24 novembre 2011

Cageprisonners interview Yassine Ferchichi


Publié le 12 novembre 2011 par Sanâbil




Yassine Ferchichi est un ressortissant tunisien ayant fui la persécution de son pays d’origine. Il a été arrêté et condamné en France pour terrorisme. Sa condamnation a été largement basée sur les déclarations faites sous la torture par M’hamed Benyamina alors en garde à vue en Algérie. En 2009, Yassine Ferchichi a été expulsé vers le Sénégal malgré une décision contraire de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Depuis, il est sans-abri et sans papiers.Bismillahi Rahmani Rahim


Cageprisoners: Pourriez-vous s’il vous plaît vous présenter?


Yassine Ferchichi: Je suis Yassine Ferchichi. Je suis un ressortissant tunisien. J’ai fui la Tunisie le 14 Octobre 2005 pour échapper à la persécution de l’ancien gouvernement tunisien. Je suis allé en Suisse, puis la situation étant trop difficile pour moi là-bas je suis entré en France. Je n’avais pas de connaissances et n’ai pas pensé à demander l’asile politique. Certains Tunisiens que je connaissais m’ont aidé à trouver un emploi. Un jour, le 15 Juillet 2005, nous avons été arrêtés à Paris.


CP: Pouvez-vous nous parler de votre vie en Tunisie?


YF: Tout a commencé par des arrestations et des interrogatoires. J’ai commencé à pratiquer (l’islam) en 2001 et donc à me rendre dans des mosquées, comme n’importe qui. Rien d’autre. Ils m’ont arrêté et interrogé. Je suis devenu malade et fatigué. Je n’ai pas pu trouver d’emploi jusqu’en 2003. Ils y sont allés étape par étape, jusqu’à m’emmener au ministère de l’Intérieur.Ils m’ont emmené à la cave. J’ai été interrogé par deux personnes. Ils m’ont fait visiter des chambres avec du sang. Ils m’ont dit: «Si tu ne coopères pas avec nous, tu sais ce qui va t’arriver ». Deux ou trois mois plus tard … après cette période d’interrogatoire, ils ont mis leurs menaces à exécution. J’ai été tabassé pendant 36 heures. Quand ils m’ont relâché, ils m’ont jeté dans la rue alors que j’étais inconscient. J’ai réussi à appeler mon frère qui m’a emmené à l’hôpital. Comme j’avais des amis en Suisse, j’ai fais une demande de visa. Je l’ai fait discrètement, avant qu’ils ne prennent mon passeport, parce que c’est leur façon de faire. D’abord, ils vous menacent, puis ils vous battent et vous torturent. J’ai obtenu un visa et me suis rendu en Suisse. En Europe, j’ai appris que j’avais été condamné par contumace (en Tunisie). Pourquoi? Je ne sais pas.


CP: Étiez-vous impliqué dans la politique?


YF: Non, je n’étais impliqué d’aucune façon. Je n’avais aucun contact. Je parlais simplement à certaines personnes. Il n’y avait absolument rien.


CP: Vous n’étiez donc pas accusé de quoi que ce soit en particulier? C’était juste parce que vous étiez un musulman pratiquant?


YF: C’est seulement à cause de cela. Les accusations sont un peu ridicules, mais quand vous êtes face à l’Etat, vous n’avez pas la moindre chance. Quand un juge vous dit que vous êtes coupable, vous ne pouvez pas dire: « Non, je ne le suis pas ». Voilà comment c’est. J’ai été condamné trois ou quatre fois. Au total, j’ai été condamné à près de 47 ans. On m’a dit ça en France.


CP: Que s’est-il passé lorsque vous êtes arrivé en France?


YF: En France, j’étais très discret. J’étais clandestin. Je n’avais pas de papiers. J’essayais juste de gagner ma vie ici et là et j’essayais de trouver un emploi pour survivre. Le 15 Juillet 2005, nous étions à Paris et j’accompagnais un ami quand notre voiture est tombée en panne, c’est là que nous avons été arrêtés. J’avais peur, alors j’ai donné le nom de quelqu’un qui était en règle dans le pays. Je ne voulais pas être renvoyé là-bas. Je savais ce qu’il serait advenu de moi. Puis, ils ont commencé: «Vous savez, nous allons vous envoyer là-bas. Vous savez ce qui va se passer ? « Ils voulaient me faire dire:« Oui, ces personnes sont coupables ». Je leur ai dit: « Je ne peux pas vous le dire. Je ne peux pas condamner des personnes à perpétuité ».


CP: Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les circonstances de votre arrestation?


YF: C’était juste un contrôle de routine pour vérifier notre identité. Ils nous ont emmenés à un poste de police à Paris. Ils nous ont fait attendre. J’étais le seul qui était embêté car je n’avais pas de papiers. J’ai essayé de rester calme, ils ne nous ont même pas posé de questions. Ils nous ont emmenés directement au sous-sol de la DST (renseignements français). Puis, ils ont commencé: interrogatoires durant la journée complète pendant quatre jours. La nuit, juste avant de dormir, ils nous emmenaient quelque part ou parfois nous dormions à la DST. Puis, j’ai directement été envoyé en prison.


CP: Comment étaient les interrogatoires?


YF: Comment est ce que j’ai connu telle personne? Ils ont fouillé ma maison. Il y avait un morceau de papier avec mes dettes. Je devais de l’argent à tel ou tel. Ils ont dit: « Non, ce sont les actions que vous donnez à des gens ». Ils m’ont accusé d’avoir financé le terrorisme ainsi qu’une association de malfaiteurs. Je ne savais rien. Ils m’ont dit: «Savez-vous quel juge a ordonné votre arrestation ?» Il m’a dit le juge Bruguière. J’ai dit: « Qui est-ce? » Peut-être voulait-il me faire peur, mais je ne le connaissais même pas. Après les interrogatoires, j’ai été mal conseillé par un avocat. Ils nous ont accusés d’avoir agressé une prostituée pour obtenir de l’argent. Je parle pour moi-même: une personne qui est passée par tout ce que j’ai vécu ne va pas agresser quelqu’un. Quoi qu’il en soit. La prostituée a apporté au juge une preuve médicale. Il a été prouvé que l’évidence était antérieure aux faits dont nous étions accusés. Elle mentait. Je n’ai pas été bien conseillé. L’avocat m’a dit: « Vous voyez, ils veulent vous inculper de terrorisme. Dites-leur que vous l’avez agressée pour obtenir de l’argent afin qu’ils ne vous accusent pas de terrorisme ». J’ai suivi les conseils de l’avocat, mais le contraire de ce qui devait arriver se produisit. Ils ont dit que j’ai commis cette agression afin de financer le terrorisme. Voilà comment c’est arrivé. Je n’avais aucune chance. J’ai passé trois ans et demi dans la prison de Fresnes. Le jour du jugement, ils m’ont condamné à quatre ans afin de couvrir le temps que j’avais passé en détention provisoire.


CP: La DST vous a-t-elle mis sous pression ou vous a-t-elle menacé?


YF: Mmmmmm. Je ne sais pas. Personnellement, je prends ça comme de l’intimidation. Je n’étais pas vraiment maltraité. Mais ils m’ont détruit psychologiquement. La seule crainte que j’avais était qu’ils me renvoient en Tunisie. Je suis maintenant au Sénégal. J’ai refusé catégoriquement de retourner là-bas sous le régime du gouvernement précédent. Je savais ce qui arriverait.


CP: Vous ont-ils menacé de vous renvoyer en Tunisie durant la garde à vue?


YF: Oui. Plusieurs fois.CP: Ils vous demandaient de dénoncer les gens?YF: Oui. Si je ne parle pas, si je ne dit pas la vérité … Mais leur vérité n’est pas la vraie vérité. Ils veulent me faire dire ce qu’ils veulent entendre. Vous voyez ce que je veux dire? Apparemment, pour eux, je n’ai pas dit la vérité. Si je ne dis pas ce qu’ils veulent entendre, ce n’est pas la vérité. Et ces petites choses pour vous humilier comme vous forcer à vous agenouiller …


CP: Ils vous demandaient de vous agenouiller?


