A quoi joue le Qatar ?
De
Londres à Paris, en passant par les îles grecques, de l’Afrique du Sud à
l’Amérique latine, le Qatar est partout, constate le Financial Times.
De gros investissements dans la finance, le sport, les produits de luxe
et l’art. L’émirat finance aussi les islamistes au Maghreb, les
djihadistes en Syrie, sans oublier les Frères musulmans égyptiens. Cette
contradiction n’est qu’apparente. Derrière le soutien aux régimes
islamistes des pays du “printemps arabe” se profilent des contrats de
reconstruction pharaoniques, explique The Christian Science Monitor.
L’émirat veut surtout gagner de l’argent. Or jouer dans la cour des
grands lui attire parfois la haine de la rue arabe et l’inquiétude des
Européens. Le minuscule Qatar va-t-il pouvoir garder longtemps son
influence ou s’effondrera-t-il tel un château de cartes, comme le prédit
un article de CNN.
Ils sont partout. Dans un monde où les
capitaux se font rares et où les économies sont en difficulté, les
membres de la famille royale qatarie déploient leurs moyens financiers
et s’emparent de bâtiments emblématiques, de clubs de football, de
banques internationales et de marques célèbres. Ils n’ont pas uniquement
un penchant pour les entreprises et les biens immobiliers. Leur
richesse, étayée par la troisième plus grande réserve de gaz naturel au
monde, constitue une arme puissante dans leur quête d’influence au sein
d’un Moyen-Orient en pleine transition. Grand défenseur des révolutions
arabes, le Qatar est venu au secours des gouvernements islamistes
fébriles d’Egypte et de Tunisie en leur octroyant de généreuses aides
financières. Comme lors de la révolution libyenne, le Qatar fait partie
des plus fervents soutiens aux rebelles syriens, qu’il a aidés à se
procurer armes et financement.
Il s’agit d’un impressionnant changement
pour cet Etat du Golfe autrefois discret et méconnu qui vivait dans
l’ombre d’un géant, l’Arabie Saoudite. Le Qatar, avec une population de
presque 2 millions d’habitants, a besoin de diversifier son économie et
souhaite devenir une puissance régionale. Si le Qatar cherche à se
placer de façon plus ouverte que l’Arabie Saoudite, il demeure
extrêmement pragmatique et est à l’affût de toute possibilité
commerciale et politique susceptible de servir ses intérêts. Comme
l’ouragan Katrina. Etant donné l’agitation constante qui règne dans la
région, les alliances mondiales que recherche le Qatar constituent
également une assurance. D’après un message diplomatique qui a filtré
dans la presse à la suite d’un don de 100 millions de dollars [76
millions d’euros] après l’ouragan Katrina [qui avait ravagé la
Nouvelle-Orléans en 2005], Hamad ben Jassim Al-Thani, le Premier
ministre, a déclaré à un responsable américain :
“Nous pourrions un jour avoir notre Katrina.”
Cet ouragan pourrait prendre la forme
d’une attaque américaine en Iran, ce qui engendrerait la fermeture du
détroit d’Ormuz et l’arrêt des exportations de gaz naturel liquéfié qui
sont vitales pour le Qatar. Les ambitions du Qatar sont portées par
l’émir Hamad ben Khalifa Al-Thani et en partie mises en pratique par le
Premier ministre. Le prince héritier Tamim s’implique également de plus
en plus et prépare ainsi son accession au trône. Toutefois,
l’hyperactivité amène la controverse. La dernière en date concerne une
enquête menée au Royaume-Uni afin de déterminer si la banque Barclays a
bien accordé un prêt au Qatar afin de financer un appel de fonds lancé
en 2008.
Les investissements de Doha en France
(les Qataris envisagent aussi de soutenir financièrement un fonds qui
serait géré par Nicolas Sarkozy) ont également provoqué de vives
réactions politiques. Au Moyen-Orient, le Qatar réunit autant de
détracteurs que d’admirateurs. Certains voient en lui un sauveur et
d’autres considèrent qu’il pratique une ingérence perfide. D’après ses
proches, la famille royale qatarie est habituée aux controverses. Elle a
dû, en effet, gérer de nombreuses polémiques provoquées par les
reportages de la chaîne Al-Jazira, le média qui leur a permis, pour la
première fois, d’être propulsés sur le devant de la scène
internationale.
Certains conseillers du Qatar laissent
toutefois entendre que les dirigeants sont particulièrement ébranlés par
les critiques qui ternissent l’image d’investisseur habile qu’ils
tentent de cultiver. C’est grâce à la Qatar Holding que le Qatar
s’implante à l’étranger. Cette structure d’investissement direct fait
partie de la Qatar Investment Authority, dont les actifs ont atteint 100
milliards de dollars [76 milliards d’euros] depuis sa création en 2005,
et qui est considérée comme un soutien à la politique étrangère de
Doha. La QIA a mis en place des fonds communs de placement avec des pays
partenaires allant de l’Indonésie à la Libye.
“Ce qui nous intéresse en premier lieu,
c’est le retour sur investissement”, a déclaré Ahmad Al-Sayed, le PDG de
Qatar Holding. “Après tout, nous sommes en train d’investir pour les
générations futures. Si cela nous conduit vers de solides partenariats
au-delà du cadre financier, tant mieux.” Dans tous les secteurs. La
stratégie de la QIA repose tout simplement sur “des tactiques basiques,
génériques et futées”, explique David Roberts, du Royal United Services
Institute [Institut de recherche sur la défense et la sécurité
britannique]. “Leur mot d’ordre est : investir à fond pour avoir le
contrôle, investir si c’est une bonne affaire, investir si cela procure
un gain politique. Investir dans tous les secteurs et toutes les
régions.”
Les deux marchés qui ont la faveur des
Qataris sont la France et le Royaume-Uni, où des particuliers et des
entreprises soutenues par l’Etat possèdent des biens immobiliers de
grande valeur, par exemple le gratte-ciel londonien The Shard et
certains immeubles de l’avenue des Champs- Elysées. Du fait de sa
présence financière accrue, le Qatar est devenu un allié sur lequel
Londres et Paris comptent de plus en plus en cas de conflits au
Moyen-Orient. Et de son côté Doha gagne des alliés européens.
Dernier investissement en cours au
Royaume-Uni, le Qatar a entamé des négociations sur des projets
d’infrastructures représentant 11,7 milliards d’euros, par exemple un
“supersystème d’égouts” pour la ville de Londres. D’après les banquiers
et les spécialistes de la finance, la priorité du Qatar est passée de la
recherche de publicité à la volonté de générer de forts bénéfices. Un
spécialiste déclare : “Avant, ils pouvaient signer de gros contrats et
disparaître, ils voulaient faire les gros titres. Mais maintenant, ce
qui les intéresse c’est de gagner de l’argent.”
Roula Khalaf et Camilla Hall article du Financial Times Londres
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire