Président Bachar al-Assad : « Ce qui se passe en Syrie n’est pas une révolution »
Texte intégral de l’entretien exclusif du Président syrien à l’occasion du cinquantenaire du quotidien « Al-Thawra ».
L’expérience
de la gouvernance des Frères Musulmans avait échoué avant même de
commencer. Ce qui se passe en Égypte traduit la faillite du soi-disant
Islam politique. L’extrémisme religieux tout autant que l’aliénation à
l’Occident sont destructeurs de notre identité. Le terrorisme est un
cancer qui doit-être extirpé.
1.
Monsieur le Président, en période de crise, la patrie est censée
rassembler tous ses enfants. Que s’est-il passé pour qu’en Syrie nous en
soyons arrivés là où nous en sommes ?
Pour commencer, je vous souhaite la bienvenue.
Croyez que je suis heureux de vous accueillir en ce jour du cinquantième
anniversaire du quotidien « Al-Thawra », un quotidien cher au cœur de tout syrien patriote quel que soit son engagement politique.
Il nous arrive de considérer la patrie comme un
territoire géographiquement bien défini qui rassemble un groupe de
personnes, alors que la patrie est appartenance… que l’appartenance
signifie culture… et que l’appartenance et la culture constituent l’identité. De ce point de vue, lorsque notre appartenance est une, notre patrie est pour tous !
Pour mieux me faire comprendre, je dirais que
lorsque le colonialisme s’en est allé de Syrie, il n’est pas parti pour
nous permettre de nous libérer. Il est parti pour nous coloniser par de
nouveaux moyens, dont le plus remarquable fut de semer la discorde comme
préalable à la division puis la partition.
Or la partition ne se traduit pas uniquement par
une frontière terrestre dessinée par le colonisateur, ce n’est pas
fondamental. La vraie partition, la partition la plus dangereuse est
celle qui touche à l’identité, car lorsque nous vivons sur une même
terre, mais avec des identités fragmentées, cela signifie qu’existent
des patries fragmentées au sein de ce que nous pensons être une seule et
même patrie, chacun des groupes culturels ayant tendance à s’isoler des
autres groupes dans ce qui deviendrait sa patrie privée. C’est dans ce
cas que vous pouvez parler d’une patrie qui ne rassemble plus tous ses
enfants. C’est ce concept qui vous permet de dire que le colonialisme a
réussi, jusqu’à un certain point, à créer des groupes isolés et
exclusifs les uns des autres, considérant leur idéologie et leur
appartenance comme seule vérité et, en quelque sorte, leur patrie ;
toutes les autres n’étant pas autorisées.
Ce succès n’a pas été atteint du jour au lendemain,
mais en plusieurs étapes. Je pense que la première de ces étapes
remonte à la chute de l’État des Omeyyades. C’est dès cette époque qu’a
commencé « le jeu sur les identités » pour créer des fissures au sein de
nos sociétés et démolir ce qu’elles avaient en partage. C’est ainsi que
l’Histoire ancienne a vu tomber l’État des Omeyyades puis celui des
Abbassides. C’est ainsi que l’Histoire moderne a vu tomber la Palestine !
Quant aux fissures dont nous voyons les
conséquences dans notre Histoire contemporaine, je crois qu’elles ont
commencé avec l’émergence des Frères Musulmans et qu’elles sont allées
en s’aggravant depuis l’indépendance en raison du rôle nocif qu’ils ont
joué dans un certain nombre de pays arabes, dont la Syrie. Les Frères
Musulmans sont à l’origine de la première fissure, la fissure
fondamentale entre l’arabité et l’Islam. Ils ont essayé de créer deux
patries : une patrie pour les Islamistes et une patrie pour les
nationalistes.
Ainsi, « la pensée colonisatrice » n’a jamais cessé
de se manifester au travers de guerres successives, dont la « Guerre du
Liban » qui avait pour objectif la création d’une patrie pour les
Musulmans et d’une autre patrie pour les Chrétiens. C’est là que les
conséquences de l’activisme des Frères Musulmans sur le terrain sont
devenues plus lisibles, la plus importante et la plus dangereuse d’entre
toutes étant la présence d’ « Al-qaïda » à laquelle l’Occident n’a pas
manqué de prodiguer son soutien sur fond de révolution islamique en Iran
; révolution venue soutenir la cause palestinienne et donc le cœur même
de l’identité pour les Arabes. Cette nouvelle donne les a poussés à
s’orienter vers la création d’une nouvelle discorde entre les Sunnites
et les Chiites pour démolir la relation entre les Arabes et les Perses ;
tandis que le 11 septembre, l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak
consacraient les fissures entre les Takfiristes et toutes les branches
de l’Islam.
En d’autres termes, plus la discorde s’intensifie
au sein d’une patrie, même partiellement, plus cette patrie se rétrécit
et ne peut plus rassembler tous ses enfants. Or, la Syrie est toujours
une patrie ouverte à tous les siens car si tel n’était pas le cas nous
n’aurions jamais pu résister aux « foyers de la discorde » qu’ils ont
voulu allumer dans certaines de nos régions. Nous avons pu leur résister
jusqu’ici, parce qu’en Syrie existe la conscience d’un peuple capable
d’empêcher le plein succès de telles manœuvres.
Par conséquent, la Syrie est la patrie capable de
rassembler tous ses enfants, ce qui ne veut pas dire que nous ne
devrions pas nous inquiéter de l’existence de ces foyers qui, s’ils
n’étaient circonscrits, risqueraient d’en faire une patrie qui ne serait
plus pour tous les siens !
2.
Monsieur le Président, dès le début vous avez déclaré que ce qui se
passait en Syrie n’était pas une révolution… Permettez-moi de rappeler
ce qu’a déclaré le ministre russe, M.Sergueï Lavrov, lors de sa première
rencontre avec une délégation d’opposants syriens rendus à Moscou où
ils se sont présentés comme des révolutionnaires. Je le cite : « Si vous
êtes des révolutionnaires et les représentants d’une révolution,
pourquoi auriez-vous besoin de l’Étranger ? Un dicton historique dit
qu’aucun régime au monde ne peut résister face à la révolution d’un
peuple ! ». Personnellement, je suis convaincu que c’est vrai mais vous,
Monsieur le Président, sur quel concept vous êtes-vous fondé pour dire
qu’il ne s’agissait pas d’une révolution ?
Premièrement et partant de l’Histoire universelle,
toute véritable révolution est purement interne et n’a rien à voir avec
l’étranger ni de près, ni de loin. Pour exemples : la révolution russe,
la révolution française, et même la révolution iranienne ! Toutes les
vraies révolutions sont des révolutions populaires dont les facteurs
sont purement internes. Mis à part certains détails, toutes les
révolutions comportent un versant spontané mais sont dirigées par les
élites idéologiques et intellectuelles. Concernant la Syrie, le «
facteur externe » était d’emblée évident. C’est justement ce qu’ils ont
essayé de cacher et ce qui est désormais d’une clarté absolue, alors que
l’étranger nous submerge de déclarations sur ce que nous devrions faire
ou ne pas faire pour trouver des solutions à ceci ou cela.
