Affaire Belliraj : Human Rights Watch réclame la libération des 17 détenus toujours en prison (Rapport juin 2013)
par Luk Vervaet
Les rapports sur la torture, infligée aux inculpés dans les procès politiques au Maroc, se suivent et s’entassent.
En 2012 Juan Mendez, le rapporteur spécial de l’ONU contre la torture, a fait son rapport sur la torture au Maroc et sur le cas d’Ali Aarrass en particulier. Juan Mendez prouve que des traces physiques et psychologiques liées à la torture ont bien été constatées . En avril 2013, l’organisation Alkarama adresse le même message au Comité contre la torture de l’ONU. Première européenne en mai 2013, quand deux détenus franco-marocains, Adil Lamtalsi et Mostafa Naïm, sont transférés vers une prison en France pour y finir leur peine. Devant la justice française, les deux détenus portent plainte contre le Maroc pour avoir subi dans ce pays une arrestation sans mandat, des aveux extorqués sous la torture, suivis d’une condamnation.
Juin 2013. Un rapport de Human Rights Watch (HRW) met à nouveau en cause les tortionnaires au Maroc. Depuis 30 ans, Human Rights Watch (HRW) est parmi les organisations mondialement reconnue pour la défense des droits de l’homme. Sous le titre « Tu signes ici, c’est tout : Procès injustes au Maroc fondés sur des aveux à la police » (un rapport de 137 pages), HRW demande au gouvernement marocain la libération immédiate des 17 prisonniers (des 35 condamnés) toujours en prison dans l’affaire Belliraj ou leur libération en attendant un procès équitable.
Le Comité des familles des détenus européens au Maroc, dont font partie les familles d’Abdelkader Belliraj, d’Abdellatif Bekhti et d’Ali Aarrass, se réjouit de cette demande de HRW, qui n’a jamais été formulée si explicitement.
Le rapport dit ceci :
« En ce qui concerne l’affaire de Gdeim Izik, dans laquelle 21 des 25 accusés sont en prison, et l’affaire Belliraj, où 17 des 35 accusés sont en prison, les autorités marocaines devraient:
• Libérer les accusés encore emprisonnés ou bien leur accorder un nouveau procès qui soit équitable. Pour les accusés de Gdeim Izik, tout nouveau procès devra avoir lieu devant un tribunal civil.
• Si les affaires sont rejugées, la présomption devra être que tous les accusés seront libres jusqu’à leur procès. Tout accusé que le ministère public voudrait placer en détention devrait avoir droit à une audition rapide devant un juge pour que ce dernier se prononce sur la légalité de sa détention, en partant d’une présomption de liberté. Toute décision judiciaire de détenir l’accusé dans l’attente de son procès devrait être fondée sur des motifs valables, par exemple s’il est dangereux ou s’il risque de récidiver, de falsifier les preuves à charge ou de prendre la fuite.
• Quand les accusés seront rejugés, le tribunal devra étudier leurs allégations de torture et garantir, conformément au droit international et marocain, qu’aucune déclaration obtenue par la violence ou sous la contrainte ne soit admise comme preuve. Le tribunal devrait mener ces enquêtes même si les traces physiques de torture se sont déjà probablement effacées. Ces investigations devraient respecter les critères internationaux d’enquête sur les plaintes individuelles de torture, notamment ceux du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« protocole d’Istanbul »).
• Si le tribunal décide d’admettre comme preuve une déposition de police dont l’accusé affirme qu’elle a été extorquée sous la torture, il devrait expliquer dans son jugement écrit pourquoi il a décidé que ces allégations de torture ou de contrainte abusive n’étaient pas crédibles. »
(page 10 du résumé du rapport en français).
Une analyse de six procès politiques.
HRW arrive à cette conclusion après son analyse de « six affaires politiquement sensibles, jugées entre 2008 et 2013, dont l’affaire Zakaria Moumni, dans lesquelles les tribunaux ont violé le droit des accusés à un procès équitable ». (pg 2 du résumé en français). Il s’agit des affaires Zakaria Moumni ; Belliraj ; Gdeim Izik ; Seddik Kebbouri ; les jeunes du Mouvement du 20 Février à Sidi el-Bernoussi, Casablanca et l’affaire des sept activistes sarahouis.
HRW dénonce que les 84 personnes inculpées dans ces six affaires ont été condamnées sur base des aveux « extorqués sous la torture ou par d’autres méthodes illégales » ou sur base de « témoignages, sans que les témoins devaient témoigner au tribunal ». HRW constate que nombre d’inculpés dans l’affaire Belliraj ont été enlevé et ont disparu pendant une période qui a été beaucoup plus longue que la période légale de garde à vue prévue par la loi, et sans aucun contact avec un avocat ou un membre de leur famille. HRW constate que les tribunaux « n’ont pas fait d’effort significatif pour vérifier les plaintes sur la torture » et ne se basent que sur « les déclarations à la police qui les incriminent ». Et ce malgré le fait que les accusés ont affirmé que « ces déclarations leur avaient été extorquées ».
