15 novembre 2011

Texte intégral de l’interview de sayed Nasrallah sur la chaine Al Manar
 
Traduction: Dina Chamseddine

L’interview du secrétaire général du Hezbollah sayed Hassan Nasrallah sur la chaine al-Manar :
 
Q- Vous aviez qualifié les révolutions au sein du Monde arabe de mouvements populaires et vous aviez mis en garde contre les tentatives américaines  visant à les exploiter. Comment le Hezbollah perçoit-il ce spectacle ?
R- Plusieurs mois après le début des révolutions arabes et à travers la communication, les rencontres et les informations que nous avions collectées de sources sures, les réalités sont devenues plus claires et ont confirmé notre vision des faits. Les évènements en cours sont de véritables mouvements nationaux dans chaque pays. Ce qui a débuté en Tunisie et s’est déroulé dans d’autres pays est le résultat de la volonté populaire, et nationale, et n’était pas un projet américain, d’autant que les régimes de ces pays étaient pro-américains, notamment en Tunisie, en Egypte, au Yémen à Bahrein et même en Libye où Kadhafi était soumis dans les dernières années aux Américains. D’où l’impossibilité pour les Etats Unis de faire chuter des régimes qui lui sont inféodés. Seul le régime syrien ne peut être classé dans cette catégorie. En tout cas, dans notre interprétation des faits, nous pensons que ces mouvements sont de véritables révolutions populaires et non un projet américain. Mais les Américains ont tenté de mettre la main sur ces révolutions, de les dévier de leurs parcours souhaités et de leurs objectifs honorables. Ce qui est normal, puisque nous ne nous attendons pas à ce que l’administration américaine cède facilement face au soulèvement des peuples contre des régimes tyranniques, qui lui sont soumis.

Q- Votre éminence, estimez-vous que les Etats-Unis ont réussi leurs tentatives visant à contourner ces révolutions, puisqu’en Tunisie le processus électoral a été entamé et qu’en Egypte les préparatifs sont en cours pour organiser le scrutin ?
R- Dire si les Américains ont réussi leurs tentatives ou non est lié à la nature de leurs objectifs. Parmi ceux-ci, je citerai : réduire autant que possible les pertes,  améliorer leur image auprès des peuples arabes et islamiques, au sujet de laquelle les  récents sondages ont montré le refus et la haine des peuples arabes et islamiques envers les politiques et  la conduite des Américains, qualifiées même de terroriste et criminelle.
Le troisième objectif américain était de participer à la création de régimes alternatifs. Sont-ils parvenus à réaliser leurs objectifs ? J’estime que nous ne pouvons pas encore fournir de réponse, cela apparaitra dans l’avenir. En Tunisie par exemple, les gens ont participé aux élections  et le taux de participation a été élevé, entre 80 et 90% dit-on. Nous verrons le résultat des élections et si la communauté internationale le respectera ou non. Par la suite un nouveau régime verra le jour en Tunisie, à la lumière de la volonté populaire. Cela s’applique à la Libye et en Egypte. C’est donc dans les élections que réside le défi.

Q- Comment  immuniser les révolutions arabes et empêcher les Etats Unis d’atteindre leurs objectifs ?
R- Premièrement par la vigilance des peuples qui doivent être conscients que l’administration américaine n’est point leur amie, puisque elle a  défendu dans le passé les régimes de dictatures et le fait toujours dans d’autres pays. Deuxièmement, par la présence populaire, la participation aux élections et le rejet des « Fatwa » interdisant la participation au vote, puisqu’elle est une des formes modernes d’expression de la volonté populaire. Citons les pays où les régimes ont chuté : la Tunisie, l’Egypte et la Lybie, au cas où leurs peuples maintiennent leur vigilance , suivent de près leurs buts et sont attentifs à leur destin,  je pense qu’ils pourront imposer leur volonté par la prise de conscience, l’entente et l’union nationale, puisque les Américains tenteront d’y exploiter toute divergence interne, qu’elle soit de nature raciale, régionale ,  géographique ou confessionnelle, pour pousser ces pays vers le chaos et la discorde, surtout si les nouveaux régimes  sont  populaires  et ne servent pas les intérêts des Etats-Unis.

Q- La secrétaire d’Etat américaine  Hilary Clinton a déclaré que le danger menace les minorités à l’ombre des révolutions arabes, ce qui a suscité des propos sur l’alliance entre les minorités, face à la majorité. Pressentez-vous un danger sur le destin des  minorités et comment lui faire face ? Est-ce par leur alliance face à la majorité ?
R-Ce sujet est délicat. Il concerne la totalité de la région et nous concerne au Liban en particulier, car ce terme y est beaucoup utilisé. Avant de parler de l’alliance entre des majorités et des minorités, précisons d’abord la nature de la menace et son origine,  et si elle doit  être contrée par une coalition. La principale menace provient de l’existence de « L’Etat d’Israël », qui représente une intimidation à tous les peuples de la région, musulmans, chrétiens, arabes et persans, aux régimes et aux gouvernements. Ce fait est indiscutable. En Palestine, les Israéliens ont visé la démographie du pays, les musulmans et les chrétiens, puisque cette entité prône l’Etat juif pur, l’Etat raciste. La seconde menace provient du projet américain, surtout  au cours des dix dernières années, lorsqu’ils ont voulu établir un nouveau Moyen Orient et ont échoué. Depuis ce jour,  ils tentent de réanimer ce projet, qui a avorté grâce à la lutte et aux sacrifices consentis par les mouvements de résistance et les régimes réfractaires (moumanaa). Le nouveau Moyen Orient qu’ils prônent, est fondé sur la division  de la région en Etats construits sur des bases raciales, confessionnelles et sectaires, toujours en conflit, afin « qu’Israël » demeure la seule puissance, l’oasis de la démocratie dans un environnement de conflits et de batailles. C’est donc «  Israël » et le projet américain qui représentent  la menace principale, non pas seulement pour les chrétiens du Liban et d’Orient, mais aussi pour les chiites, les druzes, les alaouites, et les Ismaïliens. C’est de même un danger pour les sunnites, donc pour tous les musulmans et les chrétiens et tous les peuples de la région.
La troisième menace, et je le dis en toute franchise, découle des courants extrémistes salafistes, « taqfiri », qui adoptent le meurtre comme moyen et approche. Ce danger ne guette pas les chrétiens ou les minorités dans la région ou au Liban. Il pèse sur toutes les composantes de la région. J’ai exposé ces faits pour affirmer qu’il n’existe pas de majorité sunnite qui vise les minorités religieuses ou confessionnelles dans la région. La majorité sunnite ne représente point de menace, puisqu’elle est elle-même menacée, tout comme les minorités religieuses, par le facteur israélien, le projet américain et les courants extrémistes.

Q- Prenons l’exemple des coptes en Egypte, et des chrétiens en Irak.
R- Ce courant extrémiste « Takfiri », qui se désigne par le nom « jihadi », ce qui est incorrect, a ciblé depuis l’occupation américaine de l’Irak, toutes les communautés par les attentats-suicide, les voitures piégées, les assassinats et les meurtres collectifs. Les attentats perpétrés par l’organisation « Al-Qaeda » ont ciblé les lieux de culte chiites et sunnites, les écoles, les marchés. Je rappelle dans ce contexte l’attentat contre la mosquée sunnite de Bagdad « Oum el-Qora », au mois de Ramadan, et les propos de cheikh Ahmad Samourai, président du Wakf sunnite en Irak, qui a affirmé dans un entretien télévisé que 350 imams de mosquées sunnites ont été tués en Irak, par les attentats «  d’Al-Qaeda ». Les régions chrétiennes ont de même été ciblées, tout comme les communautés kurdes et turkmènes. Mais parmi les 4000 attaques déclarées et reconnues par Ayman Zawahiri combien ont-elles visé les Américains ? 200, 300, ou 1000 ? Restent 3000 attentats-suicides perpétrés contre les composantes du peuple irakien, l’armée irakienne et la police. Ce ne sont donc point les minorités irakiennes qui sont visées, mais la totalité du peuple irakien. L’exemple de l’Irak est valable pour l’Afghanistan, le Pakistan et en Somalie.
En me basant sur ces données, j’affirme que nous n’avons pas besoin de coalition entre des minorités, face à une majorité sunnite, mais nous avons besoin d’une large coalition islamo-chrétienne, nationale, qui englobe  toutes les communautés menacées par le facteur israélien, le projet américain et le courant extrémiste salafiste « Takfiri».

Q- Cela est-il applicable ?
R- Oui. En fin de compte, le Monde arabe et islamique renferme de grands leaders politiques et des instances religieuses musulmanes, chrétiennes, chiites et sunnites et d’autres communautés. Il renferme de même des partis, des courants et des mouvements islamiques, notamment sunnites, qui assument une grande responsabilité dans ce contexte. Il s’agit d’ailleurs d’une responsabilité collective commune.

Q- Les évènements s’accélèrent sur la scène libyenne d’une manière dramatique, avec la mort de Kadhafi et la déclaration de la Lybie libre. Comment voyez-vous l’avenir de ce pays ?
R-  Nous sommes heureux pour la victoire du peuple libyen et la fin du conflit. Mais de grandes responsabilités incombent en ce moment au peuple libyen, qui ne changera pas uniquement de régime puisqu’il doit édifier un nouvel Etat et de nouvelles institutions. C’est une grande échéance, qui comprend la reconstruction du système politique, des villes détruites et la réhabilitation des rapports inter libyens, d’où notre appel à la réconciliation  populaire, au pardon et à la tolérance, afin que les blessures ne soient pas exploitées pour instaurer la zizanie au sein du peuple libyen. La seconde échéance concerne la préservation de la souveraineté, de l’indépendance de ce pays et du fait que son peuple puisse profiter de ses ressources naturelles, au moment où les pays membres de l’Otan ont commencé à réclamer leur dû, ce qui nécessite l’existence d’une volonté politique en premier lieu. Pour notre part, nous souhaitons que le peuple libyen parvienne à réédifier son Etat, à préserver son indépendance, tout en soulignant l’importance de la présence populaire, de la participation aux élections, de  l’acceptation de leur résultat, et de l’esprit collectif, unitaire et convivial.

Q- Il est impossible d’aborder le dossier de la Lybie, sans évoquer le sort de l’imam Moussa Sadr et de ses compagnons, le Hezbollah détient-il de nouvelles données à ce propos ?
R- Les Libanais  en général et notamment et les élèves de l’imam  Sadr ressentent en ce moment de vives émotions. Depuis de longues années on disait que la mort de Kadhafi ou la chute du régime libyen représenterait une  opportunité pour relaxer l’imam Sadr ou même révéler son destin.  Désormais, ces deux évènements ont eu lieu et nous sommes devant des jours ou des semaines décisives pour  l’affaire. Jusqu’à ce moment, il n’existe pas d’informations fiables, car les recherches  n’ont pas été achevées. Les inspections devraient se dérouler dans toutes les villes, y compris Tripoli, Syrte, Sabha et autres. En ce moment, le gouvernement libanais et les présidents de la République et du Gouvernement accordent à l’affaire une grande importance,  une délégation officielle a été  envoyée en Lybie et le président Berry attache une attention particulière à ce dossier, tout comme les proches de l’imam Sadr. J’estime qu’avec un tel suivi et l’aide des amis, nous pourrions parvenir prochainement à un résultat, dans cette affaire qui est une priorité sur le plan humain et moral, ainsi qu’au niveau de la lutte, puisque l’imam était le défenseur de la cause de la Palestine et de la résistance palestinienne, et non uniquement celle de la communauté chiite.

Q- Un autre évènement important est survenu la semaine dernière, avec l’annonce soudaine du président américain, du retrait final des forces américaines de l’Irak à la fin de 2011. Dans quel contexte placez-vous cette démarche ?
R- Nous considérons sans aucune exagération, que ce qui se passe en Irak est une véritable victoire pour le peuple irakien, la résistance irakienne et les forces politiques insoumises à la volonté de l’administration américaine. C’est aussi une victoire pour «  l’axe de la résistance » dans la région et pour tous ceux qui ont soutenu le peuple irakien.
Cet événement représente par contre une défaite historique pour les Américains et une victoire pour leurs ennemis, à leur tête l’Iran, selon les termes du parti Républicain américain qui avait mené la guerre contre l’Irak. Cette réalisation historique n’aurait pas eu lieu, si l’Irak avait été un lieu sûr pour les Américains qui auraient installé des bases militaires et légalisé leur occupation. Mais grâce à la résistance irakienne qui a infligé des pertes économiques, financières, humaines et psychologiques aux américains, grâce aussi à la lutte du peuple irakien qui a  consenti de grands sacrifices par le biais notamment des attentats des courants extrémistes, cette victoire a été possible(…). Nous avions toujours incité nos amis sur la scène irakienne à participer au processus politique, tout en poursuivant la résistance, car un parlement et un gouvernement élus par le peuple, soucieux de ses intérêts et non soumis à la volonté des Américains,  pourraient contribuer à la victoire. La résistance, la participation au processus politique sans suivisme, la lutte du peuple irakien et l’appui des pays résistants et ceux qui ont hébergé  les réfugiés irakiens, ont été les principales causes de la défaite du projet américain dans la région.

