23 août 2008

La guerre en Afghanistan a-t-elle encore un sens ?

La guerre en Afghanistan a-t-elle encore un sens?

La mort de dix soldats français, mardi, relance le débat sur ce conflit qui dure depuis sept ans.

Tireurs d'élite du 2e Régiment étranger d'infanterie en Afghanistan en 2005 (Darvic/Wikipedia)

La mort des dix soldats français de la force de l’Otan en Afghanistan, tués lundi et mardi lors de combats contre les talibans (qui ont également fait 21 blessés dans les troupes françaises), non loin de Kaboul, relance le débat sur le sens de cette guerre démarrée il y a sept ans. Nicolas Sarkozy doit se rendre mardi soir en Afghanistan, où 3300 militaires français sont actuellement déployés.

Où en est la situation, sept ans après les premiers bombardements ?

L’état du pays est de plus en plus chaotique (lire le reportage d’Anne Nivat). L’année 2007 a été marquée par une forte dégradation de la situation. En juin dernier, 49 soldats de la Force internationale d’assistance à la sécurité (Isaf) de l’Otan et de la coalition sous commandement américain sont morts. Le bilan le plus lourd depuis le début de la guerre.

On est loin du plan initial. Le 7 octobre 2001, moins d’un moins après l’attaque du World Trade Center, George W.Bush annonçait que les frappes américaines, soutenues par les pays de l’Otan, par l’ONU et par l’Alliance du Nord, coalition afghane anti-talibans, avaient commencé contre les camps d’Al-Qaeda, soupçonnée d’être à l’origine des attentats du 11 septembre. Washington avait, en vain, réclamé la tête d’Oussama Ben Laden avant d’attaquer le pays.

En novembre 2001, la chute des talibans, « étudiants en religion » à la tête d’une dictature islamiste brutale depuis 1996, consacrait la victoire-éclair des Américains. Rapide, mais ephémère : la guerre s’est éternisée ; les talibans ont ouvert des fronts dans l’Est du pays et la démocratie rêvée est restée une illusion. En dépit de l’élection présidentielle de 2004 et de l’arrivée au pouvoir d’Hamid Karzaï, les Occidentaux n’ont pu se retirer du pays. L’insécurité n’a fait que croître : plusieurs ministres ont été tués, le président Karzaï a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat. Sans compter les victimes civiles afghanes : durant les cinq premiers mois de 2008, la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan a fait état de 698 civils tués, tandis que durant la même période de 2007 on enregistrait 430 décès. Enfin, le nombre de tués au sein de la coalition internationale n’a fait que croître d’année en année :

  • 2001 : 12 tués
  • 2002 : 68 tués
  • 2003 : 57 tués
  • 2004 : 58 tués
  • 2005 : 130 tués
  • 2006 : 191 tués
  • 2007 : 232 tués
  • 2008 : 183 tués depuis le 1er janvier 2008

Côté français, y compris les pertes d’aujourd’hui, 24 soldats sont morts depuis 2001.

Quel est le rôle joué par la France ?

Malgré la présence d’environ 50000 hommes de l’Isaf -dont près de la moitié d’Américains-, la sécurité se délite continuellement en Afghanistan. Les Etats-Unis ont donc appelé à renforcer la force internationale. L’Allemagne a refusé, le Canada a hésité et la France a dit oui.

Pourtant, en 2007, pendant la campagne présidentielle et alors que des humanitaires français étaient retenus en otages par des talibans, Nicolas Sarkozy estimait que la guerre en Afghanistan n’était pas « décisive » pour la France :



Depuis, Nicolas Sarkozy a changé d’avis et juge désormais prioritaire le renforcement des troupes françaises dans cette partie du monde. En mars 2008, en visite en Angleterre, il déclare :

« Est-ce que l’on peut se permettre, nous, l’Alliance, les alliés, de perdre en Afghanistan ? La réponse est non. Parce qu’en Afghanistan se joue une partie de la lutte contre le terrorisme mondial, donc on doit gagner. Est-ce que la France veut partir, la réponse est non. »

Pourquoi ce revirement ? Officiellement, parce que la situation s’est dégradée et que tant la France que l’Europe ont intérêt à ce que l’Afghanistan ne retombe pas dans le chaos. Pour le grand public, Nicolas Sarkozy place son action sur le plan moral : il s’agit d’empêcher le retour au pouvoir de gens qui « ont amputé d’une main une femme parce qu’elle avait mis du vernis à ongles » (une rumeur non vérifiée, soit dit en passant).