YF: Oui. Deux ou trois fois. Mes mains étaient attachées dans mon dos. Ils m’ont forcé à me mettre à genoux. Je n’avais pas le droit de m’asseoir.


CP: Vous ont-ils posé des questions sur M’hamed Benyamina?


YF: Oui, ils m’ont parlé de lui. J’ai même vu son nom sur certains de leurs papiers. J’ai toujours dit la même chose. Je l’ai vu deux fois dans ma vie. Quand je suis arrivé en France, j’ai été accueilli par un français-tunisien, Samir B. Il allait en Egypte pour apprendre l’arabe. Il m’a dit « Je ne serais pas là. Vous pouvez prendre mon appartement, il vous suffit de payer le loyer ». J’ai cherché un emploi. C’était bien pour moi et bien pour lui.


CP: Savez-vous si au cours des interrogatoires, ils ont utilisé des informations données par M’hamed en Algérie?


YF: Je l’ai entendu dire par l’avocat. Il a dit qu’ils ne pouvaient pas prendre en compte le témoignage de quelqu’un interrogé en Algérie. Il n’y avait pas de juge, personne pour assister à l’interrogatoire. Tout le monde sait parfaitement comment ils soutirent des déclarations. Mais je ne sais même pas ce que M’hamed Benyamina a dit. Lors de l’audition avec le juge, ils m’ont montré quelques photos. Ils m’ont demandé: «Connaissez-vous cette personne? » Mais pendant la garde à vue à la DST, ils ne mentionnaient que des noms. Il n’y avait pas photo. Mais je ne connaissais pas beaucoup de gens.


CP: Vous avez donc été placé en détention préventive pendant trois ans …


YF: Trois ans et demi.CP: Pourquoi si longtemps?YF: Aucune idée. J’ai rempli de nombreuses pétitions pour être libéré. Toujours la même réponse. Samir B. a été libéré après un an et demi ou deux ans. Il était libre quand le procès commença. Quant à moi, ils ne voulaient rien entendre


.CP: Étiez-vous sous un régime spécial en prison?


YF: J’étais ce qu’on appelle un « détenu particulièrement surveillé » [DPS]. Je n’ai pas eu le droit de travailler. Je n’ai pas eu le droit à beaucoup de choses.


CP: Étiez-vous dans l’isolement?


YF: Au début j’étais seul. Je n’ai jamais partagé une cellule.


CP: Durant les audiences, qu’est ce que le juge d’instruction vous demanda?


YF: Vous voyez, quand j’y pense, ça me fait rire. Tous les quatre mois, un juge doit vous interroger. Ils ne m’appellent que pour valider la prolongation de ma détention préventive. Il n’y avait aucun véritable interrogatoire. C’était du genre, « avez-vous vraiment agressé cette fille? Vous avez fait ceci, vous avez fait cela ». Il n’y avait rien. Au début c’était un juge et puis un autre, mais c’était la même chose.


CP: Savez-vous si le juge a utilisé des informations obtenues à l’étranger?


YF: Oui. Oui. Oui. Si ma mémoire est bonne, il dit à propos de M’hamed Benyamina, je m’en souviens très bien que, lui, a dit qu’il me connaissait et que j’étais un membre du groupe. Le juge d’instruction m’a dit cela presque deux ans après. J’ai dit que je ne l’ai vu que deux fois. Ils m’ont demandé la même chose a propos de quelqu’un nommé Abderrahmane. Je n’avais jamais vu ou rencontré cette personne. Apparemment, il était en Égypte. Il revint alors que j’étais incarcéré. Je leur ai demandé: «Comment pouvez-vous dire que je suis un membre de son équipe alors que je ne l’ai jamais vu de ma vie et que même lui ne connaît pas mon visage? »


CP: Est-ce Safé Bourada?


YF: Oui! Je pense que c’est son nom. Ils me montraient des photos me demandant «Connaissez-vous Abderrahmane? » J’ai dit non. Le juge a dit: «Cette personne a été arrêtée. Il a fondé un groupe et vous êtes un membre de celui-ci « . J’ai demandé une confrontation avec la personne. Cela n’est jamais arrivé.


