Samira Karkar: « Une semaine, et je le ramène pour pas qu’il fatigue trop » !
Dix huit ans après notre « Appel pour le retour de Salah Karkar dans sa famille », nous lançons un nouvel appel pour le rétablissement de Salah Karkar, dans ses droits les plus élémentaires, de citoyen tunisien, hier réfugié politique et aujourd’hui résidant régulièrement en France !
Rappelons le contexte politique de l’époque : Ahmed Manai
Samira Karkar: « Une semaine, et je le ramène pour pas qu’il fatigue trop » !
Dix huit ans après notre « Appel pour le retour de Salah Karkar dans sa famille », nous lançons un nouvel appel pour le rétablissement de Salah Karkar, dans ses droits les plus élémentaires, de citoyen tunisien, hier réfugié politique et aujourd’hui résidant régulièrement en France !
Rappelons le contexte politique de l’époque :
Salah Karkar, activiste islamiste notoire dans les années 70 et cofondateur du mouvement de la tendance islamique (MTI) en 1981, président de ce mouvement en 1987, fuit la Tunisie la même année pour se réfugier en France où il obtînt l’asile politique en 1988. Entre temps il est condamné à mort par contumace dans son pays.
Le coup d’Etat du 7 novembre 1987 du Général Ben Ali, à l’époque premier ministre, permit à de nombreux réfugiés politiques islamistes, dont Hamadi Jebali, l’actuel secrétaire général du Nahdha, de rentrer au pays. Salah Karkar et certains de ses camarades cofondateurs du MTI, comme Habib Mokni, ou des dirigeants en vue tels que Lazhar Abab, Fouad Mansour Kacem, Abdel Majid Mili et d’autres demeurèrent en exil, le premier parce qu’il a été rattrapé par une autre affaire de coup d’Etat, fomenté par le MTI, et dont l’exécution était prévue pour le 8 novembre 1987, le second, par méfiance du nouveau locataire de Carthage et les autres pour convenance personnelle.
Cette affaire, dite « Groupe Sécuritaire », dans laquelle 156 militaires, policiers, douaniers et civils furent impliqués, n’eut pas de suite judiciaire et connut un dénouement politique heureux. Entre 1988 et 1989 tous les membres du groupe sécuritaire et les derniers prisonniers du MTI, à leur tête Rached Ghannouchi, sont libérés et par la suite amnistiés.
Le nouveau pouvoir prit de nombreuses mesures pour décontracter le climat politique dans le pays, y compris vis-à-vis du MTI- Nahdha(1988), mais n’alla pas jusqu’à sa légalisation. Après les élections législatives d’avril 1989, auxquelles Nahdha participa indirectement en soutenant des listes indépendantes, Rached Ghannouchi, en désaccord avec ses camarades, choisit de s’exiler et se retrouve, au bout de deux années, dans une double confrontation, avec Salah Karkar, d’un côté …et le pouvoir tunisien de l’autre.
C’est qu’entre-temps, ce dernier révéla avoir découvert, au mois de mai 1991, une deuxième tentative de coup d’Etat du mouvement islamiste et se lança dans une politique de répression féroce, à coup d’emprisonnements et de torture. Des centaines d’islamistes durent fuir le pays et se retrouvèrent l’objet de surenchères entre les diverses factions rivales de leur mouvement, dans les pays d’accueil.
En 1993, un accord entre Ben Ali et Charles Pasqua, le ministre français de l’intérieur, conduisit ce dernier à prendre, en date du 11 octobre 1993, deux mesures contre Salah Karkar. La première, « d’expulsion pour nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat et la sécurité publique » ;
Et la seconde : « d’assignation à résidence dans le Finistère, dans l’attente que soient réunies les conditions de l’expulsion ».
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En même temps, la direction d’Ennahdha, reprise en main par Rached Ghannouchi, préparait une exclusion de salah karkar du mouvement dont il était cofondateur, mesure qu’elle dut sursoir à son exécution et qu’elle ne rendit officielle qu’en 2002.
Depuis octobre 1993, Salah Karkar vit un exil dans l’exil, sans carte de résidence, ni couverture sociale, et ne doit son retour dans sa famille qu’à l’attaque cérébrale dont il fut victime en 2005.