Mais le revirement du président français s’inscrit aussi dans une inflexion de la stratégie nationale. Sarkozy souhaite que la France reprenne sa place pleine et entière dans les instances de l’Otan - à commencer par son commandement militaire - et qu’elle prenne la tête de son « pilier européen ». Envoyer des troupes en Afghanistan, c’était apparaître comme le chef déterminé d’une France qui n’hésite pas à engager ses troupes au côté de ses frères d’armes de l’Alliance sur des terrains éloignés. Une France qui se distinguerait ainsi dans une Europe de plus en plus frileuse.

Sur le terrain, après avoir stationné à Kandahar des Mirage autrefois basés au Tadjikistan et envoyé des formateurs supplémentaires auprès de l’armée afghane, Nicolas Sarkozy décidait en avril d’envoyer 700 hommes supplémentaires. Il y a donc désormais 3 300 soldats français affectés au terrain d’opération afghan.


Source : ministère français de la Défense

Cet été, la France a pris la direction du Commandement régional à Kaboul, succédant ainsi à l’Italie. Le contingent français a plusieurs missions : stabiliser et sécuriser les zones qui lui sont attribuées ; surveiller les zones sensibles (aéroports, frontières) ; détruire des munitions (obus et mines) ; soigner militaires et civils dans certaines zones ; assurer le transport des troupes (hélicoptères, avions) et former l’armée nationale afghane.

Ce qui est regrettable, c’est que ces décisions aient été prises sans débat national, presque en catimini. Elles n’ont pas été bien accueillies par l’opinion, qui y a vu non seulement un alignement sur Washington, mais aussi un risque inutile pour la vie de ses soldats. Non sans raisons, comme l’embuscade mortelle le démontre aujourd’hui.

Faut-il négocier avec les Talibans ?

La situation est aujourd’hui si mauvaise pour les forces occidentales, que le parallèle avec l’occupation russe s’impose. Après l’invasion de 1979, l’armée rouge a occupé le pays pendant dix ans, sans jamais parvenir à le contrôler.

L’Américain Eric Margolis, chroniqueur pour le Toronto Sun, l’un des experts les plus réputés de l’Afghanistan, juge cette guerre impossible à gagner, comme il nous l’a expliqué en avril dernier. Dans les années 1980, les Soviétiques avaient mobilisé 160 000 hommes et, face à une communauté pachtoune déterminée, et soutenue par les Etats-Unis, ils n’avaient pas réussi à contrôler le pays, malgré des appuis pro-communistes importants.

Alors, comment espérer contrôler cette mosaïque de tribus avec 20000 soldats occidentaux? « Il ne peut y avoir de solution militaire », assène Margolis, qui suggère de donner aux Pachtouns une représentation politique plus importante et même d’ouvrir une négociation avec les ennemis d’aujourd’hui : les talibans. (Voir la vidéo.)



Margolis n’est pas le seul à prôner le dialogue avec les talibans : c’est une proposition qui a également été avancée en Grande Bretagne. Mais un tel discours est actuellement inaudible aux Etats-Unis (ou « taliban » et « Al-Qaeda » sont quasiment synonymes). Et pour Sarkozy, discuter avec les « amputeurs de mains » n’est pas non plus une option envisageable, même si son ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner s’est montré plus ouvert.

Zineb Dryef et Pascal Riché

Photo : Tireurs d’élite du 2e Régiment étranger d’infanterie en Afghanistan en 2005 (Darvic/Wikipedia)

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