- Au
moins 1 700 églises ont été profanées ou détruites par les
"révolutionnaires" islamistes en Syrie, selon les autorités écclésailes.
Il existe bien des façons de démontrer que la Syrie
est victime depuis deux ans d’une campagne de propagande intense visant à
persuader l’opinion otanienne de la nécessité d’armer l’opposition et
de renverser Bachar el-Assad, « l’ignoble-dictateur-qui-torture-et-massacre-son-propre-peuple ».
On peut évoquer l’imposture que constitue le prétendu Observatoire
syrien des Droits de l’homme (OSDH), on peut rapporter des témoignages
qui vont dans le sens inverse de la version officielle, on peut remonter
l’histoire et constater que la déstabilisation actuelle de la Syrie
depuis l’étranger s’inscrit dans une dynamique très ancienne
(Sykes-Picot, 1916) dont la crise actuelle ne constitue que la dernière
étape, on peut faire la comparaison avec d’autres campagnes de
propagande ayant abouti aux renversements de chefs d’Etat sur la base de
fausses preuves (Saddam Husseïn, Mouammar el-Kadhafi), on peut évoquer
le jeu d’alliances de la Syrie avec le Hezbollah et l’Iran, qui gêne les
velléités expansionnistes d’Israël et s’oppose au plan de remodelage
par les États-Unis du « Moyen Orient élargi, on peut souligner
les intérêts gaziers et pétroliers dans la région, qui font de la Syrie
une proie d’autant plus convoitable que ses ressources d’énergie fossile
restent largement à exploiter.
On peut aussi pointer la loupe sur certains
personnages mis en
avant dans les médias commerciaux. La propagande pour être crédible
s’appuie sur des témoins de choix, souvent minoritaires dans le camp
qu’ils sont censés représenter. En comparaison, d’autres personnes,
souvent plus nombreuses et plus représentatives, sont systématiquement
écartées des plateaux, voire diffamées sans qu’elles aient la
possibilité de se défendre médiatiquement.
Le cas du père Paolo Dall’Oglio, censé représenter le point de vue
des chrétiens de Syrie, omniprésent dans les grands médias commerciaux à
l’automne dernier, et de nouveau en ce mois de mai 2013, à la
différence d’autres personnalités bien plus représentatives, permet de
démontrer de façon
irréfutable que le traitement de la crise syrienne par les médias commerciaux otaniens est presque intégralement mensonger et orienté.
L’histoire que je vais raconter commence par une conférence organisée à Paris en septembre dernier.
- Père Paolo Dall’Oglio s.j.
Une conférence sur la Syrie à la mairie du XXème arrondissement de Paris
Le 25 septembre dernier était organisée, dans la salle des fêtes de
la mairie du XXème arrondissement de Paris, une conférence intitulée «
Regards croisés sur la Syrie ».
Elle mettait en scène un intervenant unique, le père Paolo Dall’Oglio.
Elle était prévue pour durer 2 heures, une heure de parole pour le père
Paolo suivie d’une heure d’échange avec le public.
Habitué depuis des mois à passer chaque matin devant cette mairie,
j’avais forcément remarqué une immense banderole qui en recouvrait la
façade, et qui appelait par un biais tendancieux à la fin des massacres
en Syrie. La mairesse du XXème arrondissement, Frédérique Calandra avait
à l’évidence choisi son camp : celui de l’ «
opposition », contre celui du «
régime de Bachar el Assad » [
1].
Je savais plus ou moins à quoi à m’attendre en me rendant à cet
événement ; mais c’était tout de même une bonne occasion d’entendre
quelqu’un qui avait vécu longtemps en Syrie et qui pouvait donner le
point de vue d’un témoin direct confortant la version officielle.
Je n’avais jamais entendu parler du père Paolo Dall’Oglio. Son nom
m’avait échappé dans le flot d’actualités quotidien sur la Syrie, et les
médias indépendants eux-mêmes n’y avaient guère prêté attention.
La salle des fêtes de la mairie du XXème était très bien remplie, 300
personnes au jugé. A proprement parler ce n’était pas une conférence,
mais un jeu de questions réponses entre un journaliste et le père Paolo.
Il ne s’agissait donc pas de «
Regards croisés », comme suggéré dans l’intitulé de la conférence, mais du «
regard »
du père Paolo, qui n’était affligé d’aucun strabisme convergent. Le
journaliste, étant complètement acquis à la cause du père il n’y avait
pas de contradicteur dans ce «
croisement ».
Je commençai à prendre des notes. La salle était mal insonorisée, et
le père Paolo, en plus de s’exprimer dans un français parfois
incertain, était dur à suivre dans son exposé. Il rendit hommage à la
révolution tunisienne et à la révolution égyptienne , plus généralement
au printemps arabe, dans lequel s’inscrivait naturellement selon lui la
révolution syrienne [
2]. Il insista sur la pratique systématique de la torture et l’emprisonnement des opposants par le «
régime de Bachar el-Assad ».
Il se félicita d’avoir en juin 2011 tiré la sonnette d’alarme : « le
régime » était construit exclusivement sur le mensonge, cela faisait
partie de son ADN. A deux reprises il compara ceux qui remettaient en
cause la version officielle de la révolution syrienne à ceux qui
remettaient en cause la version officielle du génocide des juifs, qu’il
assimila ainsi à du négationnisme et à une pathologie de l’esprit. Il
expliqua que la négation de la version officielle était le fait de
forces d’extrême gauche et d’extrême droite coalisées pour l’occasion.
Il fustigea le rôle de la Russie, qui mettait régulièrement des vetos
aux résolutions de l’ONU contre la Syrie, car elle pensait à tort avoir
été bernée sur l’affaire libyenne, l’année précédente, et sur l’affaire
du Kosovo, il y a quelques années. Il expliqua, quoiqu’il fût prêtre et
par nature religieuse opposé à l’usage de la force, qu’il fallait
cependant armer les rebelles (en ne se trompant pas sur les
destinataires) et qu’il y avait un devoir d’ingérence à intervenir en
Syrie. Il se paya d’une diatribe sur le Réseau Voltaire, qu’il semblait
tenir (puisque c’est le seul organe de presse indépendant qu’il nomma)
pour le principal responsable de la campagne de désinformation sur la
Syrie ; il nia absolument le fait qu’il pût exister une alliance entre
le Qatar, l’Arabie saoudite, la France et le Royaume Uni (je rajoute la
Turquie et la Jordanie qu’il a omises dans sa liste), pour déstabiliser
la Syrie. Et si l’ONU ne pouvait résoudre le problème... c’était une
théorie du complot diffusée par «
le régime » pour cacher ses exactions, il devenait urgent de «
passer outre le droit international ».
Pour être juste, le journaliste osa poser une question cruciale :
comment lui, chrétien, prêtre qui plus est, pouvait-il appeler à armer
l’opposition ? N’y avait-il pas là une contradiction fondamentale ? Une
personne du public relaya cette préoccupation. Cette question fut posée
en préambule, et le père Paolo y répondit avec certains des arguments
que je viens d’énumérer.
Je passe sur la séance de questions qui s’ensuivit. Elles furent pour la
plupart extrêmement consensuelles, et beaucoup dans la même veine
persuasive plus que convaincante qu’avait employée le père Paolo. Je me
souviens en particulier d’une dame explosant sur un ton hystérique : «
Vous attendez quoi ? Les chambres à gaz ? Le Christ était le premier martyr ! Il y a des milliers de Christs en Syrie ! » Elle avait sans doute lu la chronique de désinformation de Caroline Fourest dans l’édition du
Monde du 25 février 2012 , suggérant que l’Iran avait fourni un four crématoire à la Syrie qui «
tournerait déjà à plein régime » dans la région d’Alep.
La seule question un peu dissidente fut posée par une femme qui
pointa la responsabilité éventuelle de puissances étrangères dans la
déstabilisation de la Syrie. Elle put s’exprimer mais fut la seule que
l’on pressa de remettre le micro alors qu’elle déroulait son
intervention. Elle fut moquée par le père Paolo qui, sans le moindre
argument, l’accusa de pratiquer des amalgames, alors que lui-même
n’avait fait que ça pendant son intervention.
Quand la conférence fut terminée, je découvris des Syriens contestant
la version officielle, que j’avais eu l’occasion pour certains de
rencontrer lors de diverses manifestations et nous nous retrouvâmes
autour d’un verre dans une brasserie de la place Gambetta.
Je m’enquis du personnage et l’on m’en fit une brève présentation, que je complète avec certains détails utiles :
Paolo Dall’Oglio est un religieux jésuite italien né à Rome en 1954.