CP: Comment avez-vous pris conscience que vous aviez été condamné en Tunisie?


YF: Je l’ai appris quand j’étais dans la prison de Fresnes. Je savais que j’avais été condamné et j’avais peur qu’après ma libération, ils me renvoient directement. J’ai réussi à obtenir les coordonnées de Luiza Toscane. Elle avait des contacts en Tunisie et elle m’a informé des condamnations. Ensuite, j’ai pu entrer en contact avec mon frère qui a réussi à obtenir un avocat afin de faire publier les jugements. Après six mois, nous avons réussi.


CP: Savez-vous de quoi vous avez été accusé en Tunisie?


YF: Il y a une condamnation de huit années parce que j’ai été condamné en France. Il y avait une autre condamnation de 8 ans. Je pense qu’il y avait en tout trois condamnations de huit ans. Ils ont dit que j’avais parlé à des gens qui appartenaient à un groupe qui a préparé des actes terroristes. Juste parler. Cette personne a dit: « Oui, Yassine m’a parlé ». Juste des mots. Je n’étais pas là. Ils ont arrêté des gens en Tunisie et comme je n’étais pas là, la faute a été mise sur moi. La condamnation est énorme, 47 ans. Tout ce que je sais c’est ce qui était écrit sur ces décisions. Même quand ils m’ont arrêté et torturé en Tunisie, ils n’ont jamais posé des questions précises. Pour m’impressionner, ils me disaient: « Vous connaissez tel et tel ». Ils m’ont posé des questions sur quelqu’un que je ne connaissais pas, il est aussi vieux que mon père. J’étais cuisinier en Tunisie. Voilà comment je l’ai rencontré. J’étais dans la mosquée et c’était le mariage de sa fille. J’ai cuisiné pour le mariage de sa fille. Puis, ils ont dit « donc vous connaissez cette personne ». Voila le genre de questions qu’ils me posaient.


CP: En Octobre 2008, votre procès a commencé en France. Comment cela s’est-il passé?


YF: C’était comme au théâtre. C’était formel. Il y avait un procès car ils devaient nous juger. Ils ne pouvaient pas nous laisser plus longtemps en prison sans le justifier. Comme je ne pouvais pas parler très bien français, j’ai pris des cours et obtenu des diplômes en prison. Ceci afin d’être en mesure de m’exprimer lors du procès. Même mon avocat a dit que ce n’était pas équitable. J’ai attendu pendant trois ans et demi et pendant le procès, je n’ai même pas parlé plus de quatre minutes. Le juge a pris mon dossier. Elle cita le nom de telle et telle personne, elle a commencé à me bombarder de faits. J’ai demandé: « Excusez-moi, pourriez-vous poser les questions les unes après les autres, afin que j’aie le temps de réagir? » Sa réponse a été: « Nous n’avons pas le temps ». Même mon avocat a été révolté. Elle a dit: «Il a ce droit au moins ». J’étais là, mais seulement comme une photo.CP: Comment avez-vous réagi lorsque vous avez entendu la condamnation?YF: Franchement, tout ce que je voulais, à cette époque, était en finir et partir car je savais que je n’avais aucune chance de m’expliquer ou de me défendre. Je ne sais pas comment dire. Il y a un dicton en Tunisie: «J’attaque une montagne avec un bâton». Je ne pouvais même pas dire ce qui s’était passé. Et ensuite, vous savez ce qui m’est arrivé … Après avoir reçu ma condamnation, j’ai mis en route le processus pour éviter mon retour en Tunisie. Je l’ai fait avec Luiza Toscane ainsi que l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture). Nous avons rempli la pétition. J’ai demandé trois fois la permission de quitter la prison pour aller à l’OFPRA (Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides). Cela a été rejeté. Je n’ai pas été autorisé à y aller pour une entrevue. Un jour, j’étais dans ma cellule. Ils ont ouvert la porte et ils ont dit: «Vous partez ». J’ai dit: « où? » Ils ont rien dit. J’arrive donc à l’OFPRA. A nouveau juste une mise en scène afin de vous donner vos droits. Vous avez le droit de comparaître, alors ils vous le donnent. Mais après, il n’y a rien de concret.


