25 mai 2008

De Deir Yassin à "hiver chaud"


De Deir Yassin (9 avril 1948)...
à "Hiver chaud" (Gaza 2008)


En mémoire, soixante ans après et en dénonciation des crimes perpétués et tolérés.


EN MEMOIRE...

Par Jacques Richaud

Au matin du 9 avril 1948, il y a juste soixante ans, les commandos de l’Irgun (dirigé par Menahem Begin qui aura un destin « national ») et des membres de la milice ultraviolente Stern investissent le village palestinien de Deir Yassin pour y massacrer 150 civils et en chasser les survivants de ce village de 750 habitants. Ce massacre précédait de quelques semaines la proclamation de l’Etat d’Israël. L’armée « officielle » de la future nation israélienne, la Haganah, trouvera par ce crime la facilité pour semer la terreur, détruire systématiquement plus de 400 villages arabes et provoquer l’expulsion de plus de 700 000 Palestiniens.

L’action était programmée et, dès le 20 mars 1941, Yossef Weitz du Fonds national juif écrivait : "L’évacuation complète du pays de tous ses autres habitants et sa remise au peuple juif constitue la réponse...". La Haganah œuvra dans ce sens et, par exemple, chassait en un jour de 1948 les 1 125 habitants du village palestinien de Umm Khalid. La « Nakba » (la « catastrophe ») était l’envers impitoyable de ce que d’autres nommèrent « Indépendance ».

Les descendants de ces exilés sont plus de 6 millions désormais, vivant encore dans des camps de réfugiés, parfois rattrapés par les occupations ultérieures de l’expansion sioniste, très au-delà des frontières reconnues par la communauté internationale comme par l’Organisation de libération de la Palestine de Yasser Arafat, les frontières de 1967. L’annexion se poursuit en deçà d’un mur débordant largement cette limite et au-delà par une colonisation intensive (1)


LA PERPETUATION DES CRIMES...


La terreur et l’intimidation restent les outils de la même politique, comme en 1948. Il n’existe pas d’autres exemples dans le monde prétendument démocratique de tels agissements, même les armées américaines occupantes en Afghanistan ou en Irak n’excusent ni ne justifient leurs « bavures » et jugent parfois (avec bienveillance il est vrai souvent) les auteurs des crimes les plus inqualifiables. Rien de tel en Israël où les crimes de masse se poursuivent en ce sinistre 60e anniversaire de Deir Yassin. Il faut lire de Gidéon Ley, éditorialiste dans Haaretz, son message du 2 mars 2008 : « C’est incroyable, les forces israéliennes pénètrent dans un camp de réfugiés, tuent de manière massive, dans une horrible effusion de sang, et Israël continue de parler de modération. Il y a deux jours, Israël a tué plus de Palestiniens que les roquettes Qassam n’ont tué d’Israéliens au cours des sept dernières années. » En France, le Crif, lui, « salue la retenue de tsahal » (sic !) (2).

C’était au lendemain de l’opération « Hiver chaud » qui coûta la vie à plus de 120 habitants de Gaza (à peine moins qu’à Deir Yassin en 1948 !) entre le 27 février et le 3 mars 2008.

Mais le cas n’était pas isolé et s’accompagne toujours de la même impunité cynique. Quelques jours auparavant, l’armée israélienne faisait savoir qu’aucun responsable ne serait inquiété ni poursuivi après la tuerie de Beit Hanoun qui avait vu le massacre de 19 civils ; il en avait été de même après l’opération « Arc-en-ciel » à Rafah en mars 2004 et ses 61 victimes et après une autre opération « Jour de pénitence » en octobre 2004 qui tuait impunément 133 Palestiniens en quelques jours, de même après la terreur de Jenine...

L’hiver chaud de Gaza, pur crime de guerre, a tragiquement suscité une « vengeance » à Jérusalem où un citoyen israélo-palestinien tuait 8 étudiants juifs, suscitant une émotion qui fut mondialisée et relayée par un hommage singulier à Paris qui se transforma en appel à la haine par la voix d’un député français (3).

