27 avril 2013

A quoi joue le Qatar ?


De Londres à Paris, en passant par les îles grecques, de l’Afrique du Sud à l’Amérique latine, le Qatar est partout, constate le Financial Times. De gros investissements dans la finance, le sport, les produits de luxe et l’art. L’émirat finance aussi les islamistes au Maghreb, les djihadistes en Syrie, sans oublier les Frères musulmans égyptiens. Cette contradiction n’est qu’apparente. Derrière le soutien aux régimes islamistes des pays du “printemps arabe” se profilent des contrats de reconstruction pharaoniques, explique The Christian Science Monitor. L’émirat veut surtout gagner de l’argent. Or jouer dans la cour des grands lui attire parfois la haine de la rue arabe et l’inquiétude des Européens. Le minuscule Qatar va-t-il pouvoir garder longtemps son influence ou s’effondrera-t-il tel un château de cartes, comme le prédit un article de CNN.

A quoi joue le Qatar ?

A quoi joue le Qatar ?
Ils sont partout. Dans un monde où les capitaux se font rares et où les économies sont en difficulté, les membres de la famille royale qatarie déploient leurs moyens financiers et s’emparent de bâtiments emblématiques, de clubs de football, de banques internationales et de marques célèbres. Ils n’ont pas uniquement un penchant pour les entreprises et les biens immobiliers. Leur richesse, étayée par la troisième plus grande réserve de gaz naturel au monde, constitue une arme puissante dans leur quête d’influence au sein d’un Moyen-Orient en pleine transition. Grand défenseur des révolutions arabes, le Qatar est venu au secours des gouvernements islamistes fébriles d’Egypte et de Tunisie en leur octroyant de généreuses aides financières. Comme lors de la révolution libyenne, le Qatar fait partie des plus fervents soutiens aux rebelles syriens, qu’il a aidés à se procurer armes et financement.
Il s’agit d’un impressionnant changement pour cet Etat du Golfe autrefois discret et méconnu qui vivait dans l’ombre d’un géant, l’Arabie Saoudite. Le Qatar, avec une population de presque 2 millions d’habitants, a besoin de diversifier son économie et souhaite devenir une puissance régionale. Si le Qatar cherche à se placer de façon plus ouverte que l’Arabie Saoudite, il demeure extrêmement pragmatique et est à l’affût de toute possibilité commerciale et politique susceptible de servir ses intérêts. Comme l’ouragan Katrina. Etant donné l’agitation constante qui règne dans la région, les alliances mondiales que recherche le Qatar constituent également une assurance. D’après un message diplomatique qui a filtré dans la presse à la suite d’un don de 100 millions de dollars [76 millions d’euros] après l’ouragan Katrina [qui avait ravagé la Nouvelle-Orléans en 2005], Hamad ben Jassim Al-Thani, le Premier ministre, a déclaré à un responsable américain :

“Nous pourrions un jour avoir notre Katrina.”

Cet ouragan pourrait prendre la forme d’une attaque américaine en Iran, ce qui engendrerait la fermeture du détroit d’Ormuz et l’arrêt des exportations de gaz naturel liquéfié qui sont vitales pour le Qatar. Les ambitions du Qatar sont portées par l’émir Hamad ben Khalifa Al-Thani et en partie mises en pratique par le Premier ministre. Le prince héritier Tamim s’implique également de plus en plus et prépare ainsi son accession au trône. Toutefois, l’hyperactivité amène la controverse. La dernière en date concerne une enquête menée au Royaume-Uni afin de déterminer si la banque Barclays a bien accordé un prêt au Qatar afin de financer un appel de fonds lancé en 2008.
Les investissements de Doha en France (les Qataris envisagent aussi de soutenir financièrement un fonds qui serait géré par Nicolas Sarkozy) ont également provoqué de vives réactions politiques. Au Moyen-Orient, le Qatar réunit autant de détracteurs que d’admirateurs. Certains voient en lui un sauveur et d’autres considèrent qu’il pratique une ingérence perfide. D’après ses proches, la famille royale qatarie est habituée aux controverses. Elle a dû, en effet, gérer de nombreuses polémiques provoquées par les reportages de la chaîne Al-Jazira, le média qui leur a permis, pour la première fois, d’être propulsés sur le devant de la scène internationale.
Certains conseillers du Qatar laissent toutefois entendre que les dirigeants sont particulièrement ébranlés par les critiques qui ternissent l’image d’investisseur habile qu’ils tentent de cultiver. C’est grâce à la Qatar Holding que le Qatar s’implante à l’étranger. Cette structure d’investissement direct fait partie de la Qatar Investment Authority, dont les actifs ont atteint 100 milliards de dollars [76 milliards d’euros] depuis sa création en 2005, et qui est considérée comme un soutien à la politique étrangère de Doha. La QIA a mis en place des fonds communs de placement avec des pays partenaires allant de l’Indonésie à la Libye.
“Ce qui nous intéresse en premier lieu, c’est le retour sur investissement”, a déclaré Ahmad Al-Sayed, le PDG de Qatar Holding. “Après tout, nous sommes en train d’investir pour les générations futures. Si cela nous conduit vers de solides partenariats au-delà du cadre financier, tant mieux.” Dans tous les secteurs. La stratégie de la QIA repose tout simplement sur “des tactiques basiques, génériques et futées”, explique David Roberts, du Royal United Services Institute [Institut de recherche sur la défense et la sécurité britannique]. “Leur mot d’ordre est : investir à fond pour avoir le contrôle, investir si c’est une bonne affaire, investir si cela procure un gain politique. Investir dans tous les secteurs et toutes les régions.”
Les deux marchés qui ont la faveur des Qataris sont la France et le Royaume-Uni, où des particuliers et des entreprises soutenues par l’Etat possèdent des biens immobiliers de grande valeur, par exemple le gratte-ciel londonien The Shard et certains immeubles de l’avenue des Champs- Elysées. Du fait de sa présence financière accrue, le Qatar est devenu un allié sur lequel Londres et Paris comptent de plus en plus en cas de conflits au Moyen-Orient. Et de son côté Doha gagne des alliés européens.
Dernier investissement en cours au Royaume-Uni, le Qatar a entamé des négociations sur des projets d’infrastructures représentant 11,7 milliards d’euros, par exemple un “supersystème d’égouts” pour la ville de Londres. D’après les banquiers et les spécialistes de la finance, la priorité du Qatar est passée de la recherche de publicité à la volonté de générer de forts bénéfices. Un spécialiste déclare : “Avant, ils pouvaient signer de gros contrats et disparaître, ils voulaient faire les gros titres. Mais maintenant, ce qui les intéresse c’est de gagner de l’argent.”

Roula Khalaf et Camilla Hall article du Financial Times Londres

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