08 décembre 2014

Le président Bachar al-Assad

Le président Bachar al-Assad 


Les Syriens n’accepteront jamais que leur pays devienne un jouet entre les mains de l’Occide

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Le président Bachar al-Assad a affirmé que la Syrie attaque le terrorisme là où il se trouve, sans prendre en considération ce que font les États-Unis ou la coalition, précisant que les Syriens n’accepteront pas que leur pays devienne un jouet entre les mains de l’Occident. « C’est un principe fondamental pour nous », a-t-il insisté. 
Dans une interview accordée au magazine français Paris Match, le président al-Assad a précisé qu’on ne peut pas mettre fin au terrorisme par des frappes aériennes. Des forces terrestres qui connaissent la géographie et agissent en même temps sont indispensables. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas eu de résultats réels. « Ce n’est donc pas vrai que les frappes de la coalition nous aident », a-t-il affirmé. 
Et le président al-Assad d’ajouter : « Le terrorisme est une idéologie qui ne connaît pas de frontières et non pas des organisations ou des structures. Il y a vingt ans, le terrorisme s’exportait depuis notre région, en particulier depuis les pays du Golfe comme l’Arabie Saoudite. À présent, il nous vient d’Europe, et notamment de France », a-t-il indiqué, précisant que le plus gros contingent de terroristes occidentaux venus en Syrie est français. 
Paris Match – Monsieur le président, après trois ans de guerre, au point où nous en sommes aujourd’hui, regrettez-vous de ne pas avoir géré les choses différemment au début, lorsque les premiers signes de révolte sont apparus en mars 2011 ? Vous sentez-vous responsable ? 
Le président Al-Assad – Dès les premiers jours, il y avait des martyrs de l’armée et de la police. Nous avons donc, dès cette époque, fait face au terrorisme. Il y avait certe des manifestations, mais pas en grand nombre. Notre seul choix était de défendre le peuple contre les terroristes. Il n’y en avait pas d’autre. Nous ne pouvons pas dire que nous le regrettons car nous luttions contre le terrorisme dès les premiers jours. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’erreurs commises dans la pratique. Il y a toujours des erreurs. Parlons aussi franchement : si le Qatar n’avait pas financé dès le début ces terroristes, si la Turquie ne leur avait pas apporté un soutien logistique et l’Occident un soutien politique, les choses auraient été différentes. La Syrie connaissait des problèmes avant la crise, ce qui est normal, mais cela ne signifie pas qu’il faille trouver aux événements une origine intérieure. 
- Durant cette guerre, on reproche à votre armée d’avoir utilisé massivement la force. Pourquoi bombarder des civils ? 
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- Lorsqu’un terroriste vous attaque, croyez-vous que vous pouvez vous défendre par le dialogue ? L’armée a eu recours aux armes lorsque l’autre partie en a fait usage. Notre but ne saurait être de frapper les civils. Comment peut-on résister pendant quatre ans en tuant des civils, c’est-à-dire son propre peuple, et en même temps combattre les terroristes et les pays hostiles qui les soutiennent, à savoir ceux du Golfe, la Turquie et l’Occident ? Si nous ne défendions pas notre peuple, nous serions incapables de résister. Par conséquent, il n’est pas logique de dire que nous bombardons les civils. 
- Des images satellites de Homs ou de Hama montrent des quartiers oblitérés. L’ONU, une organisation à laquelle adhère votre pays, parle de 190.000 morts au cours de cette guerre. Les habitants de ces quartiers étaient-ils tous des terroristes ? 
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- D’abord, il faudrait vérifier les statistiques des Nations Unies. Quelles en sont les sources ? Les chiffres qui circulent aujourd’hui dans le monde, notamment dans les médias, sont exagérés. Ils sont faux. Ensuite les images de destruction ne sont pas seulement des photos satellites, mais des photos prises sur le terrain. Ces destructions sont réelles. Lorsque des terroristes pénètrent dans une région et l’occupent, l’armée doit la libérer. Des combats sont alors engagés. Il est donc normal qu’il y ait destruction. Dans la plupart des cas, lorsque les terroristes s’installent, les civils prennent la fuite. En vérité, le plus grand nombre de victimes en Syrie se compte parmi les partisans de l’État, et non l’inverse. Beaucoup ont été tués lors d’attentats. Quand vous avez la guerre et le terrorisme, il y a hélas des victimes innocentes. Ça arrive n’importe où, d’ailleurs. Mais il n’est pas concevable qu’un État vise ses propres citoyens. 
- Toujours selon l’ONU, trois millions de Syriens sont réfugiés dans les pays limitrophes, soit un huitième de la population syrienne. Est-ce que ce sont tous des alliés des terroristes ? 
- Non, non. La plupart de ceux qui ont quitté la Syrie l’ont fait à cause du terrorisme. Parmi ces réfugiés, certains soutiennent les terroristes, d’autres l’État. Ces derniers ont quitté le pays pour des raisons de sécurité. Une grande partie des réfugiés ne soutient personne. 
- D’un point de vue militaire, avez-vous les moyens de gagner la guerre ? 
A présent, nous combattons des États, pas seulement des bandes. Des milliards de dollars leur sont versés. Des armes leur ont été fournies par des pays comme la Turquie. Il ne s’agit pas d’une guerre facile d’un point de vue militaire. Pourtant, l’armée syrienne progresse dans beaucoup de régions. Personne ne peut encore prévoir quand cette guerre prendra fin, ni comment. Nos adversaires pensaient, au début, gagner le cœur des Syriens. Ils n’y sont pas parvenus. Ils ont perdu le soutien de la population locale. C’est précisément ce qui a permis à l’armée de progresser. Nous devons envisager la guerre d’un point de vue militaire, social et politique. 
- Mais ils n’ont pas encore perdu, puisque la moitié de votre pays vous échappe ? 
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- L’armée syrienne ne peut être partout à la fois. Là où elle n’est pas présente, les terroristes en profitent pour franchir les frontières et s’infiltrer dans telle ou telle zone. Mais à chaque fois que l’armée décide de reprendre une région, elle y parvient. Il ne s’agit pas d’une guerre entre deux armées, où l’une occupe un territoire et l’autre un autre. Il s’agit d’un autre type de guerre. Nous avons affaire à des groupes terroristes qui s’infiltrent dans une ville ou dans un village. Cette guerre sera donc longue et difficile. 
- Beaucoup disent que la solution c’est votre départ. Avez-vous vous-même envisagé que votre départ soit la solution ? 
- Partout dans le monde, un chef d’État arrive au pouvoir par un mécanisme constitutionnel, et il le quitte par le même mécanisme. Un président ne peut ni s’imposer ni quitter le pouvoir par le chaos. La preuve tangible, ce sont les conséquences de la politique française en Libye avec la décision d’attaquer Kadhafi. Quel en a été le résultat ? Après son départ, il y a eu le chaos. Son départ était-il la solution ? La situation s’est-elle améliorée ? La Lybie est-elle devenue démocratique ? L’État est comme un navire : dans la tempête, le capitaine ne prend pas la fuite. Il ne quitte pas le bord. Si les passagers doivent s’en aller, alors il sera le dernier à partir. 
- Cela veut dire que le capitaine est prêt à mourir. Vous avez évoqué Mouammar Kadhafi, est-ce que vous avez peur de mourir de la même façon que Saddam Hussein ou que Kadhafi ? 
- Le capitaine ne pense pas à la mort, ni à la vie, il pense à sauver son navire. S’il fait naufrage, tout le monde mourra. Il vaut donc mieux tout faire pour sauver son pays. Mais je voudrais souligner une chose importante. Mon but n’est pas de rester président, ni avant, ni pendant, ni après la crise. Mais quoiqu’il arrive, nous autres Syriens, n’accepterons jamais que notre pays devienne un jouet entre les mains de l’Occident. C’est un principe fondamental pour nous. 
- Parlons du groupe État Islamique. On entend dire parfois qu’au départ, le régime syrien a encouragé la montée des radicaux islamistes pour diviser l’opposition. Que répondez-vous? 
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- D’abord, en Syrie, nous avons un État, pas un régime. Soyons clair sur la terminologie. Si nous supposons que cela est vrai, et donc que nous avons soutenu l’État Islamique, cela revient à dire que nous leur avons demandé de nous attaquer, d’attaquer nos aéroports militaires, de tuer des centaines de nos militaires, d’occuper nos villes et nos villages. Où est la logique là-dedans ? Qu’avions-nous à gagner dans tout cela ? Diviser et affaiblir l’opposition, comme vous le dites ? Nous n’avions pas besoin de le faire. L’Occident lui-même reconnaît que cette opposition était fantoche. C’est ce qu’Obama lui-même a dit. L’hypothèse est donc fausse. Mais alors, où est la vérité ? En réalité, l’État Islamique a été créé en Irak en 2006. Ce sont bien les États Unis et non la Syrie qui occupaient l’Irak. Abou Baker al Baghdadi était dans les geôles américaines et non dans les prisons syriennes. Qui a donc créé l’État Islamique ? La Syrie ou les États-Unis ? 
