par Mahmoud Darwich
traduit par Yves Gonzalez-Quijano
Comme si c'était une guerre rien que pour faire la                              guerre, sans autre but que de permettre qu'elle se                              perpétue, puisque tout le monde sait que l'épée ne                              pourra, cette fois encore, réduire l'âme d'un peuple.
                           
                            Les Arabes ont proposé une paix globale à Israël,                              en ne conservant qu'un cinquième du territoire de                              notre patrie historique. Israël a répondu à cette                              offre généreuse en déclarant, le lendemain, une guerre                              totale.
                           
                            Une fois encore, nous montrerons que nous sommes les                              plus forts sur le plan moral puisque c'est la seule                              chose que nous pouvons encore prouver ; le rapport                              de forces continuera à s'imposer, en dépit de tous                              les arguments intellectuels ou juridiques, jusqu'à                              ce que l'on s'aperçoive que ceux qui ne peuvent répliquer,                              parce que la paix est leur seul choix stratégique,                              sont précisément dans l'impossibilité d'obtenir cette                              paix !
                           
                             Dans la noirceur de chaque nuit, des crimes ; dans                              chaque rue, des cadavres ; sur chaque mur, du sang                              qui hurle. On refuse aux vivants les droits les plus                              élémentaires à seulement survivre, et les morts n'ont                              même pas le repos de la tombe… Pourtant, malgré tout,                              demeure la volonté d'un peuple qui n'a d'autre choix                              que de résister. Et au milieu des battements de notre                              cœur blessé, nous nous demandons combien de temps                              il faudra applaudir à un Christ qui monte à son Golgotha                              ?
                            
                            Est-ce parce que le conflit israélo-arabe ne concerne                              plus que les seuls Palestiniens que l'on constate,                              sur cette scène drapée de rouge et de noir, pareille                              impuissance ? Il faut craindre que le cri d'Arafat                              ne soit figé en icône car il est porteur d'une esthétique                              du martyre qui dispense toute une nation du besoin                              d'agir en ce Vendredi saint interminable. Parce que                              les larmes soulagent le cœur, parce qu'elles lavent                              le corps des morsures salées de la douleur, les téléspectateurs                              arabes ont guetté en sanglotant la retransmission                              en direct du héros tragique atteignant au couronnement                              de sa destinée, celle qui parachèverait le mythe :                              qu'il finisse en martyr, en martyr, en martyr…
                           
                            Non, les Palestiniens n'ont certes pas besoin de ressentir                              plus ce qui fait leur solitude, leur singularité,                              et ils ne souhaitent pas jouer davantage encore le                              rôle de victime expiatoire ! Ce qu'ils veulent, c'est                              exister hors de la métaphore, vivre là où ils sont                              nés, libérer ce morceau de terre qui est le leur,                              cette part d'humanité qui est la leur, de l'emprise                              des mythes et de la barbarie de l'occupation, du mirage                              d'une paix qui ne leur a promis que la destruction.                             
                           
                            Mais leur droit à vivre, leur droit à une existence                              ordinaire, sur cette frange plus mince qu'un rêve                              mais suffisamment large pour un cauchemar, est sous                              le siège d'une réalité israélienne bardée de modernité                              guerrière et de mythologie raciste.
                          
 Sous le siège aussi d'un décret américain qui, en                              plaçant la destinée du monde entre les cornes d'un                              taureau pris d'un galop fou, a supprimé toute distance                              entre les Etats-Unis et Israël.
                           
                            Sous le siège du suivisme absolu des Etats arabes,                              tellement absolu qu'ils ne savent même plus quémander,                              ni flatter une opinion publique en colère contre tout.
                           
                            Et nous nous demandons combien de fois les Palestiniens                              devront être assiégés pour que les Arabes sentent                              qu'ils partagent le même destin, qu'ils sont eux aussi                              assiégés et prisonniers, mais sans offrir la moindre                              résistance… Les télévisions nous dispensent d'explication                              dans chaque maison, c'est notre sang qui est versé,                              dans chaque conscience. Ceux qui ne se sentent pas                              palestiniens aujourd'hui, au plus profond de leur                              cœur, ne reconnaîtront plus ce qui fonde leur identité,                              non pas que les valeurs "oubliées", jour après jour,                              au cours d'un processus de paix inique aient été retrouvées,                              mais bien parce qu'à une logique étroite de pertes                              et de profits, au pessimisme de la pensée, s'est substituée                              la volonté d'affirmer l'unique sens de notre existence                              : la liberté.
                           
                            Les Palestiniens n'ont pas le choix : face au programme                              d'anéantissement que s'est donné l'occupation israélienne,                              largement dotée de subventions américaines, ils ont                              choisi de résister, de faire front, à tout prix, le                              dos au mur, les yeux tournés vers une lueur d'espoir,                              une lueur qui, inexplicablement, continue à apparaître                              grâce à leur courage.
                          
 Et nous nous demandons si, parmi ceux qui président,                              là-haut, aux destinées du monde, on a changé d'avis…                              L'homme de la rue a déjà sa réponse à cette fausse                              question. Mais il en est une autre, que l'on ne pose                              pas, et qui consiste à se demander si l'on peut encore                              croire qu'il y a, dans cette région, un peuple de                              trop, le peuple palestinien, pour la seule et unique                              raison que le sang qu'il verse est un appel à la liberté,                              dans un monde qui n'en veut pas car il ne recherche                              rien d'autre que la stabilité de la servitude, subie                              ou volontaire.
                          
 La guerre totale que les Israéliens livrent sur                              la terre de Palestine, dans ce qui fait l'âme de la                              Palestine, suscite bien des interrogations, en premier                              lieu sur les relations arabo-israéliennes et arabo-américaines.                              C'est Israël qui s'est empressé d'annoncer qu'il menait                              cette guerre pour sa survie, que sa "guerre de fondation"                              n'était pas encore achevée… Et quand donc le sera-t-elle                              ? Si cela veut dire quelque chose, c'est bien que                              la liquidation du mouvement national palestinien demeure                              à l'ordre du jour, y compris dans le contexte du processus                              de paix, que les Palestiniens sont toujours menacés                              dans leur existence.
                           
                            C'est Israël qui nous incite à reprendre le combat                              là où nous l'avons commencé, à reconsidérer, non sans                              ironie, notre conception actuelle du conflit ; c'est                              lui également qui a déclaré la guerre à la paix, telle                              qu'elle avait été conçue. Qu'y a-t-il donc pour menacer                              son existence et le pousser à la défendre avec une                              telle sauvagerie ? Serait-ce la guerre que les Arabes                              ne lui déclarent pas ou bien la paix qu'ils lui proposent                              ?
                          
 Il faut que subsiste le mensonge pour que la société                              israélienne puisse continuer à faire bloc autour de                              ses mythes fondateurs, pour que l'on continue à défigurer                              la nature du combat entre une occupation qui touche                              à sa fin et une résistance qui s'approche de la victoire.                              L'occupation serait-elle une condition essentielle                              de l'existence d'Israël ?…
                          
paru dans As-Safir, Beyrouth le 5 avril 2002
 


 
 Articles
Articles
 
 
 
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire