12 mai 2015

Tahar Manaï, le rescapé de l’Everest

Il rêvait de hisser le drapeau tunisien sur le toit du monde

Mercredi 29 Avril 2015
Il rêvait de hisser le drapeau tunisien sur le toit du monde

Parti à la conquête du Mont Everest, le plus haut sommet du monde, Tahar Manaï, jeune alpiniste d’origine tunisienne, a été stoppé net dans son élan par le tremblement de terre meurtrier survenu au Népal le 25 avril et ayant engendré la puissante avalanche qui a ravagé le camp de base et tué plus de 18 alpinistes. Fort heureusement, Tahar Manaï est sain et sauf. Rassurée sur son sort, sa famille est d’ailleurs continuellement en contact avec lui. Son père, Ahmed Manaï, revient sur cette épreuve endurée, sur la presque indifférence du gouvernement tunisien mais surtout sur le message d’espoir et de courage qu’a voulu délivrer son fils lors de son périple intitulé « Ascension d’une nation ».
Faute d’avoir pu réaliser son rêve cette fois-ci, Tahar Manaï aura au moins eu le mérite d’y croire et de s’y être accroché jusqu’au bout, bravant par son courage et sa bravoure tous les obstacles et les dangers. Cet originaire de Sousse, installé en France avec sa famille depuis 1992, a 26 ans et une détermination à toute épreuve. Comme tous les ambitieux, ce jeune homme rêve d’atteindre un sommet mais pas au sens figuré du terme et surtout, pas n’importe lequel. Sa cible : l’Everest, d’une altitude de 8844 m, le plus haut sommet du monde. Tahar s’est promis d’y culminer et qu’une fois là-haut, sur le toit du monde, il planterait le drapeau de la Tunisie, sa mère patrie. Pour concrétiser son rêve, ce sapeur-pompier professionnel, passionné d’alpinisme, d’escalade et de randonnée, s’est entrainé intensivement pendant de très longs mois, toujours avec un seul et même objectif : réussir. « Je veux mon Everest », répétait-il inlassablement, sur un ton à la fois serein et déterminé, à sa famille et ses amis. 
Ascension d’une nation
Habitué des sommets, Tahar a déjà gravi en septembre dernier le Mont Blanc (4810 m) et en décembre l’Aconcagua (6,962 m), situé en Argentine, point culminant de la Cordillère des Andes et surnommé le « colosse de l’Amérique ». A chacune de ses escalades, le drapeau tunisien était son plus fidèle compagnon. Car au-delà de la performance sportive, la conquête des hauts sommets et plus particulièrement celle du massif de l’Everest a pour lui une forte symbolique qu’il veut dédier à tous les jeunes Tunisiens. Il a d’ailleurs baptisé son périple « Ascension d’une nation » en hommage à son pays natal. Sa devise : « Si des Tunisiens nuisent au pays retranchés dans le Mont Châambi, d’autres hisseront haut son drapeau sur le Mont de l’Everest ». Tahar se fait de la peine pour ses jeunes compatriotes tunisiens, trop souvent livrés à eux-mêmes, errant sans but ni passions. Blasés, désorientés et désœuvrés, ils sont vite confrontés aux dangers de la délinquance, de l’immigration clandestine, du djihad, du banditisme. En s’attaquant au sommet à la fois tant convoité et redouté qu’est l’Everest, Tahar a voulu montrer qu’impossible n’est pas Tunisien, qu’il fallait échapper à l’oisiveté, croire en ses rêves et donner un sens à sa vie pour mieux l’apprécier. 
Les caprices de Dame Nature
