Dans une allocution télévisée, lundi, le chef
d'état-major de l'armée égyptienne a accordé quarante-huit heures aux
responsables politiques pour "satisfaire les demandes du peuple", expliquant que celles-ci ont été exprimées d'une manière "sans précédent" et que le pays ne peut plus se permettre de perdre
du temps. Le général Abdel Fatah Al-Sisi n'a pas demandé explicitement
la démission du président Mohamed Morsi, principale revendication des
opposants qui ont manifesté par millions dimanche. Il a en revanche
déclaré que l'armée présenterait sa propre "feuille de route" pour sortir de la crise si les politiques n'arrivent pas à s'entendre.
Il a ajouté que l'armée, qui a géré la transition entre la chute
d'Hosni Moubarak en février 2011 et l'élection de Mohamed Morsi l'été
dernier, ne souhaitait plus s'impliquer
en politique ou au gouvernerment. L'armée a rejeté les affirmations
selon lesquelles cette prise de position constituait un coup d'Etat,
soulignant que l'objectif visé était de pousser les responsables politiques à la négociation.
L'allocution du chef d'état-major a été accueillie par des cris de joie place Tahrir au Caire. "Morsi n'est plus notre président, Sisi avec nous", ont notamment scandé les manifestants lorsque la photo du général Abdel Fatah
Al-Sisi est apparue à l'écran. Cinq hélicoptères de l'armée arborant le
drapeau égyptien ont ensuite survolé Le Caire en boucle, et ont été
ovationnés par les manifestants. Redoutant de graves troubles, l'armée
et la police s'étaient déployées à travers le pays pour renforcer la protection des installations vitales, notamment le canal de Suez. Les militaires se sont dits récemment prêts à intervenir si le climat dégénérait.
L'opposition salue la position de l'armée
A l'origine de la contestation, le mouvement Tamarrud estime par la voix de son fondateur Mahmoud Badr que "l'armée s'est rangée au côté du peuple" après l'allocution du général Abdel Fatah Al-Sisi qui n'a, a-t-il dit, "qu'un seul objectif, soutenir la volonté du peuple égyptien en ce moment, c'est-à-dire appuyer l'organisation d'une élection présidentielle anticipée". Il avait précedemment sommé Mohamed Morsi à quitter le pouvoir avant mardi, appellant à une "campagne de désobéissance civile totale" en cas de refus.
Pour l'ancien ministre des affaires étrangères et ex-candidat à l'élection présidentielle Amr Moussa, l'annonce de l'armée correspond à la volonté de la population. "Il ne faut pas perdre de temps car sinon les choses vont empirer.
L'invitation (de l'armée) à répondre aux exigences du peuple dans les
prochaines heures est une occasion historique qu'il ne faut pas laisser passer",
a dit le libéral Amr Moussa. L'ancien premier ministre Ahmed Chafik,
qui s'exprimait avant l'ultimatum de l'armée, a estimé pour sa part que
le règne des Frères musulmans serait terminé d'ici une semaine. "L'échec des Frères est patent, il a conduit à des catastrophes en tous genres et on ne pouvait vraiment pas attendre autre chose", a-t-il dit, interrogé par des journalistes à Abou Dhabi.
Les pro-Morsi ne cachent pas leur colère
Yasser Hamza, l'un des dirigeants du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), émanation des Frères musulmans, a affirmé que "tout le monde" en Egypte rejetait l'ultimatum des militaires. "La solution ne peut être trouvée que dans le cadre de la Constitution", a-t-il dit, "l'époque des coups d'Etat militaires est révolue". Le parti islamiste Nour, pour sa part, a dit craindre un retour en force de l'armée dans la vie publique. Nour, d'inspiration salafiste, a demandé dimanche au président Morsi de faire des concessions et a proposé sa médiation entre le pouvoir et l'opposition.
"Les Frères musulmans étudient le communiqué de l'armée", a de son côté déclaré Mahmoud Ghozlan, un haut responsable de la confrérie, précisant que le bureau politique du mouvement allait se réunir pour "décider de sa position".
Lundi, des manifestants ont attaqué le siège des Frères musulmans. Le
bâtiment, dans le quartier du Moqqatam, situé dans l'est du Caire, a été
envahi par des assaillants qui ont jeté des objets par les fenêtres,
tandis que d'autres emportaient des meubles. Aucun membre de la
confrérie ne se trouvait à l'intérieur du bâtiment, qui avait été évacué
dans la nuit.
Démission de quatre ministres
Selon l'agence officielle égyptienne MENA, cinq ministres se sont
réunis pour étudier la possibilité d'une démission collective et leur
ralliement au mouvement de protestation. Des sources gouvernementales
citées par l'AFP et Reuters avancent que quatre d'entre eux ont d'ores
et déjà présenté leur démission au premier ministre, Hicham Qandil : les ministres du tourisme, de l'environnement, des communications, et des affaires juridiques et parlementaires.
Obama appelle "toutes les parties à la retenue"
"Toutes les parties doivent faire preuve de retenue", a averti Barack Obama lors d'une conférence de presse à Dar es Salaam (Tanzanie), ajoutant qu'on ne pouvait pas "parler de manifestation pacifique quand il y a des agressions contre des femmes". Le président américain, qui effectue en Tanzanie la dernière étape d'une tournée en Afrique
sub-saharienne, ne s'est pas prononcé explicitement sur les appels de
l'opposition égyptienne au départ de M. Morsi, mais il a appelé le
gouvernement égyptien à faire davantage pour enrayer la discorde dans le pays. "Ce qui est clair aujourd'hui, c'est que, même si M. Morsi a été élu démocratiquement, il faut faire plus pour créer les conditions dans lesquelles chacun a le sentiment que sa voix est entendue" en Egypte, a ajouté le président américain.
Seize morts dans les manifestations dimanche
Au moins seize manifestants ont été tués dimanche, selon le ministère
de la santé, dont huit au Caire dans des heurts entre partisans et
adversaires du président, et six dans les provinces de Beni Suef, Assiout, Kafr Al-Cheikh et Fayoum. L'armée estime à "14 millions" le nombre de manifestants descendus dans la rue – sur une population de 84 millions d'Egyptiens –, a déclaré une source militaire. Il s'agit "de la plus grande manifestation de l'histoire de l'Egypte", a ajouté cette source sous couvert de l'anonymat.
Les adversaires de M. Morsi dénoncent une dérive autoritaire du pouvoir destinée à instaurer un régime dominé par les islamistes, ainsi que son incapacité à relancer
l'économie. Ses partisans en revanche soulignent qu'il puise sa
légitimité dans la première élection présidentielle libre de l'histoire
de l'Egypte. Ils accusent l'opposition laïque de faire le jeu des nostalgiques de l'ancien régime.
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