Deuxièmement, le quotidien « Al-Thawra »
[Révolution en arabe], dont vous commémorez aujourd’hui le cinquantième
anniversaire, fait référence à la révolution de 1963. Une révolution
syrienne venue fortifier la patrie, la société, et l’homme ; répandre la
connaissance et la culture par la construction de milliers d’écoles ;
éclairer le pays par des milliers de lignes et de réseaux électriques
dans les campagnes avant les villes ; promouvoir la situation économique
par la création d’emplois pour tous, chacun selon ses compétences ;
soutenir le plus grand nombre de citoyens : paysans, ouvriers, artisans…
La Révolution de 1963 s’est levée pour bâtir une
armée ayant pour seule doctrine les valeurs nationales, une armée qui
s’est battue dans les pires des conditions et les plus féroces des
combats, une armée qui a triomphé en 1973 et qui continue de triompher
depuis 50 ans… Son combat actuel, probablement l’un des plus durs,
témoigne de son ancrage sur des principes et des valeurs intellectuelle
et révolutionnaire ; valeurs partagées par le peuple et qui l’ont
blindée contre ce qui se passe aujourd’hui en Syrie… Cette Révolution
s’est faite pour construire un citoyen et une patrie, non pour les
détruire ! Comment pourrions-nous la comparer à une quelconque prétendue
révolution et comment pourrions-nous parler de révolution dans les
circonstances actuelles en Syrie !? Ce dernier concept dont ils ont
espéré nous convaincre n’a pas tenu la route et ce, depuis le début !
3.
Mais, Monsieur le Président, ne croyez-vous pas qu’à l’intérieur même de
la Syrie, certains ont cru à cette idée de « révolution » et ont
contribué à la soutenir et à la promouvoir ? Ne croyez-vous pas que des «
foyers révolutionnaires » existaient dès le tout début des événements ?
Bien entendu ! Mais ceci nous ramène à la notion de
l’identité. Ceux que vous évoquez sont de deux types : l’un qui s’est
complètement coupé de son identité pour se laisser éblouir par le rêve
occidental y compris tous ses inconvénients ; l’autre qui s’est aussi
dépouillé de son identité mais s’est dirigé dans le sens contraire,
celui de l’extrémisme religieux. Ce deuxième type est le plus dangereux
mais dans les deux cas, il y a extrémisme !
Il est évident que nous devons profiter des apports
et des progrès de la civilisation occidentale, mais que nous nous
laissions éblouir au point de nous dépouiller de notre propre identité
relève en effet d’un certain extrémisme ; d’autant plus que l’identité
arabe originale est modérée socialement, culturellement, politiquement
et religieusement, parce qu’elle est née de la rencontre de toutes les
civilisations qui se sont succédées depuis des milliers d’années.
Lorsque l’Étranger cherche à déchirer cette identité dans un sens ou
dans un autre, il travaille à la création de ces foyers prétendument
révolutionnaires dont vous parlez. C’est ce qui m’inquiète en
permanence, car l’extrémisme religieux et le suivisme occidental sont
tous deux destructeurs de notre identité. Destruction vérifiée par les
perturbations que nous constatons en Syrie ainsi que dans d’autres pays.
Le problème n’est pas exclusivement syrien, même si « le facteur
externe » y est plus dévastateur. C’est toute la région qui est
concernée avec une composante externe surajoutée pour la Syrie !
4.
Néanmoins, Monsieur le Président, ne peut-on considérer que les concepts
et les modalités des révolutions changent et qu’il n’est pas
obligatoire de se référer aux données historiques déduites des
révolutions russe ou française pour parler de révolution en Syrie ?
Tout change en ce monde, mais certains principes
humains fondamentaux sont invariables. Ainsi, les religions ne changent
pas mais s’adaptent aux changements. Ce sont donc les mécanismes ou des
détails nécessaires à cette adaptation qui changent, non les principes
essentiels ! Si j’abondais dans votre sens et que je tombais dans le
piège qui consiste à dire que ce qui se passe en Syrie est une
révolution et que même les principes fondamentaux varient, nous devrions
accepter l’idée que les exactions d’Israël en Palestine correspondent à
une révolution des israéliens contre l’injustice palestinienne, ou que
les USA mènent leur révolution contre l’injustice en Afghanistan et en
Irak ! Dans ces deux cas, nous
devrions accepter l’idée qu’il ne s’agit ni d’invasion, ni d’occupation.
N’est-ce pas là l’idée maitresse soutenue par leurs médias avant
d’envahir l’Irak ?
Autrement dit, une certaine lecture contemporaine
des événements, telle que vous l’évoquez et telle qu’ils la pratiquent,
ne devrait pas nous amener à extirper nos concepts fondamentaux.
L’Occident par la voix de ses médias cherche inlassablement à nous faire
tomber dans le piège des réalités inversées. Oui, je dirais comme vous
que le renversement opéré est radical, que le juste est devenu
illégitime et que l’injuste est devenu légitime. Ceux qui ont contribué à
légitimer cette réalité inversée ont usé de stratagèmes politiciens et
d’une large couverture médiatique. Oui, tout cela est sans doute bel et
bien arrivé, mais cela n’implique absolument pas que nous adoptions leur
point de vue ou celui de leurs médias.
5. Il
n’empêche, Monsieur le Président, que certains Syriens de l’extérieur
et de l’intérieur continuent à parler de révolution. Il s’agit donc
d’une véritable controverse qui mériterait clarification.
Une controverse qui mériterait plutôt une
rectification, puisque même les « ennemis de la Syrie » et leurs médias
hostiles n’arrivent plus à soutenir l’idée qu’il s’agit d’une
révolution. Ils ne mentionnent même plus le mot « révolution » et ne
parlent plus que de « terrorisme ». Désormais, ils se sont déplacés vers
un nouveau registre, celui de la distinction entre le « bon terroriste »
et le « mauvais terroriste » à la manière américaine ! Ceci n’a
évidemment pas échappé à la majorité des Syriens de l’extérieur et de
l’intérieur, et nous en constatons les effets en Syrie. Il n’en demeure
pas moins que certains ne peuvent toujours pas admettre cette réalité,
soit parce qu’ils partagent la pensée extrémiste takfiriste des
terroristes, soit parce qu’ils souffrent d’une cécité cérébrale qui fait
que ce que capte leur rétine n’atteint
pas leur cerveau. Ceux-là, il n’y a rien à en attendre ! Quoi qu’il en
soit, ces deux groupes d’individus sont désormais relativement peu
nombreux, et nous ne nous soucions pas trop de ce qui se passe à
l’étranger. Ce qui se passe en Syrie concerne le peuple syrien et ceux
qui vivent en Syrie, car ce sont eux qui se battent et qui résistent.
6.
Monsieur le Président, concernant le « nouveau registre », il est
désormais de notoriété publique que des éléments étrangers combattent en
Syrie. À certaines périodes, leur nombre se chiffrait en dizaines de
milliers selon les estimations occidentales, et non seulement les
statistiques syriennes. Comment expliquez-vous que la Syrie se soit
transformée en « Terre de jihad » ? Comment et pourquoi en si peu de
temps ?
La Syrie ne s’est pas transformée en Terre de
Jihad. Le Jihad est motivé par le bien. Le Jihad appelle à construire, à
développer et à défendre la patrie et le message divin. Toutes les
religions révélées appellent à la justice, au droit et à l’équité. Ce
qui se passe en Syrie est l’exact contraire du Jihad. Si jamais vous
aviez raison de dire que la Syrie s’est transformée, vous devriez plutôt
parler des tentatives actuelles visant sa transformation en « Terre
pour le terrorisme » et ceci pour diverses raisons.
Il est clair que le terrorisme se développe et se
multiplie automatiquement en situation de chaos et que là où règne le
chaos, sévit le terrorisme. Ainsi, lorsque l’État afghan s’est affaibli,
le terrorisme s’y est développé ; et lorsque l’Irak a été envahi, le
terrorisme s’y est propagé. Le chaos attire donc le terrorisme, mais
n’en est pas l’unique facteur de propagation. Des États étrangers en
arrivent à le soutenir pour atteindre certains de leurs objectifs. C’est
ce qui s’est passé lorsqu’ils ont voulu affaiblir l’État syrien en
espérant qu’ils réussiraient à faire fléchir l’immunité historique de ce
pays, ses prises de positions, et sa résistance. C’est ainsi qu’ils ont
cherché à briser son unité aussi bien culturelle qu’intellectuelle.
