Égypte : Le rêve fracassé du Califat.
Par René Naba
Paris – Un an de pouvoir a fracassé le rêve longtemps caressé d’un 4e Califat, qui aurait eu pour siège l’Égypte, le berceau des « Frères musulmans », devenu de par l’éviction brutale du premier président membre de la confrérie, la tombe de l’islamisme politique.
Le Califat est une supercherie lorsque l’on songe à toutes les bases occidentales disséminées dans les monarchies arabes, faisant du Monde arabe la plus importante concentration militaire atlantiste hors des États-Unis.
Dans un contexte de soumission à l’ordre hégémonique israélo-américain, le combat contre la présence militaire atlantiste paraît prioritaire à l’instauration d’un califat. Et le califat dans sa version moderne devrait prendre la forme d’une vaste confédération des pays de la ligue arabe avec en additif l’Iran et la Turquie soit 500 millions de personnes, des réserves énergétiques bon marché, une main-d'oeuvre abondante. En un mot un seuil critique à l’effet de peser sur les relations internationales. Faute d’un tel projet, en présence des bases de l’OTAN, le projet de restauration du califat relève d’une supercherie et d’un trafic de religions.
I. L’implosion de Morsi
L’Égypte, épicentre du Monde arabe, est diverse. Le premier président néo islamiste démocratiquement élu aurait dû se pénétrer de cette réalité plutôt que de mener une politique sur une base sectaire. Les Frères musulmans n’ont pas su mettre à profit leur holdup up sur le pouvoir en proposant un projet de dépassement des clivages antérieurs en ce que Morsi n’aurait jamais dû oublier le conflit de légitimité historique qui oppose l’armée aux Frères musulmans depuis Nasser (1952). Morsi paie aujourd’hui le prix de sa tardive adaptation au principe de réalité et des rapports de force.
Le déclic populaire contestataire a été le fait des franges de la société informelle arabe, les Frères musulmans l’ont subverti du fait de leur discipline et de leurs considérables moyens financiers. Ils devaient tenir compte de la diversité de la population égyptienne et non d’imposer à une population frondeuse une conception rigoriste de la religion. Ployant sous le fardeau de l’inflation et de la pénurie, sans perspective d’avenir, sans la moindre percée politique, à la remorque de la diplomatie islamo atlantiste, dans la crainte de la menace de strangulation que fait peser sur l’Égypte le projet de percement d’un canal rival israélien au Canal de Suez, le Canal Ben Gourion, le peuple égyptien, pour la deuxième fois en trois ans, déjouant tous les pronostics, particulièrement les universitaires cathodiques, a créé la surprise, dégommant des palais nationaux ce président néo islamiste. Avec le consentement et le soutien actif de l’armée et surtout des plus hautes autorités religieuses musulmanes et chrétiennes du pays.
L’Égypte est diverse: il y a deux siècles sous les Fatimides, elle était chiite. Les Coptes, des Arabes chrétiens, sont une population consubstantielle à l’Histoire du pays. L’Histoire tout comme la population s’est constituée par sédimentation. Si de nos jours, la très grande majorité de la population est musulmane sunnite, cela ne suffit pas à faire une politique. Une politique sunnite n’existe pas en elle-même. Elle se fait en fonction du legs national. Il serait insultant au génie de ce peuple de le réduire à une expression basique d‘un islam rigoriste.
L’Égypte, c’est le pays de Nasser, d’Oum Kalsoum, mais aussi de Cheikh Imam et de Ahmad Fouad Najm, d’ Ala’a Al Aswani, des personnalités contestataires. Plutôt que de promouvoir une politique de concorde nationale, Mohamad Morsi a pratiqué une politique revancharde. N’est pas Mandela qui veut. Il n’était pas pourtant sorcier de comprendre que seule une politique de rassemblement et non de division avait une chance de réussir.
Au risque de déplaire, les tombeurs de Morsi sont d’abord l’Arabie saoudite et les États-Unis, les deux éléments qui lui ont servi de béquille pendant un demi-siècle. Les manifestations ont servi de prétexte. Les parrains historiques des Frères musulmans ont remercié Morsi, car il ne répondait plus à leurs attentes. Sa chute est intervenue dix jours après la destitution de l’Émir du Qatar. L’Arabie ne pouvait tolérer deux théocraties sur son flanc nord l’Iran, un réformiste démocratiquement élu, mais chiite, et sur son flanc sud en Égypte, un islamiste démocratiquement élu, mais plus grave sunnite; la négation de tout le dispositif la dynastie wahhabite fondée sur l’hérédité et la loi de la primogéniture.