Après un passage par le Liban en 1982, il découvre le monastère Deir
Mar Moussa en Syrie, et décide de consacrer sa vie à sa restauration. En
1992 il fonde une communauté œcuménique religieuse mixte qui promeut le
dialogue islamo-chrétien. Dans le prolongement de cette démarche, il
publie, en 2009,
Amoureux de l’Islam, croyant en Jésus. Quand les
troubles commencent, début 2011, il prend parti pour l’opposition,
allant jusqu’à demander publiquement qu’on lui fournisse des armes. En
juin 2012, à la demande de l’ensemble des Eglises de Syrie et du
gouvernement, son visa n’est pas renouvelé et il doit quitter le pays.
Depuis, l’homme a été très massivement relayé dans les médias
commerciaux de masse (
New York Times, Le Figaro, etc .) et a été
reçu par les plus hautes autorités de divers Etats engagés dans le
conflit aux côtés de l’Arabie saoudite, du Qatar, et de la Turquie.
Chacun y alla ensuite de son anecdote, touchant soit son expérience
personnelle en France ou en Syrie, soit sur un aspect de la conférence.
L’un des Syriens m’apprit qu’il avait levé la main pour poser une
question (qui fatalement n’irait pas dans le sens des organisateurs de
la conférence), et qu’alors il fut montré du doigt par un des
organisateurs, avec un signe d’interdiction. L’homme était intervenu
dans des circonstances comparables et avait été repéré comme un
contestataire gênant de la pensée unique officielle, que l’on devait en
conséquence contenir ou réduire au silence. Consigne fut ainsi donnée de
l’empêcher de prendre la parole.
Je me souvenais alors que ce n’était pas la première fois que
j’étais confronté à ce genre de censure, et je rapportais ce qui m’était
arrivé à la Fête de l’Humanité.
Rencontre de l’association Souria Houria à la Fête de l’Humanité
Me promenant dans le «
Village international » de la Fête de l’Humanité, j’étais entré, curieux, dans un stand «
syrien ».
Il s’agissait d’un groupe de personnes soutenant la version officielle
de l’OTAN et d’al-Jazeera. Ils appelaient à la mobilisation contre
Bachar el-Assad, invoquaient les devoirs de la «
Communauté internationale », la nécessité du «
droit d’ingérence humanitaire ».
Quatre intervenants s’étaient succédé en l’intervalle de 40 minutes. Au
terme de cette tribune commune, j’avais pris la parole (nous n’étions
guère nombreux, et le stand d’à côté avait une sono tonitruante), pour
contester leur vision de la situation, qui passait sous silence le fait
que d’horribles massacres étaient perpétrés par des mercenaires
fanatiques financés par le Qatar et l’Arabie saoudite et appuyés
logistiquement par l’OTAN et les services de renseignement alliés. La
réaction des tenanciers du stand avait été éloquente : dans un premier
temps l’un d’entre eux m’avait pris gentiment par le bras pour m’inviter
à quitter les lieux. Comme j’avais protesté du procédé, on m’avait
confronté à un «
militant de l’ASL » qui pendant 10 minutes
m’avait reseriné la version officielle. Je n’avais pu malheureusement
lui répondre de façon développée. Alors que j’avais patiemment écouté
son discours, je n’avais pu, en guise de réponse, prononcer plus de
trois phrases. Un concert de huées s’était allumé. Des gens s’étaient
senti le devoir de m’interrompre, visiblement émus et hors de raison.
Sentant qu’il me serait difficile de m’exprimer, j’étais sorti,
bruyamment accompagné par une chanson qu’ils s’étaient mis soudain à
entonner en chœur et à pleins poumons.
Les tenanciers de ce pavillon n’étaient autres que les organisateurs
de cette conférence du 29 septembre, qui s’appelait Souria Houria (Syrie
Liberté). Dans la pratique de la censure et le mépris de la liberté
d’expression, nous avions affaire là à une cohérence indéniable. Ces
gens qui critiquaient le régime massacreur, désinformateur, qui
agonisaient le Réseau Voltaire d’injures, d’amalgames et d’accusations
sans fondement, qui appelaient naïvement au devoir d’ingérence
humanitaire, pour parvenir à leurs fins n’hésitaient pas à trier les
questions du public de leurs conférences, et refusaient de débattre avec
des gens ayant un autre point de vue que le leur (tout en laissant
passer des réactions hystériques du genre de celle de la femme que j’ai
rapportée plus haut). Et quand ils se trouvaient dans l’obligation de
répondre, ils se mettaient immédiatement en colère, faisaient des
comparaisons avec le négationnisme, coupaient la parole, ou se mettaient
à entonner des chants en troupeau.
Je me souviens qu’à un moment de la conférence de Paolo dall’Oglio,
ils se sentirent d’entamer la même chanson avec laquelle ils avaient
fêté ma fuite. Cependant ils n’étaient plus entre eux et l’initiative
était déplacée. Peu suivis (et compris) par les 300 assistants, ils se
turent après quelques syllabes.
Il faut s’arrêter un peu sur cette association Souria Houria, qui
soutient aveuglément, avec un argumentaire minimal, et des pratiques
douteuses, la version officielle relayée par les grands médias
commerciaux. Cette association est depuis sa création en mai 2011 de
toutes les actions et manifestations organisées en France appelant à la
chute du régime. Lors d’une journée de soutien place de la Bourse, on
entendit l’un de ses membres à la tribune se vanter qu’à présent ils
brassaient des millions. Elle était au centre du «
Train pour la liberté du peuple syrien »,
le 12 décembre dernier, qui emmenait des citoyens et des parlementaires
français de Paris à la rencontre de parlementaires européens à
Strasbourg. Elle était au cœur du débat truqué organisé à l’Institut du
Monde Arabe (IMA) le 24 février (voir mon article précédent ) dernier au
cours duquel un des membres de Souria Houria siffla violemment une
personne qui prenait la parole pour contester la version officielle.
Enfin, c’est cette association qui est motrice de la «
Vague blanche pour la Syrie » , « manifestation internationale (lancée) le vendredi 15 mars à l’occasion des deux ans de la «
révolution syrienne », que relaieront massivement les organes habituels de la propagande de guerre de l’OTAN :
TV5 monde, Bfmtv, France 24, LCP, en partenariat avec
Le Nouvel Observateur, Libération, Mediapart, Rue89, Radio France.
L’association Souria Houria a été fondée en mai 2011 par Hala
Kodmani, journaliste franco-syrienne qui travaille en France depuis 30
ans et elle en en a jusqu’à récemment assuré la présidence. Hala Kodmani
a été rédactrice en chef de
France 24 d’octobre 2006 à septembre 2008, et chargée de la rubrique Syrie au journal
Libération
pendant une grande partie de la crise qui secoue ce pays depuis 2 ans.
Mais la place centrale qu’elle occupe dans la contestation syrienne en
France s’explique surtout par l’influence de sa sœur Bassma Kodmani, qui
a participé à la fondation du Conseil National Syrien lancé en octobre
2011 à Istanbul. Bassma Kodmani (je renvoie à mon précédent article sur
le débat truqué à l’IMA ), est considérée comme la principale
représentante des intérêts des USA dans cet organisme. Il est savoureux
(outre les conflits d’intérêt évidents), de remarquer que dans le même
temps où l’opposition dénonce que «
Bachar n’a pas le droit d’être président de la Syrie car il a hérité le pouvoir de son père ! »,
les sœurs Kodmani (qui ne représentent strictement rien pour le peuple
syrien), font ce qu’elles dénoncent en parole en se distribuant
familialement les rôles au sein de la «
rébellion » en France.
Les Syriens avec qui je discutais, place Gambetta ce 25 septembre,
défendaient une position aux antipodes de celle de Souria Houria et du
gouvernement et des médias français.
La discussion roula évidemment sur la situation en Syrie et sur
notre curieux conférencier en soutane. Cet homme ne représente rien,
m’affirma-t-on. Il ne représente en aucun cas les chrétiens de Syrie,
qui soutiennent majoritairement (à l’instar du reste du peuple syrien)
le gouvernement d’el-Assad, et pour cause, avec les alaouites, les
chrétiens dès le début du conflit étaient une cible privilégiée des
mercenaires islamistes.
Ils me rapportèrent diverses exactions commises par les mercenaires,
exactions toutes plus horribles les unes que les autres et qui
montraient, au moins, que la présentation de la crise syrienne par le
père Paolo Dall’Oglio était une caricature illégitime et dépourvue de
toute nuance. Au vu du caractère édifiant de ces témoignages, on
comprenait aisément pourquoi on n’en entendait jamais parler dans les
grands médias commerciaux. Ils étaient si forts et si nombreux que les
relayer même en passant porterait un coup fatal à la propagande
otanienne.
En rentrant chez moi je décidai de m’intéresser plus en détails à
l’histoire de ce curieux prêtre, et j’entamai une recherche internet.
