09 juin 2008

où va le gouvernement de Salam Fayyad ?

Point de vue de Julien Salingue :

L’échec programmé du plan «silence contre nourriture» :


Où va le gouvernement de Salam Fayyad ?
Extraits

Il y a un an, suite à l’échec de la tentative de coup d’Etat conduite à Gaza par le député du Fatah Mohammad Dahlan, le Président palestinien Abu Mazen décrétait l’état d’urgence et nommait, en lieu et place du gouvernement dominé par le Hamas, un nouveau cabinet dirigé par Salam Fayyad.
La liste de ce dernier n’avait pourtant obtenu que 2 sièges sur 132 lors des élections législatives de janvier 2006.

Mais Fayyad, ancien haut fonctionnaire à la Banque Mondiale et au Fonds Monétaire International, était le Premier Ministre voulu par les Etats-Unis et l’Union Européenne. Le chantage aux aides financières, suspendues depuis l’élection du Hamas, a eu raison des timides réserves d’Abu Mazen quant à ce «choix».
Fayyad est donc entré en fonction à la mi-juin 2007 et a entrepris de conduire une série de réformes dans les territoires palestiniens de Cisjordanie.
Un an plus tard, il est assez aisé de comprendre quel est le rôle qui a été assigné à Fayyad : désarmer la résistance et déplacer le centre de gravité de la question palestinienne du politique vers l’économique, en normalisant les relations avec Israël. Il s’agit d’imposer ce que j’appelle un plan «silence contre nourriture», dont l’objectif est de stabiliser les territoires de Cisjordanie en tentant d'améliorer sensiblement les conditions de vie d'une partie de la population sans pour autant satisfaire les revendications nationales des Palestiniens.
« Imposer la loi et l’ordre » et… désarmer la résistance
Telle est l'une des deux priorités affichées par le gouvernement de Salam Fayyad : le «retour de la sécurité» dans les territoires palestiniens. Elle se décline en quatre points :
• Une réforme des services de sécurité, avec notamment le départ en retraite et le remplacement de plusieurs de leurs responsables par des individus réputés proches des Etats-Unis (tel Hazem Atallah, nommé responsable des forces de Police en Cisjordanie, à la place de Kamal Sheikh, membre du Fatah mais jugé trop conciliant à l’égard du Hamas).
• Un renforcement de ces services, qui passe par la formation, dans des camps d’entraînement en Jordanie, de centaines de nouvelles recrues.
• De spectaculaires opérations de «rétablissement de l’ordre , impliquant un nombre élevé de policiers et militaires, notamment à Naplouse et à Jénine.
• La multiplication des arrestations de membres ou de sympathisants du Hamas.
C’est l’articulation de ces quatre points qui donne toute sa cohérence à la politique «sécuritaire» d’Abu Mazen et Salam Fayyad. La plupart des nouveaux responsables (nationaux et locaux) des services de sécurité n’ont pas de passé de dirigeants de l'Intifada ou dans les groupes armés du Fatah. Ce sont des «professionnels de la sécurité», particulièrement zélés, qui ne s’encombrent guère de considérations politiques.
De même, selon les informations que j’ai pu recueillir, les nouvelles recrues entraînées en Jordanie et impliquées dans les opérations de Naplouse et Jénine ont été choisies prioritairement parmi les couches les plus pauvres, les moins éduquées et les moins politisées de la population palestinienne, pas parmi les militants du Fatah. Ils sont plus enclins à obéir aux ordres, y compris lorsqu’il s’agit de désarmer les membres du Hamas, du Jihad ou des Brigades al-Aqsa, issues du Fatah, avec qui ils n’ont pas de passé militant commun.
L’Autorité Palestinienne a su exploiter la situation de chaos sécuritaire qui régnait dans certaines villes de Cisjordanie depuis le démantèlement par Israël des forces de sécurité palestiniennes au cours des années 2002-2003.
A Naplouse et Jénine, les bandes armées s’étaient multipliées, qui rançonnaient les commerçants, volaient des voitures ou offraient leurs services à qui avait besoin de mercenaires pour effectuer telle ou telle basse besogne. L’AP a affirmé que c’était uniquement pour mettre fin à cette situation chaotique que les opérations de «rétablissement de l’ordre» étaient menées. Le déploiement massif de centaines d’hommes armés a effectivement mis un terme aux activités des gangs.

Mais le désarmement des derniers groupes de résistants, second objectif de ces opérations coordonnées avec Israël et des conseillers états-uniens, n’est pas allé sans entraîner une série d’incidents : à Naplouse comme à Jénine, de violents affrontements ont opposé forces de sécurité et militants de Brigades al-Aqsa ou du Jihad. Il y a eu des blessés, des morts, y compris parmi les passants qui ont essuyé les tirs de jeunes recrues visiblement mal entraînées par les Jordaniens. Le gouverneur de Naplouse, en charge de la supervision de l’opération, a même été pris pour cible par des tireurs lors d’une visite au camp de Balata.
Ces incidents marquent cependant d’après moi la fin de la période, ouverte en octobre 2000, de résistance armée en Cisjordanie.
Ils sont en effet le dernier signe de refus, par les combattants eux-mêmes, de la politique de désarmement initiée par l’AP, qui a conduit plusieurs centaines de membres des Brigades al-Aqsa (dont 250 pour le seul district de Naplouse) à publiquement renoncer à la lutte armée en échange d’une amnistie de la part d’Israël, et des centaines de membres du Hamas à déposer les armes sous la pression des forces de sécurité (1). Il est difficile d’obtenir des estimations fiables pour l’ensemble de l’année qui vient de s’écouler, tant les chiffres varient selon les sources, mais on peut cependant établir que ce sont près de 200 membres ou sympathisants du Hamas qui ont été interpellés par l’AP au cours des deux derniers mois.
Il est en outre important de signaler ici qu’il y a eu relativement peu d’incidents armés au cours de ces interpellations, contrairement à ce qui s’est passé avec le Jihad et les Brigades, ce qui semble confirmer que le Hamas a décidé d’éviter un affrontement avec l’AP en Cisjordanie et une inutile bataille pour des «zones autonomes» en réalité contrôlées par Israël.

« Relancer l’économie palestinienne » et… normaliser l’occupation
Les questions économiques sont le cœur de la politique de Salam Fayyad, ce qui n’a rien d’étonnant lorsque l’on connaît son curriculum vitae. L’une de étapes essentielles de l’année qui vient de s’écouler a été la Conférence des pays donateurs, à Paris, en décembre dernier.
Le gouvernement de Ramallah y a présenté un rapport de 58 pages, intitulé «Construire un Etat palestinien» (2), dans lequel il exposait dans le détail la politique qu’il comptait mettre en œuvre au cours des années 2008-2010 et pour laquelle il sollicitait des aides financières «exceptionnelles». La plus grande partie du rapport est consacrée aux questions économiques et fiscales ; le document est même sous-titré «Vers la paix et la prospérité».
Salam Fayyad et Abu Mazen ont visiblement convaincu les pays donateurs puisque ces derniers ont promis quelques 7.7 milliards de dollars alors que l’AP n’en demandait «que» 5.6. Soit une rallonge de… 37.5%.
Les bailleurs de fonds ont donc été séduits par le programme élaboré par l’ancien dirigeant de la Banque Mondiale : réduire le déficit public en baissant le nombre de fonctionnaires, en gelant les salaires et en lançant une vaste campagne de recouvrement des dettes de la population, ouvrir l’économie palestinienne aux investissements étrangers ou encore faire du secteur privé le moteur de la croissance.
Les questions sécuritaires ne sont pas absentes du rapport : Fayyad propose de maintenir la part du budget des forces de sécurité à plus d’1/3 du budget de l’AP. On apprend ainsi dans le document que pour l’année 2008 le programme «Transformation et Réforme du Secteur de la Sécurité » a un budget qui équivaut à la somme des programmes «Accès à l’Education» et «Amélioration de la Qualité des Services de Santé» (3).
Autant de propositions qui seront familières à ceux qui ont étudié les Plans d’Ajustement Structurel concoctés, pour les pays d’Afrique Subsaharienne au cours des années 80 et 90, par les Institutions de Bretton-Woods (FMI et Banque Mondiale).
Autre élément remarquable du document : dans l’avant-propos de Salam Fayyad comme dans la conclusion du rapport, il n’est nullement écrit que la fin de l’occupation est une condition nécessaire pour le succès des projets défendus. On y parle seulement « [d’] étapes à franchir rapidement dans l’esprit des points d’accord trouvés à Annapolis» (4) et du fait que «le régime d’occupation» ne doit pas demeurer au «statu quo» (5).
En d’autres termes, lors de la Conférence de Paris comme lors de ses nombreuses déclarations quant au «Plan de Réforme et de Développement pour 2008-2010», Salam Fayyad envisage, sous le régime d’occupation militaire, une série de réformes et de projets censés changer les conditions économiques et sociales dans les territoires palestiniens et les conduire vers la paix et la prospérité. C’est ce qu’il convient d’appeler la normalisation de l’occupation et des relations avec l’occupant, a fortiori lorsque plusieurs de ces projets (Tourisme, Zones Industrielles, notamment à Jénine, à l’ombre du Mur) sont envisagés comme portés conjointement par l’AP et par Israël.
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Extrait du Journal de Palestine n° 359

(un merci particulier à Djamal Benmerad qui nous a fait suivre cet article)

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