C’est pourquoi ils ont travaillé à détruire son infrastructure, son
économie, et ses institutions étatiques indispensables à ses citoyens.
Ces États « ennemis de la Syrie » seraient très heureux de voir sa
destruction se poursuivre même si cela devait les occuper longtemps
encore !
Mais ce n’est pas la seule raison qui fait que
certains pays occidentaux soutiennent le terrorisme en Syrie. Une
deuxième raison consiste à croire que ces groupes terroristes
takfiristes, qui leur posent un véritable problème de sécurité depuis
des décennies, vont tous se diriger vers la Syrie et se faire tuer !
Ainsi, ils feraient d’une pierre deux coups ; d’une part, ils se
débarrasseraient d’eux en transférant la bataille de leurs pays ou de
pays sous leur influence vers la Syrie ; d’autre part, ils
affaibliraient enfin l’État syrien.
7.
Pourtant, Monsieur le Président, ceux qui combattent en Syrie sous la
bannière de ces groupes armés ne sont pas tous des étrangers. Oui, les
étrangers se compteraient par dizaines de milliers. Mais nous avons
quand même vu un Syrien manger le cœur de son frère. Qu’est-ce qui a pu
nous mener jusque là ?
Lors de nos nombreuses réunions, j’ai souvent
commencé par dire que ce qui se passe en Syrie est une « crise des
morales » avant d’évoquer extrémisme, takfirisme, facteurs externes, ou
autres. Parce que tout cela n’aurait jamais pu pénétrer notre société si
elle avait été moralement protégée. Lorsque vous collaborez à fomenter
ce type de crises, vous permettez à l’étranger de se mêler des affaires
de votre pays. Lorsque la haine et l’argent vous gouvernent, vous vous
transformez en mercenaires et tous vos principes patriotiques
disparaissent. Et lorsque vous perdez vos principes moraux, vous perdez
votre humanité. Vous vous transformez en une autre créature. Je ne dirai
pas un animal, parce que l’animal ne mange pas la chair de son frère à
moins de crever de faim. L’animal ne mange pas la chair de son frère par
rancune. Lorsque vous perdez et vos principes moraux et vos idéaux,
vous perdez de vue le concept de la véritable foi. Toutes les religions
sont venues renforcer l’humanité par la morale et il est absolument
inconcevable que la religion puisse couvrir ces coupeurs de têtes et
nécrophages. Lorsque vous prétendez appartenir à une religion en
adoptant des pratiques contraires à tous ses principes et dénuées de
toute morale, comme cela s’est produit avec certains courants
prétendument religieux, la religion devient pelures. Une religion
véritable ne peut en aucun cas couvrir de tels comportements !
8. Vous avez dit « L’animal ne mange pas la chair de son frère par rancune ». Sommes-nous face à l’instinct de haine ?
Contrairement aux véritables croyances religieuses
ou sociales qui se fondent sur la raison, les croyances déviantes font
que l’être humain peut en arriver à haïr son frère si ce dernier ne
partage pas sa doctrine. Par conséquent, oui le haineux peut perdre la
raison et se laisser guider par sa haine. Je n’ai pas dit que c’est
l’instinct qui lui fait perdre la raison et le pousse à décapiter ou à
manger le cœur de son semblable, car l’être humain a une disposition
naturelle opposée à la haine. C’est plutôt la fragilité des principes
moraux et les des doctrines déviantes qui l’éloignent de sa raison.
9.
Monsieur le Président vous avez redéfini le vrai sens du Jihad, mais
nous constatons malheureusement que son expression la plus courante
consiste à se battre et à tuer. Que faire ?
Il faut faire en sorte de les renvoyer au
Saint Coran, là où la parole divine est on ne peut plus claire. L’islam
est une religion de miséricorde et de pardon, le mot « miséricorde » y
revient des dizaines de fois. L’Islam est venu pour promouvoir
l’humanité en l’homme, l’inciter à croire en l’amour et la compassion et
à mépriser le meurtre. Le Prophète Mohamad [PSL] ne dit-il pas, dans le
Hadith al-Sharif, que la
disparition de l’univers est plus facile à Dieu que le crime injustifié
d’un croyant ? Le Coran et le Hadith sont très clairs et invitent
l’humanité à l’amour d’autrui, au pardon, à la justice, à l’équité… Ceux
qui prétendent imiter le Prophète devraient se souvenir de son
comportement en tant qu’être humain à toutes les étapes de sa vie.
Ainsi, ils pourront apprendre que son message est principalement fondé
sur des principes moraux et humanistes.
Est-ce que les actions de ces wahhabites
takfiristes ressemblent un tant soit peu aux comportements du Prophète
Mohamad [PSL] ? J’ai d’ailleurs beaucoup discuté de ce sujet avec des
dignitaires religieux syriens ou issus des pays du Levant. Nous pensons
que la vie du prophète devrait être étudiée plus en profondeur par le
plus grand nombre et à tous les niveaux, car le Prophète n’a pas
seulement transmis la parole de Dieu, il l’a aussi mise en pratique sa
vie durant. Et le Coran, le Hadith, et la vie du Prophète prêchent le
contraire de ce qu’ils font.
10. À qui incombe la responsabilité d’inviter à revenir vers le Coran et vers les comportements du Prophète?
Quand un voleur, un criminel ou un extrémiste
surgissent du cœur de la société c’est la responsabilité sociale
collective qui est concernée. Mais alors, le premier à devoir assumer
ses responsabilités est le gouvernement chargé d’en superviser tous les
secteurs, y compris le secteur religieux. Ceci dit, l’État partage cette
dernière responsabilité avec l’ensemble des institutions religieuses,
dont le ministère des cultes, les instituts, les facultés et écoles,
avec une attention particulière pour les plus récemment autorisées à
enseigner la charia. Il est désormais indispensable que nous veillions à
ce que tous ces organismes se concentrent sur les concepts
fondamentaux de la religion plutôt que de laisser le champ libre aux
idées extrémistes qui se sont malheureusement infiltrées dans l’esprit
de certains de nos enfants.
11.
Certains disent que l’Etat porte la plus grosse part de responsabilité
dans la mesure où cet environnement religieux extrémiste s’est développé
sous ses yeux. Par exemple, ils lui reprochent de ne pas avoir
suffisamment encadré et
contrôlé les écoles religieuses, d’avoir autorisé la construction d’un
trop grand nombre de mosquées et, plus grave encore, de ne pas avoir
tenu compte du fait que certains en construisaient pour échapper aux
impôts !
En effet, au cours de cette crise j’ai rencontré
beaucoup de personnes qui m’ont dit quelque chose de semblable,
notamment que l’État avait commis une erreur en autorisant les écoles
religieuses et qu’aujourd’hui nous en subirions les conséquences. Ce
raisonnement n’est pas vrai. Bien au contraire, tout au long de cette
crise nous n’avons rencontré aucun problème qui ait été causé par l’une
de ces institutions. C’est un sujet très important dont il faut que nous
discutions, d’autant plus qu’elles sont les plus aptes à comprendre les
racines du problème et les plus engagées dans le contrôle de la
situation.
Lors d’un précédent entretien j’ai parlé du rôle
des dignitaires religieux, mais ici je veux parler de toutes les
institutions religieuses, lesquelles n’ont jamais soutenu aucune
manifestation appelant au désordre et au sectarisme. Parallèlement,
j’aimerais vous donner une idée exacte de ce que sont ces takfiristes.