- Les Syriens que nous rencontrons à Damas font plus allusion aux cellules dormantes djihadistes en Occident qu’à la guerre contre l’État Islamique. C’est étonnant, non ? 
- Le terrorisme est une idéologie et non des organisations ou des structures. Or, l’idéologie ne connaît pas de frontières. Il y a vingt ans, le terrorisme s’exportait depuis notre région, en particulier depuis les pays du Golfe comme l’Arabie Saoudite. A présent, il nous vient d’Europe, et notamment de France. Le plus gros contingent de terroristes occidentaux venus en Syrie est français. Ils commettent des attentats en France. En Belgique, ils ont attaqué le musée juif. Le terrorisme en Europe n’est plus dormant, il s’est réveillé.  
- Les Américains sont aujourd’hui, contre l’État Islamique, des alliés tactiques. Considérez-vous toujours leur intervention comme une violation du territoire syrien ? 
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- Vous avez utilisé le mot tactique, et c’est là un point important. Vous savez bien qu’une tactique n’a aucun sens sans une stratégie. Car elle seule n’arrivera pas à venir à bout du terrorisme. Il s’agit d’une intervention illégale, d’abord parce qu’elle n’a pas reçu l’approbation du Conseil de sécurité, ensuite parce qu’elle n’a pas tenu compte de la souveraineté d’un État qui est la Syrie. La réponse est « oui », c’est une intervention illégale, et donc une violation de la souveraineté nationale. 
- L’AFP rapporte que votre aviation a effectué 2000 sorties aériennes en moins de 40 jours, ce qui est énorme. Quand vos avions croisent leurs avions, par exemple en allant bombarder Raqqa, existe-t-il un protocole de non agression ? 
- Il n’y a pas de coordination directe. Nous attaquons le terrorisme là où il se trouve, sans prendre en considération ce que font les États Unis ou la coalition. Vous seriez sans doute surpris d’apprendre que le nombre quotidien de sorties de l’aviation syrienne pour frapper les terroristes est supérieur à celui de la coalition. Donc, d’abord, il n’y a pas de coordination. Ensuite, les frappes de la coalition ne sont que cosmétiques.  
- Mais ces frappes-là vous aident. La démission du Secrétaire Américain à la Défense Chuck Hagel s’explique en partie parce qu’il pensait qu’elles renforçaient votre gouvernement et vos positions. 
- Notez que votre question contredit celle dans laquelle nous sommes accusés de soutenir Daech. Ça veut dire plutôt que nous sommes des ennemis de Daech. 
- J’ai dit  qu’on entend qu’au départ, vous avez soutenu Daech pour diviser l’opposition. 
- Je ne vous accuse pas, je fais plutôt allusion à ceux qui le pensent.  
- Maintenant, une des conséquences était cette démission, du point de vue américain. Estimez-vous quand même que les frappes de la coalition vous aident ? 
- On ne peut pas mettre fin au terrorisme par des frappes aériennes. Des forces terrestres qui connaissent la géographie et agissent en même temps sont indispensables. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas eu de résultats réels après deux mois des campagnes menées par la coalition. Ce n’est donc pas vrai que les frappes de la coalition nous aident. Elles nous auraient certainement aidés si elles étaient sérieuses et efficaces. C’est nous qui menons les combats terrestres contre Daech, et nous n’avons constaté aucun changement, surtout que la Turquie apporte toujours un soutien direct dans ces régions. 
- Le 14 juillet 2008, vous étiez à la tribune sur les Champs-Élysées, en marge du sommet de la Méditerranée. Aujourd’hui, le gouvernement français vous considère comme un paria, comment vivez-vous cette situation ? 
- Les bonnes relations entre 2008 et 2011 n’étaient pas le résultat d’une initiative française. Il y a eu d’abord les Américains qui ont chargé l’administration française, à l’époque, de faire pression sur la Syrie au sujet de l’Iran. Il y a eu ensuite le Qatar, qui poussait la France à améliorer ses relations avec la Syrie. Entretenir de bonnes relations avec nous n’émanait donc pas d’une volonté indépendante de la France. Aujourd’hui,  les choses n’ont pas changé. Hollande, comme Sarkozy, n’agit pas de son propre gré. 
- François Hollande continue de vous considérer comme un adversaire, est-ce que vous pensez qu’à un moment le contact pourra être renoué ? 
