Gaza : 5 ans après, la justice toujours plombée
Hélène Legeay, ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), lundi 23 décembre 2013
Hélène Legeay, d’Action des chrétiens pour
l’abolition de la torture, rappelle que les familles des victimes
civiles de l’opération israélienne Plomb durci contre Gaza en décembre 2008
n’ont obtenu aucune réparation. Interpellées, les autorités
françaises « adoptent sur le conflit israélo-palestinien un postulat
aussi dangereux qu’erroné : on ne peut avoir à la fois la paix et
la justice ».
Qu’a-t-elle prévu pour les fêtes, Amal al-Samouni ? Comme chaque fin d’année depuis cinq ans, cette jeune Gazaouie de 12 ans a beaucoup de choses à commémorer, mais Noël et le nouvel an ne sont pas sur la liste.
Le 27 décembre 2008, l’armée israélienne illuminait le ciel de Gaza à sa façon, à coups de phosphore blanc, une arme occasionnant des blessures horribles et parfois une mort lente et atroce. L’opération Plomb durci était lancée en réponse aux tirs de roquettes depuis la bande de Gaza. Pendant 23 jours, la bande de Gaza a été plongée dans la terreur, jusqu’à ce que les soldats israéliens se retirent, laissant derrière eux la désolation : 1 167 civils palestiniens tués, des milliers de blessés et plus de 50 000 personnes sans abri.
Le 31 décembre 2008 à minuit, en guise de vœux de bonne année, Amal et sa famille n’avaient qu’un souhait à formuler : rester en vie. L’armée israélienne en a décidé autrement. Le 4 janvier 2009, les militaires ont encerclé la maison d’Amal dans laquelle s’étaient regroupés 18 membres de la famille al-Samouni. Le père d’Amal est sorti pour expliquer aux soldats que la maison était occupée par des civils, dont de nombreux femmes et enfants. Les soldats l’ont abattu de plusieurs balles avant même qu’il ait pu prononcer un mot. Ils ont immédiatement ouvert le feu sur la maison. L’une des balles a atteint la tête d’Ahmed, le petit frère d’Amal, âgé de 4 ans, qui est mort sur le coup. Puis les soldats ont rassemblé au sein d’une même maison des dizaines de membres de la famille composée à l’époque de plus d’une centaine de personnes. Le lendemain, quatre d’entre eux ont essayé de sortir à la recherche de bois pour faire du feu. Les militaires ont alors tiré des obus sur la maison qui s’est effondrée sur ses occupants, tuant 21 personnes, dont 9 enfants.
Malgré les demandes de la Croix-Rouge, l’armée a empêché l’évacuation des blessés pendant deux jours. Puis les soldats ont démoli la maison, laissant les cadavres à l’intérieur. Les corps n’ont pu être extraits qu’après le retrait de l’armée, deux semaines plus tard.
Amal a survécu. Aujourd’hui, les éclats d’obus qui sont venus se loger dans sa tête lors de l’attaque ne l’aident pas à oublier, tant les migraines qu’ils provoquent sont insupportables.
Face à sa détresse, la France a opposé des protestations formelles à l’égard des autorités israéliennes. On est bien loin de l’activisme de la France en Libye, au Mali et à présent en Centrafrique. Même sur la Syrie, le gouvernement n’a pas attendu que les victimes se comptent par milliers pour condamner fermement les exactions commises par le régime.
Interpellées dans les mois suivant l’attaque, les autorités françaises ont temporisé, avançant qu’Israël avait promis d’enquêter sur le déroulement de l’opération et de sanctionner les auteurs de crimes. C’était oublier qu’il faut être israélien pour prétendre bénéficier des vertus de la démocratie israélienne et de son système judiciaire équitable. Cinq ans plus tard, le bilan des poursuites est affligeant : quatre condamnations de soldats dont la plus lourde est de sept mois et demi d’emprisonnement pour le vol d’une carte bleue.
Le Centre palestinien pour les droits de l’homme a déposé une plainte pénale et une demande de dommages et intérêts pour la famille al-Samouni. Le 1er mai 2012, le procureur général militaire israélien a annoncé la fermeture du dossier, au motif que la plainte était infondée. Quant à l’indemnisation, la justice israélienne réclamait la somme absurde de plus de 380 000 euros de provision pour étudier la demande.
Apostrophées à nouveau à l’aune de cet état de fait accablant, les autorités françaises ont avancé l’argument de l’exception israélo-palestinienne. En rupture totale avec les discours de promotion de la justice et des droits de l’homme, de soutien à la Cour pénale internationale et de protection des populations civiles, ces mêmes autorités adoptent sur le conflit israélo-palestinien un postulat aussi dangereux qu’erroné : on ne peut avoir à la fois la paix et la justice. Autrement dit, sommer Israël de rendre justice à Amal et aux milliers d’autres victimes de l’opération Plomb durci mettrait en péril le processus de paix
Les Palestiniens sont-ils prêts à accepter une paix bâtie sur l’oubli forcé et le renoncement face à Israël qui, elle, ne renonce à rien ? Entre le Liban dont l’histoire récente est jalonnée de guerres civiles et l’Algérie dont le peuple ne se retient de descendre dans les rues que par peur du retour de la décennie noire, les exemples de paix sociale fondée sur l’impunité suffisent à se persuader que les deux concepts sont incompatibles. Est-il raisonnable de miser la solution du conflit israélo-palestinien sur la capacité de pardon et de résilience du peuple palestinien ? Almaza, la cousine d’Amal, n’est pas de cet avis. Sur les ruines de la maison dans laquelle elle a vu mourir sa mère et ses quatre frères, elle réclame justice : « Qu’ai-je fait pour être ainsi privée de ma famille ? Ils ont tout pris, tout détruit. J’ai le droit de revendiquer mes droits. »
Hélène Legeay, responsable Moyen-Orient à l’ACAT
Le 27 décembre 2008, l’armée israélienne illuminait le ciel de Gaza à sa façon, à coups de phosphore blanc, une arme occasionnant des blessures horribles et parfois une mort lente et atroce. L’opération Plomb durci était lancée en réponse aux tirs de roquettes depuis la bande de Gaza. Pendant 23 jours, la bande de Gaza a été plongée dans la terreur, jusqu’à ce que les soldats israéliens se retirent, laissant derrière eux la désolation : 1 167 civils palestiniens tués, des milliers de blessés et plus de 50 000 personnes sans abri.