Sachez que la plupart ne connaissent rien à la religion ; et que si
certains connaissent les mosquées, ils n’entendent rien aux vertus de la
prière. Dès le début des événements ils se rendaient tous les Vendredi
dans les mosquées, juste pour pouvoir hurler leur « Allahou Akbar » à la
sortie. Tandis que les institutions religieuses existent depuis des
décennies et ont été appelées à jouer un rôle important depuis les
années quatre-vingt sur fond de crise déjà fomentée par les Frères
Musulmans ; crise qui a alerté l’État sur la nécessité de porter une
plus grande attention au secteur religieux pour l’encourager à renforcer
la conscience religieuse chez ceux dont les connaissances étaient
dangereusement lacunaires, car c’est dès les années soixante-dix que les
Frères Musulmans avaient réussi à pénétrer divers milieux de notre
société et de notre clergé faisant croire que leur organisation était là
pour promouvoir la religion face à « l’État athée » ! Par conséquent,
nous devons nous occuper encore plus de l’enseignement religieux comme
facteur de rectitude des consciences, non l’inverse.
12.
Monsieur le Président, un conflit confessionnel a frappé le Liban il ya
quelques décades. La même chose est arrivée en Irak après son invasion …
Ne pouvions-nous pas imaginer que ce qui s’est passé dans les pays
voisins viendrait inévitablement frapper chez nous ? Qu’avons-nous fait
pour y faire face ?
Évidemment que nous l’avons imaginé. Sinon, nous
n’aurions pas pu nous opposer à une série de politiques étrangères
occidentales qui nous paraissaient devoir mener au chaos. Ainsi nous
avons catégoriquement refusé la guerre contre l’Irak en dépit de toutes
les menaces américaines, et malgré toutes les offres alléchantes en
retour…
Nous sommes, par principe, opposés à toute
agression contre un pays frère ou ami. Mais si nous avons dit « non »,
ce n’était pas uniquement par souci fraternel pour l’Irak mais aussi
parce que nous mesurions les conséquences désastreuses de cette guerre.
Nous avions exprimé cette même inquiétude en ce qui concerne
l’Afghanistan. Après le 11 Septembre, je n’ai cessé de mettre en garde
les fonctionnaires américains. En ce temps là ils nous rendaient encore
visite en Syrie et répétaient à l’envi qu’ils allaient s’attaquer aux
terroristes et les frapper partout où ils se trouvaient. Ils supposaient
que nous étions ravis de leur discours puisque dès 1985 la Syrie avait
été la première à définir clairement le terrorisme et avait appelé à la
formation d’une coalition internationale contre ce fléau. À l’époque,
cet appel n’avait pas intéressé grand monde parce qu’ils n’avaient pas
encore goûté au terrorisme dans leurs pays. J’ai moi-même dit et répété aux Américains que leur guerre en Afghanistan allait le renforcer et le répandre.
Car le terrorisme est comme le cancer. Si vous lui
donnez un coup de bistouri sans pratiquer une exérèse totale, il
métastase. Il faut donc l’éradiquer, non se contenter de le frapper.
Mais la guerre n’est pas un moyen suffisant pour réussir son
éradication. Il faut y ajouter l’éducation, la culture, la communication
et même l’économie. Ils n’ont pas voulu écouter et nous souffrons
toujours des conséquences de la guerre en Afghanistan. Ou alors ils ont
écouté mais ont choisi de refaire leur coup en Irak bien que nous les
ayons prévenus que la situation allait se transformer en guerre sectaire
et mener vers la partition, et c’est ce à quoi nous assistons. Quant à
nous, dès 1976 nous sommes entrés au Liban en raison des répercussions
immédiates de la guerre sur la Syrie. Oui nous sommes entrés pour
protéger le Liban, mais pour protéger la Syrie aussi !
Donc, pour répondre à votre question, je dirai que
nous observions ce qui se passait autour de nous quittes à intervenir
quand nous le devions et que nous le pouvions. Mais vous ne pouvez pas
vous soustraire à votre environnement et ce qui devait arriver est
arrivé ! Pourtant, ces dernières années et notamment après la Guerre
d’Irak, nous nous sommes employés à prévenir, autant que possible, les
retombées néfastes de l’extérieur vers l’intérieur. Là aussi, vous
pouvez prévenir partiellement, retarder quelque temps, mais vous ne
pouvez interdire toutes les retombées tout le temps. Aussi, les foyers
extrémistes ont commencé à apparaître en Syrie dès 2004. Au départ il
s’agissait de foyers étrangers mais malheureusement, avec le temps, une
proportion non négligeable de Syriens les ont rejoints.
13.
Des tentatives visant à créer des divisions sectaires existeraient donc
depuis le début et même avant cette crise. Que pensez-vous de la
dernière tentative consistant à accuser le Hezbollah de dérive
confessionnelle ?
Ils ont utilisé tous les moyens pour déstabiliser
notre région : colonialisme direct ou indirect, menaces,
déstabilisations sécuritaire et culturelle… Mais la Syrie est restée
l’obstacle empêchant la réussite de ce qu’ils avaient planifié.
Dernièrement et suite aux événements survenus dans certains pays arabes,
ils se sont imaginés que le moment était propice pour frapper la Syrie
et à travers elle atteindre « l’Axe de la Résistance » en inversant les
réalités de la région. Pour cela, ils s’évertuent à redéfinir et
l’ennemi et l’allié. Israël doit se transformer en « ennemi invisible »
et pourquoi pas en « ami » ; alors que la Résistance doit apparaître
comme l’ennemi dont le projet est à visée confessionnelle, non un
mouvement de lutte contre l’occupation israélienne !
C’est là leur dernière trouvaille pour frapper le
concept même de la Résistance contre Israël, et c’est dans ce but qu’ils
ont cherché à modifier la perception du peuple syrien. Ils ont cru
qu’ils réussiraient à aveugler nos consciences, modifier nos idéaux,
nous faire reculer ou hésiter, nous faire peur étant données les
retombées prévisibles de toutes ces déviances. Ils ont échoué
aujourd’hui, comme ils avaient échoué par le passé.
Pour nous comme pour la Résistance et pour tous
ceux qui nous soutiennent, la voie est claire. L’Étranger pourra
continuer à manigancer autant qu’il le voudra. Nous atteindrons nos
objectifs autant par notre résistance que par notre immunité intérieure.
Nous y arriverons sans jamais hésiter et par nos propres moyens. Ils
peuvent toujours continuer à discuter, nous ferons ce que nous jugerons
bon dans l’intérêt de la Syrie.
14. Avions-nous besoin que les soldats du Hezbollah se battent à nos côtés ?
Ce n’est pas la première fois que l’on me pose
cette question. Ma réponse sera très claire : l’armée syrienne se bat
dans de nombreuses régions du pays, si nous avions eu besoin d’une aide
étrangère nous aurions pu l’obtenir. S’agissant de la bataille
d’Al-Qusayr, la question relève plus de la Résistance que de la
situation interne en Syrie. De plus, cette ville n’a pas l’importance
stratégique qu’ils ont cherché à lui accorder.
15. Mais l’Occident l’a présentée comme la bataille des batailles !
Exact ! Ceci parce qu’elle devait avoir une
incidence aussi bien sur la situation interne syrienne que sur la
Résistance ; d’autant plus que la ville d’Al-Qusayr, située en zone
frontalière, est considérée comme l’arrière cours de la Résistance. Une
Résistance forte a nécessairement besoin d’une réelle profondeur. La
Syrie est la profondeur de la Résistance. D’où l’importance stratégique
de cette ville par rapport aux relations entre la Syrie et le Liban, et
plus spécialement entre la Syrie et la Résistance. C’est la raison
fondamentale qui explique que la Résistance devait se joindre à la
bataille qui la concernait autant que la Syrie. Oui, il était nécessaire
qu’elle le fasse. Nous n’avons pas hésité, nous ne nous en sommes pas
cachés, et nous n’avons pas à en rougir.