Q- L’Iran payera –t-il le prix de cette défaite ? Et comment le Hezbollah  lit-il le timing de l’accusation de la soi-disant tentative  d’assassinat de l’ambassadeur saoudien aux Etats Unis, lancée contre l’Iran ?
R- A propos du timing, je cite les informations suivantes : les Américains ont réclamé l’ouverture d’une ligne chaude de communication  permanente avec les Iraniens, mais le commandement iranien a refusé. Ils ont prétendu dans leurs déclarations, qu’ils ont besoin de cette communication pour discuter la situation dans le Golfe, mais le véritable but était la discussion de la situation en Irak et en Afghanistan, où ils considèrent que l’Iran est influent et où ils veulent organiser leur retrait d’une manière qui préserve une partie de leurs intérêts. Le refus des Iraniens a irrité les Américains et les a poussé à fabriquer le dossier falsifié afin d’exercer des pressions sur  l’Iran, d’imposer de nouvelles sanctions  visant à l’attirer à la table des négociations directes, ce que la République islamique refuse toujours(…).
Oui, ce dossier pourrait être exploité pour l’imposition de nouvelles sanctions contre l’Iran afin de l’assujettir, pour accentuer  la tension entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, deux Etats régionaux influents,  et pour lui donner une dimension arabe-persane, et sunnite-chiite.

Q- Certains considèrent que les accusations contre l’Iran visent à paver la voie à une campagne militaire américaine contre ce pays.
R- Les Américains ne sont pas prêts pour mener une nouvelle guerre à cause de leur défaite en Irak et de ce qu’ils endurent en Afghanistan, ainsi qu’en raison de la crise économique et financière aux Etats Unis (…). J’exclus personnellement la possibilité d’une offensive contre l’Iran et j’estime que les menaces sont une forme d’intimidation, et ce qui le confirme, ce sont les propos du ministre américain de la Défense qui a averti les Israéliens de prendre l’initiative unilatérale d’agresser l’Iran et donc de plonger la région dans une guerre que les Etats Unis n’envisagent pas. Nous souhaitons toujours que les frères en Arabie ne soient pas convaincus par  le complot infondé, fomenté contre l’Iran, pour servir les intérêts américains, car toute tension irano-saoudienne ou entre les pays de la région n’est point dans l’intérêt des Etats et des peuples qui s’y trouvent.

Q- Avant de passer au dossier palestinien, nous nous arrêtons sur  celui du Bahreïn où la crise persiste entre le gouvernement et le peuple depuis plusieurs mois. Certains avaient critiqué vos prises de position sur ce dossier, les qualifiant de confessionnelles.  Le Hezbollah adopte –t-il une nouvelle approche a  l’égard de cette révolution ?
R- D’habitude, nous ne nous ingérons pas dans les affaires internes des pays arabes,  et même lorsque les mouvements populaires ont commencé en Tunisie, nous avons reporté l’annonce de notre position car nous avons considéré que c’est une affaire intérieure. Mais quand on a organisé un festival de solidarité, c’était pour se solidariser avec le peuple tunisien, yéménite, égyptien, libyen et bahreïni : nous n’avons donc pas annoncé la solidarité avec une communauté déterminée, chiite ou sunnite, et les événements en Syrie n’avaient pas encore débuté. Nous nous sommes solidarisés avec ces peuples révoltés contre des régimes  tyranniques, inféodés aux américains, soumis à leurs projets et ayant des positions suspectes  au sujet du conflit israélo-arabe.  Quant au Bahreïn, je sens que ce peuple souffre d’une injustice particulière, notamment lorsque sa cause est occultée dans maintes discours et même sur les tribunes de certaines révolutions arabes où l’on cite tous les pays à l’exception du Bahreïn, comme si son peuple n’était ni arabe et ni musulman, ou que son régime était démocratique et élu par le peuple. Toutes les causes qui étaient à l’origine de la révolution en Tunisie, en Egypte et en Libye, existent au Bahreïn, dont,  la nature du régime, ses positions régionales , le système dont il fait partie, l’oppression, l’inexistence d’un gouvernement élu, et même un parlement dont la moitié est des membres sont désignés et dont les compétences sont limitées et confisquées. Tout cela provoque un sentiment d’injustice chez le peuple bahreïni. A ceux qui nous accusent d’adopter la politique des deux poids, deux mesures à l’égard de la Syrie, je les interroge sur les normes sur lesquelles ils se fondent. Je peux facilement justifier ma position différente a l’égard de la Syrie, mais peuvent-ils  justifier la leur, sur le Bahreïn,  sachant que ce qui s’y déroule est un grand mouvement populaire, national et réprimé par la force-ce qui a fait des dizaines de martyrs, des centaines de blessés, de prisonniers,  de la torture dans les prisons, des perquisitions,  même des médecins sont sanctionnés pour avoir traité leurs malades. L’opposition bahreïnie ne trouve même pas des médias afin d’exposer son point de vue, malgré la nature pacifique de son mouvement, au moment où les autres révolutions arabes sont largement médiatisées et sont présentes sur les chaines satellites (…). En tout cas, en dépit de l’injustice et du blocage imposé à ce peuple, j’estime qu’il croit en son droit et qu’il jouit d’une vision claire,  d’une volonté et d’un courage suffisants pour poursuivre sa lutte et atteindre en fin de compte ses objectifs, notamment un Parlement élu, doté de pouvoirs réels.

Q- Quel message adressez-vous aux jeunes bahreinis qui revendiquent leurs droits ?
R- Je n’adresserai aucun message, pour que ce ne soit pas considéré comme une ingérence. Nous exhortons tous les pays à la cohésion interne, à la préservation de l’unité  et à l’harmonie avec le commandement sage qui détermine la nature des démarches à suivre. En fin de compte, le régime  se conformera à la volonté de ce peuple.

Q- Parmi les réalisations dans la région, la réussite du mouvement Hamas dans la libération de 1027  palestiniens contre celle de Gelaad Shalit. Que dites-vous de cet exploit qui a renforcé le bien-fondé  du pari sur le choix de la résistance ?
R- Nous estimons que l’opération d’échange du soldat israélien est un exploit authentique, à partir de la prise en otage du soldat israélien, puis de sa préservation sain et sauf durant cinq ans, à l’écart des Israéliens et de leurs espions et pour finir avec la résistance du peule de Gaza qui a souffert de l’embargo et de l’offensive, sans réclamer la remise de Gelaad Shalit aux Israéliens pour desserrer l’étau autour de la bande. En fin de compte l’Israélien a trouvé que ses efforts sont vains et il a opté alors pour l’opération d’échange. J’ai témoigné que le commandement du Hamas a longuement résisté et a imposé enfin ses conditions. S’il avait fait état de faiblesse dans le suivi de l’affaire il ne serait pas parvenu à ce bon résultat.  Nous considérons donc que l’affaire a été un exploit historique pur, clair et net,  dans tous ses détails et dont l’importance réside dans le fait qu’il a consacré la culture et le choix de la résistance, qui a pu libérer  des personnes condamnées à la prison à vie pour avoir participé aux opérations de la résistance et pour avoir tué des occupants, avec fierté et sans la faveur de quiconque.

Q – Mais une opération d’échange entre 1027 captifs palestiniens et un seul captif israélien ne pose-t-elle pas des interrogations sur la valeur de l’individu chez les Israéliens et celle des Palestiniens et des Arabes en général ? Ce fait ne diminue-t-il pas l’importance de cette opération ?
R- Cette interprétation des faits a pris fin depuis que la résistance palestinienne a accordé l’importance qui lui est due, au dossier des captifs et même aux corps des martyrs et a réussi des opérations d’échange à plusieurs reprises. Cela a confirmé qu’en tant qu’Arabes et musulmans nous sommes soucieux de nos captifs et des corps de nos martyrs, ce qui a minimisé l’importance du décalage entre les nombres des captifs échangés(…).

Q- Vous avez indiqué que l’opération d’échange est une réalisation pure, mais certains disent que son timing résulte de la situation délicate du Hamas sur la scène syrienne, et du fait que le mouvement envisage un repositionnement sous l’égide de l’Egypte après avoir été sous celui de l’Iran et de la Syrie. Donnez-vous cette dimension aux démarches du mouvement ?
R- Les données que j’avancerai sont des informations et non des interprétations, puisque nous suivons de près les dossiers que vous évoquez. Toutes les informations véhiculées dans les medias, faisant état de l’intention du commandement du Hamas de quitter la Syrie sont erronées.  Ni le mouvement Hamas, ni le gouvernement syrien n’envisagent une telle hypothèse. Les efforts pour accomplir l’opération d’échange datent depuis des années, avant le soi-disant printemps arabe. Ils ont été sur le point d’aboutir depuis un an ou plus, mais les concessions faites alors par les israéliens n’étaient pas suffisantes pour le Hamas, ce qui a reporté la date de l’opération. Et lorsque nos frères dans la résistance palestinienne et notamment au mouvement Hamas ont estimé que la formule convenue est adéquate et qu’elle représente une opportunité, ils ont approuvé l’échange. J’encourageais moi-même, lors des concertations avec le Hamas, à accomplir l’opération le plus tôt possible en leur disant : Gelaad Shalit est actuellement vivant, supposons qu’il meurt pour une raison ou une autre, sa valeur diminuera,  supposons encore  «  qu’Israel » réussisse à le reprendre par une opération ou à la suite d’une erreur technique, ce sera une catastrophe. L’attente et le temps ne jouaient pas en faveur de la résistance palestinienne et achever l’opération dans une date proche dans les meilleures conditions était requis. J’affirme aux téléspectateurs, au nom du Hamas, que les considérations humaines ont déterminé le timing de l’échange et non les considérations politiques.

Q- A la lumière de ces développements qui ont remis en valeur «  le choix de la Résistance », comment concevez-vous l’avenir de la cause palestinienne, à l’ombre du discours sur les deux Etats et de l’activité de Mahmoud Abbas aux Nations Unies ?
R- Le veto américain sur l’annonce des deux Etats est déclaré d’avance et pour ces raisons, toutes les tentatives américaines visant à améliorer leur image sont vouées à l’échec, notamment en raison de l’engagement absolu  des Etats-Unis en faveur des intérêts » d’Israël », sur les plans sécuritaire, politique, économique et militaire.
Toute la logique américaine concernant la démocratie, les droits de l’homme, et le respect de la volonté des peuples montre son hypocrisie et sa fausseté lorsque la cause palestinienne est posée. J’estime par contre que l’Etat palestinien indépendant pourrait être approuvé par le vote à l’Assemblée générale de l’ONU et non au Conseil de sécurité, à cause du veto américain. Je pense que jusqu’à ce moment, que les mouvements au Monde arabe sont en faveur de la cause palestinienne, ce qui fait que l’environnement stratégique  «  d’Israël » au sein de la région a subi de grands et de dangereux changements, qui vont à l’encontre  de ses intérêts. A cela, il faut ajouter les mutations internationales, dont la situation économique et financière en Amérique et en Europe,  ces continents alimentant cette entité artificielle, qui vit principalement grâce aux aides. Si les priorités des puissances  changent et qu’elles ne sont plus capables de lui fournir les éléments de force, je pense que cette entité deviendra de plus en plus faible et confrontée au manque d’options. Par la suite, les portes seront ouvertes au peuple palestinien pour qu’il retrouve son territoire et ses lieux sacrés.

