Le sionisme et l’impérialisme allemand, un texte majeur de Klaus Polkehn inédit en français
Je vous propose un article
important qui est le fruit d’un travail d’historien réalisé par Klaus
Polkehn, un journaliste de l’ex République Démocratique Allemande.
Dans cet article très documenté et
doté d’un appareil de notes conséquent comme il se doit dans ce genre de
travail, Klaus Polkehn décrit les relations entretenues dès ses débuts
par le mouvement sioniste avec l’impérialisme britannique mais surtout,
on l’évoque moins souvent, allemand.
Cette proximité touchera à sa fin dans
des conditions qui ont à voir avec la défaite finale de l’Allemagne
pendant la première guerre mondiale. Le mouvement sioniste avait en
effet fait le choix de l’Angleterre qui s’était fendue de la fameuse
Déclaration Balfour par laquelle le gouvernement britannique promettait
aux sionistes un territoire qui ne dépendait pas de lui mais de l’empire
Ottoman qui faisait précisément partie des forces de l’Axe.
L’empereur Guillaume II aurait aimé
faire une telle promesse mais il ne tenait pas à s’aliéner son fidèle
allié. La défaite allemande donnera de toute façon raison aux sionistes
qui avaient fait le choix de Londres contre Berlin (on sait comment par
la suite, après s’être servis des Britanniques, ils se retourneront
contre eux).
Une défaite de l’Allemagne que Guillaume II imputera aux Juifs, jetant ainsi les bases de l’antisémitisme (au sens de haine des Juifs) d’Etat :
«Qu’aucun Allemand ne soit au repos
tant que ces parasites ne seront pas éliminés du sol allemand et
exterminés», écrit-il en 1919. Son cher baron Max von Oppenheim, exempté
des lois de Nuremberg, se fera l’entremetteur entre le mufti de
Jérusalem et Hitler.
Mais avant de tenir ces propos
haineux, Guillaume II filait une relation plus que cordiale avec les
sionistes qui misaient sur le poids politique et militaire de
l’Allemagne pour arriver à leurs fins.
A la lecture de l’article de Klaus
Polkehn, je n’ai pu m’empêcher de me dire que les sionistes avaient un
fonctionnement assez voisin de celui qu’on observe aujourd’hui dans les
entreprises capitalistes, avec des services dédiés à un objectif commun
mais qui sont à la fois en synergie et en concurrence entre eux, une
concurrence exacerbée par la définition d’objectifs assignés pour chacun
d’entre eux et leur conception comme prestataires et clients les uns
des autres.
Enfin, ce n’est pas, comme on le voit
dans l’article, le président du Conseil d’Administration qui exerce la
réalité du pouvoir mais bien plutôt celui ou ceux qui ont l’oreille de
la puissance impérialiste et parviennent à exercer une influence
significative sur elle.
A ma connaissance, cet article n’a jamais été traduit intégralement en langue française. C’est chose faite.
Le sionisme et l’Empereur Guillaume
Par Klaus Polkehn, Journal of Palestine Studies, Vol.4 N°2 (1975) traduit de l’anglais par Djazaïri
Dès l’époque de la publication de l’Etat
Juif par Theodor Herzl en 1896, le mouvement sioniste a été conscient du
fait que ses buts ne pourraient être atteints qu’avec l’aide d’une ou
de plusieurs puissances impérialistes. C’est pourquoi l’histoire du
sionisme des débuts – c’est-à-dire de l’année 1896 à 1917 – est marqué
par des efforts inlassables pour s’attirer les faveurs des puissances
impérialistes. De ce fait, les différences entre puissances
impérialistes se reflétaient inévitablement dans les discussions à
l’intérieur du mouvement sioniste et dans les contacts noués par les
sionistes avec les nations de l’époque. Ainsi, la rivalité entre
l’Allemagne et la Grande Bretagne qui devenait de plus en plus aigüe
avant 1914 avait son pendant dans les altercations entre factions
pro-allemandes et pro-britanniques au sein du mouvement sioniste.
Theodor Herzl avait approché le Sultan
Ottoman pour obtenir son soutien – il fit de même avec von Plehven le
ministre russe de l’intérieur dont la politique antisémite était
tristement célèbre. Il avait aussi fait des efforts particulièrement
vigoureux pour obtenir la faveur de l’impérialisme allemand. Mais comme
ses efforts étaient restés infructueux, il se tourna vers la Grande
Bretagne en 1900, créant dans la foulée, si on peut s’exprimer ainsi, la
faction pro-britannique qui sera bientôt emmenée par Chaim Weizmann.
Les fondateurs du sionisme avaient la
conviction de proposer aux puissances dont ils cherchaient à s’assurer
le soutien, une contrepartie alléchante pour leurs visées sur la
Palestine, en l’espèce un soutien à un mouvement sioniste en phase
d’élaboration. Déjà en 1896, Herzl écrivait avec franchise dans l’Etat
Juif :
«Si Sa majesté le Sultan nous donnait la Palestine, nous pourrions en retour prendre en charge l’ensemble des finances de la Turquie. Nous formerions là-bas un mur de défense pour l’Europe en Asie, un poste avancé de la civilisation contre la barbarie.» Herzl offrait ainsi sans détours le sionisme comme agent d’une politique coloniale-impériale. Il fit encore plus clair pendant le deuxième congrès sioniste – tenu à Bâle en 1898 – quand il déclara : «L’Asie est le problème diplomatique des prochaines décennies… nous pourrions en toute modestie rappeler que nous sionistes dont les gens aiment à discuter le caractère pratique de leurs vues, nous avons reconnu et annoncé comme l’évolution en cours des rivalités européennes [i.e., la lutte impérialiste pour le partage du monde] plusieurs années avant les autres.»