Mais je répète que si nous avions besoin de la
Résistance, pourquoi en aurions eu besoin à Al-Qusayr et non à Damas,
Alep ou dans d’autres régions ? Pourquoi exagérer cette participation ?
Nous avons notre Armée et désormais les nombreux éléments de notre
Défense nationale qui se battent à ses côtés. Aucun pays étranger ne
pourrait nous garantir un tel nombre de défenseurs prêts à soutenir nos
Forces armées.
16.
Monsieur le Président, contrairement à tout ce que vous venez de nous
dire certains opposants, en particulier ceux de l’extérieur, continuent à
prétendre que ce qui se passe en Syrie est un conflit confessionnel et
que c’est l’État qui a créé une structure sectaire dans son propre
intérêt.
Dire que c’est l’État qui a créé une structure
sectaire, c’est dire que l’État contribue à diviser la société syrienne.
C’est dire que l’État cherche à diviser la patrie. Ces allégations
sont-elles compatibles avec tous les combats que nous menons pour
l’unité de la Syrie ? Ne sont-elles pas catégoriquement contredites par,
à la fois, notre répartition démographique et la nature des batailles
que nous menons ? Pour qu’un État reste fort, n’a-t-il pas intérêt à ce
que le pays reste uni et que la situation sociale soit apaisée ?
N’est-ce pas là un principe universel qui contredit toutes ces
allégations ? En réalité, la structure sectaire pousse l’État vers la
faillite et non vers la réussite, et aucun État au monde ne
s’orienterait dans cette direction à moins qu’il ne soit un état
ignorant. Ce qui n’est pas le cas de la Syrie !
17.
Monsieur le Président, permettez encore plus de précision. Certains,
dont particulièrement les occidentaux, vous accusent d’avoir été
suffisamment malin pour faire croire « aux minorités » qu’elles étaient
menacées dès le tout début des événements. Ainsi vous auriez réussi à
les fidéliser. De leur point de vue, vous seriez donc responsable de la
division de la société syrienne.
Si ce discours était vrai, nous serions tout de
suite entrés en guerre civile et l’État serait tombé ! Si nous avions
fonctionné selon cette logique, la Syrie toute entière l’aurait refusée ;
car en Syrie on ne parle jamais de minorités et de majorités. Mais
admettons que nous puissions adopter une telle terminologie, il est
évident que les minorités ne peuvent pas protéger l’État. L’État tient
sur des majorités, pas nécessairement sur des majorités confessionnelles
ou religieuses, mais obligatoirement sur des majorités populaires. Par
conséquent, l’État et le peuple syriens ayant tenu bon, cela implique
qu’il ne s’agit pas de minorités mais de majorités qui ont soutenu leur
État. Et, dans notre cas, les majorités ne peuvent qu’inclure toutes les
communautés ; ce qui démolit toutes ces accusations.
Il est remarquable de constater que le projet
hégémonique occidental a toujours essayé de se servir de cette notion de
minorité, témoin en est le colonialisme français et la façon dont il a
divisé la Syrie : un état alaouite, un état druze, Damas, Alep… En
toutes choses, ils se sont fondés sur cette notion de minorité. Mais,
quatre-vingt-dix ans plus tôt, nos grands parents avaient pris
conscience de la gravité d’une telle partition. Est-il raisonnable que
malgré nos expériences passées nous soyons moins conscients que nos
ainés ? N’y voyez-vous pas une deuxième contradiction ? Ils ont déjà
tenté cette même expérience et bien qu’ils aient battu monnaie et
accumulé les documents de propriété, elle a échoué. L’expérience a
échoué hier et il est impossible qu’elle réussisse aujourd’hui, sauf si
la pensée takfiriste ou
l’idéologie des Frères Musulmans arrivaient à s’enraciner en Syrie. La
discorde aidant, la partition deviendra possible comme cela s’est passé
pour d’autres pays arabes. Mais cela ne se produira pas !
18.
Mais les accusations, prétendant que c’est l’État qui a créé une
structure sectaire, ne sont pas formulées que par des extrémistes. Elles
sont aussi soutenues par certains intellectuels qui se présentent comme
des laïcs.
C’est malheureusement vrai. Les discours sectaires que nous entendons ne sont pas uniquement tenus par des extrémistes
mais sont aussi tenus par de prétendus laïcs. Aujourd’hui, nous sommes
face à deux groupes versant dans le sectarisme. Un groupe qui se prétend
laïc, bien que nous ayons dit et répété que la laïcité n’est pas contre
les religions, mais signifie
la liberté des cultes. Un autre groupe qui se prétend religieux mais qui
ignore tout de la religion. Ce qui est essentiel est que la majorité de
ceux qui sont instruits des religions et qui ont la foi ne sont
absolument pas tentés par le sectarisme et pensent, comme nous tous, que
le sectarisme est l’antithèse de la religion.
Le trait d’union, entre le premier groupe qui se
prétend instruit et laïc et le deuxième qui prétend connaître l’essence
de la religion, est l’ignorance. L’ignorance religieuse plus
précisément, car c’est ce qui mène vers le sectarisme dans le sens
péjoratif de ce terme.
Autrement dit, je ne parle pas ici de ceux qui partagent une même
doctrine religieuse réfléchie. Entre les deux existe une nette
différence, la doctrine étant fondée sur la pensée intellectuelle.
Ainsi, nos anciens dignitaires religieux nous ont construit des écoles
de pensées qui ont enrichi notre compréhension des religions. Ils ne
nous ont jamais encouragés à adhérer à ce type de sectes et de
sectarisme. C’est ceux qui ignorent la religion qui font que leur secte
se substitue à la religion, ce qui est grave et destructeur. Par
conséquent, nous ne sommes pas surpris par ces groupes qui se vantent
d’être laïcs, alors qu’ils ne savent pas ce qu’est la religion, ni ce
qu’est la laïcité. Tout ce qu’ils connaissent c’est le confessionnalisme
!
19.
Compte tenu de toutes ces idées fausses et de toutes ces pratiques
perverses qui ont envahi notre société apportant leurs lots de meurtres,
de décapitations, de fanatismes et de divisions, assistons-nous aux
prémices de la faillite du projet d’unité panarabe au profit des
intolérants et des takfiristes ?
L’identité arabe est menacée par trois facteurs :
le premier est son aliénation à l’Occident, le deuxième est
l’extrémisme, et le troisième est la triste performance de certains
États arabes qui a conduit à s’éloigner du concept de l’arabité. Ces
trois facteurs ont d’ores et déjà porté des coups sévères au projet
d’unité panarabe. Ce projet bien que moribond est encore en vie. C’est
ce qui ressort des attitudes du peuple qui n’a pas abandonné son
identité. Certes, il a été affecté, ici ou là, par les foyers de la
discorde ; mais la société arabe n’a pas changé. Au contraire, elle
reste toujours enracinée dans son identité première : l’arabité !
20.
Au début de la crise, la Turquie nous a appelés à négocier avec les
Frères Musulmans en tant que mouvement politique. La Syrie a opposé un refus
catégorique et la voici qui accepte de se rendre à Genève « sans
conditions préalables ». Monsieur le Président, allons-nous dialoguer
avec les Frères Musulmans ?
Nous dialoguons avec toutes les parties. Nous
dialoguons en partant du principe que nous pourrions amener l’autre
partie sur la bonne voie, la voie de la patrie. Nous avons dialogué avec
les Frères Musulmans même après qu’ils nous aient frappés en Syrie, en
1982. Nos dialogues ont été ininterrompus, mais franchement, à chaque
fois nous avons eu à constater que les Frères Musulmans
n’abandonneraient jamais leur logique hypocrite, et surtout pas leur
unique objectif : le pouvoir. Ils n’ont jamais raisonné en termes de
patrie.