La famille Karkar a multiplié les recours devant le Conseil d’Etat, la Cour de cassation, la Commission des droits de l’homme des Nations unies. Sans succès. Les autorités françaises campent sur leur position et considèrent toujours Salah Karkar comme un homme dangereux pour la sécurité de la France.
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Or les choses ont changé en Tunisie depuis le 14 janvier2011. Le mouvement Ennahdha, longtemps pourchassé, est légalisé et ambitionne de prendre le pouvoir par les urnes, après avoir longtemps cherché à le prendre par la force. L’accord entre les Etats Tunisien et Français, concernant Salah Karkar, devrait être caduc et ce dernier devrait récupérer son statut de résidant tunisien en France. Son vœu le plus cher ainsi que celui de sa famille, exprimé par Samira, son épouse, est qu’il puisse rentrer dans son pays, juste pour une semaine et revenir en France pour y passer le restant de sa vie!
Il est de notre devoir de l’y aider :
Ahmed Manai
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Coordination pour la Défense des Libertés en Tunisie
(CDLT)
25, rue des Rossays. 91 600 Savigny/ Orge
Tél : 69 05 75 76- Fax : 69 44 06
Savigny/ Orge le 31 octobre 1993.
Appel au Retour de Salah Karkar dans sa famille
Le 11 octobre 1993, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire français a signé à l’encontre de Salah Karkar deux arrêtés :
Le premier : « d’expulsion pour nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat et la sécurité publique » ;
Le second : « d’assignation à résidence dans le Finistère, dans l’attente que soient réunies les conditions de l’expulsion ».
Le 30 octobre 1993 à 9 heures du matin, la police française arrête Salah Karkar à son domicile et le conduit dans l’île d’Ouessant, au large de Brest.
Salah Karkar est un citoyen tunisien, dirigeant du mouvement Ennahdha, qui réside paisiblement en France depuis 1987 et y jouit de l’asile politique. Durant cette période, il n’a jamais eu de démêlés avec la justice de son pays d’accueil.
Il a été, par contre, constamment pourchassé, comme nombre d’opposants tunisiens réfugiés à l’étranger, par les autorités de son pays dont l’un des objectifs avoués de leur politique étrangère est de neutraliser l’action des opposants qui militent en faveur de la démocratie et des libertés. Cet objectif est confirmé par les déclarations publiques des plus hauts responsables tunisiens.
Salah Karkar figure sur une liste d’une cinquantaine de tunisiens dont l’extradition est demandée par les autorités tunisiennes à la France. Au cours de l’été 1992, Ahmed Kedidi, ancien député et membre du parti au pouvoir du temps de Bourguiba, a ainsi failli être livré au gouvernement tunisien.
Les signataires :
Condamnent le fait qu’un réfugié politique soit inquiété sans justification et sur la base de simples allégations d’un régime autoritaire.
Exigent qu’il soit mis un terme à l’assignation à résidence de Salah Karkar, afin qu’il puisse retourner dans sa famille, en attendant que la justice se prononce sur le fond de l’affaire.
Considèrent, en tout état de cause, que l’exécution de l’arrêté d’expulsion, vers n’importe quelle destination, mettrait la vie de Salah Karkar en danger, tant est grande la hargne avec laquelle le poursuivent les autorités de son pays d’origine.
Savigny/ Orge le 31 octobre 1993.
Premiers signataires :
Fausto Giudice : journaliste- écrivain ; Gilles Perrault : écrivain ; Mgr Jacques Gaillot : Evêque d’Evreux ; Alain Krivine : Ligue communiste révolutionnaire ( LCR); Djaïz Samir ; Mondher Sfar : Collectif des Communautés Tunisiennes en Europe ; Ali Saïdi : Comité de lutte contre la Répression en Tunisie(Evreux) ; Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples( MRAP) ; Younès Othman : Tunisie : Démocratie Maintenant ; Ali Gâalich ; Mohamed Gzara ; Mohamed Nouri ; Malika Manaï ; Bilel Manaï : étudiant ; Abraham Serfaty ; James Tanneau ; Kenneth Brown(Revue des Peuples Méditerranéens) ; Djaïz Sami : conseiller municipal ; Driss Ridha ; Abdel Majid Mili ; Mohamed Ben Salem ; Sassi ;Nasri ; Salem Boulati ; Khaled Ben M’barek ; Nabi Driss ; Ben Tahar ; Chaabane ; Ahmed Ben Amor ; Tarik Ramadhan ( Suisse) ; Dembolla Martin ; Ginette Skandrani ; Alain Lecœur ; Taleb Mohamed : journaliste ; Alice Bserini ; André Wosak ; Ahmed Manaï : Coordination pour la Défense des Libertés en Tunisie( CDLT).