La campagne médiatique autour du père Paolo dall’Oglio
Il est peu question du père Paolo dall’Oglio avant son départ de la
Syrie en juin 2012, pour non-renouvellement de visa. On relève un
article dans
Pèlerin du 10 août 2011 favorablement intitulé : «
En Syrie la parole se libère »"
. Les troubles agitent le pays depuis la fin du mois de mars. Il vient
de publier avec une dizaine de Syriens laïcs et religieux une
contribution intitulée «
Démocratie consensuelle pour l’unité nationale », dans laquelle il appelle à la mise en place «
d’un
système pour amener la Syrie vers une démocratie parlementaire. Car la
démocratie est la seule voie possible pour mettre un terme à ce bain de
sang et faire respecter les droits de l’homme, qui sont universels :
tous, que nous soyons d’Orient ou d’Occident, nous nous retrouvons dans
cette idée humaniste. » L’homme n’appelle pas encore à «
armer l’opposition », mais comme des membres de son groupe appellent ouvertement à «
la chute du régime »,
il est rabroué par les autorités et les différentes Eglises chrétiennes
qui désapprouvent son initiative. Le 8 janvier 2012,
Rue 89 publie un article de Nadia Braendel intitulé «
Mar Moussa, un monastère pris dans la révolution » . Le père Paolo y est présenté comme une «
icône de la contestation ».
On apprend que le père Paolo a pu rester en Syrie, malgré une décision
d’expulsion envoyée à l’évêque de Homs. Il s’est engagé à ne plus
prendre de position politique. Mme Braendel rapporte pourtant les propos
ambigus suivants : «
Il faudra peut-être une force d’interposition
pacifique arabe et occidentale, car aujourd’hui il y a 100000 Syriens
prêts à tuer, et 100000 qui se vengeront. Les deux camps sont bloqués ». Le 21 mai 2012 le site
RMC.fr fait paraître un article complaisant de Nicolas Ledain intitulé : «
Syrie : des religieux chrétiens font de la résistance »
. Le journaliste relate les problèmes rencontrés par les religieux de
Mar Moussa, victimes de menaces et de pillages de la part de bandes
armées non identifiées, et clôt son article en faisant un rapprochement
avec la situation des moines de Tibhérine en 1996.
On ne peut pas dire jusque là que le père Paolo occupe une place de
choix dans la couverture des événements en Syrie. C’est son expulsion du
territoire syrien le mois suivant qui va donner le coup d’envoi d’une
impressionnante campagne médiatique dans plusieurs pays. Cette expulsion
est relatée dans
Le Point du 16 juin . Très amer, le père Paolo déclare : «
C’est mon cadavre qui a quitté la Syrie ».
Tel Paul en son temps, le père Paolo prend son bâton de missionnaire
et, financé on ne sait comment, entame une série de voyages en zone
OTAN (Europe et Amérique du Nord), au cours desquels il va dispenser
largement la bonne parole appelant à la chute du «
régime » en
Syrie, en armant au besoin l’opposition. Il effectue une longue tournée
qui va le mener aux Etats-Unis, au Canada, en Italie, en France et en
Belgique. A chacun de ces passages, le témoignage du père Paolo fait
l’objet d’une couverture médiatique massive et unanimement louangeuse.
Je m’intéresse essentiellement dans cette étude à son passage en France, en septembre dernier.
Le coup d’envoi de cette campagne est lancé par notre ministre des
Affaires étrangères en personne. Invité au Quai d’Orsay par Laurent
Fabius, notre religieux a l’honneur et le privilège de pouvoir tenir un
point presse de 20 minutes en sa compagnie . Il le présente comme «
une personne réputée » et «
bien informée »,
et après ces propulsions louangeuses lui donne la parole. Le père Paolo
savait-il alors qu’il se tenait à côté d’un homme qui avait indument
expulsé l’ambassadrice syrienne après les massacres de Houla, qui ont
été corrompus par un médiamensonge ? Savait-il qu’il se trouvait, lui,
le prétendu «
homme de paix », à côté de celui qui avait appelé
un mois plus tôt, de façon indirecte, au meurtre du président syrien ,
et qui allait apporter son soutien résolu, le 12 novembre, à la fantoche
Coalition nationale syrienne (CNS) intronisée à Doha , capitale d’une
des dictatures les plus inégalitaires du monde, le Qatar ?
Ce coup de projecteur bienvenu lance la campagne médiatique. Le
lendemain, 12 septembre 2012, il est interviouvé sur
France inter , et sur
RTL par Yves Calvi, et des articles lui sont consacrés dans
La Croix et Le Parisien . Le 24 septembre, deux blogs du journal
Le Monde et de
Médiapart
annoncent la tenue de la conférence dans la salle des Fêtes de la
mairie du XXème arrondissement de Paris . Le 25 septembre, le
Courrier International publie un long entretien (l’entretien n’est plus accessible que sur le site
ConspiracyWatch ). Le 26 septembre, le quotidien gratuit
20 Minutes lui consacre un article, et il est longuement interviouvé sur la chaîne
France 24 . Le 27 septembre l’Express lui consacre un article dans lequel il est présenté comme «
la conscience de la révolution » . Le 28 septembre, c’est
Pélerin qui relaie ses positions appelant à armer l’opposition . Le 30 septembre il est longuement interviouvé par
RFI .
On voit que cette couverture médiatique se concentre autour de deux
pics : le point presse tenu en commun avec Laurent Fabius au Quai
d’Orsay au début du mois de septembre, et son second passage en France
après une tournée en Belgique qui a culminé le 18 septembre avec la
rencontre au parlement de deux vice-présidents de cette institution :
Gianni Pitella et Isabelle Durant . C’est à cette occasion, le 29
septembre, qu’il est invité par l’association Souria Houria, à tenir une
conférence dans la salle des Fêtes de la mairie du XXème arrondissement
de Paris.
Comme les médias ont l’habitude d’accorder une couverture massive
sur plusieurs jours à certains événements, et qu’une fois le matraquage
opéré, ils passent à autre chose pour ensuite n’en plus jamais parler,
la plupart des gens qui suivent l’actualité dans les grands médias ont
sans doute oublié cette fenêtre exceptionnelle dont a bénéficié le père
Paolo. Quand on fait toutefois le bilan de cette couverture, force est
de constater qu’aux alentours de ces deux dates, il était difficile
d’échapper au personnage si on ouvrait un journal, allumait une station
de radio, ou de télévision.
Il faut ajouter qu’il a été extrêmement bien traité par ces médias.
Pas une fausse note (comme dans le débat à l’Institut du Monde arabe du
24 février dernier) dans le concert de louanges et la diabolisation de
Bachar el-Assad. Et si certains montrent tout de même un peu de retenue,
la plupart prennent tout ce qu’il dit pour argent comptant et lui sont
totalement acquis.
Actualisation
Alors que je suis en train de finaliser cette étude, je découvre que
le père Paolo nous honore d’un troisième séjour, tout aussi engagé que
les précédents, et tout aussi massivement couvert par les grands médias.
Ses aventures seraient incomplètes si j’omettais ce nouvel épisode qui
conforte ma démonstration.
Les affaires n’ont jamais si bien marché pour le père Paolo
dall’Oglio. Depuis septembre 2012, il a eu le temps de roder et
d’affuter son discours, mais surtout d’écrire un livre de témoignage sur
sa perception des événements de Syrie. Ce livre, intitulé
La Rage et la Lumière,
coécrit avec Eglantine Gabaix-Halié et édité aux éditions de l’Atelier
, est évidemment salué en ce moment par l’ensemble des grands médias
qui de nouveau se bousculent pour l’entendre cracher son venin et faire
la promotion du chef d’œuvre.
Le 1er mai il est interviouvé sur
France info ; le 2 mai, en compagnie de Hala Kodmani sur
France Culture ; le 3 mai, par Armelle Charrier sur
France 24 ; le 5 mai, sur
France Inter,
en compagnie de Jean-Pierre Filiu et Fabrice Weissman (deux des
intervenants du débat truqué à l’IMA du 24 février) ; le 7 mai, dans
La Vie
par Henrik Lindell . Le 8 mai, le site Souria Houria publie le
programme du père Paolo dall’Oglio lors de ce nouveau séjour en France .
On y apprend que l’homme amorce une tournée à travers la France : le 16
mai conférence-débat au centre Sèvres à Paris ; le 21 mai,
conférence-débat à Lyon organisée avec l’Hospitalité Saint-Antoine ; le
22 mai conférence-débat à Nîmes avec la librairie Siloë ; le 27 mai,
conférence-débat organisée par Souria Houria à Paris ; le 28 mai à
Strasbourg, rencontre à la librairie Kleber. Le 9 mai,
Pèlerin fait paraître les bonnes feuilles de son livre témoignage, accompagné d’un portrait idéalisé.
