14 octobre 2011

Des pages inédites sur la guerre de Juillet dévoilées par Berry et narrées par Ali Hassan Khalil (1)
 
 

Traduit par: Dina Chamseddine

En réplique aux informations publiées par le quotidien Al-Mostaqbal, citant Wikileaks, le président de la Chambre Nabih Berri a décidé de révéler au grand jour, des détails inédits sur les circonstances et les contacts politiques effectués durant la guerre israélienne de 2006 et lors des dernières séances du dialogue tenues au Parlement.
Le ministre Ali Hassan Khalil, narre ci-dessous au quotidien Assafir, ses propres notes sur les prises de positions des parties, en cette période
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Geagea prédit une guerre contre le Liban

Durant la séance du dialogue national du 14 mars 2006, les discussions étaient axées sur les fermes de Chebaa et les moyens de fixer leur identité libanaise. Le chef du comité exécutif des Forces Libanaises Samir Geagea s'est alors prononcé avec assurance en disant : « Frères, je propose que nous ayons une approche différente du sujet et puis de passer à la discussion d'autres articles ». Il a commencé à lire des passages de l'accord de la trêve avec "Israël", exprimant des réserves sur certains points. Et Geagea d'ajouter : « mettre un terme aux violations ne peut se faire que par des contacts internationaux. Je ne crois pas que nous disposions d'un équilibre militaire avec Israël. La solution réside alors dans la signature d'une nouvelle trêve, renforcée par une présence internationale de façon à ce que nous imposions 15000 soldats internationaux, pour une période de 25 ou de 50 ans, afin que le Liban soit immunisé. Sinon, nous serons toujours en état de guerre avec Israël et l'occident. La situation est délicate et avec la présence des forces internationales, nous pouvons éloigner l'agresseur, car la guerre s'approche ».

Dès que Geagea conclut, le chef du bloc Futur Saad Hariri réagit : « je comprends cette proposition ».
Le 8 juin 2006, et répliquant à l'intervention de Sayed Hassan Nasrallah sur la stratégie de défense, Geagea a dit : « Sayed Nasrallah se fonde sur l'idée selon laquelle les armes du Hezbollah constituent une sorte d'équilibre de terreur et de dissuasion avec Israël. Cette idée est irréaliste. Les propos sur une offensive prochaine ne sont plus un secret. Les discussions dans les milieux militaires israéliens portent sur la question suivante : devrons nous assener notre coup sur le qui-vive, ou bien attendre un évènement ? Je crois que l'opération est imminente, même s'il est connu qu'ils en payeront un certain prix. La solution réside dans la convocation de forces internationales, 2500 soldats, renforcés par une couverture aérienne. Ces forces n'agiront pas à l'amiable. En Kossovo par exemple, les serbes ne peuvent plus revenir, car les compétences des forces internationales munies en avions et en flottilles, leur permettent d'user de la force contre les deux parties du conflit. Profitons de l'opportunité de cette alternative aux armes, pour que cela ne soit pas imposé par la guerre.

Sayed Nasrallah réplique à Geagea

Le secrétaire général du Hezbollah Sayed Hassan Nasrallah a répondu à Geagea: « (...) dire que l'arsenal de la résistance ne dissuade pas Israël est inefficace et inexact. Pour que je sois clair, nous avons une façon d'agir qui empêche l'ennemi de déterminer le timing de la bataille. L'important est de faire sentir à l'ennemi qu'il payera un lourd tribut pour toute aventure militaire. D'ailleurs les compromis d'avril et de juillet ont consacré l'importance des roquettes dans la protection des villages et des infrastructures de base, car elles menaçaient les colonies de l'ennemi ».
Et Sayed Nasrallah d'expliquer : « Le Hezbollah ne veut pas une guerre régionale globale et je ne dis pas que la résistance seule peut défendre, mais aussi l'armée Libanaise ».

Le président Berri intervint alors : « j'insiste à ce que l'armée soit présente aux côtés de la résistance. Chacun des deux assume son rôle dans le combat. Il n'a été et ne sera jamais question d'antagonisme entre eux deux. La confrontation exige les potentiels de tous ».

Sayed Nasrallah a poursuivi : « l'israélien mise sur la séparation entre l'armée, l'Etat, le peuple et la résistance. Pour ma part je soutiens l'avis du président Berri et je dis que nous devons tous faire partie du même rang. Quant à l'expérience des forces internationales de Kossovo, je rappelle que la ville a été placée sous la direction des Nations Unies, alors que le Liban ne le sera jamais. Et puis Israël sera-t-il soumis au chapitre 7 du Conseil de Sécurité ? Cela s'avère impossible ».