Q- Le public  est dans l’attente pour être au courant de l’approche qu’adopte le Hezbollah envers la situation en Syrie et selon quels critères ?
R- Nous exposerons notre point de vue sur la situation en Syrie, en toute franchise, transparence et responsabilité. J’avais ultérieurement indiqué lors de la commémoration  du martyr sayed Abbas Moussaoui à Nabi-Chit  que notre position à l’égard des mouvements populaires arabes et des révolutions est fondée sur les critères suivants, pour ne  pas faire preuve de duplicité : premièrement, selon l’attitude du régime  envers le projet américain, lui est-il complètement soumis, sert-t-il ses intérêts ou non, ou il s’y oppose, refuse ses conditions et lui fait face ? Donc la base est la position du régime à l’égard du projet américain.
Deuxièmement, le chef du régime, est-il disposé à instaurer des réformes ? Si le régime était inféodé au projet américain,  non disposé à effectuer des réformes, et le peuple s’est soulevé contre lui, il est naturel qu’on prenne le parti du peuple, car aucune logique ne justifie le contraire.
Au premier plan,  le régime syrien est-il (moumaneh) réfractaire ? Oui, il l’est. Nous nous rappelons tous qu’à partir de 1982, au moment où les Américains dirigeaient le projet de la liquidation de la cause palestinienne, de transformer le Liban en second Israël et d’imposer un règlement de la crise dans la région, la Syrie a soutenu les mouvements de  résistance au Liban et en Palestine et nous sommes parvenus à faire avorter ce projet. Durant les dix dernières années, le projet américain se renouvelle sous la forme du nouveau Moyen Orient. La Syrie était l’un des pays qui lui ont fait face et a aidé à son échec, non seulement dans l’intérêt du peuple syrien, mais aussi dans celui des peuples de la région et de ceux de la Nation arabe et islamique. Nous nous rappelons tous qu’au lendemain de la chute de l’Irak, Colin Powell est venu en Syrie pour menacer le président Bachar Assad, posant une série de conditions draconiennes. Ce président n’a pas cédé aux pressions, ni à l’intimidation et n’a pas considéré le fait que les Américains sont désormais en Irak, en Afghanistan, au Golfe et dans la Méditerranée,   que l’Union soviétique n’existe plus et qu’ils dominent le Monde.
Il ne s’est pas comporté comme ses homologues arabes qui ont suivi la voie américaine dans le but de préserver leur pouvoir. Il a au contraire poursuivi son appui aux mouvements de résistance au Liban, en Palestine et surtout en Irak où la situation est plus délicate et où la confrontation est directe avec les Américains.  Le président Assad est peut être le seul président arabe qui a utilisé le terme de « la résistance irakienne », qui ne s’est pas assujetti, qui ne s’est pas soumis aux diktats, ni avant et ni après la guerre de 2006. Le régime syrien et son commandement ont donc toujours résisté face aux pressions et sont partenaires dans la victoire des mouvements de résistance. Certains posent la question suivante : pourquoi les Syriens n’ont-ils pas lancé la résistance au Golan ? La réponse à cette question existe et il revient aux Syriens de la fournir. Mais il suffit que ce pays se soit engagé dans l’appui à la résistance au Liban, en Palestine et en Irak, d’autant que cet appui a eu un effet crucial pour les victoires remportées dans ces lieux.
Au second plan : Le président Bachar Assad et le commandement syrien ont déclaré dès le début des mouvements de contestation, leur disposition à effectuer des réformes, en reconnaissant l’existence d’erreurs, notamment lors du discours prononcé par le  président à l’université de Damas, où il a énuméré les dossiers à traiter. Ce président est sérieux et capable d’instaurer des réformes. Il a même commencé à le faire. Mais les faits ont pris une tournure différente, avec l’éclatement des confrontations internes et des pressions étrangères. Et il est apparu que la chute du régime résistant, non l’adoption de réformes et la démocratie, est l’objectif requis. J’affirme en toute responsabilité, au monde entier, que si le président syrien se conforme à la politique américaine  et qu’il s’y soumette, la crise syrienne serait résolue (…). Mais l’objectif est de faire chuter ce régime à cause de ses positions, pour le remplacer par un nouveau ayant une vision différente et étant plus docile. Ce qui suscite des interrogations sur les positions de l’opposition syrienne qui se considère interne. Quel discours adopte-t-elle sur la cause nationale arabe, sur la cause palestinienne ? Aucun, car ses membres ne veulent pas contrarier les Etats-Unis, avec lesquels certains communiquent, information citée par Wilileaks et non encore annoncée. Je ne tiens pas à discuter la question des composantes de l’opposition syrienne car tous ses membres  ne font pas partie de la même catégorie. Il y a donc un régime qui veut instaurer des réformes, mais la situation a dégénéré vers le conflit et il est clair que les réformes entreprises sont rejetées afin de le faire chuter.
Le troisième point sur lequel j’insiste, est la volonté du peuple syrien. L’orientation de la grande majorité du peuple Bahreïni est connue, tout comme celle du peuple libyen, égyptien et yéménite. Mais qu’en est-il  de la grande majorité du peuple syrien ? Nous avons tous suivi les manifestations soutenant le régime, le président Bachar Assad et les réformes déjà établies. Je ne parlerai pas de «  manifestations millionniennes », mais des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue, notamment dans les grandes villes de Damas et d’Alep et dans la majorité des villes syriennes pour soutenir le régime et les réformes entreprises. Ces gens là sont-ils des Syriens ou non ? Les données et les informations qui nous proviennent de nos multiples amis en Syrie, même de ceux dont les relations avec le régime sont mauvaises et qui sont toujours ouverts sur la résistance, nos contacts avec les différentes composantes du peuple syrien, montrent que la majorité de la population est pour les réformes. Ce qui nous permet de dire que nous sommes en harmonie avec les critères que nous avions définis  et avec la volonté du peuple syrien. Ce peuple qui a appuyé son commandement, donc son président, durant les dix dernières années, lors de la campagne américaine visant à contrôler la région. Le régime aurait-il résisté si son peuple ne l’avait pas appuyé ? Ce peuple  et son régime avaient pris le parti de la résistance durant la guerre de juillet 2006 et avaient accueilli des dizaines de milliers de déplacés ? Ce sont aujourd’hui les mêmes qui veulent les réformes. Nul ne tolère que la situation en Syrie demeure sans réformes, même pas le président Bachar Assad, mais tous affirment qu’ils sont pour les réformes, reconnaissent l’existence d’erreurs et demandent du temps pour traiter la situation par la coopération et le dialogue.
En conclusion, je peux dire que nous sommes contre le fait de faire chuter un régime résistant, disposé a établir des réformes, qu’il a d’ailleurs déjà entamées et ce en faveur du peuple syrien, car l’alternative de l’Occident et du camp adverse est ou bien d’installer un régime pro-américain, similaire aux soi-disant régimes modérés arabes, qui répondrait aux demandes d’Israël, ou qui entraînerait la Syrie vers la guerre civile et la division. Tout ceux qui sont soucieux de l’intérêt du peuple syrien, dont la force réside dans son union nationale,  devraient adopter une position refusant les projets ourdis contre sa sécurité, sa stabilité, ses mérites et son importance sur le plan politique régional et national. De là, nous soulignons l’importance de la cessation des confrontations sur le terrain, du retour au calme dans la rue et de l’instauration du dialogue et de la coopération  pour réaliser les réformes. A notre avis, l’intérêt de la Nation, de la Résistance, de la confrontation du projet américano-israélien et du peuple syrien, réside dans ces démarches.  En réalité, et selon le suivi de la situation en Syrie, il s’est avéré qu’une grande partie des informations véhiculées par les medias sur l’ampleur des mouvements populaires ou sur les affrontements, sont infondées et   nos proches ou nos amis en Syrie nous disent que la situation  et le train de vie  sont normaux, dans la majorité des régions de ce pays. Il est vrai qu’il existe certains foyers de tension, mais c’est désormais une affaire interne que je ne veux pas aborder.
Notre position à l’égard des révolutions arabes est donc fondée sur des critères clairs, prenant en considération notre vision de l’intérêt du Liban, de la Nation, du  «  projet de la résistance », de la confrontation avec le projet sioniste, du peuple syrien et de l’importance du rôle de la Syrie,  qui est assuré par le calme, le dialogue et les réformes.