Si ce n’était ce malheureux concours de circonstances, Tahar serait peut-être devenu le premier Tunisien à gravir le Mont de l’Everest. Mais en se déchainant le 25 avril dernier, la nature en a décidé autrement. Le séisme, d’une magnitude de 7,8 sur l’échelle de Richter, a mis aussitôt fin à cette belle aventure. Le dernier bilan de cette catastrophe fait état de plus de 4300 morts et près de 8000 blessés. Le camp de base, situé à plus de 5000 m, rassemblait les alpinistes étrangers et les sherpas, guides Népalais. Il a été enseveli par une avalanche après le violent tremblement de terre et gravement endommagé. Tahar est sain et sauf mais il est très affecté par la perte de plusieurs de ses coéquipiers et amis. Dès le lendemain de la catastrophe, il a entamé la descente à pied pendant que les hélicoptères relayaient le camp pour ramasser les morts et les blessés. Aux dernières nouvelles, Tahar, accompagné de Sherpa Nima un autre alpiniste, serait arrivé à Namche Bazar après avoir marché une dizaine d’heures et serait en route vers le village de Lukla à partir duquel partiront les avions pour Katmandou. 
L’émotion d’un père
Ahmed Manaï a hâte de revoir Tahar mais il n’écarte pas l’idée que son fils, sapeur pompier de formation, une fois arrivé à Katmandou, resterait quelque temps sur place pour venir en aide à la population locale sinistrée par le terrible séisme. Ce père, qui ne prenait pas trop au sérieux les desseins de son fils au début, suivait au jour le jour l’évolution de l’ascension de l’Everest. Il avoue: « C’est mon fils et pourtant je l’ai redécouvert au cours de cette aventure. Déterminé, serein et combatif, il n’a plié devant aucun obstacle et encore moins le manque de financement. Il faut savoir que le coût de ce périple revient à 75 000 dollars. Même s’il a collecté 15 000 dollars grâce à une collecte publique qu’il a lancée, il a dû supporter tout seul le reste des frais, en l’absence d’un contrat de sponsoring. Mais rien ne semblait pouvoir plomber son moral et le dissuader d’aller jusqu’au bout. Le jour de la catastrophe, n’ayant pu nous joindre, il a contacté un ami médecin à Paris et l’a chargé de nous rassurer. Il a aussi contacté sa soeur au Canada. Le deuxième jour, nous n’avons eu aucune nouvelle et ce fût le jour le plus long et le plus pénible de notre existence. Nous avons heureusement pu le joindre de nouveau et aujourd’hui, je lui envoie un message toutes les deux heures pour lui souhaiter bon courage dans sa descente et lui dire que nous pensons tous à lui. » Si la France a déployé un dispositif d’assistance destiné aux familles de Français au Népal et mis à leur disposition un numéro d’urgence, qu’en est-il de la Tunisie ? Ahmed Manaï se dit amer face à l’immobilisme des autorités tunisiennes lors de cette épreuve. « Tahar est Tunisien avant tout et il voulait dédier cette ascension à son pays natal. Malheureusement, suite au séisme, personne n’a jugé utile de contacter les autorités sur place pour s’assurer qu’il allait bien et essayer de lui porter secours. Il est vrai que la Tunisie n’a pas d’ambassade au Népal mais j’aurai apprécié que les autorités se montrent moins indifférentes face au sort d’un citoyen tunisien. A vrai dire, le Chef du gouvernement a chargé avant-hier son directeur de cabinet de nous transmettre toute sa sympathie et de nous informer qu’ils suivaient la situation. Rien de bien concret au fait. » 
S’il est quelque peu amer, Ahmed Manaï se dit toutefois très ému et très fier de son fils et du message de patriotisme et d’espoir qu’il a voulu transmettre au monde entier. Il ajoute: « Pour moi, même si Tahar n’a pas atteint son objectif, l’essentiel est fait. Loin d’être un échec, cette épreuve est une victoire. La victoire de la volonté, du courage et de la jeunesse. Tahar a toute la vie devant lui pour partir de nouveau à la conquête du Mont Everest et réaliser son rêve. Il sera sûrement affecté les premiers temps mais je sais que, grâce à son moral d’acier, il dépassera sa douleur et son amertume et repartira de nouveau à l’aventure. Ainsi agissent les champions !» 
Rym BENAROUS

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