Signatures de soutien à envoyer à Ahmed Manaï :
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Collectif de la Communauté Tunisienne en France
Paris, le 2 novembre 1993
Communiqué
Ce samedi 30 octobre, Salah Karker, membre du parti religieux tunisien Ennahda et réfugié politique en France, vient d’être assigné à résidence surveillée dans l’Ile d’Ouessan dans l’attente de l’exécution d’un arrêté ministériel d’expulsion du territoire français en date du 11 octobre. Cet arrêté reproche au dirigeant islamiste son « soutien à organisation terroriste ».
Notre collectif émet les plus grandes réserves quant au bien-fondé de ces allégations. Rappelons que les autorités tunisiennes viennent de lancer l’été dernier une campagne publique visant à faire taire la voix des démocrates tunisiens réfugiés en France et en Europe, et ce sous prétexte de s’attaquer au terrorisme. C’est ce même procédé qui a été utilisé jusqu’ici pour sévir contre les démocrates sur le territoire tunisien.
Dans un premier temps, les autorités tunisiennes ont arrêté deux émigrés tunisiens : Radhouane Erguez et Soufiane Mansouri. On les aurait accusés d’appartenance à une organisation illégale, voire même de s’apprêter à commettre des actes terroristes. Ces accusations s’étant avérées sans fondement, on leur a prêté des dénonciations contre Salah Karker. Ces dernières allégations de dénonciation se sont avérées à leur tour, aussi fallacieuses que les premières, même aux yeux des autorités françaises.
C’est pourquoi nous considérons que les mesures prises à l’encontre de
Salah Karker comme n’ayant aucune justification. Nous invitons les autorités
françaises à la vigilance quant à la campagne menée par le régime tunisien
contre la démocratie sous prétexte de lutter contre le terrorisme, et ce au risque
de précipiter la Tunisie dans la guerre civile. Car nous considérons que le
meilleur remède contre l’extrémisme quel qu’il soit, c’est le dialogue et le
respect mutuel. _
Notre collectif lance un appel solennel à tous les démocrates et amis de la Tunisie les invitant à réclamer instamment auprès des autorités françaises l’abrogation de l’arrêté d’expulsion contre Salah Karker. Nous exigeons des autorités tunisiennes la libération immédiate de Radhouane Erguez et Soufiane Mansouri qui attendent encore la fixation de la date de leur procès en Tunisie. Nous aurons exprimé ainsi notre foi dans une Tunisie libre, démocratique et pacifique, loin du terrorisme d’Etat, qu’il soit laïc ou religieux.
Le Bureau
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Le Canard Enchaîné :
10 novembre 1993
Notre ami de Tunis veut récupérer des immigrés
Le gouvernement français vient de faire un petit plaisir au président Ben Ali. Depuis deux semaines, Salah Karkar, un responsable islamiste qui a connu les geôles tunisiennes avant de venir en France, est, dans l’attente d’une mesure d’expulsion, assigné à résidence dans l’île d’Ouessant. Vers un pays de son choix, bien sûr.
Cela fait des années que Ben Ali fait demander par ses ministres, ou par son ambassadeur à Paris, l’arrestation et l’extradition vers Tunis de plusieurs dizaines d’islamistes ou d’opposants divers : une cinquantaine au total en 1991 et 1992.
Demandes d’extradition. M. Chaabane m’a annoncé une quarantaine de demandes d’extradition consécutives aux procès de l’été dernier. Ces demandes étaient « en cours d’élaboration » et nous seraient présentées le moment venu. Il m’a rappelé qu’une dizaine de requêtes du même type étaient en souffrance à Paris. Elles concernaient notamment MM. KARKAR et MOKNI (depuis 1987 pour ces derniers).