La complicité belge dans le procès Belliraj
Ce rapport constitue un nouveau coup dur, non seulement pour la justice et la police secrète marocaine, mais aussi pour l’état belge qui a activement contribué au procès Belliraj.
La Belgique a transmis des dossiers judiciaires à la justice marocaine pour le procès Belliraj, malgré la mise en garde du sénateur CD&V Vandenberghe, qui a interpellé le ministre de la Justice, le 4 mars 2010, sur cette collaboration. Cette mise en garde n’a en rien changé l’attitude du gouvernement belge.
Trois mois plus tard, le 29 novembre 2010, le ministre Van Ackere va encore plus loin. Dans la Chambre, il se vante que la Belgique, par l’intermédiaire du ministre de la justice De Clerck, a extradé « un ressortissant algérien vers le Maroc dans le cadre du procès Belliraj début 2010 ». Il s’agit de Bin Rabeh Benjettou, qui sera sauvagement torturé une fois arrivé au Maroc et qui sera condamné par la suite à dix ans de prison.
A l’intention des « gouvernements et institutions qui fournissent une aide au Maroc », dont la Belgique et d’autres pays européens, HRW recommande en matière de justice : « Dans le cadre des programmes d’aide à la réforme de la justice et à la mise en place d’un État de droit, encourager le Maroc à mettre en œuvre les recommandations énumérées ci-dessus, surtout celles qui veulent pousser les juges à :
• examiner de façon plus critique la valeur, comme preuve, des procès-verbaux préparés par la police, quand les accusés récusent leur contenu;
• concevoir et suivre des méthodes pour explorer plus en détail les allégations de torture ou de mauvais traitements, quelle que soit l’étape des procédures où elles ont été émises;
• imposer des limites légales à la durée de la détention provisoire, non seulement pendant la phase de l’enquête judiciaire mais aussi quand un procès ne parvient pas à démarrer ou à être mené à bien dans un délai raisonnable, et garantir un réexamen judiciaire régulier et approfondi des ordres de détention provisoire. »
(page 10/11 du résumé du rapport en français).
Ces recommandations s’adressent directement à Madame Turtelboom. La nouvelle ministre de la justice belge avait déclaré fièrement dans la Commission de la justice de la Chambre du 2 mai 2012 : « Après la France, la Belgique est le premier partenaire du Maroc en matière de collaboration judiciaire… J’ai abordé, avec mon homologue marocain, des matières comme le transfèrement des détenus marocains condamnés, la collaboration en matière de d’affaires pénales et civiles, l’échange d’informations liées à la problématique de l’identification et aux rapts internationaux d’enfants ». Comme vous avez remarqué : aucun des éléments mentionnés par HRW se retrouve dans le palmares de madame Turtelboom. Elle se limite à une collaboration sécuritaire, technique et administrative, sans se soucier ni d’enlèvements ni de tortures, même de ses propres citoyens belges.
Le ministère des affaires étrangères de Monsieur Reynders, lui, continue à se cacher derrière « la non-ingérence » de la Belgique dans les affaires de l’état de l’autre nationalité des Belges qui ont la double nationalité, pour justifier son inaction vis-à-vis du sort des torturés belgo-marocains au Maroc. Il doit se réaliser qu’à travers les différents rapports de cette dernière année la collaboration de la Belgique dans les pratiques d’extradition illégale, d’enlèvements, de torture et de procès iniques au Maroc constitue d’or et déjà un fait indéniable. En ce qui concerne Ali Aarrass et les autres, nous lui rappelons ce que 47 personnalités britanniques lui ont écrit il y a quelques semaines : « L’interdiction de la torture est ius cogens. Cela veut dire que c’est une norme impérative du droit international. Nous croyons qu’il doit primer. La nature extrêmement grave de ce que M. Aarrass a subi, le harcèlement continu et des traitements inhumains dont il est victime jusqu’à aujourd’hui et qui ont été notés par le Rapporteur spécial de l’ONU, rendent la non-intervention par le gouvernement belge extrèmement inquiétante ».
Bin Rabeh Benjettou et Ali Aarrass
Nous publions ci-dessus la liste de HRW des 35 inculpés dans le procès Belliraj et leur peine.
Pour 18 de ces condamnés leur nom est suivi par la date de leur libération après avoir purgé leur peine, ou la date du pardon du roi.