L’impérialisme allemand avait participé
tardivement au partage colonial du monde. Des puissances comme
l’Angleterre, la France et même la Belgique et le Portugal s’étaient
adjugées depuis longtemps les meilleures parties de l’Afrique et de
l’Asie. L’appétit [colonial] de l’Allemagne était alors particulièrement
vorace. Parmi les régions qui avaient jusque là échappé au partage
colonial se trouvaient les territoires d’un empire ottoman en déclin ;
ces territoires comprenaient la Syrie, la Palestine et l’Irak. En 1888
déjà, la puissante Deutsche Bank avait obtenu une concession pour une
voie ferrée en Turquie, et en 1880 le premier traité de commerce et
d’amitié entre l’Empire Allemand et la Sublime Porte était signé,
initiant un processus qui culminera en décembre 1899 avec la conclusion
du fameux accord pour la construction du chemin de fer pour Bagdad.
Cette poussée de l’impérialisme allemand au Proche Orient, les sionistes
la voyaient comme une occasion à ne pas manquer.
Avant la première guerre mondiale, il y
avait cependant une autre raison, certes moins importante, pour laquelle
le mouvement sioniste était enclin à être pro-allemand. Theodor Herzl,
qui travaillait à Vienne comme journaliste, appartenait au monde
germanophone et c’est en Allemagne et en Autriche qu’il fit ses premiers
émules. Vers la fin du 19ème siècle, environ 600 000
citoyens de confession juive vivaient en Allemagne. En comparaison des
Juifs d’Europe orientale, les Juifs Allemands étaient plus fortement
assimilés, mieux éduqués et occupaient souvent de plus hautes positions
sociales. Ils n’étaient pas non plus sans être influencés par l’ambiance
chauvine de leur environnement qui voyait l’Allemagne comme étant la
plus grande puissance européenne. Ce chauvinisme affectait la façon dont
ils concevaient leur propre rôle en tant que Juifs puisque les Juifs
Allemands se sentaient investis pour être les leaders naturels des
communautés juives. Kurt Blumenfeld, un des plus importants dirigeants
sionistes à l’époque, a écrit à ce sujet dans ses mémoires :
« … avec l’oppression qu’ils [les Juifs] subissaient en Europe orientale – tout ce qui se trouvait au-delà de la frontière russe avait pour eux le parfum de la liberté.» A la même époque, les Juifs des classes sociales élevées aux Etats Unis étaient aussi originaires d’Allemagne et lui restaient attachés culturellement, de sorte que «les masses juives se sentaient alliées de l’Allemagne au moment du déclenchement de la première guerre mondiale.»
L’élan colonialiste allemand au Moyen
orient s’exprima dans le premier voyage en Orient entrepris par
l’Empereur Guillaume II. Du 13 octobre au 24 novembre 1898 (juste après
le deuxième congrès sioniste), l’Empereur visita d’abord Constantinople
avant de se rendre en Palestine et en Syrie. Aux yeux des sionistes, ce
voyage dût apparaître comme une opportunité pour s’assurer le soutien de
l’impérialisme allemand.
Theodor Herzl attachait beaucoup
d’importance aux contacts directs avec aussi bien le Sultan Abdul Hamid
II que l’Empereur Guillaume II. D’s avril 1897, pendant la guerre
turco-grecque, les sionistes allemands collectaient des dons au profit
du Croissant Rouge turc afin d’éveiller un intérêt chez les Turcs [pour
le sionisme, NdT]. Le Dr M.I. Bodenheimer, le responsable sioniste
[chargé de la collecte] confirmera ultérieurement dans ses mémoires que
la collecte avait été avant tout organisée «afin de montrer au Sultan
les précieux services que nous pouvions lui rendre.» Herzl avait
institué une commission spéciale pour la collecte, et cette commission
avait lancé un appel de circonstance aux clubs sionistes. Grâce aux
dons, un groupe de médecins a pu être équipé de manière adaptée et
envoyé dans la zone de guerre.
En août de la même année (1897), le
premier congrès sioniste se tenait à Bâle. Immédiatement après la
conclusion du congrès, Herzl réussit à obtenir une invitation du Grand
Duc Friedrich von Baden, en son château de Schloss Mainau. Le Grand Duc,
un membre de la parenté de l’Empereur, était avant tout intéressé pour
en savoir plus sur le sionisme. Pendant la rencontre, Herzl dit avoir
réussi à susciter l’enthousiasme du Grand Duc pour la cause sioniste.