Extrait du télégramme adressé, au Quai d’Orsay, le 20 octobre 1992, par l’ambassadeur de France à Tunis et faisant état des « revendications » du ministre tunisien de la justice, Sadok Chaabane. On y voit mentionné le nom de Salah Karkar, qui vient d’être assigné à résidence.
Récidive au début de 1993 : le 19 janvier, l’ambassadeur de Tunisie à Paris réclame onze extraditions, dont celles de sept opposants bénéficiant déjà du statut de réfugié politique.
Dans une note interne du Quai d’Orsay, la direction du département Afrique du Nord- Moyen-Orient explique cette hargne par « la volonté des autorités tunisiennes de neutraliser l’opposition en exil ». Enfin une autre note du Quai d’Orsay, datée du 15 avril dernier, rappelle que le frère du président tunisien est un trafiquant de drogue :
Cependant, il convient de prendre en considération le contexte politique actuel des relations franco-tunisiennes, y compris sa composante judiciaire : réactions tunisiennes à la condamnation par défaut à 10 ans de prison du frère du président Ben Ali en décembre dernier.
Mais Paris ne va tout de même pas demander à notre ami Ben Ali d’extrader son frère.
Horizon 94 :
La voix de la Tunisie libre
N° 2 : janvier 1994
Les dirigeants Nahdhaouis se terrent :
L’assignation à résidence de Salah Karkar, la perquisition de sa maison et la menace de son expulsion ont fini de terroriser les dirigeants Nahdhaouis en France. Craignant sans doute pour leur propre sécurité et voulant éviter d’effaroucher les autorités françaises, ils se sont terrés. Aucun geste de solidarité avec leur ami, en dehors de quelques timides et discrets coups de téléphone. Le comble est que le communiqué de R. Ghannouchi à cette occasion, daté du 4 novembre 1993, a été diffusé sous le manteau, avec trois semaines de retard. Cela a valu à certains d’entre eux une savonnade du cheikh depuis Londres.
Démission ? Non, seulement trop préoccupés par la situation au Tadjikistan, en Afghanistan et pour certains au Merrikhstan. Mais sûr que les affaires n’ont pas chômé !
Certains d’entre eux préparent actuellement et en toute fraternité une exclusion en bonne et due forme des instances du mouvement Ennahdha, à l’encontre de leur ex-frère de combat. Il semblerait que la lettre que Salah Karkar leur a fait parvenir ( largement diffusée au Bourget) les a un peu dérangés : qui accepterait de se faire taxer de poule mouillée, même Halal ?
Pourtant, il faudrait s’attendre à de nouvelles commissions rogatoires contre de nouvelles victimes, même celles qui n’ont pas été condamnées jusqu’ici à Tunis, parce qu’il y a une nouvelle loi, qui fait de tout opposant résidant à l’étranger, un terroriste en puissance. Sûr que ceux qui sont incapables de se défendre dans un Etat de droit, le seraient encore plus, dans un Etat despotique.
Ahmed Manaï
PETITION
Nous, militants tunisiens pour la démocratie et les libertés en Tunisie,
Constatant que:
1) Le militant et opposant tunisien M. Salah Karker, réfugié politique en France depuis 1988, se trouve depuis le 11 octobre 1993, sous le coup d’une mesure d’assignation à résidence et d’expulsion « en urgence absolue ».
2) Aucune procédure judiciaire n’a jamais été engagée contre M. Karker et que les accusations de terrorisme portées contre le mouvement incriminé - qui se révèle être Ennahdha, dont il est co-fondateur – n’ont reçu aucun début de preuve devant le Tribunal administratif et le Conseil d’Etat.
Considérant que:
3) Les accusations portées contre M. Karker reproduisent celles que le pouvoir tunisien n’a cessé, depuis de nombreuses années, de porter contre tous ses détracteurs, hommes politiques et militants des droits de l’homme de tous bords et dont le dernier est M. Mouadda, président du MDS, accusé le 20 décembre 1997 de « tentative de coup d’Etat et d’organisation d’actions terroristes ».
Estimant que:
4) M. Karker a droit, dans un pays de droit qui lui a accordé le statut de réfugié politique, à un procès en bonne et due forme, ou, dans le cas où cela n’est pas justifié, à recouvrer sa liberté et une vie normale/
En conséquence:
5) Nous demandons instamment à M. le ministre de l’Intérieur de considérer avec bienveillance la possibilité de lever les mesures administratives prises par ses prédécesseurs à l’encontre de M. Karker.