Le 31 décembre 2008 à minuit, en guise de vœux de bonne année, Amal et sa famille n’avaient qu’un souhait à formuler : rester en vie. L’armée israélienne en a décidé autrement. Le 4 janvier 2009, les militaires ont encerclé la maison d’Amal dans laquelle s’étaient regroupés 18 membres de la famille al-Samouni. Le père d’Amal est sorti pour expliquer aux soldats que la maison était occupée par des civils, dont de nombreux femmes et enfants. Les soldats l’ont abattu de plusieurs balles avant même qu’il ait pu prononcer un mot. Ils ont immédiatement ouvert le feu sur la maison. L’une des balles a atteint la tête d’Ahmed, le petit frère d’Amal, âgé de 4 ans, qui est mort sur le coup. Puis les soldats ont rassemblé au sein d’une même maison des dizaines de membres de la famille composée à l’époque de plus d’une centaine de personnes. Le lendemain, quatre d’entre eux ont essayé de sortir à la recherche de bois pour faire du feu. Les militaires ont alors tiré des obus sur la maison qui s’est effondrée sur ses occupants, tuant 21 personnes, dont 9 enfants.
Malgré les demandes de la Croix-Rouge, l’armée a empêché l’évacuation des blessés pendant deux jours. Puis les soldats ont démoli la maison, laissant les cadavres à l’intérieur. Les corps n’ont pu être extraits qu’après le retrait de l’armée, deux semaines plus tard.
Amal a survécu. Aujourd’hui, les éclats d’obus qui sont venus se loger dans sa tête lors de l’attaque ne l’aident pas à oublier, tant les migraines qu’ils provoquent sont insupportables.
Face à sa détresse, la France a opposé des protestations formelles à l’égard des autorités israéliennes. On est bien loin de l’activisme de la France en Libye, au Mali et à présent en Centrafrique. Même sur la Syrie, le gouvernement n’a pas attendu que les victimes se comptent par milliers pour condamner fermement les exactions commises par le régime.
Interpellées dans les mois suivant l’attaque, les autorités françaises ont temporisé, avançant qu’Israël avait promis d’enquêter sur le déroulement de l’opération et de sanctionner les auteurs de crimes. C’était oublier qu’il faut être israélien pour prétendre bénéficier des vertus de la démocratie israélienne et de son système judiciaire équitable. Cinq ans plus tard, le bilan des poursuites est affligeant : quatre condamnations de soldats dont la plus lourde est de sept mois et demi d’emprisonnement pour le vol d’une carte bleue.
Le Centre palestinien pour les droits de l’homme a déposé une plainte pénale et une demande de dommages et intérêts pour la famille al-Samouni. Le 1er mai 2012, le procureur général militaire israélien a annoncé la fermeture du dossier, au motif que la plainte était infondée. Quant à l’indemnisation, la justice israélienne réclamait la somme absurde de plus de 380 000 euros de provision pour étudier la demande.
Apostrophées à nouveau à l’aune de cet état de fait accablant, les autorités françaises ont avancé l’argument de l’exception israélo-palestinienne. En rupture totale avec les discours de promotion de la justice et des droits de l’homme, de soutien à la Cour pénale internationale et de protection des populations civiles, ces mêmes autorités adoptent sur le conflit israélo-palestinien un postulat aussi dangereux qu’erroné : on ne peut avoir à la fois la paix et la justice. Autrement dit, sommer Israël de rendre justice à Amal et aux milliers d’autres victimes de l’opération Plomb durci mettrait en péril le processus de paix
Les Palestiniens sont-ils prêts à accepter une paix bâtie sur l’oubli forcé et le renoncement face à Israël qui, elle, ne renonce à rien ? Entre le Liban dont l’histoire récente est jalonnée de guerres civiles et l’Algérie dont le peuple ne se retient de descendre dans les rues que par peur du retour de la décennie noire, les exemples de paix sociale fondée sur l’impunité suffisent à se persuader que les deux concepts sont incompatibles. Est-il raisonnable de miser la solution du conflit israélo-palestinien sur la capacité de pardon et de résilience du peuple palestinien ? Almaza, la cousine d’Amal, n’est pas de cet avis. Sur les ruines de la maison dans laquelle elle a vu mourir sa mère et ses quatre frères, elle réclame justice : « Qu’ai-je fait pour être ainsi privée de ma famille ? Ils ont tout pris, tout détruit. J’ai le droit de revendiquer mes droits. »
Hélène Legeay, responsable Moyen-Orient à l’ACAT