12 septembre 2013


Ce n'est qu'un voyage, Saul, le
reste n'est pas vrai

(À Saul Landau, avec admiration et affection)

Gerardo Hernandez Nordelo, Héros de la République de Cuba, a adressé un message émouvant à son ami Saul Landau, éminent cinéaste et journaliste nord-américain, qui souffre d'une grave maladie. Saul Landau a rendu visite à Gerardo à plusieurs reprises, accompagné de l'acteur Danny Glover.
Pour ses mérites et ses témoignages de solidarité, le cinéaste a été décoré le 7 août de la médaille de l'Amitié, décernée par le Conseil d'État, sur proposition de l'Institut cubain d'amitié avec les peuples.
CE n'est pas vrai, Saul, ne le répète pas. Je sais, d'autres le disent aussi, mais ce n'est pas vrai. Il y a de la douleur dans la voix de Carmen lorsqu'elle me répond au téléphone, mais cela ne peut pas être vrai.
Tu me diras que c’est vrai, que de vieux amis t'ont appelé et que d'autres sont venus de loin pour te rendre visite, que ton propre corps te le dit à grands cris, que les hommages ont déjà commencé… Qu'importe, je sais que ce n'est pas vrai.
Comment cela pourrait-il être vrai alors que tant de gens t'admirent et t'aiment ? Chaque fois que je parle avec Adriana, elle me demande de te rappeler. (Et si cela ne te dit pas grand-chose, c'est parce que tu ignores qu'elle défend "becs et ongles" chacune de nos minutes de téléphone). Tout le monde lui demande de tes nouvelles, tout le monde, mais ils savent que ce n'est qu'un voyage, que le reste n'est pas vrai.
Un voyage pour où ? Je ne le sais pas trop. En cela, comme au baseball, il est très difficile de s'entendre. C'est un voyage dont beaucoup ne reviennent pas, mais toi, tu le feras, tu fais partie des privilégiés. Tu seras ici chaque fois que Danny me rendra visite et, à Cuba lorsque les Cinq seront réunis. Tu reviendras chaque fois que l'un de tes livres sera lu, ou que l'un de tes documentaires sera vu.
Comment pourrais-tu ne pas être là lorsque quelqu'un demandera qui a filmé ces images de Fidel poussant la jeep enlisée dans la boue de ce chemin ? Ou tant d'autres, à l'époque où tu parcourus la moitié de Cuba avec lui, en 1968 ? Tu crois que tu pourras t'absenter lorsque quelqu'un verra S'il vous plaît, que le véritable terroriste se lève ? Et qu'il comprendra enfin l'affaire des Cinq. Pas question, mon ami. Tu seras toujours là chaque fois que l'on verra l'interview de Salvador Allende, sans doute la seule ou la plus importante qui ait été réalisée en anglais, et lorsque quelqu'un découvrira ces images encore inédites de Fidel conversant chez lui avec Harry Belafonte.
Ce n'est qu'un voyage, Saul, le reste n'est pas certain. Tu reviendras lorsque quelqu'un voudra tout savoir sur la voiture piégée qui tua Letelier et Moffit en plein cœur de Washington DC. Lorsque l'on voudra comprendre ce qui s'est passé au Chiapas, ou dans les maquiladoras. Lorsqu'on lira tes poèmes ou tes articles, toujours pertinents. Lorsque l'on mentionnera ta médaille de l'Amitié de Cuba, ta Bernardo O'Higgins, du Chili, ton Emmy, et tant d'autres prix et décorations. Tu reviendras chaque fois que j'aurais le privilège de raconter comment je t'ai connu, d'apprendre à tes côtés, d'apprécier ton sens de l'humour, et lorsque l'on me demandera à qui je dois mon amitié avec Danny Glover. Tu seras toujours avec ta famille, avec tes amis, avec tes élèves.
Bien sûr que ce n'est pas vrai, Saul, je sais que ce n'est qu'un voyage. Ce que je ne sais pas c'est si nous pourrons encore communiquer, et c'est pourquoi je ne veux pas attendre ton départ pour te le dire : Merci pour tout, mon frère, ce fut un honneur de partager avec toi. Au nom des Cinq, de nos familles, et de tant de Cubains honnêtes : Merci !
Je ne nierai pas que nous sommes tristes, mais en même temps nous sommes heureux de savoir que dans ton cas, quand cela arrivera, ce ne sera qu'un voyage, parce que tu as su te gagner ce privilège.
Je t'appellerai très bientôt, mais tu le sais maintenant, ne me répète pas le reste, parce que ce n'est pas vrai, Saul. Ce n'est pas vrai que tu vas mourir.

Gerard Hernandez Nordelo

notre équipe adresse ses chaleureux remerciements à Jean-Yves qui nous a donné cet article.

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