L’Arabie saoudite qui a financé la construction d‘un barrage de retenue d’eau en Éthiopie, privant l’Égypte d’une substantielle quantité d’eau du Nil nécessaire à son irrigation. L’Arabie saoudite, un pays arabe, musulman et rigoriste tout comme les frères musulman. La déstabilisation de Mohamad Morsi par l’Arabie saoudite est la preuve éclatante qu’il ne saurait y avoir une politique sunnite en soi. Regarder la Turquie, l’allié stratégique d’Israël. Reccep Teyyeb Erdogan, le néo ottoman, devrait d’ailleurs avoir du souci à se faire en ce que son équation est similaire à celle de Mohamad Morsi, de même que Rached Ghannouchi : On ne peut, en effet, réclamer la criminalisation de la normalisation avec Israël et se fourrer dans les jupons de l’AIPACC. La démagogie ne paie plus. Soixante ans d’opposition démagogique ont trouvé leur conclusion dans le pitoyable épilogue de la mandature Morsi. Luxe de raffinement ou de perfidie, sans doute pour bien marteler le message, les protestataires ont mobilisé près de vingt millions de manifestants, soit le nombre d’électeurs que Morsi avait recueilli lors de son élection présidentielle.
II- Le déni de réalité, danger mortel des Frères musulmans
Plutôt de s’enfermer dans un déni de réalité, Mohamad Morsi et les Frères musulmans devraient se livrer à une sévère introspection de leur prestation politique et admettre, enfin, qu’un mouvement qui se veut un mouvement de libération ne saurait être un allié des occidentaux, les protecteurs d’Israël en ce qu’il s’agit d’un positionnement antinomique.
De la même manière, autre vérité d’évidence, que l’on ne saurait solliciter en permanence l’aide d‘une grande puissance sans en payer le prix un jour. Et que d’une manière générale Morsi retiendra sans doute la leçon de savoir que quand les Occidentaux accordent leur satisfecit à un individu, c’est que cette personne a certainement commis un certain de reniement de soi. Kadhafi a été couvert d’éloges lorsqu’il a révélé aux occidentaux tout un pan de la coopération clandestine nucléaire inter arabe, avant de le dégager sans ménagement.
Au pouvoir, les Frères musulmans auraient dû prendre en compte des profondes aspirations d’un peuple frondeur et tombeur de la dictature, de même que les impératifs de puissance que commande la restauration de la position de l’Égypte dans le Monde arabe. Faire preuve d’innovation, par le dépassement du conflit idéologique qui divise le pays depuis la chute de la monarchie, en 1952, en une sorte de synthèse qui passe par la réconciliation de l’Islam avec le socialisme. Cesser d’apparaitre comme la roue dentée de la diplomatie atlantiste dans le Monde arabe, en assumant l’héritage nassérien avec la tradition millénaire égyptienne, débarrassant la confrérie de ses deux béquilles traditionnelles ayant entravé sa visibilité et sa crédibilité, la béquille financière des pétromonarchies rétrogrades et la béquille américaine de l’ultralibéralisme.
Sous la direction de la confrérie, l’Égypte aurait dû, enfin, prendre en outre l’initiative historique de la réconciliation avec l’Iran, le chef de file de la branche rival chiite de l’Islam à l’effet de purger le non-dit d’un conflit de quinze siècles résultant de l’élimination physique des deux petits-fils du prophète, Al-Hassan et Al-Hussein, acte sacrilège absolu fruit sinon d’un dogmatisme, à tout le moins d’une rigidité formaliste.
L’Égypte fait face à de manœuvres d’asphyxie (retenue d’eau du Nil en Éthiopie, Canal Ben Gourion, concurrentiel du canal de Suez), Morsi aurait dû jouer de l’effet de surprise, en retournant la situation en sa faveur en levant le blocus de Gaza, un accord que l’Égypte n’a même pas ratifié et surtout normaliser avec l’Iran en vue de prendre en tenaille tant Israël que l’Arabie saoudite, c’est-à-dire les deux des grandes théocraties du monde
Sur fond de concurrence avec la mouvance rivale salafiste, cette épreuve a été infiniment plus redoutable que près de soixante ans d’opposition déclamatoire souvent à connotation sinon démagogique à tout le moins populiste. Les Frères musulmans seraient donc avisés de se livrer à une sérieuse étude critique de la mandature Morsi, avant de se lancer dans une nouvelle aventure dont toute l’Égypte sera perdante? Pour le plus grand bénéfice d’Israël et de l’Islam wahhabite saoudien
Malsain de tout rejeter sur les manigances occidentales. Si les Occidentaux ont leur plan, il importe aux Arabes de ne pas se lancer tête baissée devant tout chiffon rouge agité devant eux. Songez à l’impasse du Hamas, qui a déserté la Syrie, par solidarité sectaire avec le djihadisme erratique, expulsé du Qatar où il avait trouvé refuge avant de perdre son fief égyptien, à la merci d’un coup de bambou israélien.
Prochaine parution « L’Islam, otage du wahhabisme, l’Arabie saoudite, un royaume des ténèbres » Golias septembre 2013
Source Mondialisation
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