13 décembre 2013

SYRIE Le dernier texte de Razan Zaitouneh, écrivaine kidnappée

Le 9 décembre, quelques heures avant son enlèvement, l'écrivaine et militante syrienne Razan Zaitouneh a envoyé ce texte fort en émotion au site libanais Now. Depuis cette date, on n'a plus aucune nouvelle de celle qui est devenue un des emblèmes de la rébellion syrienne contre le régime autoritaire de Bachar El-Assad.

Capture d'écran : Razan Zaitouneh, interviewée en 2005 - images INA.  
Capture d'écran : Razan Zaitouneh, interviewée en 2005 - images INA.
 
 
- De Ghouta, environs de Damas [région aux mains des rebelles]

La route est longue et plantée d’obstacles et de mines. Seule la chance guide nos pas contre le danger. La route sombre n’est éclairée que par notre foi et ce qui reste de notre rêve.

Pendant trois jours, les nouvelles de la route éclipsaient toutes les autres. La route ouvre ses bras aux corps des jeunes, tombés l’un après l’autre en résistant à sa fermeture et qui forment un pont pour permettre aux vivants de le traverser jusqu’au bout. Pendant trois jours, les minarets n’ont pas diffusé d’appel à la prière, mais des voix faibles et brouillées, parasitées par le vent qui égrenaient les noms complets des martyrs. Chaque fois que nous entendions grésiller le son familier des hauts parleurs avant la voix du muezzin, nous savions qu’un nouveau martyr venait de tomber s’ajoutant aux autres qui ont voulu défier la route féroce. Pas de temps pour la tristesse !Tout le monde a accepté la réalité de cette route revêtue des corps de nos jeunes. La douleur est là mais la joie aussi ! Tout le monde célèbre la route et suit ses nouvelles qui sont les nôtres comme si nous formions une longue chaine humaine portant des pelles en avançant lentement mais sûrement jusqu’au bout du chemin.
Au bout de la route se trouvent du lait et des œufs pour les enfants affamés, des vêtements chauds, du blé doré qui attend d’être cueilli par les mains des femmes qui feront le pain, des médicaments pour alléger les souffrances des malades et sauver la vie de certains. Au bout de la route se trouve le paradis promis, la promesse d’une vie qui ressemblerait à la vie, un peu de chaleur, moins de faim et plus de guérison.

Les marchands de sang ont célébré à leur façon la route bloquée. Les étagères de leurs magasins se sont remplies soudain de marchandises cachées. Mais les gens les ont punis en refusant de les acheter. Demain, quand la route sera ouverte, ils seront morts de honte avec leurs marchandises cachées.

Trois jours ont porté plus de rêves que trois années. Des plans d’avenir pour ceux qui veulent partir et ceux qui rentreront. Même les autres zones assiégées attendaient la bataille comme si elle allait aussi desserrer leur blocus. Il y aura un avant et un après la route.

Mais très vite les nouvelles de la route ont déçu. On a dit qu’elle s’est refermée sur les corps des jeunes. Les rêves de paradis ont été reportés vers un autre au bout de la route. Mais personne ne peut et ne pourra oublier comment ces instants d’espoir ont transformé des êtres épuisés en rêveurs célébrant la joie et la vie à venir.

Quand la route s’est refermée sur les espoirs, ces sentiments n’ont pas disparu. Nous avons continué à évoquer l’attente comme si nous pouvions encore supporter les souffrances jusqu’à la prochaine ouverture.

La route est encore longue et plantée d’obstacles et de mines. Elle reste fermée et au bout c’est l’inconnu. Après le siège, après la révolution, après la guerre, voilà le rêve qui nous lie tous. Comme si nous formions une longue chaine humaine portant des pelles en avançant lentement mais sûrement jusqu’au bout du chemin. Gloire à celui qui marchera jusqu’au bout !

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