- Ce n’est pas une question de relations personnelles. D’ailleurs je ne le connais même pas. Il s’agit de relations entre États et institutions, et dans l’intérêt des deux peuples. Nous traiterons avec tout responsable ou gouvernement français dans l’intérêt commun. Mais l’administration actuelle œuvre à l’encontre des intérêts de notre peuple et de ceux du peuple français. Je ne suis ni l’ennemi personnel ni le rival de Hollande. Je pense que c’est plutôt Daech qui est son rival, puisque leurs cotes de popularité sont très proches.  
- Oui ou non, y a-t-il aujourd’hui en Syrie des armes chimiques ? 
- Non, nous l’avons très clairement déclaré, et lorsque nous avons décidé de renoncer aux armes chimiques, c’était de manière définitive et totale. 
- Pourtant le secrétaire d’État américain John Kerry vous accuse d’avoir violé le traité en faisant usage de chlore. Est-ce vrai ? 
- Vous pouvez trouver du chlore dans n’importe quel foyer syrien. N’importe quelle faction peut l’utiliser. Mais nous, nous ne l’avons pas utilisé, car nous avons des armes conventionnelles plus efficaces, que nous employons dans notre guerre contre les terroristes. Nous ne le cachons pas, car c’est notre droit. Ces accusations ne nous surprennent pas. D’ailleurs, depuis quand les Américains disent-ils la vérité à propos de la crise syrienne ?! 
- Avez vous utilisé des armes chimiques ? 
- Nous n’avons pas utilisé ce genre d’armes, autrement il y aurait eu des dizaines, voire des centaines de milliers de morts, pas simplement 100 ou 200 personnes, comme on l’a dit l’année dernière, surtout dans des régions peuplées de centaines de milliers, voire de millions de Syriens. 
- A l’occasion de votre dernier séjour à Paris en novembre 2010, j’avais interviewé votre femme Asma. Est ce que ça vous manque de ne plus pouvoir voyager hors de vos frontières ? 
- Je ne suis pas un amateur de voyage, et mes visites n’étaient pas pour faire du tourisme.  Ce qui me manque vraiment c’est la Syrie  telle quelle était. Ce qui nous manque, bien sûr, c’est un monde différent où règnent des relations logiques et morales. Nous avions, à l’époque, de grands espoirs de développer notre région, de lui assurer une plus grande ouverture intellectuellement. Nous pensions que la France était, par son patrimoine culturel, la mieux placée pour jouer ce rôle avec la Syrie au Moyen-Orient.  
- Votre femme se voyait comme une ambassadrice de la modernité, comment vit-elle cette situation, maintenant qu’elle est recluse en Syrie ? 
- Comme tous les Syriens, comme moi, elle éprouve de la douleur en voyant la destruction et le sang versé. Nous avons de la peine de voir notre pays revenir des décennies en arrière, et devenir un foyer de terrorisme après avoir été parmi les cinq premiers pays sur le plan de la sécurité. Tous les deux, nous sommes navrés de voir l’Occident, qu’on croyait capable d’aider à l’ouverture et au développement, prendre la direction inverse. Pire encore, que ses alliés soient des pays moyenâgeux du Golfe, comme l’Arabie Saoudite et le Qatar. 
- On vous décrit comme quelqu’un d’extrêmement proche de ses enfants, comment leur expliquez-vous ce qui se passe dans votre pays le soir en rentrant chez vous ? 
- Ce dialogue se déroule dans chaque foyer syrien. Le plus difficile est lorsqu’on a affaire avec des enfants dont la conscience sociale s’est formée durant la crise. Les deux principales questions qu’ils posent sont les suivantes : Comment des gens qui croient ou disent défendre Dieu et l’Islam peuvent-ils tuer et décapiter ?  C’est une contradiction difficile à expliquer. Les enfants demandent aussi si ces gens-là savent qu’ils se trompent. La réponse est que certains le savent et exploitent la religion à des fins particulières, d’autres sont des ignorants qui ne savent pas que la religion c’est le bien, et non le meurtre. Ils nous posent une dernière question : « Pourquoi l’Occident nous attaque et soutient les terroristes ? ». Ils ne parlent évidemment pas de l’Occident en tant que tel, mais évoquent des pays précis comme les États-Unis, la France, la Grande Bretagne. « Pourquoi agissent-ils de la sorte ? Est-ce qu’on leur a fait du mal ? ».  Nous leur expliquons alors que les peuples c’est une chose, et les États, c’en est une autre. 
 
Merci à Khouna Lakhdar de nous avoir donné copie de cet article

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