Ni le nom de l’extradé algérien par la Belgique, Bin Rabeh Benjettou, ni celui d’Ali Aarrass se trouvent sur la liste des 35. Il est vrai que ni l’un ni l’autre figuraient dans le procès de masse contre le soi-disant réseau Belliraj (les 35 personnes arrêtées au Maroc en 2008 et jugées en 2009). Mais ils font pourtant partie du même dossier. Bin Rabeh Benjettou a seulement été extradé par la Belgique en 2010. Ali Aarrass fût bien arrêté au même moment que les 35 autres, en 2008, mais en dehors du Maroc, suite à un mandat d’arrêt international du Maroc. Il fût le dernier à être condamné dans cette affaire (à 15 ans de prison , diminué en appel à 12 ans), après son extradition illégale par l’Espagne et sa torture au Maroc.
Le cas d’Ali Aarrass est d’ailleurs une illustration de plus de ce qu’affirme le rapport de HRW. La justice espagnole a examiné l’affaire Ali Aarrass de fond en comble. Elle est arrivée à la conclusion qu’il n’ y avait rien contre Ali Aarrass. Malgré cela il n’a pas été libéré, mais a été extradé au Maroc, contrairement à la demande de la Commission des droits de l’homme de l’ONU. Et là, au Maroc, après 12 jours incommunicado et de torture, l’homme qui depuis le premier jour de son arrestation jusqu’à aujourd’hui a toujours maintenu son innocence, a comparu devant le juge d’instruction avec « des aveux ». Des aveux qui n’en étaient pas, mais qui n’étaient que la copie, mot pour mot, de son inculpation par la police, dans une langue qu’il comprend ou parle à peine. Ou comment le juge d’instruction antiterroriste Chentouff et sa police arrivent à faire « des miracles » en douze jours de temps.
Vous pouvez lire le résumé du rapport de Human Rights Watch (15 pages PDF) et/ou le rapport intégral en anglais, avec des témoignages accablants de détenus dans le procès Belliraj, via le lien de HRW
Appendix II: List of Defendants in « Belliraj » Case and the Sentences They Received (liste des accusés et leurs peines)
1. Abdelkader Belliraj, life in prison (perpétuité)
2. Abdellatif al-Bekhti, 30 years (ans)
3. Abdessamed Bennouh, 30 years
4. Jamal al-Bey, 30 years
5. Lahoussine Brigache, 30 years
6. Redouane al-Khalidi, 30 years
7. Abdallah ar-Rammache, 30 years
8. Mohamed Yousfi, 30 years
9. Mohamed Merouani, 25 years, reduced to 10 years on appeal, then pardoned April 12, 2012
10.Mustapha Mouâtassim, 25 years, reduced to 10 years on appeal, then pardoned April 12, 2012
11. Mohamed Lamine Regala, 25 years, reduced to 10 years on appeal, then pardoned April 12, 2012
12. Abadila Maelainin, 20 years, reduced to 10 years on appeal, then pardoned April 12, 2012
13. Abdelhafidh Sriti, 20 years, reduced to 10 years on appeal, then pardoned April 12, 2012
14. Abd al-Ghali Chighanou, 15 years
15. Mokhtar Lokman, 15 years
16. Abderrahim Nadhi, 10 years
17. Abderrahim Abu ar-Rakha, 10 years
18. Hassan Kalam, 8 years
19. Slah Belliraj, 8 years, reduced to 5 years on appeal, then pardoned 2012
20. Ahmed Khouchiâ, 8 years
21. Samir Lihi, 8 years
22. Mustapha at-Touhami, 8 years
23. Bouchâab Rachdi, 6 years
24. Mohamed Azzergui, 5 years (freed upon completion of sentence in February 2013)
25. Mansour Belaghdeche, 5 years (freed upon completion of sentence in February 2013)
26. Adel Benaïem, 5 years (freed upon completion of sentence in February 2013)
27. Mohamed Chaâbaoui, 5 years (freed upon completion of sentence in February 2013)
28. Jamaleddine Abdessamed, 3 years (freed, sentence completed)
29. Abdelazim at-Taqi al-Amrani, 3 years (freed, sentence completed, acquitted on re-trial after the Court of Cassation quashed his conviction)
30. Larbi Chine, 2 years (freed, sentence completed in early 2010)
31. Ibrahim Maya, 2 years (freed, sentence completed in early 2010)
32. Abdellatif Bouthrouaien, 2 years (freed, sentence completed in early 2010)
33. Hamid Najibi, 2 years (freed, sentence completed in early 2010)
34. Mohamed Abrouq, 1 year suspended sentence
35. Ali Saïdi, 1 year suspended sentence
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