Amérique latine et Caraïbe, l’épopée d’un continent par Danielle Bleitrach
04 déc
Nous sommes cette semaine confrontés à un événement historique d’une grande portée qui témoigne de l’évolution des rapports de forces dans le monde et qui dans la nuit qui est la nôtre nous offre une espérance. 33 pays latinoaméricains et Caribéens se sont réunis à Caracas pour fonder la nouvelle communauté des Etats Latinoaméricains et des Caraïbes (CELAC). Pour bien marquer la toute nouvelle indépendance de ces pays par rapport aux Etats-Unis, une de leur première décision a été de dénoncer énergiquement le blocus que les EtatsUnis infligent à Cuba et d’exiger qu’il soit mis fin à cette coercition infligée à un pays pour l’empêcher de choisir un gouvernement de son choix.
Parmi ces 33 pays tous ne sont pas révolutionnaires ni même progressistes mais tous témoignent de la volonté de l’Amérique latine et des Caraïbes de recouvrer leur souveraineté, de ne plus être l’arrière cour à qui les Etats-unis peuvent imposer le gouvernement de leur choix et piller leurs ressources. C’est un acte fort et qui vient de loin, on peut dire qu’il y a l’origine de cette évolution un homme, un géant de l’histoire. Fidel Castro voit trés tôt un chemin et il le suivra quelles que soient les circonstances.
Raoul Castro, dès qu’il met le pied à Caracas regrette que Fidel ne puisse pas venir à cette réunion historique parce qu’elle est l’oeuvre de sa vie, parce qu’il a toujours en disciple de José Marti considéré Cuba comme la sentinelle de l’indépendance d’un continent face à l’avidité nord-américaine. Il a raison, simplement raison devant l’Histoire.
Oui l’histoire de cette volonté d’indépendance d’un continent vient de loin… On peut en suivre les traces depuis les guerres d’indépendances contre l’Espagne, la victoire volée par l’intervention des Etats-unis, la Révolution cubaine menée par les barbudos n’est que le prolongement d’une histoire séculaire, celle du fouet du maître lacérant les épaules de l’esclave dans les champs de canne à sucre et celle d’une lutte des damnés de la terre contre le maître, une soif de dignité sans laquelle la persistance de la révolution cubaine est incompréhensible . A peine libéré, ce peuple est confronté à l’étau du blocus, isolé au sein de l’OEA, l’organisation des Etats d’Amérique, créature de la soumission aux Etats-Unis dont Cuba est exclu. Les Etats-Unis trouvent des complices pour leur infâme blocus, et parmi eux des tortionnaires qu’ils forment pour diriger les peuples. L’Amérique latine est pillée, spoliée et ce sera le laboratoire où sous la torture, le meurtre de ceux qui résistent va être imposé le néo-libéralisme, Pinochet ce n’est pas le fascisme gratuit, c’est le fascisme au service des monopoles impérialistes, c’est l’imposition de la politique des Chicago boys, celle que le couple Reagan et Tatcher va élargir au reste de la planète, ce qu’on a appelé la Révolution conservatrice . En France, elle sera l’oeuvre d’un gouvernement socialiste avec des ministres communistes (1), l’Etat va être démantélé dans ses protections sociales, les services offerts aux populations mais il va être utilisé à plein pour les financiers et les marchands d’armes. une guerre économique est lancée contre les peuples, les Etats nationaux sont pris dans un carcan régional néo-libéral, sur lesquels ils n’ont plus de prise.
Aujourd’hui, nous sommes, nous européens qui avons participé au pillage des multinationales désormais confrontés à la nocivité de ce que nous avons mis en place à l’échelle mondiale. Toutes les complicités entretenues par nos politiciens et nos “élites” complices face à l’esclavage, au colonialisme, au néolibéralisme et aux expéditions meurtrières de l’OTAN se retournent contre nous. Le venin que nous avons versé dans les veines de l’Amérique latine nous empoisonne: le scorpion se pique avec sa propre queue.
Alors regardons le monde en train de tenter de se libérer des dirigeants que nous tolérons et que nous imposons au reste de l’humanité. Alors sachons regarder le monde autrement et jugeons non avec notre habituelle arrogance de donneurs de leçon mais apprécions humblement l’effort accompli pour qu’intervienne cet extraordinaire changement : le continent latinoaméricain et caribéen, celui qui a subi le martyre du plan Condor s’unit au-delà de ses différences pour imposer cette politique, pour construire une autre union régionale qui revendique le droit pour chaque pays de choisir le gouvernement de son choix.