6) Nous réitérons à M. Salah Karker notre soutien collectif dans son combat pour le recouvrement de sa liberté et de son droit à une vie familiale et professionnelle normale.
COLLECTIF DE LA COMMUNAUTE TUNISIENNE EN EUROPE
1, rue Cassini, 75014 Paris ; Tel. : 01 43 29 68 98
Communiqué
M. Karkcr, .en résidence surveillée à Digne-les-bains, entame une grève de la faim après qu’une surveillance rapprochée lui a été imposée à nouveau.
Paris, le 9 octobre 1997
Nous apprenons que M. Salah Karker,. un des dirigeants du mouvement Ennahda, assigné à résidence à Digne-les-bains, a tait l’objet hier d’une mesure de surveillance rapprochée par les services français. On lui a interdit aussi de quitter sa résidence à partir de 22 h.
M. Karker a écrit à M. le Ministre de l’Intérieur pour protester contre celte mesure, en lui rappelant que cette mesure d’assignation à résidence dure depuis quatre années et qu’elle lui est devenue insupportable. 11 lui a demandé de le relâcher ou de le déférer devant les juridictions françaises au cas où il lui serait reproché un quelconque délit. 11 a informe M. le Ministre de l’Intérieur qu’il entame une grève de la faim jusqu’à ce qu’il soit mis fin à son assignation.
Notre Collectif exprime sa solidarité avec M. Karker, et demande aux autorités françaises de satisfaire les demandes légitimes de notre concitoyen M. Karker.
Nous lançons un appel pressant aux organisations humanitaires et aux amis de la Tunisie à exprimer leur soutien aux demandes de M, Karker en écrivant à M. le Ministre de l’Intérieur.
Contact de M. Salah Karker ;
Hôtel Saint Michel, Chemin des Alpilles, 04000 Digne-les-bains
Tel. : 04 92 31 45 66 ; lfax : 04 92 32 16 49.
Le Président MondherSfar
Ces quelques actions entreprises en faveur de Salah Karkar au cours des premiers mois qui ont suivi son arrestation et son assignation à résidence, à l’Ile d’Ouessant dans un premier temps puis à Brest.
Le groupe composé de Abdel Majid Mili, Ali Gâalich, Mohamed Gzara et Ahmed Manai, lui a rendu une visite de solidarité et de soutien, à l’île d’Ouessant, la première semaine de son assignation à résidence dans cette île française au large de l’océan Atlantique.
Par Lénaïg Bredoux et Mathieu Magnaudeix
Médiapart
lundi 19 septembre 2011
Depuis le salon des Karker, au 7e étage d’une HLM d’Eaubonne (Val-d’Oise), la vue sur le quartier populaire des Dures Terres est imprenable. Ce paysage, Salah Karker le connaît par cœur. L’homme ne sort plus de chez lui. Ou sinon pour de petites balades devant l’immeuble, «quelques minutes seulement, après il a des vertiges», dit sa femme, Samira, qui lui consacre tout son temps.
Salah Karker a 63 ans, mais il fait bien plus. Un accident vasculaire cérébral en 2005 l’a gravement handicapé. Selon son médecin, il est hémiplégique du côté droit, ne peut plus «verbaliser les pensées et les émotions», souffre d’«hypotonie», une intense fragilité musculaire.
Karker fut dans les années 1980 une tête pensante du mouvement islamiste tunisien. Un des fondateurs en 1981 de ce qui allait devenir «Ennahda» (Renaissance), parti interdit sous Ben Ali, à nouveau autorisé depuis la révolution. Mais aujourd’hui, il ne peut plus lire ni écrire, parle avec d’immenses difficultés. Cherche ses mots pendant de longues secondes. Les trouve rarement, tant son vocabulaire est limité. Samira l’encourage. «Que veux-tu dire, Salah?» Il lève les bras, dans un geste d’impuissance, rictus gêné.