Q- Est-ce pour ces fins que vous protégez le régime en Syrie, en envoyant des milliers de combattants pour le défendre, selon les accusations, démenties à plusieurs reprises par le Hezbollah, mais que l’on insiste à répéter ?
R-  Ces accusations sont des mensonges et des calomnies. Je les avais commentées par le passé, mais malheureusement certains qui se considèrent comme islamistes craignant le Créateur, insistent pour les propager. Qu’ils nous donnent leurs preuves et leurs témoins. Ces accusations sont dénuées de tout fondement puisque nous ne nous ingérons point dans la situation syrienne interne. Nous avons bien sûr notre position politique et médiatique que nous exprimons afin d’expliquer et de clarifier la vision et les choix, sans aucune action sur le terrain. Ceux qui lancent ces accusations, avaient prédit la chute du régime en deux semaines et ce depuis plus de huit mois. L’ambassadrice des Etats Unis au Liban affirme ces temps-ci au 14 Mars, qui parient sur la chute du régime syrien, que l’affaire de la Syrie ne pourrait pas  aboutir en quelques semaines ou mois, mais il lui faut un an ou deux. Le régime syrien et ses partisans ne sont pas faibles pour demander au Hezbollah ou autre d’envoyer des combattants. Toutes ces accusations sont des allégations, sans aucun fondement.

Q- Avez-vous le sentiment que la popularité du Hezbollah commence à diminuer dans le Monde arabe et islamique à cause de vos prises de position ?
R- Tout homme se doit de respecter les constantes auxquelles il croit, et celui qui est persuadé de faire partie d’un grand projet de lutte au niveau de la Nation,(d’ailleurs c’est l’un de nos problèmes avec certaines forces du 14 Mars qui critiquent ce fait), devrait s’engager en faveur de ces constantes indépendamment de la compréhension du large public ou de sa popularité qui n’est pas le but principal.
Nous jouissons d’un grand respect au sein du Monde arabe et islamique à cause de notre lutte, mais nous n’avons pas fait la résistance dans le but d’acquérir le respect ou la popularité. Nous avons combattu afin de libérer la terre, de défendre notre patrie et de mettre en échec le projet d’hégémonie américaine sur la région. Bien que le respect du public nous importe, il ne nous dicte pas  notre  performance et notre ligne de conduite politique, notamment lorsque l’affaire est liée aux intérêts cruciaux et aux  grandes constantes. Je me rappelle dans ce contexte que lorsque les Etats Unis ont envahi l’Irak, nous avions annoncé des positions contre la guerre et l’invasion. Ce qui avait incité des personnalités chiites, chrétiennes et sunnites  à nous critiquer ouvertement et à nous  accuser de prendre le parti de Saddam Hussein. Nous avions alors payé le prix de notre opposition à la guerre contre l’Irak. Mais notre position était en harmonie avec nos constantes et notre conviction quant aux objectifs de la guerre, dont l’occupation de l’Irak, la division de la région et le nouveau Moyen Orient (…). L’engagement envers des constantes pourrait à certains moments influencer l’opinion de certaines parties de la population à notre égard. Ces gens sont libres de nous respecter ou non, mais pour notre part, nous sommes en harmonie avec nos croyances, notre foi, nos valeurs et donc avec nos constantes. Par conséquent, je ne suis pas inquiet à ce propos. En fin de compte, personne n’a effectué des statistiques pour savoir si la popularité du Hezbollah a diminué ou non, mais il est normal que les prises de position en faveur d’une partie déterminée, dans un contexte de clivage au niveau de la Nation,  pourrait affecter l’attitude de la partie adverse à votre égard.

Q- A la lumière de la visite prévue mercredi prochain de la délégation arabe présidée par le Qatar en Syrie, êtes-vous optimiste au sujet de ces tentatives arabes et pariez-vous sur un rôle arabe dans la solution de cette crise ?
R- Je préfère attendre les résultats des rencontres qui auront lieu à Damas, car malheureusement certaines parties arabes exercent des pressions afin de faire chuter le régime syrien et non pour accélérer les réformes. J’ai évoqué plus haut  les parties qui bénéficient  de la chute du régime et celles qui bénéficient des réformes, dont le peuple syrien, la Résistance et la région. Certains arabes exercent l’incitation politique et confessionnelle et tentent de geler la participation de la Syrie à la Ligue arabe et de l’isoler, mais ils ont échoué. D’ailleurs nous verrons les résultats des entretiens de la délégation à Damas.