D’autre part, nous dialoguons avec eux en tant
qu’individus, non en tant que parti politique ; le principe même d’un
parti religieux étant inacceptable pour nous. Notre nouvelle
constitution ainsi que nos lois sur les partis sont très claires
là-dessus. Une fois de plus, cela ne veut absolument pas dire que nous
sommes contre la religion. C’est tout le contraire. Nous sommes pour la
religion, mais nous pensons que la religion est un appel à toute
l’humanité. Par conséquent, elle ne peut être reliée à une catégorie
limitée de personnes, et elle est bien trop noble pour être mêlée aux
détails partisans…Nous pensons aussi que la vraie religion ne peut que
renforcer l’éthique et la morale, qui à leur tour contribuent à
renforcer les partis politiques, l’économie, le commerce et, en fin de
compte, la patrie elle-même.
C’est ce que nous pensons et c’est pourquoi nous ne
les reconnaissons pas comme parti politique. Pour nous, ce sont des
terroristes qui ont assassiné des milliers de Syriens. Nous ne l’avons
pas oublié ! Leurs directions et leurs dirigeants qui ont ordonné les
meurtres de Syriens sont maintenant à l’étranger, mais n’ont pas changé.
Nous dialoguerons avec tout le monde tout en ayant à l’esprit quelles
sont leurs véritables tendances. Nous dialoguerons en sachant qu’il est
très peu probable qu’ils aient pu évoluer et qu’ils soient soudain
devenus modérés ou patriotes après près d’un siècle d’immobilisme. Ici,
il faut rappeler que certains de leurs dirigeants, avec lesquels nous
avions justement dialogué en 1982, sont rentrés au pays à titre
personnel. Ils n’ont pas abandonné leur croyance doctrinaire, ce qui ne
nous empêche pas de les respecter dans la mesure où lis sont revenus
pour contribuer à construire le pays et non à le détruire.
En tout cas, comme je l’ai dit à plusieurs
reprises, le plus important est que les données du dialogue avec telle
ou telle partie seront soumises à un référendum populaire. Le peuple ne
peut choisir que ce qui est bon pour la patrie !
21. S’agissant des Frères Musulmans que pense le Président Al-Assad de ce qui se passe en ce moment même en Égypte ?
Il s’agit, tout simplement, de la faillite du dit «
Islam politique », faillite d’un type de gouvernance que les Frères
Musulmans ont voulu vendre non seulement en Égypte… Quoi qu’il en soit,
je dis et je répète que nous n’acceptons pas que l’Islam descende au
niveau de la politique, car la religion est au-dessus de la politique.
Pour nous, le message religieux doit suivre son propre chemin
indépendamment et séparément de la gouvernance, de ses tours et ses
détours.
C’est donc une expérience qui a très vite échoué, car fondée
sur des principes erronés. Le regard que nous portons sur les Frères
Musulmans est maintenant compatible avec la situation en Égypte.
Quiconque utilisera la religion au profit de la politique, ou d’un
groupe exclusif, subira l’échec tôt ou tard et n’importe où en ce monde.
22.
Les Frères musulmans ont échoué parce qu’ils ont trompé le peuple
égyptien, ou bien est ce le peuple qui s’est soudainement aperçu de ce
qu’ils étaient en réalité ?
Lorsque vous parlez de l’Egypte, de l’Irak et de la
Syrie, vous parlez de pays situés dans des zones stratégiques et
enracinés dans l’Histoire et la Terre depuis des milliers d’années. Par
conséquent, leurs peuples ont accumulé une sensibilité et des
connaissances particulières qui font que vous ne pouvez plus les
tromper. Certes vous pouvez tromper une partie du peuple, une partie du
temps ; mais vous ne pouvez pas tromper tout le peuple, tout le temps.
Ceci, sans oublier que le peuple égyptien porte en lui des milliers
d’années de civilisation et une pensée arabe et nationaliste évidente.
Ce qui s’est passé cette dernière année est peut-être une réaction en
rapport avec le gouvernement précédent. Mais cette année aura permis à
ce peuple de découvrir les mensonges du nouveau. Il semble qu’il ait été
aidé en cela par les pratiques des Frères Musulmans eux-mêmes.
23. Un an ! C’est une vitesse record.
En effet. Le mérite en revient aux Frères Musulmans.
24. Est-il juste de dire que l’expérience des Frères Musulmans au pouvoir est un échec
Pour nous, elle avait échoué avant même de
commencer. Ce type de gouvernance ne peut qu’échouer car il est
incompatible avec la nature humaine. Le projet des Frères Musulmans est
un projet hypocrite destiné en réalité à créer des troubles dans le
monde arabe. Ils ont été les premiers à fomenter les conflits sectaires
en Syrie dès les années 1970, alors que nous ne savions même pas ce que
signifiaient le sectarisme et le communautarisme. Nous n’en avions
jamais entendu parler comme nous ne pouvions pas en comprendre les
concepts. Leur projet est donc un projet de discorde qui n’est pas
durable pour les sociétés conscientes. D’où notre verdict avant même
qu’il ne soit mis en application.
25. Certains disent que la décision de rompre les relations avec la Syrie est l’une
des causes de ce que nous observons aujourd’hui dans la rue égyptienne.
Reuters, citant une source militaire, avait rapporté que l’armée
elle-même avait commencé à changer d’avis suite aux déclarations de
Morsi lors de sa rencontre avec l’opposition syrienne.
Je ne veux pas parler au nom des Egyptiens, mais je
peux vous dire que lorsqu’il y a quelques semaines Mohamad Morsi a
annoncé la rupture des relations avec la Syrie, des contacts ont eu lieu
entre les deux parties pour parvenir à un compromis. Cela a d’ailleurs
été révélé par le ministre syrien des Affaires étrangères, M. Walid
al-Mouallem, lors de sa dernière conférence de presse. Ce qui implique
qu’au sein même du gouvernement égyptien certains désapprouvent cette
décision, parce que c’est une mauvaise décision. Jugement partagé par de
nombreux intellectuels et éminents journalistes égyptiens qui n’ont pas
tardé à clairement exprimer leur indignation.
C’est une mauvaise décision parce que la relation
stratégique entre les deux pays remonte très loin dans le temps. Il y a
des milliers d’années, les pharaons en avaient pleinement conscience
tant du point de vue politique que du point de vue militaire. D’où la
bataille entre Égyptiens et Hittites à Kadesh [située non loin
d’Al-Qusayr et de Homs] en 1280 av. J.-C. ; les Hittites d’Anatolie
ayant déjà réalisé l’importance des relations avec la Syrie pour leurs
propres intérêts, les pharaons considérant la Syrie comme la profondeur
stratégique de l’Egypte. Il n’y a eu ni vainqueur ni vaincu, et la
bataille s’est soldée par l’un des plus anciens accords connus. Voilà ce
que les pharaons avaient compris dès 1280 av. J.-C. Comment se fait-il
qu’une personne vivant au XXIe siècle ne l’ait pas compris ? C’est d’une
ignorance éhontée !
26.
Monsieur le Président, le processus que vous avez enclenché est en
marche : les travaux préparatoires sont bien avancés, le dialogue se
poursuit, Genève 2 est à l’horizon… Mais toutes ces questions sont
d’ordre politique, alors que je voudrais vous interroger sur des
questions d’ordre humain concernant la tolérance, la réconciliation, le
pardon… Certains se demandent comment pourrions-nous pardonner aussi
bien dans le domaine interne que dans le domaine externe ?
Pour moi, le domaine interne est le plus important.
