01 octobre 2013

GRAMSCI

Qui sommes-nous, où allons -nous ?

Quelques réflexions inspirées par la lecture de notes du penseur révolutionnaire italien A. Gramsci (1891-1937).
Voir et prévoir

Est-il difficile, sinon impossible, de dresser un tableau objectif d’un état social et économique ? Une sorte d’instantané photographique ou bien, encore mieux, le mouvement de cet objet saisi dans sa complexité, comme le ferait une séquence vidéo ? Avec l’assurance que le plan suivant va arriver en respectant une certaine logique ? Ce que la plupart des experts patentés ne se privent pas de faire, implicitement le plus souvent.
Aujourd’hui il est déjà délicat d’affirmer ce qui fait société, autrement que sur les plans culturel, politique, national et historique bref, idéologiques et encore... : le fait de pouvoir manger dans un Mc Donald ou de porter des jeans sur à peu près toute la planète, au moins dans ses grands centres urbains, ou d’y débarquer dans un aéroport sont-ils suffisants ?
La France ? Douteux tant sa dépendance économique à l’égard du reste du monde est forte. L’Europe ? Non moins douteux, pour la même raison, mais aussi à cause du disparate de ce qui la compose. Le Monde ? Mais c’est certainement trop vaste.
De difficile à trouver, le bel objet que serait la structure devient aussi problématique dans son existence même. Nous tenterons quelques lignes plus bas une possible explication de cet évanouissement apparent.
Si l’on croit savoir à peu près ce que l’on vit, le règne d’il-n’a-pas-de nom..., du monde de la finance, et l’appauvrissement corrélatif du peuple, il flotte pourtant dans l’air du temps en France comme un parfum d’incertitude sur ce que réservera l’avenir
Savoir ou nous allons avec les travailleurs, car il n’y a qu’eux qui comptent... et cela malgré l’écueil rencontré du défaut d’objet. Les travailleurs, entendus au sens large, la grande majorité de la population, ici et ailleurs, comme l’élément essentiel d’une structure introuvable.

Sinon prévoir, au moins voir

Une méthode pourrait être de dresser préalablement l’inventaire de toutes les idées politiques qui circulent, qui s’affrontent dans l’arène, y compris internationale, afin d’en mettre au jour la cohérence interne présupposée et nécessaire. Le tapis sur lequel les pugilistes s’affrontent et l’enjeu de la lutte et, au bout du travail, la réalité objective que chacune reflète de façon plus ou moins bornée dans ses actes et ses discours.
Or si la politique, à chaque moment donné, est bien le reflet des tendances de développement de cette complexité sociale et économique, on ne peut dire de ces tendances qu’elles doivent nécessairement se confirmer, ni si l’une ou l’autre arrivera à évincer ses concurrentes, ou si elles finiront par fusionner dans un compromis.
On ne peut autopsier un organisme vivant
C’est le même problème, mais à rebours, que celui de découvrir le crâne de Voltaire enfant. Car une phase structurale ne peut être concrètement étudiée et analysée qu’après qu’elle est venue à bout de tout son processus de développement. Ce qui est impossible pendant le processus lui-même, ou seulement par hypothèse et à condition de déclarer explicitement qu’il s’agit d’hypothèse.
Alors, quid de la structure d’abord ? Nous risquerons la thèse suivante : si elle est si difficile à repérer, c’est qu’elle n’existe plus à proprement parler, ou plutôt qu’elle est ailleurs ; que ce qui la constitue, c’est l’internationalisation du travail, celle ces forces productives qui se sont substituées aux structures nationales en les absorbant ou, vu par l’autre bout de la lorgnette, ce qui se présente quotidiennement comme la mondialisation.
Comme l’expliquait de façon très concrète et pédagogique Álvaro García Linera, Vice -président de la Bolivie,
Le capitalisme mondialisé et globalisé génère des forces productives chaque fois plus socialisées. La science est de plus en plus une production capitale de milliers de scientifiques... qui a été appropriée de manière privée mais qui, dans son contenu, est produite socialement. De la même manière pour la production. (Il sort un iPhone de sa poche.) Ce téléphone portable, il est le fruit du travail de 3 000 scientifiques qui travaillent pour Apple. Le plastique a été produit en Thaïlande. Les puces au Mexique. Et l’ensemble a été assemblé en Chine. D’où est ce téléphone portable ? De la planète. Mais dans le même temps, il est la propriété privée d’une société nord-américaine qui en fait des profits. Ce qui n’empêche pas que la production est à chaque fois plus socialisée. C’est un horizon : il y a un potentiel de production socialisée, etc.
Autre exemple. Quand K. Marx dévoile la formation et de l’épanouissement de l’objet « Capital » à son stade classique dans l’Angleterre du XVIIIe siècle et début du XIXe siècle, objet constitué et déjà dépassé à son époque. Il n’est pas dans la même attitude que lorsque il analyse « La Guerre civile en France », et en tire des leçons pour les luttes à venir.
Ainsi, pour un géologue expliquer de façon théorique la formation des volcans n’est pas la même chose que prédire pour tel volcan son éruption à tel moment, et cela même s’il tire de nouveaux enseignements de cette éruption quand elle se produira.