En tout cas, le Grand Duc parla des idées sionistes à l’Empereur
Guillaume II en octobre 1898, juste avant le voyage de ce dernier en
Orient. David Wolffsohn, un banquier de Cologne (qui sera plus tard élu
pour succéder à Theodor Herzl à la mort de ce dernier en 1904) a
rapporté ainsi la conversation entre le Grand Duc et le Kaiser :
«Le kaiser a même dit qu’il était prêt à assumer des pouvoirs de protection [protectorat] sur le nouvel Etat. On a rapporté qu’il a exprimé le souhait de recevoir une délégation de représentants sionistes à Jérusalem de sorte à ce qu’il puisse les en informer.»
Ces échanges mirent les dirigeants
sionistes d’excellente humeur. Ils voyaient l’objectif de leurs espoirs
se rapprocher, et ils décidèrent que Herzl, Bodenheimer (en tant que
représentant des sionistes allemands) et Wolfssohn devaient aller au
Proche Orient. Herzl était empli d’enthousiasme. A Berlin, il avait
déjà négocié avec le chancelier Allemand, le prince Hohenlohe, et avec
Bernard von Bülow, de sous-secrétaire du ministère des affaires
étrangères, et il avait la conviction qu’un Etat juif en Palestine était
à portée de main. Bodenheimer écrivait :
L’ambassadeur d’Allemagne en Turquie, le maréchal von Bieberstein est… en grande estime auprès du Sultan. Il semble que la difficulté consiste à trouver une modalité pour l’Etat [juif] qui puisse garantir l’autorité suprême du Sultan… Dans une communication adressée au comte Euleburg, l’ambassadeur d’Allemagne à Vienne, Herzl avait compilé tous les points de vue de sorte à inciter le Kaiser à prendre l’affaire en main… Le retour des Juifs en Palestine apporterait culture et ordre dans ce coin délaissé de l’Orient. Au moyen du protectorat allemand, nous parviendrions à une situation gérée de manière méthodique. Dans sa lettre, le Grand Duc a, d’après nos informations, informé Herzl que le kaiser était plein d’enthousiasme pour la cause.
L’enthousiasme de Herzl était partagé par
le mouvement sioniste. On croyait qu’un Etat juif en Palestine allié
avec l’Empire Allemand était à portée. Le journal sioniste Die Welt
écrivait le 28 octobre 1898 son enthousiasme pour «l’Allemagne d’Orient
qui apporterait le renouveau du peuple de l’ancienne Palestine.»
Le séjour à Constantinople de la
délégation sioniste avait cependant quelque peu sapé ce moral élevé.
Herzl fut reçu à Constantinople par Guillaume II pour une audience qui
dura une heure et demie. Herzl saisit cette occasion pour faire avancer
ses idées mais il ne reçut qu’une réponse évasive selon laquelle le
Kaiser informerait le Sultan du point de vue sioniste.
De Constantinople, la délégation sioniste
prit la mer pour l’Egypte. D’Egypte, elle partit pour la Palestine afin
d’y tenir la rencontre prévue avec le Kaiser. Pendant le voyage, Herzl
chargea Bodenheimer de travailler à une exposition qui serait présentée
au Kaiser. Bodenheimer s’exprimera plus tard ainsi à ce sujet :
Notre imagination était invitée à se donner libre cours pour cet évènement extraordinaire. Alors, selon la parole de Dieu dans la Bible, j’exigeais le territoire situé entre le fleuve d’Egypte le Nil, bien sûr] et l’Euphrate comme étant lé région pour la colonisation juive. Dans la phase de transition, le territoire serait divisé en districts qui passeraient sous administration juive dès qu’une majorité juive serait atteinte.
Cette présentation franche du concept de
Grand Israël (qui reste aujourd’hui au programme de cercles d’extrême
droite en Israël) n’avait pas, pour des raisons tactiques, obtenu
l’approbation de Herzl. Ce dernier avait dit à Bodenheimer le « moment
n’était pas encore venu pour mes [celles de Bodenheimer] grandes idées :
Il serait plus approprié pour le moment de créer une cellule germinale à partir de laquelle un Etat pourrait se développer de façon organique. Il avait à l’esprit une société foncière dans laquelle les droits souverains et les prérogatives royales seraient, dans une certaine mesure, préservés. Nous espérions que quand le Kaiser assumerait le pouvoir sur le protectorat, ces droits de montreraient en eux-mêmes si intéressants qu’une compagnie sous charte à l’exemple de celle de Rhodésie pourrait se fonder sur eux.
Après les amabilités de Guillaume II pour
Herzl près de la colonie de Petah Tikva au cours d’une excursion
touristique, l’Empereur, alors qu’il se trouvait à jaffa, reçut la
délégation sioniste le 2 novembre 1898. Là encore, Herzl s’est exprimé,
concluant ainsi son propos :
«Nous prévoyons la création d’une société foncière en Syrie et en Palestine, et nous considérons notre cause comme si bonne, et si bonne la participation de ceux qui sont les plus nobles, que nous sollicitons de votre Majesté votre aide bienveillante pour cette œuvre.»