Le président Berri est intervenu : « je vous rappelle que le siège des Nations Unies à Qana a été bombardé, causant le martyr de 102 personnes. Les Nations Unies ont adopté une résolution, imposant à Israël de payer le coût de la reconstruction des bâtiments. Il a alors refusé de payer la somme d'un million de Dollars. Ni le chapitre 6 et ni le 7 ne le dissuadent. Le problème avec l'occident et l'Amérique c'est qu'ils considèrent Israël comme une exception, sur lequel les résolutions internationales ne peuvent être appliquées. La résistance est la seule solution possible pour remédier à cette situation. L'arsenal de la résistance est l'essence de l'affaire et son enjeu est d'achever la libération des territoires occupés et la protection du Liban. Nous ne devons pas craindre Israël. Oui l'Occident lui accorde un grand intérêt car il dérange Israël. Que les Nations Unies exercent des pressions sur Israël pour retirer ses forces de Chebaa et livrer tous les détenus et puis on en discutera ».

Hariri : la Syrie confuse à l'issue du retrait israélien

A ce moment, le premier ministre Fouad Siniora prit la parole : « revenons à l'origine de la question. Les Libanais veulent un accord clair autour des armes. Ils veulent savoir qu'au cas où les fermes de Chebaa seraient libérées, qu'adviendra-t-il aux armes? »

De son côté, le chef du bloc Futur Saad Hariri a dit : « au lendemain du retrait israélien en 2000, les Syriens étaient dans un état de confusion et d'insatisfaction ; c'est alors que la question des fermes de Chebaa est née. Nous ne devons pas sous-estimer les gens pour qu'ils ne le fassent pas de même. Nous devons assumer nos responsabilités ».

Le président Berri riposta : « ton intervention n'est pas convenable. Il parait que tu n'as pas entendu les explications que j'ai fournies au sujet des fermes et de leur propriété ». (Le président Berri avait préalablement fait un exposé détaillé sur la question des fermes).

Les évènements politiques du 12 juillet 2006

« Vers 9h du matin, en route vers le Parlement où se tenait la réunion des commissions parlementaires conjointes en présence de l'ancien ministre El-Fadel Chalak, pour débattre des projets concernant le Conseil du développement et de la construction, j'ai reçu un appel téléphonique du président Berri, me pressant de joindre le premier ministre Fouad Siniora au Grand Sérail, pour s'entretenir avec lui de la position Libanaise, à la suite de la diffusion des nouvelles sur l'opération de l'enlèvement des deux soldats israéliens. Le président Berri s'était auparavant concerté avec Siniora à ce propos et avait entendu un discours qui fait assumer la responsabilité de la suite des évènements au Hezbollah.

Je me suis dirigé au Grand Sérail où j'ai attendu quelques minutes dans la maison attenante au bureau de Siniora, et où j'ai eu l'opportunité de m'informer par téléphone sur la situation au Sud, scène de bombardements intenses. Siniora est venu à ma rencontre, au moment où hajj Hussein Khalil sortait de son bureau, sans m'apercevoir.

Siniora paraissait tendu, énervé, incapable même de retenir les papiers dans les mains. Il me dit : « Le Liban ne supporte pas ce qui est arrivé, nous n'avons pas été prévenus et donc je n'assumerai aucune responsabilité. Je serai clair : nous n'avons pas été au courant de ce qui s'est passé (l'enlèvement des deux soldats israéliens) et donc nous n'assumons aucune responsabilité. Ce qui s'est passé est dangereux et fournit des alibis à Israël. Je demanderai que les deux soldats soient livrés à l'Etat, sinon l'affaire prendra une tournure dangereuse. Le pays sera saboté et le Hezbollah en est responsable. Nous devons tous exercer des pressions ».

J'ai répondu à Siniora : « Nous sommes tous responsables face au défi. Et il est naturel que tu ne sois pas mis au courant de l'opération. Nous aussi on l'ignorait et je crois que le cas de la majorité des responsables du Hezbollah l'avait été aussi, vu la nature de l'action de la résistance ».

Siniora a indiqué : « Sayed (Nasrallah) avait dit à la conférence du dialogue qu'il ne mènera pas d'opérations. Nous avons été trompés ».

J'ai répondu : « Je me rappelle que Sayed Nasrallah avait dit qu'il était engagé à œuvrer pour libérer les détenus en Israël...et l'opération est l'un des choix visant à les libérer ».