Une conception ou un acte politiques peuvent être ou avoir été une erreur

Ce qui précède ne devrait pas permettre aux cercles dirigeants qui en sont d’ailleurs bien conscients s’ils ne sont pas obnubilés, de se penser infaillibles. Les tergiversations récentes, et heureuses, du Président Obama au sujet d’une intervention directe en Syrie sont sans doute à mettre à ce compte. F. Hollande paraît beaucoup plus résolu, mais parce qu’il n’est qu’un second couteau dont la responsabilité n’est pas directe, un pousse au crime.
Erreur de la part des dirigeants des classes dominantes (ou en voie de le devenir), le genre d’erreur que le développement historique corrige à travers les crises parlementaires du gouvernement (ou au sein du parti qui aspire à l’hégémonie), corrige et surmonte.
Impulsion individuelle née d’une erreur de calcul, ou tentatives de groupes visant à conquérir l’hégémonie à l’intérieur du groupement dirigeant – on pense en ce moment à la montée en puissance du FN, qui peut témoigner de quelque faiblesse à cause de ses difficultés internes.
Les erreurs se corrigent... si elles ne sont pas trop graves et ne conduisent pas à l’anéantissement : Tu peux regarder le soleil, mais ce sera la dernière fois.

La nécessité de donner une cohérence à un groupe

Voici un nouveau cas qui peut mener à de graves erreurs. On aborde ici un point essentiel auquel la vie politique quotidienne fournit généreusement des exemples.
Bien des actes politiques sont dus à des nécessités intérieures qui ont un caractère d’organisation, ce qui veut dire qu’ils se rattachent au besoin (parfois maladroitement assouvi) de donner une cohérence à un parti, un groupe ou une société.
Pour prendre un exemple dans le passé lointain, celui de l’Église dans la controverse entre Rome et Byzance sur la procession du Saint-Esprit, il serait ridicule de chercher dans l’organisation de la société de l’Orient européen l’affirmation que l’Esprit saint ne procède que du Père, et dans celle de l’Occident l’affirmation qu’il procède du Père et du Fils.
Les deux Églises, dont l’existence et le conflit dépendent de toute l’histoire, n’ont fait chacune que poser le principe de leur distinction et de leur cohésion intérieure, chacune aurait pu affirmer ce que l’autre a affirmé : le principe de distinction et de conflit aurait été maintenu de même.
Ou, pour revenir à l’actualité politique brûlante, faut-il voir dans la frénésie belliciste de nos responsables politiques la nécessité de maintenir au moyen d’expéditions spectaculaires la cohésion nationale durement éprouvée par leur politique économique ?
Ou encore, pour parler des partis cette fois, l’actuelle et apparente incohérence du PCF à l’approche des Municipales de 2014 et les réactions qu’elle entraîne chez ses partenaires du FdG sont-elles une autre illustration de ce principe ? Il y a évidemment ici un intérêt d’ordre pratique en jeu, les rôles ne sont pas exactement interchangeables comme pour Rome et Byzance, mais est-ce vraiment la seule explication du traitement que le PCF fait de la question ?
C’est ce problème de distinction et de conflit qui constitue le problème historique (ou politique), et non pas la bannière occasionnelle de chacune des parties.

Conclusion : Passé, présent, avenir

L’avenir n’est rien, puisqu’il n’est pas. Il dépend de l’action pratique des hommes : qui peut dire aujourd’hui si dans cent ans la société humaine sera en marche de manière consciente et fraternelle, ou si la planète aura été vitrifiée par l’emploi de l’arsenal nucléaire existant encore, ou si une classe mondiale dominante exploitera une population réduite au stade de sous-humanité, ou etc. ?
Il n’est pas possible de dire de façon symétrique que le passé n’est plus rien. Toute phase historique réelle laisse d’elle une trace dans les phases historiques qui lui succèdent et qui en deviennent, en un certain sens, le meilleur document.
Quand au présent, il est l’unité dans le temps du processus de développement historique : il contient tout le passé, dont se réalise dans le présent tout ce qui est essentiel. Ce qui est perdu et n’a pas été transmis était sans intérêt, ou alors en revêt un seulement pour une autre discipline, et n’est du point de vue de la connaissance problématique du moment actuel qu’anecdote, chronique.

M. Dwaabala, 25 septembre 2013.

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