qui plus est, que cette vente a pour but de soutenir… la liberté d’expression dans le monde. Ce serait encourir une juste réprobation que d’agir autrement, et laisser croire que nous agissons sous l’influence d’une ambassade étrangère, si respectable soit-elle », a ainsi écrit Laurent Joffrin, le directeur de la publication et de la rédaction du journal dans un courrier à la maison de vente. Une position « fondée sur le respect de la liberté des créateurs, même quand ils produisent des œuvres au contenu controversé », écrit encore le journaliste, qui dit néanmoins « comprend[re] les arguments de l’ambassade d’Israël » et « [se] garde d’entamer un débat sur le fond ». Alors que du côté des artistes, un début de fronde s’organisait – un premier artiste, C215 (Christian Guémy), ayant annoncé qu’il souhaitait retirer son œuvre par solidarité –, RSF et Libération ont finalement tranché mardi 12 janvier dans l’après-midi en renonçant à leur partenariat avec Artcurial. « Cette œuvre n’est en aucune façon une apologie du terrorisme, et elle appartient légitimement au projet d’“Artistes à la une”. Nous avons donc pris la décision de faire la vente ailleurs afin de rester fidèles à nos principes », a annoncé au Monde Christophe Deloire, le secrétaire général de RSF. Egalement contacté, Artcurial n’a pas souhaité réagir sur le sujet. Une autre manifestation a récemment reçu une pression similaire de la part de l’ambassade d’Israël : La Maison des métallos (Paris 11e), qui propose actuellement une exposition organisée en partenariat avec Médecins sans frontières sur les conditions de vie des Palestiniens en Israël, « Palestiniens entre deux guerres ». Le centre d’art, qui n’a pas annulé la tenue de l’exposition, ne tient pas à s’exprimer sur la teneur de ces échanges. Source: Lemonde |
15 janvier 2016
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