CP: La France était toujours prête à vous expulser vers la Tunisie. Qu’est-ce qui l’a empêchée?


YF: Les actions que j’ai entreprises avec Luiza Toscane. Nous avons contacté les organisations Amnesty, l’ACAT … Ils ont écrit des lettres à l’Office pour la Protection des Réfugiés et Apatrides et même au ministre de l’Intérieur en France. L’asile ne m’a pas été refusé. J’ai été exclu. Ils reconnaissent que je suis en droit de bénéficier de l’asile, mais puisque j’ai été condamné en France, ils me le refusent. J’ai été condamné à une peine de quatre ans pour terrorisme. Regardez leur hostilité, ils m’ont donné six mois pour vol d’identité, pour la fois ou par peur j’ai donné un faux nom. Et en plus, je suis interdit ( de territoire) en France. J’ai lutté pour obtenir la levée de l’interdiction, mais ils ne veulent rien entendre. Quand j’ai été libéré, ils ne m’ont pas expulsé vers la Tunisie, mais ils ont essayé de me faire signer quelque chose pour m’envoyer au Sénégal. J’ai refusé catégoriquement. J’ai même refusé d’entrer dans l’avion. J’ai été « attaché » de la tête aux orteils. Ils m’ont soulevé comme un sac et ils m’ont mis à l’arrière de l’avion. Il y avait trois personnes pour me surveiller. L’un d’eux est resté assis sur moi jusqu’à l’arrivée au Sénégal. Je suis arrivé à l’aéroport du Sénégal. J’ai attendu. Les policiers sénégalais m’ont pris à l’étage. Je n’avais pas de documents, rien. J’ai été mis direct en garde à vue dans un endroit très sale plein de cafards et de moustiques. J’ai passé cinq jours là-bas. J’ai commencé une grève de la faim et de la soif jusqu’à ce qu’ils m’emmènent à l’hôpital pour me nourrir par voie intraveineuse. Je voulais savoir pourquoi ils m’avaient emmené ici pour me jeter de nouveau en prison. Grâce au médias et a Luiza Toscane qui a suivi mon cas depuis le début, ils ont été obligés de me libérer.


CP: Quand avez-vous su que vous alliez être expulsé vers le Sénégal?


YF: Le jour de ma libération, le 24 Décembre 2009. Comme j’ai étudié, j’ai eu mes diplômes, j’ai eu un bon comportement, ma peine a été réduite. J’ai été libéré. Quand nous sommes arrivés au bureau de la prison, je pensais que je serais mis en liberté ou que je serais envoyé dans un endroit pour les réfugiés ou ailleurs. Les policiers m’ont donné quelque chose. Je l’ai lu. Je ne connaissais même pas le Sénégal. Je ne connaissais personne. J’ai refusé de signer. Ils m’ont donné un stylo et j’ai écrit au bas de la page: « Je refuse de signer jusqu’à ce que mon avocat soit informé».


CP: Savez-vous pourquoi ils ont choisi le Sénégal?


YF: Aucune idée


CP: Pouvez-vous nous dire comment vous avez été emmené à l’aéroport?


YF: Nous sommes arrivés à l’aéroport de Roissy. Ils m’ont mis quelque part pendant deux heures. A l’aéroport, j’ai insisté pour avoir le droit d’appeler mon avocat. Je n’étais plus en prison, j’avais le droit de donner des appels. Je voulais appeler mon avocat pour l’informer. Ils ont refusé. Quand je me suis vraiment mis en colère, ils m’ont emmené à l’étage. J’ai eu les mains attachées dans mon dos et mes jambes bloquées. Ils m’ont mis au sol. L’avocat a demandé à la Cour européenne des droits de l’homme d’empêcher cette expulsion tant que le Sénégal ne donne pas la garantie qu’il m’accepte et subviendrait à mes besoins. La Cour européenne a donné l’ordre à la France de ne pas me déporter au Sénégal. Ils l’ont ignoré et ils m’ont expulsé. Comme excuse, ils ont dit que la demande de la Cour européenne est venue alors que j’étais déjà dans l’avion. Ce n’est pas vrai. Nous avons l’heure à laquelle l’ordre est arrivé et l’heure à laquelle l’avion a décollé. Comme j’ai refusé de monter à bord, le vol a été retardé de 45 minutes. Ils ont mis du scotch partout sur moi. Ils étaient quatre. Ils ne pouvaient pas me contenir, alors ils m’ont mis par terre avec mes mains dans le dos. C’était vraiment humiliant. Je ne sais pas quoi dire.


