Quand le déni israélien de l’existence des Palestiniens devient politique génocidaire...
samedi 27 avril 2013 - 13h:52
Ilan Pappé
Dans une interview fleuve donnée à la presse israélienne, à
la veille du « Jour de l’Indépendance », Shimon Peres, l’actuel
président israélien, a déclaré ce qui suit :
- La mère de Ayoub Asalya, âgé de 12 ans, fait ses adieux à son fils à la morgue de l’hôpital Kamal Edwan à Beit Lahia dans le nord de la bande de Gaza, le 11 mars 2012. Son jeune fils a été assassiné par un raid aérien israélien - Photo : AFP/Mohammed Abed
Ce récit fabriqué de toutes pièces, exprimé par le citoyen numéro un et porte-parole d’Israël, met en évidence combien le récit historique peut conditionner la réalité actuelle. Ce mensonge présidentiel éhonté résume la réalité, à la veille de la commémoration du 65e anniversaire de la Nakba, du nettoyage ethnique de la Palestine historique. Ce qui est troublant, après 65 ans, n’est pas le fait que la tête emblématique du soi-disant État juif - et de d’ailleurs presque tout le monde dans le gouvernement nouvellement élu et dans le parlement - s’accorde avec ce genre de vues. La réalité inquiétante et difficile à supporter est l’impunité générale dont bénéficient tous ces menteurs.
Le refus de l’existence des Palestiniens indigènes et son affirmation en 2013, dans la mythologie de Peres d’un peuple sans terre, expose la dissonance cognitive * dans lequel il vit : il nie l’existence d’environ douze millions de personnes vivant dans et à proximité du pays auquel ils appartiennent. L’histoire montre que les conséquences humaines sont terribles et catastrophiques quand des gens puissants, à la tête d’un État moderne, nient l’existence d’un peuple qui est pourtant tout à fait présent.
Ce refus était inscrit dès le début du sionisme et il a conduit à la purification ethnique en 1948. Et c’est ce qui aujourd’hui peut conduire à des catastrophes similaires dans l’avenir - sauf si ce n’est arrêté immédiatement.
La dissonance cognitive
Les auteurs du nettoyage ethnique en 1948 étaient les colons sionistes qui sont venus en Palestine, comme Shimon Peres d’origine polonaise, avant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont nié l’existence des peuples autochtones qu’ils rencontraient, qui vivaient là depuis des centaines d’années, sinon plus. Les sionistes n’avaient alors pas les moyens de trouver une solution à la dissonance cognitive qu’ils vivaient : leur conviction que la terre était vide, malgré la présence de tant d’habitants autochtones sur place.
Ils ont presque résolu cette dissonance quand ils ont expulsé autant de Palestiniens que possible en 1948 - et n’ont été laissés qu’une petite minorité de Palestiniens à l’intérieur de l’État juif.
Mais la cupidité sioniste pour le territoire et la conviction idéologique qu’une beaucoup plus grande part de la Palestine était nécessaire pour disposer d’un État juif viable, ont conduit à constamment imaginer et mener des opérations pour agrandir l’État.
Avec la création du « Grand Israël » après la conquête de la Cisjordanie et de Gaza en 1967, la dissonance est revenue. Mais cette fois-ci, pas de solution facile en usant de nettoyage ethnique... Le nombre de Palestiniens était plus important. Ceux-ci avaient confiance en eux-mêmes et leur mouvement de libération était représenté avec force sur le terrain. Même les pro-israéliens les plus habituels et les plus cyniques sur la scène internationale, devaient reconnaître leur existence.
La dissonance a été résolue d’une manière différente. La terre sans peuple devenait n’importe quelle partie du grand Israël que l’État voulait à présent judaïser dans les frontières d’avant 1967 ou dans les territoires occupés en 1967. « La terre avec un peuple » était alors limitée à la bande de Gaza et à quelques enclaves en Cisjordanie ainsi qu’à l’intérieur d’Israël. Quant à « la terre sans peuple », elle est destinée à s’étendre progressivement dans l’avenir, provoquant le confinement d’un grand nombre d’habitants [autochtones] comme conséquence directe de cet empiètement.
Un nettoyage ethnique progressif
Il n’est cependant pas évident de s’apercevoir de ce nettoyage ethnique progressif sauf si on le place dans le contexte d’un processus historique. Aujourd’hui, même lorsque les individus et les groupes les plus conscients en Israël comme en Occident tentent de se pencher sur les politiques israéliennes, leur noble démarche est vouée à l’échec car placée dans un contexte contemporain, et non pas historique.
Comparer la Palestine à d’autres régions ou endroits a toujours posé problème. Mais avec l’actualité meurtrière que vivent la Syrie, l’Irak et bien d’autres contrées, la question devient un défi de taille. Le dernier blocus, la dernière arrestation politique, le dernier assaut, le dernier meurtre d’un jeune garçon représentent tous des crimes atroces mais qui sont bien pâles à côté des champs de la mort, qu’ils soient proches ou éloignés, et des zones où sont commises d’énormes atrocités.
