14 juillet 2008

Entretien avec le Président du Liban


Entretien avec Michel Sleimane


Elu président du Liban au terme d'un long suspense, le 25 mai dernier, Michel Sleiman est un des chefs d'Etat dont la tâche est aujourd'hui la plus difficile.

A 59 ans, cet ancien général, homme d'ordre autant que de dialogue, s'est armé de courage pour redresser un pays affaibli par les divisions communautaires, l'invasion de 2006 par Israël, et une situation économique tendue.

Dans son palais de Baabda, le président libanais garde espoir et déploie des talents de diplomate.

L'occasion de confier à L'Express, pour la première fois depuis sa prise de fonction, ses attentes et ses lignes de force.

Extraits.


Votre élection a été accueillie par la communauté internationale avec un grand soulagement. Quel est votre sentiment dominant après plus d'un mois d'exercice de vos fonctions?


L'accueil favorable de la part de la communauté internationale à l'égard de mon élection à la présidence de la République libanaise, comme effet d'un consensus interlibanais, me fait porter de lourdes responsabilités. D'ailleurs, je dois avouer qu'après plus d'un mois à la magistrature suprême je ressens l'ampleur de ces responsabilités. Les assumer stimule ma conviction et renforce ma détermination à oeuvrer en vue de l'unité des Libanais, de leur entente et de leur solidarité. Vaste programme? Sans doute, mais je dirai que c'est une mission difficile, non pas impossible, puisque le peuple libanais souhaite que ses choix essentiels soient incarnés par un responsable se tenant à ses côtés. Personnellement, je serai fidèle aux aspirations de mon peuple, qui veut voir son pays maître de sa destinée, libre et indépendant. Déjà, tout au long de neuf années et demie à la tête de l'armée, j'ai rempli pareille mission en des périodes d'extrêmes difficultés. Et je pense que mes prises de position ont alors contribué à faire de moi, aux yeux de toutes les parties libanaises, un candidat consensuel.


Qu'attendez-vous du gouvernement, après sa formation?


Les Libanais aspirent à voir le nouveau gouvernement satisfaire leurs besoins et exaucer leurs revendications. Il est vrai qu'il existe des divergences entre les différentes parties politiques dont le gouvernement est constitué, mais il existe bel et bien des dénominateurs communs qui les rassemblent. Ces dénominateurs unitaires, que j'ai d'ailleurs mentionnés lors de mon discours d'investiture, figureront sans doute dans la déclaration du gouvernement.
A l'évidence, le gouvernement devrait traiter en urgence la question du niveau de vie, devenu précaire en raison des hausses exorbitantes des prix du pétrole et des produits alimentaires, surtout quand on sait que le Liban est un pays importateur. Les priorités du nouveau gouvernement porteront donc sans doute sur la relance de l'économie et sur celle de la production.


Le Hezbollah vient d'être placé par les Britanniques sur la liste des groupes terroristes. Qu'en pensez-vous?


On ne peut pas oublier que le Hezbollah est un parti politique libanais, dont la Résistance nationale est une branche. Cette Résistance a libéré le Sud de l'occupation israélienne, après que le Liban n'eut pu arriver à recouvrer sa souveraineté dans cette région, conformément aux clauses de la résolution 425 du Conseil de sécurité. Et la libération a eu lieu alors que l'Etat libanais, déjà démantelé,avait été quasi absent du Sud pendant près de trois décennies. En aucun cas je ne puis accepter que celui qui défend sa terre et la libère de l'occupant, réussissant de la sorte à recouvrer l'entière souveraineté de son pays, soit traité de "terroriste". Somme toute, il importe de tirer profit de la force de la Résistance pour accroître nos capacités nationales, et ce en instaurant une stratégie de défense pour le Liban. La situation actuelle des hameaux de Chebaa, toujours sous occupation, et l'entêtement de l'ennemi à perpétrer des menaces et à violer notre souveraineté exigent de notre part, parallèlement à la promotion d'un dialogue, l'élaboration d'une telle stratégie de défense de la patrie.


N'est-il pas indispensable de briser le Hezbollah pour que l'Etat libanais puisse recouvrer sa souveraineté?


Il ne faut pas penser ainsi! Au contraire, nous devons, comme je viens de le dire, discuter, lors de la Conférence du dialogue national, à laquelle je convoquerai prochainement au palais présidentiel les différentes parties libanaises, de l'élaboration de cette stratégie de défense qui garantirait le pouvoir de l'Etat libanais et renforcerait ses capacités à répondre à toute agression de la part d'Israël.


Que faudrait-il, de votre point de vue, pour effacer les dégâts de l'opération israélienne de l'été 2006 et normaliser vos relations avec Jérusalem?


Le Liban tient pour nécessaire la réalisation d'une paix juste, globale et permanente qui serait fondée sur le principe de la restitution des territoires occupés en contrepartie de la paix. Ce principe, adopté lors de la conférence de Madrid, en octobre 1991, repose sur les résolutions internationales stipulant, en particulier, le droit au retour du peuple palestinien sur ses territoires et le refus de son implantation dans les pays d'accueil.
Nous considérons, par ailleurs, que les agressions israéliennes permanentes, terrestres, maritimes et aériennes, contre la souveraineté libanaise doivent cesser. Israël devrait s'engager à respecter la résolution 1701 et passer à l'étape suivante, exigée par cette résolution, celle du cessez-le-feu, sans se contenter de l'arrêt des hostilités, à l'exemple de la situation prévalant actuellement au Sud. De toute évidence, les Libanais sont tous solidaires quant à leur droit de récupérer leurs territoires occupés. En même temps, ils appuient toute partie oeuvrant en vue de la réalisation d'une paix juste dont le Liban serait bénéficiaire, et non d'une paix qui ferait porter à notre pays davantage de charges et subir davantage de répercussions.


Face aux troubles qui subsistent dans le nord du pays, l'armée apparaît encore comme l'institution centrale de l'Etat libanais. Vous en êtes vous-même directement issu. Faut-il renforcer encore le poids de l'armée libanaise dans le pays?


Je suis directement concerné par le renforcement des différentes forces militaires libanaises, notamment l'armée, étant donné que le président de la République est le haut commandant de ces forces et que j'étais moi-même commandant en chef de l'armée. Dès lors, je suis en bonne position pour savoir ce dont cette armée a besoin, tant au niveau des hommes qu'à celui des effectifs. En particulier à l'égard du rôle prépondérant que joue l'armée pour la sauvegarde et la défense de la paix civile et de la démocratie. Tous les Libanais appuient leur armée et leurs forces de sécurité, les considérant comme des piliers du pouvoir de l'Etat et de son équité.
Je reste convaincu que la stabilité politique va de pair avec l'exigence de sécurité. En retour, une atmosphère politique détendue aide à maîtriser la situation sécuritaire. Enfin, l'ordre et la sécurité publique accélèrent les opérations économiques et les développent, contribuant à assurer plus de prospérité au peuple libanais.


Vous avez accepté un rôle de président qui est sans doute le plus difficile qui soit au Liban. Qu'est-ce qui vous guide et vous permet de tenir?


Ce qui me guide dans la prise de mes responsabilités et me permet de « tenir » dans l'exécution de mon mandat est le sens du devoir, auquel s'ajoutent mon attachement passionnel à ma patrie et ma conviction que le Liban est un besoin arabe et universel.
C'est un pays qui doit assumer sa mission dans sa région et dans le monde, qui doit être un exemple d'ouverture, de respect des différences entre religions et civilisations, et aussi un creuset de vie commune entre tous ses fils.


http://rplfrance.org/index.php?content=presse/080708lexpress-ec.php

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