Islamophobie : la ligne rouge est franchie, madame Taubira, vous devez réagir !
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LE
PLUS. "Que faire des musulmans une fois le Coran Interdit ?". C'est le
titre d'un article publié il y a quelques semaines sur le site Boulevard
Voltaire, animé par Robert Ménard, lui-même peu avare en propos
hostiles à l'islam. Aucune réaction officielle, aucune condamnation.
Voilà qui fait bondir Guillaume Weill-Raynal, ex-avocat et essayiste,
qui transmet cette lettre ouverte à Christiane Taubira.
Édité par Hélène Decommer Auteur parrainé par Pascal Boniface
Capture d'écran du site Boulevard Voltaire, article "Que faire des musulmans une fois le Coran interdit ?"
Lettre ouverte à Christiane Taubira
Madame la Ministre,
Depuis quelques années, déjà, nous nous habituons.
Nous nous étions habitués à entendre des journalistes respectables, ou tenus pour tels, avouer sans gêne être "un peu islamophobe".
Nous nous sommes accoutumés à voir fleurir périodiquement, comme des marronniers, les couvertures sensationnalistes et racoleuses d’hebdomadaires et de magazines consacrées à l’islam sur le ton du "ce-qu’on-n'ose-pas-dire", qui entretiennent avec beaucoup de démagogie et de confusion la peur du foulard, du hallal, des prières des rues, du terrorisme international, de réalités sociales de pays fort éloignés, et qui n’ont en réalité d’autre but que d’entretenir une haine aussi préconçue qu’irrationnelle à l’encontre de certains de nos concitoyens.
Ces dérives sont devenues tellement courantes qu'elles finissent par nous apparaître, même quand elles nous heurtent, comme le cadre "acquis", et donc inévitable, dans lequel le débat serait dorénavant appelé à se poursuivre.
Mais où est la limite ? L’islamophobie, comme le relevait récemment Azouz Begag, "avance comme un bulldozer silencieux". Preuve en est le sondage publié il y a quelques semaines par "Le Monde", selon lequel 74% des Français considèrent que l’islam est incompatible avec les valeurs de la République. Une religion pourtant pratiquée et vécue de manière paisible, en France, par l’immense majorité de ses fidèles. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir l’origine fantasmatique d’un tel ressenti, entretenu précisément par ces dérives médiatiques que je viens d’évoquer.
La limite a été franchie ces dernières semaines.
Robert Ménard et Christine Tasin, ignoble coup double
Le prologue s’est joué le 17 février, sur la chaîne de la TNT Numéro 23, lors d’un débat intitulé "L'islam est-il soluble dans la République". Invité à commenter le sondage du "Monde", le journaliste Robert Ménard, qui anime le site Boulevard Voltaire, a réfuté toute distinction critique entre islam et islamisme. Au moins, les choses sont claires, c'est bien une religion en tant que telle qui est visée… au nom de la laïcité, qui pourtant garantit la liberté de culte :
"C'est une religion dont [les Français]
voient aujourd'hui qu'elle est agressive, dont ils voient aujourd'hui
qu'elle est conquérante, dont ils voient aujourd'hui que bon nombre
d’acteurs sont des gens qui leur font peur (…) oui, les gens en ont
marre ! (…) c'est pas une religion sympathique ! Je regrette, mais
Mahomet, c'est pas un prophète sympathique ! Le Christ, quand il plaide
pour l’amour, ça me parle plus qu’un type qui fait la guerre et qui à
peu près, dans la deuxième partie de sa vie, a tué bon nombre de gens
(…) cet islam, il vient nous bouffer notre oxygène !"
Simple dérapage verbal, excusable par l’ambiance un peu "chaude" de certains plateaux télé ? Quelques jours plus tard est paru un article sur Boulevard Voltaire, précis, réfléchi, validé par la direction du site. Un véritable programme, pour les années à venir, qui fait froid dans le dos : "Que faire des musulmans une fois le Coran Interdit ?" Oui, interdire le Coran. Après tout, si c'est notre oxygène qui est en jeu…
Mais Christine Tasin, l’auteure de cet article, ne s’en tient pas là. Car elle rêve de la France comme d’un pays "où disparaîtra toute visibilité de l’islam, le voile, le kami, l’abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées…". Les musulmans n’auront d’autre choix, dit-elle, que de se soumettre, ou de partir. L’article est d’ailleurs illustré d’un panneau vert et blanc, une flèche et un mot, indiquant… la sortie.
Et si les musulmans ne se soumettent pas ? Pas de faiblesse ! "Il faudra faire savoir que l’armée, dépêchée à chaque menace, n’hésitera pas à tirer dans le tas. C’est terrible, mais il n’y aura pas d’autre solution pour calmer le jeu et imposer notre loi". Oui, "tirer dans le tas", vous avez bien lu.
Madame la Ministre, vous ne pouvez pas rester inactive
Cet article hallucinant, qui dépasse tout ce que l’on pouvait imaginer en matière d’incitation à la discrimination, à la haine raciale et religieuse, circule depuis deux mois sur les réseaux sociaux [1]. Il n’a cependant fait l’objet d’aucune polémique, d’aucune protestation officielle, d’aucune action des associations antiracistes, auxquelles je l’ai pourtant signalé.
Madame la Ministre, il serait impensable, face à une infraction aussi haineuse et caractérisée que vous demeuriez inactive, et que vous ne donniez pas pour instruction immédiate à vos services d’engager des poursuites contre l’auteur de cet article et les responsables du site qui l’a publié. Si un cas aussi grave n’est pas sanctionné aujourd'hui, lequel pourra l’être demain ?
Charles Péguy disait qu’il est pire qu’une âme perverse. C'est une âme habituée.
[1] Il a notamment fait l’objet d’un article sur le blog d’Alain Gresh, qui s’est précisément étonné de l’absence totale de réactions médiatiques : http://blog.mondediplo.net/2013-04-16-Tirer-dans-le-tas-De-l-avenir-des-musulmans-en
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