Vraiment, l’histoire du père Paolo est une véritable
success story ;
alors que, comme nous le verrons plus loin, toutes les autorités
chrétiennes de Syrie qui contestent la version officielle sont
totalement passées sous silence ou gravement diffamés, lui à chacun de
ses passages est accueilli par les grands médias français (renommés
comme chacun sait pour leur intégrité et leur indépendance), comme le
messie, et traité comme tel. On s’arrache le père Paolo, au point qu’on
se demande s’il lui reste du temps pour faire ses prières.
Ce troisième passage en France confirme de façon éclatante l’impression laissée par ses deux premiers séjours en septembre 2012.
Le discours du père Paolo
Au-delà de la couverture médiatique exceptionnelle dont a bénéficié à
chacun de ses passages, est du plus haut intérêt la teneur des discours
du père Paolo Dall’Oglio. Si l’homme est souvent vague et dur à suivre,
si l’on y prête attention on s’aperçoit que son discours s’articule
autour d’un nombre de positions constant, qu’il défend à chaque fois de
la même façon. Pour être plus précis, son discours colle toujours
remarquablement à la version officielle des médias occidentaux de la
zone OTAN.
Comparaison avec les négationnistes de la Shoah
Presqu’à chacune de ses interventions, le père Paolo utilise ce que Viktor Dedaj appelle dans un article du
Grandsoir.info du 10 juillet 2012 des «
tazzers idéologiques »
. Un tazzer idéologique est un argument dont la fonction est de rendre
tout débat impossible en plaçant son contradicteur devant des
accusations d’une telle gravité qu’elles peuvent le foudroyer
psychiquement et le rendre impotent dans le débat subséquent. En
l’occurrence le père Paolo n’hésite jamais à brandir le tazzer
idéologique suprême à savoir l’accusation de négationnisme et la
comparaison avec la version officielle du génocide des juifs pendant la
Seconde Guerre mondiale : ceux qui remettent en cause la version
officielle des sanglants événements de Syrie (c’est «
Bachar » et
ses miliciens qui assassinent en masse leur propre peuple en n’hésitant
pas à recourir aux moyens les plus sales et les plus répréhensibles),
sont les mêmes que ceux remettant en cause la version officielle de cet
événement.
L’Express rapporte ainsi : «
Il évoque pêle-mêle le
Réseau Voltaire et les responsables ecclésiastiques chrétiens ou
musulmans qui, selon lui, donnent la parole religieuse au mensonge
d’Etat, nient la révolution et la réduisent à un fait de sécurité liée
au terrorisme. C’est un négationnisme incroyable, ajoute-t-il, qui est
le fait d’identitaires à l’extrême-droite et d’anti-impérialistes à
gauche. Ceux qui ont nié la Shoah nient la révolution syrienne ! » On retrouve la même position dans l’entretien publié par le
Courrier International : «
Dans
le fond, il n’est pas étonnant que les derniers alliés objectifs du
régime syrien soient ceux qui ont toujours nié le génocide du peuple
juif et, aujourd’hui, nient la révolution du peuple syrien. » et dans
La Libre Belgique : «
Je
voudrais savoir aussi pourquoi les tenants en Europe du négationnisme
de la Shoah, parmi les traditionalistes catholiques extrêmes,
anti-impérialistes et antiaméricains, alliés aux anticapitalistes et
staliniens, sont aujourd’hui du côté du négationnisme syrien et sont
sensibles à la sirène Agnès » (soeur Agnès-Mariam de la Croix, je
parlerai de cette religieuse plus loin). Je me souviens très bien par
ailleurs que le père Paolo avait fait cette comparaison lors de la
conférence du 24 février à la mairie du XXème, et qu’un membre clé de
cette association, quand j’avais prétendu débattre avec eux à la Fête de
l’Humanité, avait usé de ce même tazzer.
Inversion de la réalité, dénonciation des mensonges des pro el-Assad et théorie du complot
Le père Paolo semble également profiter du fait que dans nos sociétés
du spectacle d’Europe et d’Amérique du Nord, existe un second tazzer
idéologique qui peut s’avérer très efficace, quoiqu’à force de mensonges
il tende à s’émousser. Sa propagation dans les médias et, par ricochet,
dans les conversations quotidiennes remonte à peu près aux attentats du
11 septembre 2001, il s’agit du concept de
théorie du complot.
Comme la comparaison avec les révisionnistes de Nuremberg, c’est une
accusation que l’on profère généralement dans le but de couper court à
toute conversation, de l’empêcher souvent ne serait-ce que de commencer.
Pour étayer sa comparaison avec les révisionnistes de Nuremberg, le
père Paolo énonce fréquemment que ceux qui doutent de la version
médiatique des événements de Syrie errent perdus dans un labyrinthe de
mensonges et de complots : «
Nous faisons face à un mensonge, selon
lequel il n’y a pas de révolution, mais la Syrie qui se défend contre un
complot saoudien, sioniste ou occidental, et lutte contre le terrorisme
islamique. » « (Dans les médias du pouvoir syrien)
les théories
du complot les plus diverses circulent. On parle d’une grande entente
entre les États-Unis, Israël, al-Qaïda, les salafistes, les Frères
Musulmans et la Ligue arabe, dans le but d’abattre le dernier État
arabe qui n’a pas encore capitulé face au projet sioniste et n’a pas
renoncé à combattre l’impérialisme... Il est évident qu’à ce niveau-là,
il est difficile de discuter. »
Les prises de position de ce genre abondent, pour ce point je me borne à ces deux citations.
Des allusions et des calomnies fréquentes envers le Réseau Voltaire et Thierry Meyssan
L’extrait de
L’Express cité plus haut en donne déjà une idée :
Thierry Meyssan est une cible de choix du père Paolo Dall’Oglio. S’il
n’en parle pas à chaque intervention, Thierry Meyssan et le Réseau
Voltaire sont en effet l’une des rares personnes et l’un des rares
médias indépendants que le prêtre nomme, condamne et insulte, pour
exhiber à son auditoire l’archétype de la position répugnante et
condamnable, incarnation du dévoiement journalistique. Voici ce qu’il
dit dans
Le Figaro : «
Cette thèse est relayée en Europe par
des gens comme Thierry Meyssan et son Réseau Voltaire, cette usine à
mensonges payée par je ne sais trop qui (ndlr, on peut lui retourner la
question)… C’est un négationniste qui vit dans un monde virtuel. » ou dans
La Libre Belgique : «
Comprendre
le mécanisme négationniste contre cette révolution me paraît très
important. Le Réseau Voltaire est équivoque et d’une paranoïa totale.
Ils sont dans la chambre du pouvoir. Ils font partie de la structure
idéologique et de la cellule de crise du régime. Il faut lire les
interviews de Thierry Meyssan (ndlr : le fondateur du Réseau Voltaire)
dans les journaux syriens. J’espère que la fin du régime sera aussi sa
fin à lui - pas sa fin physique - mais sa fin en tant que colporteur du
mensonge d’Etat et du négationnisme. » On appréciera la lourdeur de
la nuance. Lors de la conférence du 29 septembre, il s’était de même
livré à une diatribe contre le Réseau Voltaire.
Il est important de préciser, comme pour ce genre de comparaisons,
que Paolo dall’Oglio n’étaie jamais ses anathèmes du moindre fait, ni du
moindre argument. Il invective, incite à la haine, envoie en enfer,
puis passe à autre chose, sautant parfois du coq à l’âne. En termes
d’efficacité médiatique, l’efficacité du procédé n’est plus à démontrer.
Depuis plus de 10 ans le Réseau Voltaire est l’association la plus
diffamée de France. Un long travail de sape a été accompli avec zèle par
les grands médias commerciaux pour le diaboliser. La plupart des
Français qui ne prennent pas encore assez le temps de vérifier la
fiabilité des informations délivrées par ces médias, ont une très
mauvaise image (et absolument infondée, est-il besoin de le préciser) de
Thierry Meyssan et du Réseau Voltaire, qui sont devenus à l’instar des
révisionnistes de Nuremberg, des repoussoirs ultimes auxquels la plupart
des gens craignent comme le sida d’être mêlés.
Dans
L’Evangile selon Luc (6/41-42) on peut lire «
Pourquoi
vois-tu la paille qui est dans l’oeil de ton frère, et n’aperçois-tu
pas la poutre qui est dans ton oeil ? 42 Ou comment peux-tu dire à ton
frère : Frère, laisse-moi ôter la paille qui est dans ton oeil, toi qui
ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement
la poutre de ton oeil, et alors tu verras comment ôter la paille qui
est dans l’oeil de ton frère. » Le père Paolo enfreint constamment
ce précepte néotestamentaire ; à sa décharge c’est peut-être un arbre
plutôt qu’une poutre qui lui encombre la vue. Ou alors il y voit
parfaitement clair, et est au christianisme ce que les socialistes
français sont aux valeurs de gauche.