Pour les autorités françaises, Salah Karker reste pourtant un dangereux islamiste. Malgré la révolution de janvier 2011 en Tunisie, l’Etat français n’a toujours pas abrogé l’assignation à résidence décidée en 1993 par le ministre de l’intérieur de l’époque, Charles Pasqua. Les anciens chefs politiques d’Ennahda sont revenus d’exil après la révolution, ils sont même candidats aux élections de l’Assemblée constituante, prévues le 23 octobre. Mais la France continue d’avoir peur de Salah Karker. Assigné à résidence à son propre domicile, il ne peut quitter le territoire communal.
Son avocat, Jean-Daniel Dechezelles, a déposé un nouveau recours en février auprès du ministère de l’intérieur. Pas de nouvelles, depuis, des autorités, sauf pour demander des pièces complémentaires.
Contacté, le service de presse du ministre de l’intérieur, Claude Guéant, indique que «la demande d’abrogation de l’arrêté d’expulsion et par voie de conséquence de l’assignation à résidence est instruite par les services», sans faire davantage de commentaires. «Il faut arrêter de m’embêter, de m’accuser, articule péniblement Karker. Il faut me laisser vivre ma vie, maintenant.»«Vivre ta vie, mais quelle vie, Salah? Tu ne peux même plus sortir…», lui répond Samira.
Depuis 1993, Salah Karker n’est plus libre de ses mouvements. Guerre civile en Algérie, attentats… La France vit alors dans la hantise de l’islamisme. Le ministre de l’intérieur, Charles Pasqua, se fait fort de traquer les réseaux islamistes en France. En octobre 1993, le ministre signe de sa main un arrêté d’expulsion en «urgence absolue». «Salah Karker (…) apporte un soutien actif à un mouvement terroriste présent en France et dans d’autres pays européens. En raison de l’ensemble de son comportement, l’expulsion de cet étranger constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat et la sécurité publique.»
Pourtant – et Pasqua le sait bien –, Karker est inexpulsable: condamné à mort en Tunisie en 1987, il a fui et obtenu l’asile politique en France l’année suivante. Le ministre de l’intérieur signe donc un second arrêté qui l’assigne à résidence dans le Finistère. Charge au préfet de lui trouver un point de chute. A l’époque, la France et la Tunisie de Ben Ali travaillent main dans la main pour lutter contre les islamistes – en Tunisie, la répression est féroce, à coup d’emprisonnements et de torture. «Ben Ali était un bon supplétif des Occidentaux notamment dans la lutte contre les islamistes», rappelle Jean-Daniel Dechezelles. Selon lui, l’ordre de neutraliser Karker est venu directement du Palais de Carthage. «C’était un accord tacite entre les deux Etats», dénonce Salah Karker. Une situation absurde, aussi légale qu’arbitraire
Pour le chef islamiste, c’est le début d’une longue succession de résidences surveillées en France. Le préfet du Finistère, Christian Frémont (aujourd’hui directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy à l’Elysée), l’envoie d’abord au large, sur l’île d’Ouessant. Puis le rapatrie sur le continent, dans un hôtel de Brest, avec plusieurs agents des renseignements généraux pour le surveiller en permanence – la facture est alors estimée à un million de francs par an, selon un syndicat de police.
Karker est ensuite expédie à l’autre bout de la France: Saint-Julien-de-Chapteuil et Cayres (Haute-Loire), puis Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), où il restera près de dix ans. «Ils choisissaient les endroits les plus éloignés pour qu’ils soient difficiles d’accès», raconte Jaafar Karker, 32 ans, l’aîné des six enfants de la famille, ingénieur en Suisse. «Une fois, on a même dû sortir des banderoles pour que les RG se décident à venir nous chercher à la gare», se rappelle Samira.
La famille a multiplié les recours devant le Conseil d’Etat, la Cour de cassation, la Commission des droits de l’homme des Nations unies. Sans succès. Tout au long de ces années, Karker est resté dans une zone grise du droit: assigné à résidence sans être sous le coup de la moindre procédure judiciaire. Une situation absurde, aussi légale qu’arbitraire. «Si je suis coupable d’avoir commis des actes délictueux; ma place n’est pas dans une chambre d’hôtel mais en prison. Lorsque je demande ce que l’on compte faire de moi, je n’ai droit qu’au silence», explique-t-il au Provençal en 1995.