Oui c’est ça la première affirmation de la réunion du Celac, dénoncer cette honte infligée à l’humanité entière, n’avoir aucune prise sur la volonté génocidaire des Etats-Unis alors même que chaque année la quasi totalité des nations sauf les Etats-Unis et israêl en dénonce l’illégalité comme pour mieux redoubler l’injustice que les mêmes infligent au peuple palestinien. Oui toutes les nations sont méprisées dans leur volonté par ce droit international bafoué par ceux qui s’érigent en donneur de leçon. L’Amérique latine et les Caraïbes refusent d’être complices plus longtemps.
Dans la crise économique et sociale qui aujourd’hui déferle sur le monde et sur l’Europe en particulier nous avons là une leçon à prendre, nous qui ne savons qu’en donner, il y a là un modèle mais seulement un modèle de résistance pas celui que nous prétendons imposer au reste de la planète par le martyre de femmes et d’enfants, y compris le feu nucléaire que nous n’avons pas craint d’utiliser.
Alors même que l’OTAN, avec comme supplétif du maître Etatsunien notre sordide et ridicule président français, partout prétend imposer sa loi aux peuples souverains et le fait en utilisant une référence hypocrite à la démocratie et à la liberté, 33 pays qui savent mieux que personne ce qu’est la soumission, la spoliation, proclament le droit à choisir le gouvernement de leur choix et le font en dénonçant le blocus qui frappe le pays devenu symbole de toutes les résistances.
Alors même que le dit président français veut imposer nous peuple français rebelle toujours plus de perte de souveraineté, toujours plus de soumission aux diktats de la troika UE-BCE-FMI, un continent qui sait mieux que personne ce que peuvent être les directives du FMI, affirme le droit des peuples à la souveraineté, à l’indépendance, à la liberté face à l’impérialisme et au Capital financier.
Il faudrait reprendre comme nous l’avons fait avec J.F.Bonaldi dans Cuba, Fidel et le Che ou l’aventure du socialisme, toutes les étapes historiques du chemin Cubain pour mesurer la vision de fidel Castro. Vision d’un homme mais qui n’a de sens que parce qu’elle est celle d’un peuple et de ceux qui dès l’origine ont été autour de lui, le Che, Camillo, son frère. Déjà les documents déclassifiés de la CIA en font foi à cette époque alors que son assassinat est envisagé les nord-américains s’inquiétent “si on l’exécute, ceux qui sont autour de lui sont pires”. Le génie de fidel Castro est de voir loin mais de voir avec les autres et de créer des solidarités qui ne prétendent pas imposer aux autres un moule comme le fit Staline mais de convaincre, d’aider. Cuba si fier, si héroïque, a toujours su nouer des alliances dans le respect de la personnalité des peuples et des individus. Sans cette conception du pouvoir on ne comprendrait rien à la résistance cubaine ni au fait que le CELAC a été l’oeuvre aussi de Chavez et aussi de Lula… Que d’autres dirigeants venus des horizons les plus divers se soient rassemblés pour changer le destin d’un continent.
Si quelque chose témoigne de la petitesse de la classe politique des pays occidentaux, des médias de ces pays qui contrôlent 90% de l’information c’est bien la manière dont ils prétendent traiter de l’épopée de ce continent et de l’extraordinaire histoire de cette petite île devenue par la force et le caractère visionnaire de tout un peuple le phare non seulement de l’Amérique latine mais de tout un continent. Si Fidel et les Cubains voient dans Cuba la sentinelle de l’indépendance de l’Amérique latine et des caraïbes, ils ont une vision toujours “martienne” de ce continent, celui de “nuestra america”, l’humanité régénérée. L’Amérique latine est le creuset de toutes les races humiliées, le massacre des amérindiens, l’esclavage des africains, l’exploitation des chinois. Pour devenir une nation Cuba doit surmonter le traumatisme de l’esclavage et s’appiuyer sur un métissage non plus fondé sur le viol mais sur l’amitié et le respect et il en de même du continent tout entier. Est-ce un hasard si c’est Chavez métis d’espagnol, d’indien et d’Africain qui a été celui qui a partagé le projet cubain et à partir de Bolivar, le guerrier, a rejoint le visionnaire poète José marti. Est-ce un hasard si pour la première fois, l’indigène bolivien, péruvien, à qui on a volé sa patrie rejoint les conquérants les esclaves pour affirmer la souveraineté des peuples.