Evolution de son discours entre septembre 2012 et mai 2013
Son troisième séjour en France me contraint d’actualiser mon analyse.
Les quelques mois qu’il a passé hors de France n’ont visiblement pas
fait de bien au père Paolo dall’Oglio, qui atteint désormais des sommets
dans les délires haineux et négationnistes.
Avec le temps le discours du père Paolo s’est radicalisé, comme si,
constatant les boulevards qui lui sont ouverts par tous les médias
officiels de la zone OTAN, l’impunité totale dont il bénéficie dans
l’étalage de ses mensonges, de ses calomnies, et de ses incitations à la
haine, il pouvait à présent tout se permettre. Peut-être aussi l’homme
est-il furieux de constater que la situation sur place ne se décante
guère, que ce régime qu’il déteste continue de tenir, ce qui retarde
d’autant son retour à Mar Moussa.
Poursuivant sa folle fuite en avant, le père Paolo va à présent
très, très loin dans ses prises de positions. Les mercenaires islamistes
liés à al Qaida ? «
Dans mes échanges avec eux, j’ai reconnu des
hommes et des femmes qui ont une passion religieuse, un sentiment
religieux que je partage. Ce sont des gens enragés mais épris de
justice. Ils se sentent collectivement persécutés, attaqués et niés. Du
coup, ils sont dans une psychologie d’hyper réactivité victimaire qui
les amène à commettre des crimes. » La timidité des prises de position de l’Eglise catholique de Syrie ? «
J’ajouterai
qu’il y a de la corruption politique, sexuelle, qui se cache derrière
la soumission au pouvoir. Cela fait partie d’un système de cooptation
par soumission à un système autoritaire. » Les chrétiens qui ne partagent pas son point de vue ? Ce sont des «
islamophobes chrétiens ». Peut-on dialoguer avec Bachar el-Assad ? «
Auriez-vous accepté de dialogué avec Hitler en 1944 ? » Qu’en est-il du terrorisme en Syrie ? «
Je propose de se passer du mot " terrorisme ". Il faut utiliser " révolutionnaire . » Le possible usage des armes chimiques par el-Assad ? «
Comment
ne pas y croire ? Si quelqu’un peut envoyer des missiles balistiques
qui enlèvent un hectare de ville, si quelqu’un peut envoyer des bombes
sur la population syrienne sans état d’âme, pourquoi aurait-il un
problème pour utiliser des armes chimiques ? » Il ose dire ça, alors
qu’il est à présent avéré que des combattants du Front al-Nosra ont
utilisé des armes chimiques contre des civils syriens dans un village de
la banlieue d’Alep.
Bilan sur les éléments de langage
Comme je le suggérais en introduisant ces leitmotivs de ses discours
et réparties, il est manifeste que le père Paolo n’y exprime pas une
opinion personnelle, mais qu’à l’évidence, il relaie de manière
systématique des éléments de langage copiés collés des argumentaires des
médias de la zone OTAN. Il ne s’en écarte jamais, et je pourrais entrer
beaucoup plus dans le détail. L’indice le plus significatif de cette
coïncidence me semble cette finesse avec laquelle notre prélat, qui ne
s’occupe que d’affaires syriennes depuis 30 ans, relaie l’argumentaire
pointant l’association entre extrême droite et extrême gauche dans la
dénonciation dans la version officielle martelée en zone OTAN, qui est
une construction des médias commerciaux français pour discréditer tout
point de vue un peu différent (ce fameux mythe des rouges-bruns,
popularisé par des « journalistes » comme Ornella Guyet, et des «
intellectuels »
comme Bernard-Henry Levi). C’est typiquement le genre d’argument qui ne
peut que lui avoir été soufflé, et qu’il relaie sans vérifier,
inconsciemment ou sur commande.
Le point de vue d’autres autorités chrétiennes de Syrie ou connaisseuses de la Syrie
Il est remarquable que les journalistes qui réalisaient ces
interviews de complaisance, ou rédigeaient des articles à sa gloire,
prenaient souvent soin de souligner que le point de vue du père Paolo
était très minoritaire, que les chrétiens de Syrie, majoritairement, ne
souhaitaient pas le renversement du régime qu’ils considéraient comme un
rempart contre les mercenaires extrémistes venus de l’étranger.
On pouvait se demander alors : si l’opinion du père Paolo était à ce
point minoritaire, pourquoi bénéficiait-t-il d’une couverture
médiatique aussi massive et «
diversifiée », et ce alors qu’aucun
autre témoignage de religieux connaissant bien la Syrie, y vivant, ou y
ayant vécu, n’était jamais rapporté.
Trois explications possibles à ce focus extraordinaire des médias sur ce personnage.
1. Le père Paolo est l’un des seuls chrétiens lucides de Syrie. Tous
les autres, comme il le soutient, sont intoxiqués par la propagande du
«
régime ». Les médias ont raison de relayer massivement et exclusivement ce témoignage
2. Le père Paolo est l’un des chrétiens les moins lucides de Syrie. Il
ne comprend rien à ce qui se passe sur place, mais a choisi cette
position tranchée en raison de l’immense amertume qu’il ressent d’avoir
du quitter un lieu sacré qu’il a contribué à redresser, et dans lequel
il a vécu pendant 30 ans.
3 ; Le père Paolo dall’Oglio est tout à fait lucide ; quand il lance
ses déclarations fracassantes et diffamatoires, il sait qu’il ment, il
sait que ses incitations à la haine sont infondées et qu’en les
proférant il trahit le Christ, il sait que son analyse de la situation
est fausse et orientée, mais pour des raisons qui restent à éclaircir
(et sans doute pas très catholiques), c’est la voie du mensonge et de la
haine pour laquelle il a opté.
J’ai déjà donné beaucoup d’éléments d’information en faveur de la
3ème explication, mais avant de trancher pour de bon, passons en revue
quelques témoignages d’autorités chrétiennes qui, elles, n’ont bénéficié
d’aucune couverture médiatique, ou ont été systématiquement caricaturés
et diffamés dans les mêmes médias qui servaient la soupe au père Paolo
dall’Oglio. En prenant connaissance de ce qu’ils disent, peut-être
comprendrons nous mieux ce silence qui les environne, et du degré de
supercherie qu’implique cette focalisation unique et martelée sur le
père Paolo dall’Oglio.
Donnons la parole à cinq personnalités religieuses syriennes ou très proches de la Syrie.
Père Elias Zahaloui
- Père Elias Zahlaoui
Le père Elias Zahlaoui est un prêtre arabe catholique syrien qui
officie depuis 1977 à Notre-Dame de Damas. Horrifié par ce qu’il a
constaté sur place, et en particulier les massacres de chrétiens
perpétrés par les mercenaires fanatisés, l’homme a publié une série de
lettres ouvertes à diverses autorités. Le 23 juin et le 15 septembre
2011 à Alain Juppé quand ce dernier était ministre des affaires
étrangères, le 17 juillet dernier à François Hollande , enfin le 30
juillet 2012 à Benoît XVI . Dans ces lettres, le père Zahlaoui
dénonçait la désinformation des médias occidentaux sur la situation en
Syrie, et les persécutions des chrétiens. Certaines phrases étaient très
audacieuses. L’homme faisait le parallèle entre le cas syrien et le cas
libyen : «
N’est-il pas vrai que vous êtes intervenus en Lybie, pour
soi-disant protéger les droits humains des civils, contre un dictateur,
que, pourtant, la France et l’Italie n’ont cessé de flatter, et que
l’Angleterre et les États-Unis ont fini par chérir ! Et vous vous en
êtes acquittés en laissant sur le sol de la Lybie, un charnier de 50000
morts, pour la plupart des civils. » Il comparait l’obsession des
médias sur la Syrie à leur silence sur les graves et répétées violations
des droits de l’homme à l’encontre des Palestiniens par l’état
d’Israël : «
si, en Occident, vous êtes si sensibles au problème des
Droits de l’homme, pouvez-vous me dire ce qui vous rend totalement
aveugles à ce que fait Israël en Palestine, depuis plus de 60 ans, en
décimant systématiquement le peuple palestinien, et en dévorant même la
portion de terre, qui lui a été décidée par les fameuses Nations Unies
en 1947 ? » _ Enfin, M. Zahlaloui poussait la témérité jusqu’à
comparer le traitement médiatique unilatéral de l’affaire syrienne à
celui de ces «
mystérieux événements du 11 septembre 2001 ». Les
lecteurs au courant de la censure draconienne sur ces trois sujets ne
seront pas étonnés que ces lettres ouvertes soient restées sans réponse,
qu’aucun média commercial ne les ait relayées, et que seuls des sites
comme legrandsoir.info , michelcollon.info , Infosyrie , ou
mondialisation.ca en aient compris le risque et reçu l’honneur.
- Qualifié de "faux prélat" par L’Oeuvre d’Orient, Mgr Philippe Tournyol du Clos, ici en audience avec Jean-Paul II.
Philippe Tournyol du Clos
Nous n’avons pas là affaire à un Syrien, mais après tout puisque les
médias commerciaux ne voient pas d’inconvénient à relayer exclusivement
le point de vue d’un Italien, tout témoignage de chrétien connaissant
bien la Syrie peut être considéré comme pertinent. Le Réseau Voltaire
avait relayé, le 2 juin 2012 , le témoignage de Mgr Philippe Tournyol Du
Clos, archimandrite, grec catholique melkite, qui se rend fréquemment
au Proche-Orient. Il commençait par déplorer que : «
la paix en Syrie
pourrait être sauvée si chacun disait la vérité. De retour à Damas en
ce mois de mai 2012, il me faut bien constater qu’après une année de
conflit, la réalité du terrain ne cesse de s’éloigner du tableau
catastrophiste qu’en imposent les mensonges et la désinformation
occidentale. » Plus loin il révélait qu’Alain Juppé, quand il était
ministre des Affaires étrangères en exercice, avait sciemment ignoré les
multiples communications de l’ambassadeur de France en Syrie , Eric
Chevallier, démentant absolument la version officielle : «
Il faut
dire et redire que l’idéologie fanatique est d’importation étrangère et
que la Syrie n’a jamais été confrontée à un cycle de
manifestations/répression, mais à une déstabilisation sanguinaire et
systématique par des aventuriers qui ne sont pas syriens. Cette
information, qui va à l’encontre des journaux et des reportages
télévisés, l’ex-ambassadeur de France, Éric Chevallier, n’avait eu de
cesse de la faire entendre à Monsieur Juppé ; mais le ministre français
refusa toujours de tenir compte de ses rapports et falsifiait sans
vergogne ses analyses pour alimenter la guerre contre la Syrie. » Il
affirmait que les chrétiens qui n’avaient pas encore fui sous la menace
des combattants étrangers reconnaissaient dans l’armée syrienne leur
dernier rempart : «
Un habitant me confie : « Si l’armée quitte notre
village, nous risquons d’être égorgés. Si la répression sauvage dont
l’accusent vos médias était réelle, pourquoi les militaires seraient-ils
les bienvenus dans nos villages ? ». Ils sont, j’ai pu le constater de
mes yeux, sous la protection attentive des troupes fidèles au Président
Bachar. Pourtant, le jour de l’Ascension, une roquette est arrivée dans
le jardin, heureusement sans faire de dégâts, mais l’explosion a
terrifié les enfants. » Pour être honnête le témoignage de M. du Clos n’a pas été complètement ignoré. L’hebdomadaire chrétien
La Vie,
par exemple, sous la plume du théologien belge proche de L’Oeuvre
d’Orient Christian Cannuyer, a publié le 27 juin 2012 un article sur ce
religieux . Toutefois, ce n’était pas pour reprendre des éléments
dérangeants de son témoignage, comme ceux que je viens de citer, mais
pour faire de l’homme un portrait horrible propre à dépouiller de toute
valeur son témoignage. Notre homme serait un «
prétendu évêque », «
transfuge des milieux ingristes et catholiques d’extrême droite ». «
Ses allégations sont fausses et manipulées. »
L’article allait jusqu’à mettre en doute, qu’il se fût rendu réellement
à Homs. Le nom du père Paolo apparaît dans cet article où il est
complaisamment évoqué comme «
notre ami ».
Toutes les allégations de L’Oeuvre d’Orient mettant en cause
l’identité de Mgr Philippe Tournyol du Clos ont été démenties par un
communiqué du Saint-Siège.
Je m’attarde quelques lignes sur cet article de
La Vie. Son
caractère outrageusement caricatural fait deviner quelque chose de tout à
fait surprenant : certains milieux ecclésiastiques eux-mêmes semblent
résolument engagés dans la machine de propagande de l’OTAN. Je suis
ainsi tombé à plusieurs reprises sur L’Oeuvre d’Orient , dirigée par le
père Pascal Gollnich (le frère de l‘homme politique du Front National),
et j’ai constaté son positionnement extrêmement trouble et équivoque
dans cette histoire. Je ne me suis intéressé qu’en passant à cet aspect
du problème, mais je suis certain qu’une étude plus approfondie
amènerait son lot de révélations surprenantes.
- S. B. le patrairche melchite Grégoire III Laham
Grégoire III Laham
Grégoire III Laham est le patriarche de l’Eglise catholique melkite
qui compte seulement 180 000 fidèles. C’est néanmoins une personnalité
importante de l’Eglise catholique : ainsi, présida t-il la messe de
funérailles du pape Jean Paul II ou joua t-il un rôle clé lors du
dernier synode des Evêques pour le Proche-Orient. Dans un appel du 9
juillet 2012 , Mgr Laham, dénonce avant toute chose «
l’ingérence d’éléments arabes et occidentaux », une ingérence qui «
se traduit par les armes, l’argent et les moyens de communications à sens unique, programmés et subversifs. » Cette ingérence est «
nuisible même à l’opposition », et «
affaiblit
aussi la voix de la modération qui est spécifiquement celle des
chrétiens et, plus particulièrement, la voix des Patriarches et des
Evêques ». Il dénonce par ailleurs le procès qui est fait aux chrétiens de Syrie d’être des suppôts du régime : «
Nous
considérons que ce sont les positions de certaines personnalités, d’une
presse déterminée et d’institutions particulières qui nuisent aux
chrétiens en Syrie et les exposent au danger, à l’enlèvement, à
l’exploitation et même à la mort. Ces positions accablent les chrétiens
de fausses accusations, semant le doute dans leurs cœurs et diffusant la
peur et l’isolement. Par suite, elles aident à leur exode à l’intérieur
du pays ou à l’extérieur ». On ne peut s’empêcher de penser aux
positions du père Paolo sur ce point... Cette présentation systématique
des chrétiens comme «
collés au régime » les désigne comme une cible pour les groupes armés : «
Ce
sont ces positions elles-mêmes qui prétendent intempestivement
s’intéresser aux chrétiens qui peuvent augmenter le radicalisme de
certaines factions armées contre les chrétiens. Elles exacerbent les
relations entre les citoyens, particulièrement entre les chrétiens et
les musulmans comme ce fut le cas à Homs, à Qusayr, à Yabrud et Dmeineh
Sharquieh. » Comme la mère Agnès-Mariam (voir plus loin), il place ses espoirs dans le mouvement Mussalaha (réconciliation) : «
C’est
ce qui prépare la voie à la résolution du conflit. Nous avons beaucoup
d’espoir dans la création de ce nouvel organe qu’est le ministère de la
Réconciliation. » Mgr Laham pointe par ailleurs l’influence écrasante du conflit israélo-palestinien dans les malheurs de la Syrie : «
La
division du monde arabe a toujours été la cible majeure interne et
externe. Cette division est la raison des dangers qui guettent la région
et elle est la cause de l’absence d’une solution juste et globale au
conflit israélo-palestinien. Ce conflit est le fondement et la cause
primordiale de la plus grande partie des malheurs, des crises et des
guerres du monde arabe. » Ce conflit «
est la cause primordiale de l’exode des chrétiens ». Cet appel de Mgr Laham a été pratiquement ignoré par les grands médias commerciaux français. Seul le journal
La Croix,
le 23 juillet 2012, lui a consacré un article . Le journaliste
François-Xavier Maigre y fait une présentation équilibrée des positions
de l’homme, sans y mettre une quelconque réserve comme c’est presque
toujours le cas. Quand on constate ces positions, on comprend mieux
pourquoi les médias commerciaux l’ont complètement passé sous silence.
Au-delà du fait qu’il dénonce l’infiltration d’éléments non syriens et
occidentaux, qu’il évoque comme le plus grand danger pour les chrétiens,
il dénonce l’analyse la plus courante du point de vue des chrétiens par
les grands médias de masse occidentaux, qui à l’instar du père Paolo,
les présentent comme des collabos ou des brutes assommées par la
propagande du régime. Mgr Laham suggère ainsi que ces médias ont une
responsabilité indirecte dans les persécutions dont les chrétiens sont
victimes.