Mais la réponse de l’Empereur dût faire
l’effet d’une douche froide : les sionistes pouvaient continuer leur
travail parce qu’il y avait assez de place sur ce territoire pour tout
le monde. A cette époque, la réalisation du projet sioniste ne cadrait
sans doute pas avec la problématique de l’impérialisme allemand. Le
ministère allemand des affaires étrangères n’était pas intéressé par
l’idée de provoquer ses alliés turcs en le mettant en difficulté par le
soutien à l’établissement d’un Etat juif en Palestine. Aux yeux de la
diplomatie allemande, les inconvénients étaient nettement supérieurs aux
avantages d’une alliance ouverte avec les sionistes.
Le résultat infructueux de son voyage en
Palestine amena Herzl à se poser la question de la direction que le
mouvement sioniste devait désormais emprunter. Bodenheimer a écrit :
Malgré l’échec à Jérusalem, Herzl ne voulait pas abandonner l’idée d’un protectorat allemand. A l’époque déjà, Herzl formulait l’idée que pour nous la seule question était de savoir si nous serions sous un protectorat allemand ou sous protection britannique. Si le Kaiser avait penché pour notre cause, le mouvement aurait eu une orientation allemande. La question demandait une décision dans l’avenir proche.
Herzl lui-même arriva rapidement à une décision. En 1900, il déclara au 4ème
congrès sioniste réuni à Londres, «La puissante Angleterre, la libre
Angleterre, nous comprendra et comprendra nos aspirations. Avec
l’Angleterre, comme point de départ, nous pouvons être certains que
l’idée sioniste va grandir plus forte et s’élever plus haut que jamais
auparavant.» mais les leaders sionistes Allemands n’avaient, quant à
eux, pas abandonné leurs efforts pour devenir des alliés de
l’impérialisme allemand. C’est aussi pour cette raison qu’ils s’étaient
violemment opposés au dit «Plan Ouganda ». Le gouvernement britannique,
sous l’effet de la propagande sioniste et en considération de l’utilité
d’une alliance avec les sionistes, avait proposé qu’une région d’Afrique
(la région du Kenya actuel) soit mise à la disposition de mouvement
sioniste pour la colonisation. Tandis que Herzl plaidait pour
l’acceptation de cette offre, de nombreux dirigeants sionistes y étaient
opposés, notamment dans la faction «allemande» pour qui l’acceptation
de l’offre anglaise sonnait le glas de sa relation avec l’impérialisme
allemand.
C’est ainsi que, parmi les opposants les
plus déterminés au projet ougandais lors du congrès sioniste de 1903,
figurait le leader sioniste Allemand, le Dr Nossig. Le projet fut
finalement abandonné.
Les dirigeants sionistes Allemand
n’avaient pas relâché leurs efforts dans le but d’obtenir soutien et
assurances de la part du gouvernement impérial allemand. Ainsi,
Bodenheimer put rencontrer Freiherr von Richtoffen, sous-secrétaire au
ministère allemand des affaires étrangères, et lui dit que « il était à
coup sûr dans l’intérêt de l’Allemagne de faire des Juifs d’Europe
orientale ses obligés. L’ouverture de l’Orient [le Proche Orient] pour
les Juifs serait un moyen par lequel un élément capable de parler
allemand pourrait être siphonné hors de Russie et de Pologne dans cette
direction.
(Ce faisant, Bodenheimer se servait d’un
argument qui sera plus tard adopté avec enthousiasme par les tenants
d’une politique allemande d’annexion au Proche orient.) Dans sa réponse,
Freiherr von Richtoffen avait recommandé, quoique de manière évasive,
que les sionistes se tournent vers la Norddeutesche Zeitung (qui était
considéré comme l’organe officieux du ministère des affaires étrangères)
pour faire connaître leur point de vue à l’opinion.
En 1902, Bodenheimer soumit une nouvelle
fois un mémorandum au ministère des affaires étrangères. Il a écrit à ce
sujet : «Je faisais allusion, entre autres choses, à l’avantage
économique que retirerait l’Empire Allemand des colonies sionistes. La
proximité de la langue parlée par les Juifs de l’Est [ i.e. d’Europe
orientale qui parlaient le Yiddish, la langue allemande de l’époque
médiévale avec un apport de vocabulaire hébraïque et polonais]
faciliterait l’établissement de relations commerciales et culturelles.
En outre, l’influence morale [qui en résultera pour l’Allemagne] sur la
communauté juive et le poids des Juifs dans le monde de la finance ne
devraient pas être sous-estimés.
Fait assez intéressant, on retrouvera la
même idée dans un rapport du vice-consulat d’Allemagne à Jaffa daté du
29 février 1912. On peut lire :
Dans la mesure où la langue allemande est connue des Juifs, même si beaucoup d’entre eux ne la parlent que dans une forme corrompue, il existe entre eux et l’Allemagne des liens qui sont susceptibles de se renforcer encore… il y a aujourd’hui environ 100 000 Juifs dans ce pays, dont 70 000 Askenazis [= Allemands], c’est-à-dire qui appartiennent au monde germanophone. Il y a là quelque chose d’intéressant, pas seulement pour ces colons Allemands en Palestine, mais aussi pour les milieux de l’industrie et du commerce en Allemagne.