Nous avons parfois tendance à mettre tout le monde dans le même panier,
alors qu’il y a celui qui a saboté mais n’a pas assassiné, celui qui a
porté des armes mais n’a pas tué, celui qui a aidé mais n’a pas commis
de crime… Autrement dit, nous avons à faire à toutes sortes de gens.
Nous pensons que l’État peut pardonner à ceux qui n’en sont pas arrivés à
assassiner à condition qu’ils reviennent dans le giron de la patrie.
C’est alors une question de Droit public qui relève de la responsabilité
de l’État.
En revanche, en cas d’assassinat nous sommes dans
le domaine du Droit des personnes et l’État ne peut pousser à renoncer à
un droit personnel. Ceci dit, un certain nombre de familles que j’ai
rencontrées m’ont dit mot pour mot : «Si le sang de notre fils ou de
notre frère peut résoudre le problème, nous pardonnerons ! ». Lorsque
vous entendez de tels propos tenus par des familles qui ont perdu leurs
enfants, vous ne pouvez qu’en retenir la leçon et en conclure que le
pardon est indispensable pour résoudre les crises nationales à condition
qu’il soit personnel et non réglementé. Le
pardon est en effet une force et une marque de patriotisme. Nous
devrions tous adopter cette attitude. Comme tant d’autres familles, ma
famille a été frappée et a perdu des proches ; mais nous devons faire
passer notre patrie avant nos sentiments personnels et ceci aussi bien
en interne qu’en externe.
Concernant le domaine externe il relève de la
politique étrangère qui repose sur des principes et tient compte des
intérêts du pays beaucoup plus que des émotions. Il y a donc à la fois
des principes à respecter et des intérêts à défendre, l’idéal consistant à
trouver la liaison indispensable entre les deux. Liaison indispensable,
car lorsque vos principes sont incompatibles avec vos intérêts, les
premiers sont faux ou les seconds sont mauvais. S’agissant de pardon et
de réconciliation en matière de relations étrangères, ils sont
bénéfiques lorsqu’ils servent notre objectif premier qui est l’intérêt
du citoyen syrien. Pourquoi exclurions-nous cette possibilité ? Nous ne
l’avons pas fait. Nous avons déjà accueilli un certain nombre de
personnalités politiques représentant des gouvernements qui ont démontré
leur hostilité à notre égard, toujours dans le but de servir les
intérêts du citoyen syrien.
27.
Monsieur le Président, les citoyens syriens sont aujourd’hui face à deux
préoccupations majeures. D’une part, le terrorisme avec son lot de sang
et de destructions. D’autre part, la dégradation de la situation
financière. Que pensez-vous de la rumeur qui court sur les conséquences
désastreuses dues à de la hausse démentielle du taux de change du Dollar
? Que diriez-vous au citoyen syrien ?
Une évaluation objective de la situation doit se
fonder sur des évidences. La première évidence implique que le bien-être
du citoyen nécessite une bonne situation économique, laquelle exige une
bonne situation sécuritaire. Par conséquent, le problème de
l’insécurité influe directement ou indirectement sur la situation
économique de chacun que nous le voulions ou pas, et malgré les
meilleurs compétences que nous chargerions de ce secteur.
Une autre évidence est que nous payons notre refus
d’obtempérer aux exigences de gouvernements étrangers. Les États qui ont
cherché à nous frapper, en soutenant une prétendue révolution puis le
terrorisme et qui ont été mis en échec par notre peuple et notre armée,
n’avaient plus d’autre solution que de s’attaquer à notre économie.
Telle est leur vengeance contre le citoyen syrien pour avoir soutenu sa
patrie avant toute autre considération. Il faut qu’il paye le prix en
endurant parallèlement les sanctions financières et les violences
terroristes. Si vous tenez compte de ces deux éléments, vous mesurerez
ce que nous coûte notre indépendance ; un prix exorbitant, mais que nous
sommes obligés de payer !
Maintenant, nous pouvons toujours limiter les
dégâts en luttant contre les inévitables profiteurs de guerre et les
éventuelles erreurs des fonctionnaires. Nous devons identifier les
politiques qui conviennent aux circonstances du moment, et ne pas tomber
dans les erreurs de ceux qui évaluent les performances du gouvernement
actuel selon les critères d’avant la crise. C’est là un comportement
irréaliste car la situation est toute autre. De même, il est impossible
que nous consommions de la même manière qu’avant la crise. Cela
aboutirait à exercer une pression supplémentaire sur l’économie et sur
la Livre syrienne. Nous sommes obligés de nous adapter et de modifier
nos modes de vie et de consommation jusqu’à ce que nous parvenions à la
solution politique qui va de paire avec le rétablissement de la pleine
sécurité. Nous devons comprendre que nous ne pourrons mettre un terme à
nos difficultés économiques tant que nous n’aurons pas restauré la
sécurité.
Et c’est parce que ces difficultés économiques
touchent toute la société abstraction faite de l’appartenance politique,
nous devons tous nous unir pour battre le terrorisme, condition
préalable pour le rétablissement de notre économie. Il faut savoir que
même les citoyens qui ont rejoint les foyers de la discorde et qui ont
adhéré à la prétendue révolution sont maintenant frappés par la
pauvreté. Il est regrettable qu’ils en soient arrivés là pour se mettre à
réfléchir. Comme il est regrettable de toujours compter sur les autres,
problème courant dans nos sociétés.
Oui, nous devons absolument tous travailler
ensemble que l’on soit responsable politique, fonctionnaire ou citoyen.
Nous devons inventer de nouvelles idées et travailler ensemble à les
concrétiser. Nous devons solliciter toute notre créativité pour trouver
des solutions à la crise, sinon c’est la crise qui nous imposera ses
solutions. Oui nous avons encore cette option, et je dis et je répète
que si nous coopérons tous ensemble pour en finir avec le terrorisme
dans le plus court délai possible, nous n’aurons plus à craindre pour
notre économie qui sera encore plus prospère qu’avant, parce que notre
peuple déborde d’énergie.
Nous sommes un pays de civilisations. Nous avons
construit notre pays avec nos moyens et nos compétences. Pour cela, nous
n’avons pas sollicité l’aide de l’étranger. Nous avons rencontré des
difficultés… mais nous l’avons construit. Nous sommes donc capables de
le reconstruire une fois cette crise vaincue, comme nous sommes capables
de rétablir notre économie. Mais d’abord, il nous faut rétablir la
sécurité.
28.
Quelle est la vérité sur les ressources de nos eaux territoriales en
pétrole et en gaz, ressources qui ont fait l’objet de rapports issus de
divers centres de recherche
C’est la vérité, que ce soit dans nos eaux
territoriales ou dans notre sol. Les premières études ont fait état
d’importants gisements de gaz dans nos eaux territoriales. Puis, nous
avons su que d’autres gisements s’étendaient de l’Egypte, à la Palestine
et sur tout le long de la côte ; ces ressources étant plus abondantes
dans le nord.
Certains disent que l’une des raisons de la crise
syrienne est qu’il serait inacceptable qu’une telle fortune soit entre
les mains d’un État opposant mais, évidemment, personne ne nous en a
parlé de façon directe. C’est une analyse logique de la situation et
nous ne pouvons ni la réfuter, ni la considérer comme une raison
secondaire. C’est peut-être la raison principale de ce qui se passe en
Syrie mais, pour le moment, elle reste du domaine de l’analyse.
29.
Monsieur le Président, j’aimerais revenir sur les conditions de vie mais
sous un autre angle. Le gouvernement a procédé à deux augmentations de
salaire depuis le début de cette crise. La première était attendue et
certains pensaient qu’elle était nécessaire. En revanche, la deuxième
était inattendue dans le sens où certains ont été surpris de voir l’État
accorder cette augmentation dans ces circonstances difficiles. C’est
certes un élément d’espoir pour les projets d’après la crise. Nous
dirigeons-nous dans ce sens ? Avons-nous fait ce qu’il fallait pour
notre avenir ?