Il y a dans l’Amérique latine le déploiement de l’ épopée antiraciste et de la liberté qui apporte une espérance à l’humanité aujourd’hui confrontée à la menace de sa propre fin et celle de la planète. Cette épopée est celle de la montée de l’unité du genre humain, dépassant les mises en concurrences, les avidités pour tenter de construire un autre rapport à l’environnement et à l’être humain. Là encore dès 1992, Fidel Castro dénonce la destruction de la planète et propose de mettre la justice au coeur d’un nouveau modèle de développement refusant le consumérisme, la marchandisation et tablant sur le développement de l’être humain par l’éducation, la santé, le respect des ressources et du droit des peuples à l’eau, aux aliments de base…
Pour quelqu’un qui a suivi toutes les étapes de ce vaste projet il y a une joie immense à suivre les étapes de sa concrétisation. Le poème n’est pas que vue de l’esprit, il est luttes au quotidien, sous développement auquel il faut s’arracher jour après jour. On ne laisse pas aux damnés de la terre la possibilité de seulement rêver, il leur faut payer chaque avancée d’un effort surhumain. Et, cette vision qui doit trouver à chaque moment la réponse concrète à des problèmes insurmontable est celle de 90% de l’humanité.
Fidel est dès l’origine le représentant des non alignés dans un monde qui se veut séparé en deux camps et toujours à partir de l’Amérique latine il voit comme réponse à la crise la création de nouvelles relations sud-sud. Nous avons montré dans des livres et d’autres articles comment devant les non alignés dès 1983, il propose ces nouvelles relations comme matrice du développement en annonçant la crise et le fait qu’elle n’épargnera pas l’Union soviétique et face à des pays occidentaux dont on ne peut attendre aucun effet d’entraînement, il préconise des rapports sud-sud. Ceux-ci sont aujourd’hui en train d’émerger sous nos yeux avec le poids de la Chine, du Brésil, de l’Inde pour leur donner réalité. Alors il faut saluer cette nouvelle étape en mesurer la portée alors même que depuis 2007, les crises ont atteint le coeur du système, les Etats-unis, l’Europe et que les deux systèmes parasitaires multiplient les efforts pour faire peser les conséquences les uns sur les autres et sur le reste de la planète quelque chose est en train de se créer, des relations entre tous dans l’avantage réciproque.
L’unité d’un continent vers le respect des souverainetés, dans l’aide mutuelle, n’est pas facile à mener. Comment concilier une vision révolutionnaire, une alliance étroite entre peuples révolutionnaires et peuples dirigés par des tyrans mais qui manifestent des velleités d’indépendance face au pillage occidental ?. Les Cubains sont passés maîtres dans cette vision d’un nouvel ordre international impulsé par la soif de justice en se basant sur la légalité internationale la plus scrupuleuse autant que sur une vision humanitaire des relations avec les peuples. Ils ont transformé les foyers révolutionnaires du Che en aide médicale, en alphabétisantion sans rien demander en échange et Cuba est respecté à ce titre par tous les peuples de tous les continents. Chavez a donné les moyens d’élargir encore cette aide, la rente pétrolière qui jusque là était approprié par les majors et une élite corrompue locale a été mise au service du peuple vénézuélien et à l’aide de tout un continent. Cuba est à la fois la fraternité internationaliste des opprimés et le respect srupuleux de la légalité internationale autant que le combat pour la paix.
Cette histoire est si belle et si émouvante qu’elle mériterait le chant des poètes, un nouveau José marti, pablo neruda pour dire le chant général d’un continent et d’une île qui a choisi de résister alors que l’humanité entière paraissait à genoux. Voilà ce qu’est cette réunion du Celac, un poème à la liberté, à la justice que nous offrent des hommes et des femmes qui ont choisi de résister et de dire NON à l’exploitation, au pillage, à la guerre..
Nous avons tant besoin ici en France, dans la nuit qui est la nôtre de la lueur d’espoir qu’apporte cette histoire là et ne vous étonnez pas qu’elle soit ignorée, déformée, inventée par ceux qui ont choisi de nous tromper, de nous avilir pour mieux nous priver de nos droits.
Je pense à ce chômeur mort dans l’incendie de sa maison parce qu’on lui avait coupé l’électricité, il n’osait même plus réclamer, il s’était enfoncé dans le silence, la solitude, voilà nous sommes devant un choix ou c’est lui ou c’est la résistance, demeurer debout pour s’unir et réclamer un autre destin.
danielle Bleitrach
(1) dans un premier temps le PCF aura encore la force d’échapper au piège et de démissionner face aux restructurations et à la mise en place du néo-libéralisme en 1984, mais en 1996, il reviendra défintivement enchaîné à une politique, à une Europe qui l’achève, alors même que la france vient en 1995 de donner l’exemple d’une formidable volonté de résistance qui n’a guère d’équivalent dans le monde. Est-ce un hasard si ceux qui acceptent de s’enchaîner vont donner de la voix avec les pires réactionnaires contre Cuba et sa résistance ?
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