Ce courant de pensée se renforça avec le
déclenchement de la première guerre mondiale. Les idéologues de la
politique impérialiste allemande au Moyen Orient saluèrent cette option
avec enthousiasme. Hans Rohde, un des avocats de la stratégie du chemin
de fer jusqu’à Bagdad, écrivit au sujet de l’immigration sioniste « que
l’idée fondamentale – la création d’un nouvel Israël en Terre Sainte –
avait trouvé une concrétisation extraordinaire…
Nous, Allemands, avons toutes les raisons d’être fiers de cet accomplissement. Non seulement a-t-il été créé par des moyens et des forces allemands pour l’essentiel, mais c’est par-dessus tout la culture et la langue allemandes qui sont actuellement représentées et cultivées dans de vaste cercles en Orient.» Rohde reliait ce fait à l’exigence que «en échange, nous, qui avons jusqu’à présent extrêmement mal jugé l’errance des Juifs d’Europe orientale, lui accordant peu d’attention, devrions les aider à trouver une nouvelle patrie là-bas. De la sorte, nous pourrions marquer trois points d’un seul coup : nous rendrions service en même temps aux intérêts allemands, turcs et juifs.»
De cette manière, les intérêts de
l’impérialisme allemand et ceux des dirigeants sionistes coïncidaient à
nouveau car à l’époque, les sionistes Allemands étaient de loyaux sujets
Allemands de l’Empereur. Cet aspect avait bien été mis en évidence en
1913 quand il y eu des disputes à l’intérieur du mouvement sioniste
autour de la langue d’enseignement pour les élèves de l’école technique
juive de Haïfa. «Hilfsverein der deutschen Juden, » qui subventionnait
l’école plaidait pour l’allemand. La raison en était peut-être, selon
Chaim Weizmann qui exigeait l’usage de l’hébreu, "en partie le
renforcement de l’influence allemande au Moyen Orient".
Très en colère, Weizmann écrivait :
«les Allemands se sont servis de Hilfsverein der deutschen Juden avec son réseau d’écoles comme instrument de leurs intrigues au Proche Orient… l’Angleterre restait nettement en arrière dans l’ensemble de la compétition.» (Un compromis sera trouvé quand les deux langues seront reconnues à égalité).
Le soutien inconditionnel que les
sionistes Allemands apportaient à la politique impérialiste allemande
avait été aussi mis en relief en mai 1914, quand les délégués à la
conférence de «l’Union Sioniste pour l’Allemagne, » réunis à Leipzig
avaient rendu hommage à l’Empereur Guillaume II.»
Le déclenchement de la première guerre
mondiale vit donc les sionistes Allemands se tenir majoritairement aux
côtés du chauvinisme allemand, tandis que l’Union des Citoyens Allemands
de Confession Juive (non sioniste) déclarait : »Chaque Juif doit
aujourd’hui faire son devoir.» La situation dans les cercles sionistes
se présentait de la manière suivante en août 1914 :
«Saisis par la fièvre guerrière générale, les Juifs de l’Empire allemand (ainsi que leurs dirigeants sionistes) passaient par une sorte d’euphorie.» La participation des dirigeants sionistes à la déferlante générale du chauvinisme allemand ne signifiait cependant absolument pas qu’ils avaient mis de côté leurs objectifs propres. Au contraire, ils étaient tout aussi euphoriques pour leurs projets sionistes. Le Dr Arthur Hantke, le responsable sioniste, déclarait quelques jours après le début de la guerre, lors d’une réunion tenue à Berlin en présence des dirigeants sionistes : «L’action sioniste doit de poursuivre comme si rien ne s’était passé.»
Mais quelque chose s’était passé ; une
guerre impérialiste avait éclaté et les sionistes, quel que soit le camp
pour lequel ils voulaient prendre parti, y voyaient une chance
d’échanger leur soutien contre une promesse sur la Palestine. Pour les
sionistes Allemand, le déclenchement des hostilités entre les empires
russe et allemand présentait des aspects particulièrement intéressants.
L’importante population juive des régions d’Europe orientale pour
lesquelles on se battait – des régions que l’impérialisme allemand
voulait annexer –n’éprouvait guère de sympathie pour l’Empire Russe et
sa politique de pogroms. Bodenheimer écrivait :
«En conséquence, je pensais que la révolution imminente à l’est de l’Europe pouvait être utilisée en faveur d’une nouvelle orientation politique pour les Juifs Polonais et Russes.»
Bodenheimer et les autres dirigeants
sionistes étaient d’opinion que l’organisation sioniste devrait se fixer
la tâche d’obtenir des Juifs Polonais et Russes qu’ils coopèrent avec
les troupes allemandes dans leur progression. En échange, le
gouvernement allemand soutiendrait les plans concernant la Palestine.
Cette attitude correspondait par ailleurs à l’idée très répandue chez
eux que les sionistes Allemands étaient appelés à assumer la direction
des Juifs d’Europe orientale. Le responsable sioniste Blumenfeld
écrivait à ce propos : "Les Juifs Russes et Polonais doivent être
dirigés par nous." Puis, il ajoutait : «Le mouvement sioniste n’est une
organisation démocratique qu’au sens statutaire.
En réalité, la minorité qui est
constituée de sionistes Occidentaux devrait imprimer sa marque sur le
mouvement.» Cette attitude était une variante sioniste du fameux slogan
chauvin allemand : «Le monde sera organisé par le génie allemand.»
Les dirigeants sionistes, Bodenheimer,
Friedmann et Motzkin s’étaient eux-mêmes réunis depuis le déclenchement
de la guerre mondiale dans le but de concrétiser la collaboration
sioniste-impérialiste. Suite à des contacts pris avec le ministère
allemand des affaires étrangères, ce dernier avait créé un département
appelé «Abteilung für Jüdische Fragen» (Division des Affaires Juives).
D’origine russe, Nahum Goldmann, qui
deviendra plus tard président du Congrès Juif Mondial, vivait alors en
Allemagne, et il rejoignit le service ministériel de la propagande à
l’instigation du Dr Ernst Jaeckh. Ce service deviendra un département
permanent du ministère des affaires étrangères sous la direction du
professeur Moritz Soberheim. Goldmann était, de par sa fonction
officielle dans ce département, en contact constant avec les dirigeants
sionistes, le Dr Arthur Hantke et Kurt Blumenfeld puisque, écrit-il dans
ses mémoires, «J’essayais, dans le cadre de mon activité, de m’occuper
moi-même de la question de Palestine.»
Dans le même temps, la direction sioniste
berlinoise avait déjà noué des contacts avec un comité formé par le
grand patron Mannesmann (qui avait acquis une importance particulière du
fait de ses intérêts en Afrique du Nord et dans le monde arabe).
Mannesman avait travaillé sur un projet d’appel en direction des Juifs
Polonais. Bodenheimer, Friedemann et Motzkin avaient cependant
recommandé aux sionistes de rompre les contacts avec le comité Mannesman
de sorte à concentrer tous les efforts sur les personnes qui leur
semblaient en position d’autorité.
Ils travaillèrent sur leur propre projet
[d’appel] que Motzkin traduisit ensuite en yiddish avant de le soumettre
à Herr von Bergen, conseiller aux questions polonaises au ministère des
affaires étrangères. Ce projet deviendra par la suite la base d’un
appel qui sera publié par l’état-major allemand.
A ce moment, les plus importants
responsables sionistes avaient établi un Comité pour la Libération des
Juifs Russes dont le président était le directeur de banque Franz
Oppenheimer et dont l’adjoint était Bodenheimer. Le Dr Arthur Hantke
avait été désigné pour assurer la liaison entre le comité et l’exécutif
sioniste. Le comité s’était lui-même installé à Behrenstrasse à Berlin
où il se mit rapidement au travail. A côté du soutien apporté aux plans
d’annexion en Europe orientale de l’impérialisme allemand, et des
démarches pour obtenir l’approbation du projet pour la Palestine ; les
relations avec l’Organisation Sioniste Mondiale devaient être maintenues
malgré la situation de guerre. Le siège de la direction sioniste était
établi à Berlin depuis 1911.
Mais pour la durée de la première guerre
mondiale, un bureau de liaison sioniste avait été installé à Copenhague,
la capitale du Danemark, un pays neutre, afin de maintenir le contact
entre les sionistes des deux côtés du front. Les autorités allemandes
avaient rapidement reconnu l’intérêt d’utiliser les connexions
internationales du mouvement sioniste. Bodenheimer écrivait : «Les
relations avec le ministère des affaires étrangères avait permis
d’obtenir certains avantages pour les sionistes. J’avais ainsi pu
fournir des passeports pour Copenhague à certains responsables du bureau
central sioniste… Ca m’avait aussi donné la possibilité de faire
rentrer en Palestine le Dr Mossinsohn, directeur de l’école secondaire
hébraïque de Tel Aviv.
Les personnages importants de l’Empire
Allemand accordaient ce genre de faveurs aux sionistes parce qu’ils
pensaient avoir la possibilité d’en retirer des gains politiques à
l’international. De nombreux Juifs avaient émigré aux Etats Unis et il y
avait l’espoir qu’ils puissent avoir une influence considérable sur la
politique américaine. Déjà, au début de la guerre, l’état-major impérial
avait envisagé d’envoyer une ‘Mission d’Erudits Juifs’ aux Etats Unis
avec l’intention d’informer les Juifs Américains sur l’Allemagne.» Mais
comme ce projet ne s’était pas matérialisé, la Marine Impériale l’avait
repris en main. Bodenheimer rapporte :
qu’à l’instigation de von Meyrowitz, qui était un agent de Nord-Deutsch Lloyd, la marine Impériale voulait envoyer un homme digne de confiance en Amérique du Nord pour faire en sorte que les Juifs qui vivent là-bas soient bien disposés à l’égard des puissances de l’Axe. Dans la mesure où cela correspondait à nos intentions, nous avions immédiatement contacté le Dr Jaeckh de la Marine Impériale pour nous arranger avec lui pour l’envoi deux de nos hommes de confiance en Amérique du Nord. Les dépenses de cette délégation étaient assumées par la marine Impériale…
Cette entreprise sioniste, mais avant
tout de pure propagande pro-allemande avait coûté à la marine Impériale
pas moins de 20 000 marks or.
Une partie de la direction sioniste
allemande se sentit cependant appelée à restreindre ses activités
pro-allemandes, après la prise de position du « Comité Supérieur
d’Action » des sionistes à Copenhague contre le travail des sionistes
dans le Comité pour la Libération des Juifs Russes. Le Comité Supérieur
d’Action avait exigé une stricte neutralité, du fait en particulier que
le décision en faveur soit de l’Allemagne, soit de l’Angleterre qu’avait
exigée Herzl n’avait pas encore été prise à ce stade. Un rappel
semblable à rester neutre avait aussi été adressé à des dirigeants
sionistes actifs en Angleterre (Chaim Weizmann et Jabotinsky). Dans cet
ordre d’idées, il faut mentionner un débat de même nature entre
dirigeants sionistes qui se tint été 1913 à Paris, et qui fut aussi sans
conséquences. Max Nordau, l’ami de Herzl et un des leaders du sionisme,
avait recommandé de se tourner vers l’Angleterre, tandis que
Bodenheimer avait plaidé une politique pro-allemande. Finalement, Nordau
avait conclu que l’Angleterre «ne permettrait jamais à l’Empire
Allemand de mettre un pied en Asie mineure car ce serait une menace pour
la route vers l’Inde.»
Beaucoup de sionistes militants ne se
sentaient cependant pas liés par la pétition de neutralité de
Copenhague. En Angleterre, Chaim Weizmann travaillait étroitement avec
le gouvernement britannique et rendait de bons services dans la
production d’armement dans l’espoir de recevoir une promesse pour la
Palestine.
En Egypte, pendant l’hiver 1915, Josef
Trumpeldor organisait le premier contingent militaire juif de l’armée
britannique – le « Zion Mule Corps» qui servira pendant l’offensive
britannique sur les Dardanelles. En 1916, Vladimir Jabotinsky entamait
des démarches à Londres pour mettre en place une Légion Juive, tandis
qu’en Palestine même, les dirigeants du mouvement sioniste étaient
parvenus, au début de la première guerre mondiale, à « un accord avec le
gouvernement turc pour lever une Légion Juive afin de protéger le pays.
Deux représentants de ces cercles – Yitzhal Ben-Zviqui sera plus tard
président d’Israël] et David Ben Gourion [qui sera par la suite premier
ministre pendant de longues années] avaient proposé en novembre 1914 au
commandant en chef turc la mise en place d’une légion de volontaires
Juifs avec une clause stipulant que cette légion resterait dans le pays
[en Palestine] pendant la durée de la guerre, et serait réservée à la
défense de sa population en cas d’attaque. La proposition avait été
acceptée par le conseil militaire.»
Le paragraphe parlant de «défense en cas
d’attaque» ne pouvait concerner que la marche de troupes britanniques en
Palestine. Cependant, comme les autorités turques annulèrent par la
suite leur consentement et prirent des mesures contre les fondateurs de
la légion alors qu’elle s’était déjà déployée sur des positions, Ben-Zvi
et Ben Gourion s’enfuirent en Amérique où ils plaidèrent à nouveau pour
la formation d’une Légion Juive, mais cette fois pour combattre avec
l’Angleterre contre les Turcs !
En réponse à la formation de la
Légion Juive en Angleterre, Jamal pacha, le commandant en chef Turc pour
la Syrie et Palestine, édicta un ordre d’évacuation des colons Juifs
établis en Palestine. Un développement qui amena une fois de plus les
sionistes Allemands à se mobiliser pour protéger les colonies sionistes
en Palestine.«Le seul moyen d’empêcher une catastrophe,” écrivait Nahum Goldmann, «consistait en une intervention forte de l’Allemagne.» Les tentatives officieuses faites par les cercles allemands de Constantinople restaient sans suite… «jusqu’à ce que finalement l’empereur Guillaume lui-même fut persuadé d’essayer d’obtenir l’annulation de l’ordre [de Jamal Pacha]. Ce qui fut d’un grand secours.»
Beaucoup de dirigeants sionistes
Allemands ne se sentaient pas tenus à la neutralité. Cependant, la
hiérarchie militaire allemande était maintenant beaucoup moins
intéressée par la Palestine que par le front russe. Bodenheimer et
plusieurs autres sionistes se rendirent sur le front oriental où ils
furent reçus au quartier général du front est par le général Ludendorff
et aussi ensuite par le maréchal von Hindenburg. Evoquant cette
rencontre, Bodenheimer écrivait que Ludendorff
…avait montré un vif intérêt pour notre entreprise. Il avait salué notre intention d’informer la population juive de la situation politique et de la perspective d’une amélioration de leur condition en cas de victoire des puissances de l’Axe. Nous lui avions proposé d’envoyer nos hommes de confiance dans les territoires occupés afin de faciliter la compréhension entre l’armée et les Juifs [et, faut-il souligner, de diffuser la propagande sioniste auprès des Juifs d’Europe orientale.]
Cette collaboration entre les dirigeants
sionistes et Ludendorff avait quand même un élément piquant. A la fin de
l’automne 1914, Ludendorff avait déjà, en qualité commandant des armées
impériales en Europe orientale, émis un appel en langue yiddish «à mes
chers Juifs en Pologne.» Dans cet appel, il promettait que les armées
allemandes leur apporteraient la liberté.
Ludendorff avait froidement calculé les
effets de cette proclamation. En premier lieu, il cherchait à introduire
la division dans la population des territoires occupés, notamment en
relevant le statut des Juifs, de sorte à faciliter l’imposition de la
politique d’oppression des autorités militaires allemandes. En outre, il
entretenait l’espoir que la langue yiddish serait au service de la
politique allemande d’occupation.
Pourtant Ludendorff, ce partenaire des
sionistes Allemands (selon la volonté de l’aumônier Juif de l’armée
allemande, le rabbin Rosensack, son nom avait été donné à une cantine
juive populaire deKowno), était également un des antisémites Allemands
les plus notoires. Il avait été des premiers amis et émules d’Adolf
Hitler et il avait participé activement au putsch d’Hitler à Munich en
novembre 1923. Ludendorff, dont les pseudo-théories antisémites feront
partie intégrante du fascisme allemand, écrivait quatre ans après la fin
de la première guerre mondiale des absurdités de ce genre : «Les hauts
dirigeants du peuple juif ont travaillé main dans la main avec la France
et l’Angleterre. Ils voyaient la guerre à venir [celle de 14-18] comme l
moyen qui leur permettrait d’atteindre leurs objectifs politiques et
économiques… à cette fin, le peuple juif avait besoin de la défaite de
l’Allemagne.»
Les échecs des troupes allemandes sur le
front de l’est, n’avaient cependant pas permis aux assistants sionistes
de Ludendorff d’obtenir des succès dignes de ce nom. Entre temps, le
gouvernement allemand avait refusé de s’engager avec les sionistes sur
la Palestine.
Par contraste, les sionistes qui activaient en Angleterre avaient eu plus de réussite. Le 1er
novembre 1917, la déclaration Balfour était publiée et l’orientation du
mouvement sioniste était dorénavant décidée. L’homme derrière la
déclaration était Chaim Weizmann qui avait fondé ses choix
pro-britanniques avec des arguments semblables aux propositions que
Herzl avait faites à Guillaume II et aux sionistes Allemands.
Nous pouvons raisonnablement dire que si la Palestine passait dans la sphère d’influence britannique, et si la Grande Bretagne encourageait la colonisation juive là-bas, nous pourrions avoir d’ici vingt à trente ans un million de Juifs sur place ; ils développeraient le pays, le ramèneraient à la civilisation et seraient un poste de garde très efficace pour le canal de Suez.
La déclaration Balfour embarrassait les
sionistes Allemands aussi bien que le gouvernement allemand. Weizmann
déclarera plus tard :
D’un autre côté, le gouvernement allemand était profondément affecté par le parti que pouvait en retirer le gouvernement britannique. Il interpella tous nos représentants en Allemagne pour essayer de leur explique que le gouvernement allemand aurait fini par faire la même chose, mais qu’il n’avait pu [encore] le faire à cause de son alliance avec la Turquie qui l’obligeait à avancer lentement sur ce dossier.
Le 5 janvier 1918, le ministère allemand
des affaires étrangères transmettait au professeur Otto Warburg et au Dr
Arthur Hantke, des membres de la direction sioniste qui siégeaient à
Berlin, une note explicative où on lisait :
«En ce qui concerne l’entreprise de la communauté juive et des sionistes en particulier, nous saluons… particulièrement l’intention du gouvernement impérial ottoman de promouvoir le développement d’une colonie juive en Palestine par la garantie de la liberté d’émigration et de colonisation dans la limite des capacités d’absorption du pays. Le gouvernement impérial ottoman, qui a toujours fait preuve d’une attitude amicale à l’égard des Juifs, leur accorde une autonomie régionale et le libre développement de leur culture en accord avec les lois du pays.»
Cette déclaration n’était qu’une manière
d’essayer de se tirer d’embarras et restait bien en deçà de la
Déclaration Balfour. Sur le front de Gaza, les troupes turques et les
contingents allemands battaient en retraite et le rêve allemand
d’exercer une emprise impériale en Orient disparaissait. Il n’y eut pas
de réaction visible de la part des sionistes allemands à la déclaration
du ministère allemand des affaires étrangères. Il était loin le temps où
les sionistes faisaient des déclarations de ce genre : «Je comprends le
sionisme comme étant avant tout in des grands mouvements européens
d’expansion… Nous voyons l’avenir de l’empire turc comme allant avec le
destin futur de l’Allemagne.»
Une des conséquences de la défaite de
l’impérialisme allemand dans le première guerre mondiale fut la perte
d’influence de la faction pro-allemande du mouvement sioniste au profit
des éléments pro-britanniques. En 1920,le rassemblement qui s’était tenu
après la conférence sioniste annuelle à Londres avec les interventions
de Lord Balfour, de Weizmann, de Lord Rothschild et de Max Nordau, avait
été une cause de dépit pour Bodenheimer qui écrivait : «Même en cette
occasion, les sionistes Allemands avaient été exclus. Sinon, il aurait
été de bon ton de donner la parole au professeur Warburg qui était le
président de l’Organisation Sioniste Mondiale.» Bdenheimer ajoutait ces
quelques mots :
«Nordau avait souligné dans son discours l’importance politique et militaire de l’Etat juif pour la sécurité du canal de Suez.»
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