Un récit criminel
Toutefois, la comparaison devient différente lorsqu’elle est mise dans le cadre historique, et c’est justement sous cet angle qu’il faut l’exposer et l’analyser afin de réaliser l’étendue criminelle du récit de Peres qui s’avère aussi abominable que l’occupation, ou peut-être pire. Ainsi, d’après le président d’Israël et lauréat du Prix Nobel de la Paix, il n’y a jamais eu de Palestiniens avant qu’il n’engage, en 1993, le processus d’Oslo. Après cette date, il n’y a eu que ceux qui vivaient dans une petite partie de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza.
Dans son discours, Peres a déjà éliminé la plupart des Palestiniens. En effet, si vous n’existiez pas avant son arrivée en Palestine, donc vous n’existez certainement pas en 2013, pendant qu’il est président. Et c’est en vérité cette élimination même qui donne au nettoyage ethnique son aspect génocidaire. Lorsque vous êtes carrément effacés des livres d’histoire et du discours des principales personnalités politiques, sachez alors que le prochain danger qui vous guette serait votre élimination physique.
Ce ne sont pas de simples mots, c’est la réalité qui a déjà eu lieu. Les premiers sionistes, y compris l’actuel président, avaient parlé du transfert des Palestiniens longtemps avant 1948, date à laquelle ils avaient réellement été expulsés de leurs terres. Ces concepts d’une Palestine vide des Arabes nourrissent chaque agenda, chaque journal et chaque conversation intérieure sioniste depuis le début du 20ème siècle. En fait, si on désigne le néant dans un endroit bondé, la question peut paraître comme de l’ignorance délibérée. Mais si l’on parle du néant comme vision ou bien comme une réalité indéniable, là ça devient une question de pouvoir et d’opportunité avant que la vision ne devienne réalité.
Le déni se poursuit
L’interview de Peres à la veille de la commémoration du 65ème anniversaire de la Nakba (catastrophe) donne froid dans le dos, non pas à cause de son contenu qui trouve des excuses aux actes de violence commis contre les Palestiniens, mais plutôt à cause de l’absence totale des Palestiniens de son autosatisfaction et l’admiration des réalisations sionistes en Palestine. Il est, de ce fait, ahurissant et déroutant d’apprendre que les premiers sionistes qui arrivèrent en Palestine en 1882, avaient à l’époque nié l’existence des Palestiniens ; et il est d’autant plus choquant de constater qu’ils continuent, même en 2013, de nier leur existence, à part les communautés isolées dans des ghettos sporadiques.
Dans le passé, il y avait d’abord le déni qui conduisait au crime ; un crime qui n’était pas totalement réussi mais dont les auteurs et les responsables n’ont jamais été introduits devant la justice. Et c’est probablement pour cette raison que le déni et la négation continuent à ce jour. Mais cette fois-ci, ce n’est plus l’existence de centaines de milliers de Palestiniens qui est en jeu, mais celle d’environ six millions qui vivent à l’intérieur de la Palestine historique, et cinq autres millions et demi vivant en dehors de la Palestine.
On serait porté à croire que seul un aliéné peut ignorer des millions et des millions de personnes, dont une majorité vit sous son régime militaire ou d’apartheid, pendant qu’il interdit activement et impitoyablement aux autres de retourner dans leur patrie. Ainsi, lorsque cet aliéné reçoit les meilleures armes de la part des Etats-Unis, les Prix Nobel de la Paix de la part d’Oslo et un traitement préférentiel de la part le l’Union Européenne, l’on se demande s’il est bien sage de prendre pour argent comptant les adjectifs « fous » et « lunatiques » que les Occidentaux emploient pour qualifier les leaders Iranien et Nord-Coréen !
De nos jours, la folie est semble-t-il associée à la possession des armes nucléaires par ceux qui n’appartiennent pas à la sphère des Occidentaux. D’accord. Et même à ce sujet, l’aliéné local au Moyen-Orient réussira le test. Qui sait, peut-être qu’en 2014, on pourrait résoudre non pas la dissonance cognitive israélienne mais plutôt Occidentale : comment concilier une position universelle des droits de l’homme et droits civils avec la position du favori que l’Occident réserve à Israël en général, et à Shimon Peres en particulier ?
Note :
* Dissonance cognitive : forme de maladie mentale conduisant le sujet atteint à l’auto-suggestion, à des comportements pathologiques pour tenter de nier une réalité trop dérangeante.
Auteur de plusieurs ouvrages, Ilan Pappe est historien israélien et directeur de l’European Centre for Palestine Studies à l’Université d’Exeter
Du même auteur :
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« Nakbah 2010 »
Un grand merci à vous
20 avril 2013 - The Electronic Intifada – Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/conte...
Traduction : Info-Palestine.eu - CZ & Niha
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