Q-  Estimez-vous que les pressions arabes peuvent aboutir à la reconnaissance du Conseil national syrien et à assurer une couverture arabe à l’ingérence occidentale ?
R- La ligue arabe n’a pas émis une position en ce sens et j’estime que la formation de la commission arabe reflète une forme d’équilibre et de positivité. J’ai tendance à m’exprimer à ce propos en positivité et nous espérons que nos frères arabes comprendront la complexité de la situation et qu’ils assumeront un rôle positif aidant à établir la stabilité, la sécurité et les réformes en Syrie.

Q- Il semble que vous vous prononcez  positivement sur les efforts arabes  à l’égard de la Syrie, estimez-vous que ce pays a dépassé la période difficile et dangereuse ?
R- Personne ne peut trancher cette question. La Syrie subit encore des pressions, même si la courbe des manifestations populaires a atteint récemment son minimum. Mais certains mouvements ont revêtu un aspect militaire armé, ce qui représenterait un danger dans certaines régions, sans les mesures délicates adoptées par le commandement syrien. La pire des choses sont les pressions extérieures et les menaces d’imposer des sanctions et l’embargo. Depuis peu de temps nous avons su que les Américains ont retiré leur ambassadeur en Syrie pour des raisons sécuritaires, et que les Syriens ont riposté en rappelant leur ambassadeur à Washington pour concertation. Cette démarche est un indice de force et  non de faiblesse. J’estime qu’en raison du sérieux du régime, de l’existence d’une  large base populaire appuyant les réformes et de la prise de conscience d’une grande partie du peuple syrien des dangers résultant de certains parcours que l’on veut imposer à la Syrie, pour toutes ces raisons, j’estime que la Syrie a surmonté en grande partie la période la plus critique, mais des efforts sont encore requis, surtout au niveau de l’accélération des réformes déjà entamées, de la formation d’un comité pour l’élaboration d’une nouvelle Constitution et de l’organisation des prochaines élections. Lorsque le peuple syrien verra que la loi sur les partis est sérieuse, tout comme la loi sur l’Information, cela l’aidera à faire face aux dangers encore en cours.

Q- Qu’en est-il des dangers provenant de l’étranger ? Ceux qui ont approuvé l’exemple des frappes militaires en Libye proposent la réédition de ce scénario en Syrie. Ces dangers vous paraissent-ils réels ?
R- Durant l’une des précédentes étapes, ce scénario a été proposé, mais il a échoué sur la scène syrienne interne, en premier à cause de l’attitude du peuple syrien qui est différente de celle de son homologue libyen, dans la mesure où la majorité des Syriens soutient le régime. Deuxièmement, la situation géographique de la Syrie, dans le voisinage de l’entité sioniste, rend les Américains et l’Otan plus hésitants avant d’envisager une opération militaire contre ce pays, de peur que cette offensive dégénère en développements régionaux et glisse  vers une guerre régionale qui pourrait nuire à « Israël », principale priorité pour les Etats Unis et l’Otan, dans la région. Pour ces raisons, et sans le certifier,  j’estime que les choix militaires contre la Syrie sont exclus.

Q- Selon votre analyse de la situation syrienne, prédisez-vous le prolongement de cette crise ?
R- Cela dépend du traitement de la crise en Syrie, où de grands efforts sont déployés par les politiciens et les ulémas qui adoptent des positions honorables. A cela s’ajoute la solidité de l’institution militaire et l’ouverture au sein de la société civile. Les choses ont besoin de temps pour aboutir, mais je ne peux pas être plus précis.

Q- Le Liban n’est pas à l’écart des développements en Syrie, notamment avec l’implication de groupes dans le trafic d’armes et dans le soutien à l’opposition syrienne. Selon vous, ces faits peuvent-ils avoir des répercussions sur la stabilité relative au Liban ?
R- Le fait que la sécurité au Liban découle de la sécurité en Syrie et vice-versa est reconnu et supposé être un principe, même si certain préfèrent l’ignorer. Les événements en cours en Syrie ont forcément des répercussions sur le Liban, tout comme les évènements au Liban, se reflètent sur la Syrie. D’où l’exactitude de la position des Libanais qui ont souligné la nécessité de maintenir le Liban à l’écart de ce qui se passe en Syrie. Chacun peut s’exprimer en politique et dans les médias comme il l’entend, mais sans ingérences sur le terrain. Ce que vous posez est une entrée pour aborder la question des problèmes sur les frontières et les violations prétendues. Les forces du 14 Mars indiquent que le gouvernement et l’Etat libanais manquent à leur devoir et n’adoptent pas de positions à l’égard des soi-disant violations syriennes des frontières libanaises. Nous avons  l’approche suivante à ce propos : premièrement, la Syrie est-elle un ami ou un ennemi ?  La position libanaise officielle (le 14 Mars prône l’Etat des lois et des institutions) a toujours considéré la Syrie comme étant un Etat ami, même si des  forces politiques jugent le contraire.
Ces forces cherchent à imposer leurs convictions sur l’Etat lorsqu’elles s’opposent au point de vue des institutions officielles sur le fait que la Syrie est un pays ami et « qu’Israël » est un ennemi. Pourtant, c’est nous qu’elles accusent d’imposer notre vision à l’Etat… Revenons aux lois et aux coutumes internationales pour savoir la conduite à suivre si un ennemi viole les frontières, et le comportement des hommes d’Etat (comme le 14 Mars) si un ami viole les frontières.  Toute violation de la part de l’ennemi suscite un tollé, la publication de communiqués de condamnation, des plaintes auprès du Conseil de sécurité et des mesures sur le terrain. Ces attitudes sont étrangères aux forces du 14 Mars, car en leur for intérieur, elles ne traitent pas Israël en ennemi et je ne dirais pas qu’elles la considèrent comme un ami. Selon les coutumes internationales, si un pays voisin, viole les frontières de l’autre durant la poursuite de personnes recherchées par sa justice, la question est traitée par les tractations des émissaires, sans faire des campagnes politiques et médiatiques démagogiques, comme le réclament les forces du 14 Mars au gouvernement Mikati. Cela est injuste.
Deuxièmement, comme nous réclamons au gouvernement libanais de traiter les violations syriennes, si elles ont eu lieu, il faut de même traiter les violations libanaises qui se manifestent par le trafic des armes  et le passage des combattants vers la Syrie, s’ils s’avèrent confirmés par la justice. Et puis qui peut affirmer que les violations syriennes ont eu lieu ? Le 14 Mars avait-il envoyé une délégation pour inspecter les frontières ? En premier,  il existe des zones non tracées, où la ligne frontalière est indistincte. De plus, il n’existe pas une instance officielle ou neutre qui a certifié l’incursion terrestre. Mais supposons que cela est arrivé, on peut alors envoyer un haut officier en Syrie pour discuter de la question avec les responsables syriens. C’est ce qu’a fait le gouvernement libanais. Pour ces raisons, j’appelle tout Libanais à contribuer par ses relations à exhorter au dialogue, aux négociations, à la rencontre, à la réconciliation et aux réformes en Syrie, car ce serait dans l’intérêt du Liban et de toutes ses forces politiques. A ceux qui parient sur la chute du régime syrien, estimant qu’elle serait en faveur du Liban, j’affirme qu’ils sont des aventuriers,  induits en erreur  et je souhaite que leurs positions soient réexaminées.

