03 octobre 2013

Vingt ans après Oslo (7). Ivan Segré: Réflexions sur la question palestinienne


Le treize septembre 2013 marque les 20 ans du processus d'Oslo. Il nous a semblé que cela devrait être l'occasion d'une véritable réflexion politique non seulement sur le bilan de ces vingt longues années,  mais aussi sur les différentes perspectives d'avenir que l'échec des promesses de ce processus ouvre  pour la région.Nous avons demandé a plusieurs personnalités de contribuer par leur analyse à ce petit brainstorming
L'Agence Média Palestine, en partenariat avec l'Alternative information Center, publiera ces tribunes durant ce mois, sur l'espace club de Médiapart.
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Par Ivan Segré, philosophe franco-israélien, né en 1973. Il a publié Qu’appelle-t-on penser Auschwitz et La réaction philosémite aux éditions Lignes (2009). Il travaille actuellement à un livre sur Spinoza qui doit paraître aux éditions La Fabrique au printemps 2014.

 Avec le « processus d’Oslo » devait voir le jour une paix entre israéliens et palestiniens fondée sur le partage de la « Palestine historique » en deux Etats, l’un israélien, l’autre palestinien. Avec l’échec de ce processus, un état de fait s’est perpétué, et aggravé. On pourrait être tenté d’identifier l’échec du « processus d’Oslo » à la réussite d’un projet qui lui est antinomique, celui d'un "Grand Israël": la vision politique de l’appareil d’Etat israélien reposerait sur une lecture littéraliste, intégriste et, somme toute, grossière de la Bible. Une telle analyse serait toutefois un contre-sens. Certes, l'appareil d'Etat israélien s'appuie sur le nationalisme religieux; mais il l'instrumentalise, parfois à ses risques et périls, et non l'inverse. Ce qui détermine la politique de l'appareil d'Etat israélien, ce sont des considérations militaires, et non bibliques. On sait du reste que les principaux décideurs politiques en Israël sont issus de l'armée. C'est une conséquence de l'histoire de cet Etat, scandée par trois guerres décisives : en 1948, en 1967 et en 1973.
Or les militaires ont une vision principalement « sécuritaire », et non religieuse, de la politique. Et dans leur optique, les « frontières de 1967 » ne sont pas des frontières, parce qu'elles ne garantissent pas de profondeur stratégique, raison pour laquelle il ne saurait y avoir de partage proprement dit de la « Palestine historique » entre Israéliens et Palestiniens. La viabilité d'un Etat « juif » suppose une majorité juive vivant dans des frontières sûres, donc naturelles, qui doivent s'articuler de manière cohérente avec le territoire qu'il faut défendre: au Sud le désert du Sinaï, au Nord le plateau du Golan, à l'Ouest la mer, à l'Est le Jourdain. Le non partage de Jérusalem, qualifiée de « capitale éternelle et indivisible du peuple juif », traduit symboliquement le non partage de la Palestine.
 Le problème est cependant l'existence, à l'intérieur de ces frontières naturelles, d'une population non seulement étrangère au nationalisme juif, mais jugée hostile. Nommons-les: des "Palestiniens". Les repousser au-delà du Jourdain est irréalisable, pour des raisons morales, diplomatiques et pratiques; mais les intégrer supposerait de facto d'opter pour un Etat binational, ce qui est impossible du point de vue de l'appareil d'Etat israélien, dont la loi est de persévérer dans son être. Alors que faire ? La réponse est simple: rien, précisément ne rien faire, si ce n'est la gestion des affaires courantes, ce qui, en l'occurrence, consiste à sécuriser les populations jugées hostiles; et la meilleure manière de sécuriser des individus jugés hostiles, c’est de les priver de liberté.
 Conclusion : si un semblant d'autorité palestinienne accepte de prendre à sa charge la politique « sécuritaire » qui s'impose, on lui délèguera les affaires courantes; sinon, il n'y aura pas d'autre autorité politique légitime, dans ce petit coin du monde (de la taille d'un département français), que l'Etat israélien.
 Est-ce à dire que dans ce petit coin du monde, il n'y aura pas d'autres hommes libres que les Israéliens ? C'est ici qu'intervient une loi de la pensée. Dans ses Réflexions sur la question juive, Sartre conclut: "Pas un Français ne sera libre tant que les Juifs ne jouiront pas de la plénitude de leurs droits". Peu de gouvernements accordent du crédit aux lois de la pensée. On doit cependant croire que les Israéliens, eux, pensent, et que par conséquent ils sauront s’émanciper de la logique « sécuritaire » de leur appareil d’Etat ; alors ils concluront : Pas un Israélien ne sera libre tant que les Palestiniens ne jouiront pas de la plénitude de leurs droits.
 En attendant, les Israéliens ne sont donc pas libres ; ils sont même plus asservis que les Palestiniens. En effet, qui pense, c’est-à-dire vit sous la loi de la pensée, éprouve que l’asservissement des Palestiniens est sans commune mesure avec celui des Israéliens : les premiers, sachant qu’ils sont asservis, s’emploient à recouvrir leur liberté ; les seconds, s’imaginant libres, s’emploient à perpétuer, et aggraver, leur asservissement.
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Pour poursuivre la réflexion l'Agence Média Palestine et l'Alternative Information Center recommandent le film  "Etat commun, conversation potentielle [1]" de Eyal Sivan 
Un dispositif remarquable  qui met en place des conversations potentielles entre des interlocuteurs palestiniens et israéliens passionnants . Une brassée d'idées nouvelles et de visions originales sur les conditions d' une coexistence. 

Prochainement en salles a Paris ( Projection presse à l'Espace Saint-Michel le Mardi 24 Septembre à 10h30) et en régions voir calendrier ci dessous :
http://www.zeugmafilms.fr/etatcommun.html

Sortie nationale: le 09 Octobre à Paris au cinéma Saint Michel 

Extrait: http://youtu.be/WSaaBtq5DBY
 
http://cineday.orange.fr/images/film/237x_/2013/08/20/un-etat-commun-conversation-potentielle_52129c962a924.jpg
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/03/Delautrecote.gif La revue "De l'Autre Côté"  éditée par  l'Union Juive Française pour la Paix (www.ujfp.org)  publiera un recueil de  ces tribunes .

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