Vu les destructions que nous avons subies, il est
évident que l’économie syrienne devra essentiellement travailler à la
reconstruction ; ce que nous avons d’ores et déjà commencé à faire. Nous
avons planifié et validé nos projets, puis nous avons commencé leur
mise à exécution. Le retard n’est dû qu’à la situation sécuritaire, la
sécurité étant essentielle pour que les divers corps de métiers puissent
se rendre à leur lieu de travail. Quant à l’augmentation des salaires,
il est certain qu’il est surprenant qu’un État qui subit une telle
agression guerrière puisse continuer à payer les salaires et à assurer
les services, même de moindre qualité, là ou d’autres États beaucoup
plus puissants auraient failli. C’est un succès non négligeable, mais je
répète que nos ambitions sont plus grandes et que nous pouvons mieux
faire si nous nous épaulons les uns les autres.
30.
Reste une autre question en relation avec les conditions de vie des
citoyens. Certains considèrent que c’est l’État qui est responsable de
l’insécurité des frontières, du désordre du marché, et de la flambée des
prix. L’État serait absent. Est-ce que nous en sommes là parce nous
avons été surpris par la crise, ou bien est-ce nos institutions qui sont
déficientes?
Il est certain que les lacunes et
dysfonctionnements de certaines institutions étatiques existaient avant
la crise. J’ai régulièrement abordé ces problèmes, y compris ceux
relatifs à la corruption, à la négligence, à l’incompétence de certains
responsables… La crise a évidemment mis à découvert tous ces
déséquilibres et les a même multipliés, ce qui est normal. Mai dire que
l’État est absent ou présent sur la seule base de la situation interne
avant et après la crise, c’est considérer que cette crise est
strictement d’origine interne, ce qui n’est pas le cas. Certes, la
situation interne souffre de la corruption, de l’insécurité, du chaos,
des exactions des bandes armées… comme c’est les cas pour d’autres pays.
Mais notre situation est complètement différente. Nous sommes en
situation de guerre, une guerre venue de l’extérieur mais qui utilise
des outils de l’intérieur. L’État travaille à la défense de la patrie
et, dans ces conditions, il est illogique d’évaluer son action globale
sans tenir compte de l’ensemble de la situation.
La présence de l’État se juge avant tout sur le
maintien ou l’abandon de ses principes. Est-ce que l’État syrien a
renoncé à ses principes ? Non, il n’a renoncé ni aux principes
fondamentaux de sa politique interne, ni aux principes fondamentaux de
sa politique externe. Il est toujours pour la Résistance. Il est
toujours aussi concerné par la question palestinienne. Il continue à
payer les salaires et à assumer ses responsabilités vis-à-vis des
ouvriers et des cultivateurs. Il continue à embaucher là où il le peut.
Il continue à assurer les services dus aux citoyens, malgré la
destruction des infrastructures. En plus des réformes, ils lancent
autant de projets que la situation le permet. Par conséquent l’Etat
syrien n’est pas absent, il est en situation de guerre !
31.
Nos institutions et nos infrastructures sont vandalisées ou détruites,
ce qui est perçu par certains comme le début de la faillite de l’Etat
syrien. Est-ce le cas ?
S’ils frappent nos infrastructures, détruisent
notre économie, cherchent à installer l’insécurité et le chaos dans
notre société, c’est justement pour nous mener à une situation d’État en
faillite. Mais nous n’en sommes pas
encore là, la preuve en est que l’économie fonctionne toujours malgré
les graves difficultés que personne ne s’attendait à nous voir dépasser.
Les ouvriers, les employés, les commerçants… continuent à se rendre à
leur travail malgré les énormes problèmes de sécurité. La vérité est que
le peuple syrien a prouvé qu’il était résistant et plein de vie. Après
les explosions, une fois que les victimes ont été évacuées et les
gravats retirés, chacun reprend son travail même si tous s’attendent à
ce qu’un obus tombe, qu’une bombe explose, qu’une attaque terroriste
survienne… Nous n’avions jamais connu cela en Syrie. Nous ne savions
même pas que nous en étions capables. Nous savons aujourd’hui que nous
sommes un peuple vivant qui croit en son destin, ce qui fait que nous ne
prendrons pas le chemin de la faillite.
Maintenant, je pense qu’ils ont épuisé toutes les
armes possibles et imaginables, pour nous atteindre moralement,
physiquement, psychologiquement… Il ne leur reste plus que
l’intervention militaire directe, mais je ne crois pas qu’ils en
arriveront jusque là pour de multiples raisons. J’ai souvent dit que
commencer une guerre est une chose, en finir c’est autre chose ! Nul ne
peut prévoir la fin d’une guerre. D’où les hésitations ou les refus de
la majorité des gouvernements. Quant à nous si nous continuons à en
franchir les étapes avec autant de conscience, nous n’avons rien d’autre
à craindre. Je ne suis pas inquiet.
32. Vous êtes donc optimiste, Monsieur le Président ?
Si je n’étais pas optimiste, je n’aurais pas pu
résister aux côtés du peuple syrien ; et si le peuple syrien n’était pas
optimiste, il n’aurait pas pu résister. Le désespoir est à la base et
le début de la défaite. La défaite est avant tout psychologique. Si les
gens que je rencontre n’étaient pas optimistes ils ne me répéteraient
pas : « La crise touche à sa fin », « la Syrie est protégée par Dieu », «
Nous n’avons pas peur ». Ils ne reviendraient pas sans cesse sur les
paroles de feu le cheikh Mohamad Saïd Al-Boutî qui croyait que la Syrie
s’en sortira … C’est animé d’une vraie foi, religieuse et patriotique,
que le peuple syrien attend la fin de cette crise. Il faut donc croire
que sans optimisme il n’y aurait pas foi, et que sans foi il n’y aurait
pas optimisme.
24. À
l’occasion de ce cinquantenaire, Monsieur le Président, puis-je me
permettre de vous demander d’adresser un message personnel à tous mes
collègues de la presse écrite ? En un mot, ils ont été exemplaires par
leur dévouement, leur abnégation et leur travail acharné. Je pense en
cet instant à l’un de nos collaborateurs, simple ouvrier à l’imprimerie,
qui se met en danger toutes les nuits en risquant sa vie à chaque poste
de contrôle routier. Il n’a aucune ambition politique et n’est motivé
que par son patriotisme et son sentiment d’appartenance à notre
institution. Je dois dire que cette remarque s’applique à tous les
employés des médias nationaux qui ont témoigné de leur fidélité à notre
patrie.
Ce que vous dites des employés de votre quotidien,
et qui en effet s’applique à tous les employés des médias nationaux,
confirme que le peuple syrien est bien vivant et résiste ! J’espère que
vous transmettrez mes chaleureuses salutations à tous vos collègues,
d’autant plus que vous commémorez le cinquantenaire de l’un des plus
anciens quotidiens patriotes syriens et qui coïncide avec le
cinquantième anniversaire de la Révolution du 8 Mars 1963 dont nous
venons de rappeler tout ce qu’elle a apporté à la Syrie. Et puisque la
vraie révolution que nous vivons est la « Révolution du peuple et de
l’armée contre les terroristes » et certainement pas celle dont ils font
la publicité mensongère, j’espère que désormais le nom du quotidien « Al-Thawra » rappellera non pas une seule révolution mais deux à la fois : la Révolution de 1963 et la révolution de 2013 !
Dr Bachar al-Assad
Président de la République arabe syrienne
04/07/2013
Texte original : Al-Thawra [Rédacteur en chef : Ali Kassem]
http://thawra.alwehda.gov.sy/_archive.asp?FileName=63241515720130704021727
Texte traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca
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