Sans entrer dans la comptabilité morbide des victimes, connue de tous, nous réaffirmons que toutes les vies se valent. Il importe pourtant de dire qu’à côté des « assassinats ciblés » qui ne sont rien d’autres que des crimes d’Etat extrajudiciaires, les massacres de masse, soixante ans après Deir Yassin continuent d’être en usage dans la pratique de « Tsahal ». Nous savons que ces crimes commis sous le regard du monde entier resteront probablement impunis et qu’ils éloignent les perspectives d’une paix possible que la majorité de chaque peuple est pourtant en situation d’espérer. (4)


NOS RESPONSABILITES


Il serait trop facile de stigmatiser le « terrorisme » des uns, isolé comme à Jérusalem ou issu de fractions désespérées, ou celui des autres relevant d’une politique étatique parfaitement programmée et qui enlève toute crédibilité à ceux qui croient encore pouvoir négocier avec l’adversaire parjure de ses propres engagements.

Il serait trop facile d’ignorer que ceux qui auraient pouvoir d’empêcher ou de désapprouver vraiment ces crimes se taisent. On ne trouvera personne pour légitimer soixante ans après le crime de Der Yassin en 1948 ; mais il ne se trouve personne ou presque pour hurler au crime d’ "Hiver chaud", "Jour de pénitence" ou "Arc-en-ciel" ; horribles étiquettes données à des meurtres de masse programmés et sans aucun doute encore reproductibles dans une indifférence presque assurée déjà.

C’est bien parce que ces pratiques sont tolérées et parfois honorées et même subventionnées après avoir été légitimées que s’accroît le désespoir des victimes et se renforce l’influence des plus extrêmes.

Ne nous cachons pas derrière le soutien militaire réel et massif des Etats-Unis depuis 1962 pour tenter d’ignorer que sur le territoire français est organisé chaque année un « gala » en l’honneur de tsahal et même une collecte de fonds pour soutenir une armée dont les crimes de guerre répétés sont parfaitement connus. Ces crimes ne semblent pas émouvoir beaucoup nos droit-de-l’hommistes professionnels capables de s’insurger contre d’autres injustices lointaines en ignorant les abominations commises par une partie de l’armée d’un peuple présumé "ami".

Le soutien moral et financier à une armée étrangère aux pratiques hors la loi au regard des textes internationaux, sur notre propre territoire et avec le soutien affiché "inconditionnel" de la représentation d’une communauté a été flagrant au lendemain du massacre plus massif encore, en trois semaines lors de l’été 2006, de plus de 1 300 civils libanais dont près de 400 enfants. Même l’amitié française pour le Liban se bornera à contribuer à la "reconstruction", sans imaginer un seul instant saisir les avoirs de l’agresseur ou demander réparation ou condamner ces actes explicitement en sanctionnant ceux qui les soutenaient. Le même "gala" annuel et collecte de fonds pour Tsahal fut organisé à Paris quelques semaines à peine après les crimes massifs dans ce pays "ami". C’est dans la presse israélienne qu’il fallut chercher les condamnations les plus sévères, totalement ignorées des milieux mondains parisiens. (5)

Une telle situation n’est rendue possible que par une pénétration forte des influences du sionisme au plus haut niveau de notre monde politique, droite et gauche confondues. Cette permissivité détruit toute la confiance que le peuple palestinien a longtemps conservé en la France dans sa détermination à l’aider à faire valoir ses droits à la vie et à la justice.

Aucun Palestinien n’attend de nous un soutien exclusif, mais seulement l’application garantie du droit internationalement reconnu à sa survie et à sa sécurité. Soixante ans après Deir Yassin, ce peuple est encore abandonné à ses larmes pendant que l’Occident et la France aussi cautionnent des crimes de guerre effroyables. Cette tolérance sera jugée par l’Histoire pour ce qu’elle est : criminelle.

(1) Le journal hébreu Yediot Ahronot révélait le 2 avril 2008 le projet de 1 908 nouvelles « unités coloniales » en Cisjordanie en 2008, en accord avec le Premier ministre Ehud Olmert, dépassant le rythme d’implantation suivi depuis dix ans et signifiant clairement le caractère mensonger des engagements à stopper la colonisation pour faire avancer un processus de paix que l’action sur le terrain contredit quotidiennement. Le « fait accompli » semble la seule règle observée, dont les partenaires internationaux feignent d’être dupes.
(2) Le Crif salue la retenue de Tsahal.
(3) Nous y reviendrons dans un commentaire autour de cette singulière « amitié franco-israélienne » au service de la haine.
(4) Frères pourtant.
(5) Par exemple un article de Meron Rappaport dans Haaretz « ce que nous avons fait au Liban était fou et monstrueux ».

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