CP: Que s’est-il passé lorsque vous êtes arrivé?


YF: Comme je vous l’ai dit, au début, ils attentaient les policiers sénégalais. Ils sont venus. Les policiers français sont partis. Ils m’ont emmené à l’étage. Ils ont rempli certains documents. Avant que je passe la porte, ils m’ont mis les menottes de nouveau et je suis monté dans la voiture avec trois personnes. Ils m’ont emmené quelque part, je ne sais pas où. Ils appellent cela le « poste de police du port ». Je jure, que même à des animaux, vous ne pouvez pas faire ça. Je suis resté là pendant cinq jours. Cinq jours sans boire ni manger. Je refusais. À un moment, j’ai prié et je me suis évanoui. Ils ont dû m’emmener à l’hôpital. Ils essayaient de me parler, de me dire que ça allait s’arranger et ils me donnaient des injections. J’ai dit que je n’ai pas demandé à venir et que s’ils voulaient me jeter en prison encore une fois, je préférais mourir avec dignité. Ils m’ont dit que vous êtes ici chez vous … C’était seulement des mots. Ils pensaient que j’étais un gamin. Même maintenant. Que puis-je faire? Je n’ai pas d’argent, je n’ai pas de papiers. Nous avons parlé, les médias sont venus avec un avocat au Sénégal, l’ancien président de l’ONDH (Organisation nationale des droits de l’homme). Il est le seul qui m’ait aidé. J’ai passé 15 jours en face du ministère des Affaires étrangères à Dakar. J’ai campé là. Ils ne s’en soucient pas. Le président de RRADHO (Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme) a eu une réunion avec le ministre. Il a parlé de mon cas. J’ai continué à téléphoner. Même les associations comme Amnesty, la radio … elles se sont découragées. Elles ont tout fait, elles ne peuvent rien faire pour moi. Tout ce qu’elles peuvent faire est d’appeler ou écrire. Puis j’ai arrêté. Je voulais garder un peu de ma dignité.


CP: Vous vous êtes cassé la main. Avez-vous reçu un traitement?


YF: J’ai reçu une mauvaise nouvelle en provenance de Tunisie, de ma mère. J’ai frappé un mur et je me suis cassé la main. L’os est déformé. Il guérit comme cela. Nous avons fait une radiographie. Le médecin a dit que j’avais besoin d’une opération. Ils ont dit que l’opération est coûteuse. Ils m’ont laissé comme ça. Maintenant, je ne peux pas fermer ma main.


CP: Combien de fois vous êtes vous retrouvé sans abri parce que les autorités n’ont pas payé l’hôtel?