- Mgr Antoine Audo
Mgr Antoine Audo
Monseigneur Audo est l’évêque des chrétiens chaldéens de Syrie. Il
est également le président de Caritas pour la Syrie, ce qui l’amène à
venir en aide aux victimes de la guerre de diverses manières : achats de
médicaments, couvrements des frais de scolarité, aide aux personnes
âgées, aide à la reconstruction. Mgr Audo est donc une personne très
bien informée. Il a effectué un séjour en France en juin 2012, ce qui a
donné l’occasion à des médias indépendants et/ou chrétiens de recueillir
son point de vue sur la situation en Syrie. Les citations suivantes
sont extraites d’une interview réalisée par l’Eglise catholique de
Moselle , et d’un entretien accordé au site Aide à l’Eglise en Détresse
(AED) . Aucun média commercial de masse n’a relayé cette prise de
position.
Il affirme que le président syrien est largement soutenu par le peuple syrien toutes tendances confondues : «
Quatre-vingt pour cent de la population est derrière le gouvernement, comme le sont les chrétiens ». Il dénonce la partialité de la couverture des événements par les médias occidentaux ou arabes : «
Dans
certains médias, tels que la BBC ou Al-Jazeeera, on constate une
certaine orchestration visant à déformer le visage de la Syrie. Le
gouvernement respecte les personnes qui respectent la loi et l’ordre. La
Syrie a beaucoup d’ennemis, et le gouvernement doit se défendre, ainsi
que le pays. Il y a une guerre d’information contre la Syrie. La
retransmission des médias n’est pas objective. Nous devons défendre la
vérité en tant que Syriens et chrétiens. » Il dénonce l’ingérence étrangère en Syrie : «
Le
régime continue de se défendre contre des groupes armés dont certains
membres viennent des pays qui entourent la Syrie. J’ai parfois le
sentiment que ces groupes utilisent les médias pour servir leur cause et
provoquer un changement dans le pays. Le réel est toujours plus
complexe et plus nuancé quand on le vit de l’intérieur. » Il redoute
que l’effondrement du régime ne plonge la Syrie dans un enfer à
l’irakienne et ne soit cause d’un exode massif des chrétiens : «
Le
risque est de remplacer une dictature militaire par une autre dictature
théocratique. C’est ce que l’on craint. En étant réaliste, voyez ce que
l’Irak a donné : la moitié des chrétiens a quitté le pays et moi je les
ai vu arriver, nombreux, en Syrie. » Caritas (et donc Antoine Audo)
avait en effet en 2005 participé à l’accueil des chrétiens qui fuyaient
en masse l’Irak en proie aux violences interconfessionnelles. La Syrie,
ce qu’on oublie trop souvent, à l’époque a accueilli 1 200 000 réfugiés
irakiens sur son sol.
La position de Mgr Audo a été complètement ignorée par les grands médias commerciaux. Seul le journal
La Croix,
dans son édition du 14 juin 2012, lui a consacré un petit article,
transcription d’un entretien avec François Xavier Maigre à l’occasion du
passage de l’évêque en France . Son propos y est extrêmement modéré par
rapport en comparaison de ce qu’il peut déclarer sur des médias
indépendants.
- Mère Agnès-Mariam de la Croix
Mère Agnès-Mariam de la Croix
Mère Agnès-Mariam de la Croix est une religieuse
franco-libanaise, prieure du monastère Saint-Jacques-le-Mutilé, à Qara, à
70 km de Homs, où elle réside depuis 12 ans. Le cas de cette religieuse
est différent des précédents, dans la mesure où les grands médias ont
été obligés d’en parler à l’occasion de l’affaire Jacquier, du nom de ce
reporter tué par des éléments de la «
rébellion » à Homs en
janvier 2012. Elle avait obtenu des visas pour un groupe de journalistes
français venant rendre compte des événements, et les accompagnait
parfois dans leurs déplacements divers. Gilles Jacquier a trouvé la mort
à Homs, au moment où les combats faisaient rage. Désireux de se
rapprocher du feu de l’action, malgré les avertissements de mère
Agnès-Mariam, il est tué par un mortier thermobarique. L’affaire fait
grand bruit en France : Gilles Jacquier est le premier journaliste
français à périr dans la Syrie en guerre.
A cette occasion, de nombreux articles sont publiés dans les médias
commerciaux de masse, et fatalement son cas y est évoqué. Quand ils
l’évoquent rapidement ils se contentent de préciser que mère
Agnès-Mariam est «
une proche du régime » (
Libération) , «
une religieuse libanaise favorable au régime » (
Le Point) , «
une religieuse favorable au régime syrien » (id) (
L’Express)
. Quand ils entrent un peu dans le détail, de façon systématique, ils
recourent à des expressions péjoratives, et dénoncent la position
qu’elle occupe. Angela Bolis, du journal
Le Monde la qualifie ainsi «
de personnalité ambiguë qui affiche son soutien au régime » . Pour l’association Souria Houria, sans surprise, mère Agnès-Mariam est «
la grande avocate du régime de Bachar el-Assad » . Pour Christian Cannuyer, dans
La Vie, elle serait (avec d’autres), «
manifestement stipendiée ou manipulée », et son comportement «
confine à la collaboration »
. Certains articles vont jusqu’à laisser planer l’hypothèse qu’elle
serait peut-être responsable de la mort de Gilles Jacquier.
Le Dauphiné rapporte ainsi que, pour la compagne du journaliste décédé, «
La
thèse du guet-apens ne fait pas de doute : « Il ne voulait pas aller à
Homs. Il a été contraint par la sœur Marie-Agnès. Face à son refus, elle
lui a dit qu’il ne lui restait que deux jours avant de quitter la
Syrie. Cette religieuse lui avait permis d’obtenir son visa d’entrée et
celui de Christophe Kenck, son collègue » . Le magazine
Envoyé Spécial a lui aussi relayé cette accusation. Cette version de l’histoire est réfutée par l’intéressée : «
La
réalité, c’est que Monsieur Gilles Jacquier, que Dieu ait son âme,
avait fait par écrit une demande de visa pour aller à Homs.(…) Avant
qu’ils y aillent, j’ai demandé et j’ai informé expressément le délégué
de l’AFP, qui parle l’arabe, et la responsable de l’information, qu’il
fallait être de retour à 15 heures : le couvre-feu à Homs commençait en
effet à 15 heures de l’après-midi et il ne fallait surtout pas y
circuler au-delà de 15 heures. Cela a été dit et il y avait des
témoins.(…) Cette équipe a fait fi des directives des militaires qui les
avaient accompagnés à leur demande et elle s’est perdue. Pourquoi
était-il impératif de rentrer avant 15 heures ? ça je l’ai expérimenté
moi-même, quand je suis passée à Homs : à 15 heures, tous les jours, les
rebelles commençaient à attaquer de toutes parts et cela, personne,
aucune presse ne l’a dit. » Du reste il est maintenant avéré, si l’on en croit George Malbrunot pour
Le Figaro
du 17 juillet 2012 , que M. Jacquier n’a pas été tué dans un guet-apens
organisé par l’armée, mais par une roquette tirée par des rebelles de
Homs. Le Réseau Voltaire, dans un article d’Arthur Lepic, était arrivé à
cette conclusion dès le 11 janvier .
On peut également relever quelques portraits réalisés par des
journalistes, qui la présentent comme proche des milieux d’extrême
droite, proche de Thierry Meyssan, ou citée dans des sites qui parlent
de façon complaisante de Robert Faurisson. Rien de neuf sous le soleil…
Si le nom de « Marie-Agnès » a été abondamment cité dans les médias
commerciaux de masse, c’est donc, soit de façon succincte et toujours en
la définissant par son «
soutien au régime d’Assad », soit comme
une personne douteuse et peu digne de confiance, et parfois comme une
auxiliaire active du régime éventuellement responsable de la mort de
Gilles Jacquier.