Siniora : « Je ne détruirais pas le pays en leur faveur »

J'ai alors ajouté «l'opinion du président Berri est que nous étudions calmement tous les choix, car tout discours condamnant l'incident sera au profit d'Israël, qui exploitera nos divergences. Il a de même souhaité qu'aucune position ne soit annoncée. Quant au suivi de la question des prisonniers, laisse l'affaire ouverte aux contacts et évite toute confrontation interne, car nous voulons t'épargner une confrontation externe ».

Siniora : « J'ai effectué quelques contacts et reçu d'autres. Tous mes interlocuteurs nous font porter la responsabilité de l'escalade. Bellegrini (commandant en chef de la Finul) m'a dit que la ligne bleue a été violée durant l'opération. J'ai mis hajj Hussein Khalil au courant de ce fait et je veux que vous l'annoncez ».

Siniora a ensuite abordé le coût et la dureté de la confrontation, car selon lui, les choses ne peuvent être vues sous un seul angle. Il dit : « J'ai informé El-Khalil (hajj Hussein), qu'ils doivent déclarer qu'ils me livreront les prisonniers pour que je puisse prendre l'initiative de résoudre le problème dans l'immédiat, par le biais des contacts politiques et diplomatiques ».

Michel Sleiman semblait cohérent


Une réunion ministérielle fut tenue au Grand Sérail, durant laquelle les discussions ont pris la même tournure que celle de mon entretien avec Siniora. Les participants y ont souligné la nécessité que le Hezboollah assume ses responsabilités, qu'il adopte une nouvelle position et qu'il renonce à l'opération de l'enlèvement.

De retour à Ein-Tineh, les informations sur la guerre affluaient et les préparatifs sur le terrain étaient en cours ; Le président Berri donnait ses directives au département du Sud du mouvement Amal pour qu'il soit en état d'alerte et de vigilance. Il interroge sur les préparatifs des opérations de secours et sur le bombardement du pont Kassmieh. Les ministres Mohammad Jawad Khalifeh et Talal Sahli l'informent qu'une réunion du gouvernement est prévue vers 5h de l'après midi au siège provisoire du cabinet, au Centre-ville.

Il donne alors ses instructions sur deux questions : ne pas parvenir à un clivage qui bloquerait le gouvernement et se focaliser sur les agressions israéliennes, sans émettre de condamnation contre l'opération de la résistance. Il a par la suite contacté le commandant en chef de l'armée, le général Michel Sleiman qui semblait cohérent et lui a signifié la nécessité que l'armée remplisse ses obligations.


Le président Berri reçut l'appel du député Saad Hariri en visite en Chine, qui a tenté de donner l'impression d'être touché par les développements. Mais il a adopté le même discours de Siniora, dénonçant le timing de l'opération.

Le président Berri avait ce jour-là un rendez-vous avec le représentant personnel du secrétaire général des Nations Unies Guire Pederson, dont l'attitude était négative, et qui lui a implicitement suggéré de prendre distance avec la confrontation. Il dit : « Nous condamnons l'opération d'enlèvement, acte dangereux sans précédent, qui expose le pays à une situation difficile. Le Hezbollah doit immédiatement livrer ses armes après avoir violé la ligne bleue et s'il ne relaxe pas les prisonniers israéliens sans conditions, Israël sera autorisé à agir à sa guise. »

Piederson a ajouté qu'il avait contacté les leaders libanais, y compris le général Michel Aoun, le mettant en garde contre l'appui du Hezbollah.

Le président Berri a répondu : « Oui, les dangers existent, je ne nie point que nous sommes face à un défi, mais abordons la réalité des faits. La résistance est légitime et la libération des prisonniers fait partie de ses activités. Je ne défends pas le timing, mais plutôt le principe. Tant que l'occupation et les prisonniers existent, la résistance existera. Je vous ai appelé et vous en particulier à plusieurs reprises depuis l'an 2000 à nous livrer les cartes des mines, mais sans résultat. Israël ne respecte personne, comment libérer alors les prisonniers ? Donnez-moi une solution pour que j'approuve vos propos. Je vous recommande de ne pas prendre de position hâtive. Je vais m'entretenir avec le Hezbollah et je crois qu'on pourrait parvenir à un compromis. Et je peux assumer la responsabilité dire que le Hezbollah est prêt à un cessez-le-feu, mais l'israélien l'est-il ? ».