Le 15 janvier 2005, Salah Karker fait un accident vasculaire cérébral. La surveillance policière s’est relâchée. De longues heures se passent avant qu’il ne soit emmené à l’hôpital de Digne. L’hémorragie a comprimé le cerveau. Un mois de coma. Les séquelles sont lourdes. Pendant quelque temps, Karker perd la mémoire. Il l’a aujourd’hui retrouvée, en partie seulement.
Malgré ce grave incident de santé, la France n’a jamais abrogé les arrêtés de 1993. Tout au plus Karker est-il autorisé à rentrer chez lui. En 2007, sa femme intente un nouveau recours. «Sa présence est toujours de nature à menacer gravement l’ordre public», lui répond le ministère de l’intérieur. «L’Etat n’annule jamais ses propres décisions. Ce serait reconnaître que la France a pris un jour une décision inique sur le plan juridique et des droits de l’homme», dénonce l’avocat. «C’est injuste… c’est déplorable… c’est absurde… Moi je suis toujours ici, je ne fais que dire la même chose, mais les diplomates français ne veulent pas voir», dit Salah Karker, épuisé – «au bout de vingt minutes, il fatigue», explique sa femme.
Salah Karker n’a ni carte de séjour ni revenus, à part l’aide médicale d’Etat qui prend en charge ses soins. Le couple vit grâce aux dons de ses enfants et au RSA de Samira, à qui la France refuse la nationalité au motif qu’elle vit de prestations sociales et qu’elle soutient «les théories développées par [son] époux». «Si, actuellement, la position officielle de l’organisation Ennadha vise à promouvoir, à travers des moyens légaux et pacifiques, la cause de l’islam en Tunisie, son objectif, à la fin des années 1980, était de s’emparer du pouvoir par les armes afin d’y instaurer un Etat islamique», lui a écrit en avril 2010 un haut fonctionnaire du ministère de l’immigration.
Fondateur en 1981 du Mouvement de la tendance islamique (MTI) devenu ensuite Ennahda, Salah Karker reste comme ses anciens camarades Rached Ghannouchi ou Abdelfattah Mourou un personnage contesté en Tunisie. Dans les années 1980, Karker et ses amis défendaient un islam radical. Karker a été emprisonné trois ans sous Bourguiba, période où la répression anti-islamiste battait son plein. Certains voient la main du parti derrière les attentats des 2 et 3 août 1987 à Monastir et Sousse, dans lesquels treize personnes avaient été blessées.
Mais aujourd’hui, le paysage est bien différent. .Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahda, parti qui pourrait réaliser un score substantiel aux élections à la Constituante du 23 octobre, se revendique d’un islam ouvert, sur le modèle de l’AKP en Turquie. Quant à Salah Karker, il a depuis plusieurs années renoncé à l’Etat islamique. «Il a eu le temps de réfléchir…», dit son fils Jaafar. «Je me suis dit au début des années 2000 que l’urgence, c’était un Etat de droit… que Ben Ali s’en aille», dit Karker. «Il faut laïciser le mouvement islamiste, expliquait-il à Libération en 2002, avant son AVC. Islamiste, je n’aime pas le mot.
Je suis tunisien, musulman pratiquant, démocrate, prônant la séparation de l’Etat et de la religion.»
Ennahda l’a même exclu en 2002, jugeant ses propos trop édulcorés. Il entretient désormais des relations polies, sans plus, avec ses anciens amis.
Vu son état, Salah Karker a de toute façon renoncé à l’activité politique. «Moi je ne fais rien parce que je ne peux ni parler, ni réfléchir.» Quant on lui demande ce qu’il pense de la révolution, son visage s’éclaire. «Je suis content… Ben Ali c’est fini, comme par miracle… La révolution, c’est une joie pour tout le peuple tunisien…. Elle avance tout doucement.»
Salah Karker voudrait juste retourner une fois en Tunisie, ce pays qu’il a quitté en 1988. «Une semaine, et je le ramène pour pas qu’il fatigue trop», soupire Samira. A condition, évidemment, que le ministère de l’intérieur lève enfin l’assignation à résidence à laquelle Karker, prisonnier sans jugement ni prison, est assujetti depuis dix-huit ans.
Mediapart
25-11-2002
قراءة في قرار النهضة فصل صالح كركر من صفوفها
http://tunisitri.wordpress.com/2011/07/26/salah-karkar-qui-sen-souvient/#more-3439/
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