YF: Ils n’ont jamais payé l’hôtel pour être honnête. J’avais un peu d’argent au début. Quand j’ai été libéré, ils m’ont demandé: « voulez-vous subvenir par vous-même ou voulez-vous que nous le fassions pour vous? » Je n’avais pas les moyens et je ne connaissais pas l’endroit. J’ai seulement demandé une place pour dormir et je verrais pour le reste. Je suis allé dans un hôtel. Quand il ne me resta plus d’argent, j’ai du les contacter à nouveau. La personne avec qui j’ai été en contact au poste de police appela l’homme en charge de l’hôtel pour le calmer. Ils lui ont dit qu’ils allaient payer. Il leur a fait confiance au début, parce que ce sont les autorités. Cela a duré quatre ou cinq mois, il n’a rien reçu. Il m’a dit, « Mon ami, je ne peux pas continuer. J’ai des patrons, je ne peux pas leur dire que quelqu’un vit ici et ne paie pas ». J’ai dû partir. J’ai pris ma valise et je suis allé directement au ministère des Affaires étrangères à Dakar. Il était quatre heures du matin. J’ai posé ma valise et j’ai attendu. Le lendemain, des policiers m’ont demandé ce que je faisais. Ils m’ont dit que je ne pouvais pas rester là. J’ai dû traverser la route. J’ai traversé la route et je suis resté là-bas. L’avocat que j’ai mentionné est venu. Certains médias sont venus aussi. Parfois, c’est très douloureux. Il y a un titre que je n’oublierai jamais. Un journaliste est venu me parler très honnêtement. Puis, il a écrit: «Un terroriste dans les rues de Dakar». Ils ne se soucient pas de la personne, ils ne se soucient que de la vente. Je ne sais pas comment expliquer. Quand vous arrivez dans un pays, vous ne connaissez personne et les gens vous voient comme un terroriste … Je veux juste être anonyme. Je veux que personne ne me connaisse. Je veux juste vivre ma vie. Jusqu’à quand est-ce que ça va durer? Cela fait presque deux ans de calvaire au Sénégal.


CP: Quelle est votre situation administrative maintenant?


YF: J’ai déposé une demande de passeport tunisien voila près de sept mois. Je suis toujours en attente. Il n’y a rien. Pour être honnête, je veux repartir, mais en même temps, il n’y a pas de gouvernement. Je ne veux pas y aller, passer un mois ou deux, voire un an, puis les voir frapper à ma porte pour me créer des problèmes


.CP: Quelles sont vos conditions de vie en ce moment?


YF: Pfff. Je ne sais pas comment dire. Je n’ai pas de logement, aucun papier et pas d’argent. J’ai vendu tout ce que j’avais. Je n’ai gardé que mon téléphone parce que c’est mon lien avec le monde.


CP: Comment vivez-vous?


YF: Je me débrouille. Il fait chaud, il y a la plage. Je me promène dans les rues pendant la journée. La nuit, je marche. Khair inchaAllah. Dieu est grand.


CP: Comment avez-vous réagi quand vous avez appris la chute de Ben Ali?


YF: Honnêtement, je n’étais pas content pour moi. J’ai été heureux pour le pays


.CP: Et qu’en est-il quand vous avez appris la loi d’amnistie?


YF: Mon frère est allé, et il a réussi à savoir que j’ai été blanchi. Mais vous savez, je n’avais rien fait. Ils m’ont détruit. Après toutes les choses que j’ai dites à leur sujet, pensez-vous qu’ils vont me laisser tranquille?


CP: Alors, vous n’avez pas l’intention de revenir en Tunisie?


YF: Vous voyez, j’ai l’envie mais la peur me fait hésiter. Je ne sais pas ce qu’il adviendrait de moi là-bas. Parce que j’ai parlé. Quand ils m’auront là, tôt ou tard, ils chercheront à se venger.


CP: Quelle est la meilleure solution pour vous?


YF: Honnêtement, je ne sais pas. Je vis au jour le jour. Je ne sais pas: un endroit où je pourrais vivre avec dignité. Je suis un travailleur, je ne suis pas un gamin.


CP: Comment pouvons-nous vous aider?


YF: Franchement, je ne sais pas. Je n’ai aucune idée. Au moins avoir parlé m’a aidé psychologiquement. Cela va m’aider à extérioriser mes sentiments. C’est une double vie. Avec un passé comme le mien, celui que je vous ai décrit, les gens vous regardent bizarrement.


CP: Avez-vous un message pour nos lecteurs?


YF: Le seul message que j’ai est le suivant: Quand est-ce que ça va finir? Quand vais-je avoir une vie normale? Devrais-je payer toute ma vie? Ce n’est pas juste. J’ai été condamné. C’est fini. Ce que la France a fait pour moi, c’est qu’elle m’a fait sortir de sa prison pour me jeter dans une autre énorme ! Kheir inchaAllah.Traduit par Sanâbil.Pour lire l’original:


http://www.cageprisoners.com/our-work/interviews/item/2374-interview-with-yassine-ferchichi

merci à Saied Mabrouk qui a diffusé cet article afin de nous sensibiliser....

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