La réplique de Piederson fut rapide, comme si elle était préparée à l'avance : « La solution réside dans la libération des soldats captifs, le déploiement de l'armée et l'exclusivité à l'Etat de contrôler le Sud Liban».

Piederson sortit sans parvenir à un accord, mais les deux sont convenus de rester en contact.

Berri aux ministres d'« Amal » : la limite de nos positions est de ne pas faire exploser le gouvernement

Durant la réunion du conseil des ministres dans la soirée du même jour, le différend a atteint un point culminant entre le premier ministre Siniora d'une part et les ministres du Hezbollah et du mouvement Amal d'une autre part. Siniora avait insisté sur la publication d'un texte qui nie toute connaissance et responsabilité du gouvernement quant à l'opération. Des contacts ont été effectués et le président Berri a signifié à ses ministres que le plafond de leur position était d'émettre des réserves sur le texte proposé, sans créer de problème qui pourrait faire exploser le gouvernement, car selon ses propos, la priorité est accordée à une  position unanime en cet instant, en dépit de l'amertume des propos prononcés durant la réunion.

Le président Berri a souligné à ses ministres la nécessité de rappeler la teneur de la déclaration ministérielle qui évoque la légitimité de la résistance et d'agir posément tout en affirmant qu'au cas où ce principe est dépassé, la vision est claire : « notre position est homologue à celle du Hezbollah et du président Emil Lahhoud ».

Hussein Khalil fut informé dès son arrivée dans la soirée à Ein-Tineh : « voici notre orientation qui sert notre intérêt ».

Cependant, le premier ministre semblait convaincu par l'attitude des ambassadeurs. Il avait indiqué avoir clairement entendu les propos de Guire Piederson, de Bernard Emié (ambassadeur de France au Liban) et de Jeffrey Feltman(ambassadeur des Etats Unis), qui lui avaient affirmé que « la situation a atteint un tel niveau de gravité, qu'il faut désormais prendre une position nette ». C'est alors que fut publié le communiqué du gouvernement annonçant qu'il n'était pas au courant de l'opération de capture , qu'aucune responsabilité ne lui incombe et qu'il n'approuve point les évènements en cours près des frontières internationales....

Hussein Khalil : le timing de l'opération était du ressort de nos frères sur le terrain

Le président Nabih Berri avait écouté dans sa demeure la conférence de presse tenue par Sayed Hassan Nasrallah et en a commenté la netteté et la fermeté des propos, ainsi que les signaux positifs adressés aux autres patries. Hajj Hussein Khalil était présent et a rapporté au président Berri la missive suivante de la part de Sayed Nasrallah : « nous avons reçu le message de Siniora et l'avons bien écouté. Nous vous disons que nous ne voulons pas la guerre, mais que nous nous sommes préparés au combat. Nous réclamons une opération d'échange des captifs pour laquelle les canaux sont ouverts. Mais nous refusons catégoriquement de les livrer au gouvernement libanais et ce pour ne pas embarrasser l'Etat au cas où Israël ne s'engage pas. Nous sommes prêts aux négociations indirectes et nous n'envisageons pas d'escalade. Mais nous ne l'annoncerons pas et nous ne réclamerons pas d'accalmie ».

Le président Berri de répondre : « J'insiste à ce que le discours politique n'affecte pas l'unité nationale en une telle conjoncture ». (Des responsables du 14 Mars, dont le président Amin Gemayel, le député Boutros Harb, Samir Geagea et Fares Soueid, avaient commencé de s'interroger sur le timing et les objectifs de l'opération).

Le souci du président Berri était de pouvoir faire face à toute possible opération de déplacement, alors que hajj Hussein Khalil a exposé les détails de l'opération en disant : « le timing était du ressort de nos frères sur le terrain. Même le commandement du parti l'ignorait, puisque les instructions étaient données pour observer les points faibles de l'ennemi tout au long de la zone frontalière. Le groupe qui a captivé les soldats surveillait la zone depuis plusieurs jours, comme d'habitude. Et quand il a déterminé une cible, les instructions du commandement étaient rapides. Agir. »

Il poursuit : « Lorsque l'israélien a réagi, les combattants étaient dans un lieu sûre, et je t'assure qu'en ce moment les captifs se trouvent dans un lieu que l'israélien ne peut point atteindre. La réaction de l'israélien dans la région l'a plus lésé ».

Réitérant les propos de Sayed Nasrallah, hajj Khalil a affirmé que le Hezbollah ne veut pas d'escalade. « Si un cessez-le-feu est proposé, nous ne le refusons pas, tout comme des pourparlers indirectes » a-t-il conclu.

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