De façon frappante, pratiquement pas un seul article ne développe
certaines des prises de position et analyses qu’elle a pu faire de la
situation sur place. Elle a ainsi pris à plusieurs reprises des
positions tranchées dans lesquelles elle dénonce la partialité et les
mensonges des médias commerciaux. «
Les journalistes de la propagande
atlantique, les propagandistes à la Goebells n’ont montré que la
moitié de ce qui se passe en Syrie. Et encore, ils ont truqué leurs
reportages. » Elle fait le parallèle, comme le père Zahlaoui, entre
le médiamensonge syrien et ceux qui ont permis l’invasion de l’Irak et
de la Libye : «
C’est faux qu’il y avait des armes de destruction
massive en Irak, et on a attaqué Saddam Husseïn. C’était faux que
Kadhafi allait faire un génocide contre son peuple en Libye. l’ONU a
fait 150000 morts. » Elle dénonce également le traitement horrible que réservent les mercenaires étrangers aux chrétiens, par exemple à Homs : «
Suite
à une mission d’information avec des médias catholiques j’ai été amenée
à visiter la ville de Homs et ses environs. J’ai été remuée au plus
profond de ma conscience par la tragédie que vit la population civile,
notamment les chrétiens. Ces derniers sont surtout concentrés dans les
quartiers centraux de la ville qui sont devenus le repaire de bandes
armées que personne jusqu’à présent n’a réussi à identifier. Toujours
est-il que ces bandes imposent une loi martiale en vertu de laquelle les
fonctionnaires qui rejoignent leur travail sont susceptibles de
représailles, les enseignants dans les écoles publiques, inclus. De même
les artisans, les vendeurs et même ceux qui ont une profession libérale
sont la cible d’actes terroristes qui visent à paralyser la vie
sociale. Les résultats de ces méthodes coercitives sont des plus
terribles : chaque jour des innocents sont égorgés ou kidnappés. Des
familles perdent ainsi le père, le fils ou le frère. Les veuves et les
orphelins sont dans la nécessité. Ceux qui n’ont pas affronté le spectre
de la mort doivent faire face à la séquestration forcée dans leurs
domiciles où ils cherchent à survivre sans travail. » Cette dernière
citation est extraite d’un Appel qu’elle a lancé le 26 décembre 2011 ,
pour qu’enfin le monde prenne conscience de ce qui se passe réellement
en Syrie. Cet appel, comme les lettres du père Zahlaoui, ne sera jamais
relayé dans un média commercial.
Ce passage sous silence intégral des positons de Mère Agnès-Mariam
est d’autant plus choquant qu’elle a effectué plusieurs passages en
France depuis le début de la crise. Recueillir son témoignage n’avait
rien de compliqué. Ainsi en décembre dernier, lors de son avant-dernier
passage dans la capitale, elle a participé à un colloque organisé par
L’Institut pour la Démocratie et la Coopération (IDC) en compagnie de
l’ambassadeur de Russie en France, et deux médias indépendants ont pu
l’interviewer : le journal
L’Audible , et la chaine
Méta TV
. L’ignorance de ce témoignage aux antipodes de la version officielle
se comprend mieux, si l’on a en tête la présentation caricaturale et
diffamatoire qui en est faite depuis l’affaire Jacquier par les grands
médias.
Retour au père Paolo
Nous nous posions la question au départ de savoir pourquoi le père
Paolo était la coqueluche de certains journalistes encartés, et pourquoi
toutes les autres autorités chrétiennes de Syrie étaient intégralement
passées sous silence. Au terme de ce parcours il n’est pas très
difficile de répondre à cette question, même si c’est difficile à
admettre.
Le père Paolo a bénéficié de cette couverture médiatique exceptionnelle car c’est la seule «
autorité »
chrétienne de Syrie (bien que non-Syrien par ailleurs rappelons-le) à
appuyer la version officielle faisant peser toute la responsabilité de
la crise et des massacres sur le régime de Bachar el-Assad. La plupart
des journalistes qui ont écrit sur lui ou qui l’ont interrogé prennent
eux-mêmes souvent soin de le reconnaître. Cela implique que les médias
commerciaux (ceux qui occupent les postes clés, pas la majorité des
journalistes qui souffrent de cette censure), dans leur totalité, ont
reçu pour consigne de ne rapporter que cette sorte de témoignage, et que
tous ont obéi à la lettre.
C’est la raison pour laquelle, inversement, tous les témoignages que
je viens de citer ont été ignorés, et leurs auteurs pour certains
caricaturés ou diffamés.
Les médias qui ont aveuglément et complaisamment relayé les
positions du père Paolo pouvaient d’autant moins donner une tribune à
leurs auteurs que tous mettent en cause la partialité du traitement
médiatique de la crise syrienne par les médias de la zone OTAN. Fait
aggravant pour ces médias, ces autorités religieuses avancent que la
crise syrienne est couverte par un médiamensonge comparable à celui qui a
précédé l’invasion de l’Irak et de la Libye. Impensable pour l’instant
de remettre en cause dans les grands médias à la fois la version
officielle des événements de Syrie et de Libye.
Ne parlons même pas du témoignage informant qu’Alain Jupé a ouvertement
menti pour la Syrie, au mépris des rapports de l’ambassadeur Éric
Chevallier (information énorme , tout de même !), et de celui comparant
le médiamensonge de la crise syrienne à celui échafaudé pour étouffer
les doutes légitimes que doit susciter dans tout esprit sain la version
officielle des attentats du 11 septembre 2001. Quant au poids du conflit
israélo-palestinien dans cette dramatique équation…
Certains journalistes influents des médias commerciaux français ont
reçu pour consigne de mentir sur le témoignage des chrétiens de Syrie,
comme ils ont reçu pour consigne de mentir sur les autres aspects de la
crise syrienne. Les médias français, une nouvelle fois, comme dans
l’affaire libyenne, comme pour les attentats du 11 septembre 2001, ont
joué pleinement le rôle moderne qui est désormais le leur : celui de
relais de l’impérialisme pour justifier aux yeux de l’opinion publique
une guerre illégale accompagnée d’exactions horribles, de massacres de
masse, et entrainant l’exode de centaines de milliers de réfugiés.
Épilogue
Au terme de cette étude, dont les conclusions sont malheureusement
accablantes pour les milieux journalistiques et politiques français,
nous appelons solennellement le CSA à envoyer à tous les médias qui se
sont fait abuser par les boniments du père Paolo, ou qui ont relayé (et
relayent encore) avec zèle ses positions une note de sévère mise en
garde. Si les gens du CSA manquent d’imagination et se retrouvent devant
l’angoisse de la page blanche, nous leur suggérons d’envoyer la missive
suivante :
«
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel a adressé un courrier à
tous les présidents de grandes radios et chaînes de télévision au sujet
de leur couverture des positions du père Paolo Dall’Oglio pendant les
neuf derniers mois. Ce dernier a en effet été reçu à d’innombrables
reprises pour relayer ses positions appelant à la chute du régime en
place en Syrie. Les grands médias du PAF et de la presse écrite n’ont
fait que reprendre à leur compte, sans la moindre distance critique ni
précaution de langage, la propagation d’informations à l’évidence
fausses, après avoir explicitement accordé à son auteur des labels de
légitimité et de respectabilité. Le Conseil a rappelé au président des
chaînes les termes du préambule du cahier des missions et des charges de
la chaîne qui précisent notamment que " les sociétés nationales de
programme ont vocation à constituer la référence en matière d’éthique "
et ceux de l’article 2 qui disposent que " la société assure
l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information ". Il lui a
demandé de prendre des mesures pour que la vérité soit rétablie et que
de tels dérapages ne se renouvellent pas ».
Ce texte n’est autre (en changeant les noms et une poignée de
termes) que la directive 151 envoyée à France Télévision en avril 2002
par le CSA après le passage de Thierry Meyssan sur le plateau de
l’émission de Thierry Ardisson , dans laquelle il présentait
L’Effroyable Imposture,
ouvrage dans lequel il contestait qu’un avion de ligne se fût écrasé
sur le Pentagone . Quoiqu’elle n’ait pas été envoyée à tous les autres
médias, France Télévision a eu apparemment le courage de prendre
l’initiative de la relayer à tous les autres organes du PAF, de sorte
que depuis cette émission, cela fait 10 ans que Thierry Meyssan est
interdit d’expression sur les chaînes de radio et de télévision
française.
Cette directive 151 n’a aucun sens appliquée à Thierry Meyssan ; en
revanche, elle me semble à merveille s’appliquer au père Paolo
dall’Oglio. Nous suggérons donc au CSA d’envoyer telle quelle cette
missive, en transmettant par la même occasion les amitiés les plus
chaleureuses du Réseau Voltaire à l’ensemble de la profession.
Avertissement final aux chrétiens de France
Ce n’a pas été la moindre de mes surprises, en menant cette étude, de
me rendre compte qu’il n’existait finalement en France, concernant les
événements de Syrie, presqu’aucune différence de traitement de
l’information entre les médias commerciaux estampillés «
chrétiens » (
La Croix, La Vie, Pèlerin, Radio Notre-Dame), et les autres grands médias commerciaux (
Charlie hebdo, Libération, TF1, RMC, France inter, etc).
Il faut être conscient que la propagande se loge partout. Les médias «
chrétiens »
comme les autres médias commerciaux, sont possédés par des gens qui
n’ont rien à voir avec l’information et dont les valeurs chrétiennes ne
sont pas toujours le premier des soucis. Ce que l’on appelle la «
presse chrétienne » (quand elle est commerciale) doit être lue par les chrétiens de France avec le même esprit critique que les publications «
profanes ».
Les médias chrétiens sont entrés dans le bal médiatique
hagiographique du père Paolo avec le même enthousiasme, la même
confiance, et la même absence d’esprit critique que leurs confrères du
Monde ou de
France Inter.
Ainsi va la (dés)information en France.