Q- Comment évaluez-vous l’expérience du gouvernement 4 mois après sa formation ? Sommes –nous devant le gouvernement du Hezbollah ?
R- Il est certain que ce gouvernement n’est pas celui du Hezbollah. Mais malheureusement, la partie opposée a tenté depuis la formation du gouvernement, de l’affirmer. Si nous étions le parti au pouvoir comme ils le prétendent, nous aurions pu former le gouvernement en quelques jours, au lieu  d’attendre quatre ou cinq mois de discussions avec les différentes forces politiques, le premier ministre, le président de la République, les chefs des blocs parlementaires, qui ont tous été influents dans le processus de la formation.  Puis les discussions sur la déclaration ministérielle, les modifications qui ont été faites et l’ambiance des séances ministérielles jusqu’à ce jour, donnent l’impression que le gouvernement est  formé de forces politiques diverses, ayant leurs visions, leurs spécificités et leurs priorités, ce qui est vrai. De cela nous pouvons déduire que les composantes du gouvernement affirment toutes que ce dernier n’est point celui du Hezbollah. Je le confirme d’ailleurs puisqu’au sein du gouvernement, il  existe des avis  différents et de riches discussions, que certains qualifient de conflictuelles. A l’origine, les discussions au sein du gouvernement sont requises et si un gouvernement du Hezbollah est tellement riche en démocratie, en discussions, et en avis divers, ce serait excellent et affirmerait que le parti n’est pas dictatorial ou totalitaire. Nous sommes donc devant un gouvernement national qui représente la majorité parlementaire et populaire véritable et qui est formé de forces politiques diverses, dont les points de vue et les priorités sont parfois divergents et parfois convergents.

Q- Etes-vous satisfait de l’expérience de ce gouvernement ? Et que dites-vous de sa performance et de ses réalisations durant quatre mois ?
R- Lorsqu’on veut demander des comptes à ce gouvernement ou évaluer son rendement il faut prendre en considération qu’il assume la responsabilité d’une situation qu’il a hérité de gouvernements successifs, y compris d’énormes dettes, des crises, de grandes vacances au sein de l’administration, et l’absence d’une vision dans le domaine socio-économique. Donc, ce gouvernement a hérité de grands problèmes qu’il doit traiter et nous aspirons, tout comme les Libanais, qu’il déploie les meilleurs efforts afin de parvenir aux meilleurs résultats.  Prenant  en considération la diversité dans sa formation, les discussions qui ont lieu et les réalisations qui ont été accomplies en cent jours, et étant un observateur et partenaire, non le porte parole du gouvernement, je peux dire ceci :
-Pour la première fois, nous avons un plan  sur l’électricité bien orienté, dans la mesure où il a été approuvé au Conseil des ministres, puis débattu au Parlement et qui se dirige vers l’exécution s’il plait à Dieu, ce qui est une énorme réalisation pour un gouvernement de cent jours, né dans un contexte  local, régional et international délicat et qui a subi les pressions et l’intimidation.
-Ce gouvernement est le premier à avoir proposé une loi électorale, deux ans avant la date des élections, contrairement à ses prédécesseurs qui soumettaient la loi quelques mois avant l’échéance électorale.
-Le ministère des Finances a soumis la proposition de loi relative au Budget, alors que le Liban est sans loi de budget depuis des années. Cela signifie que le gouvernement respecte la loi et qu’il instaure l’Etat de droit. Le ministre des Finances a accompli son devoir. Les composantes du gouvernement approuveront-elles par la suite l’imposition des nouvelles taxes ou le financement du TSL, c’est une autre question, mais aujourd’hui nous avons un projet concernant le Budget, qui sera discuté.
-Le gouvernement s’est attaqué au dossier des nominations administratives, question qui exige des discussions, vu la structure politique au Liban et la répartition confessionnelle des postes. Dans ce contexte, le gouvernement s’est engagé à respecter les mécanismes approuvés par l’ancien gouvernement, ce qui est une preuve d’intégrité, notamment puisqu’il existe des forces au gouvernement qui n’occupent aucun poste au sein de l’administration libanaise et qui auraient pu profiter de l’occasion et y  introduire des partisans, mais elles ont accepté l’ancien mécanisme adopté.
-Le gouvernement a accordé une attention particulière au dossier socio-économique  avec le projet du soutien des familles les plus démunies par exemple, qui a récemment été lancé et qui suivra son cours.
Tous les ministères témoignent d’importantes réalisations, notamment sur le plan de la stabilité sécuritaire du pays, à l’ombre d’une situation tendue dans toute la région.
L’un de nos frères m’avait affirmé que ce gouvernement a discuté et adopté 1100 décisions, ce qui confirme le fait qu’il est efficace et productif, même si certaines forces politiques, et c’est leur droit,   considèrent que son rendement  est insuffisant. Si nous revenons à l’histoire des gouvernements au Liban, il est rare d’en trouver un qui est parvenu à de telles réalisations, en si peu de temps et dans une telle conjoncture locale, régionale et internationale.

Q-  Dans le contexte des réalisations du gouvernement,  certains évoquent même l’intérêt qu’accordent le président de la République et du gouvernement au vote pour la grotte de Jeïta afin qu’elle soit élue parmi les sept merveilles du Monde. Encouragez-vous  les efforts visant à promouvoir ce site touristique ?
R- Nous sommes pour ces efforts qui reflètent l’orientation du gouvernement et dans lesquels toutes les forces sont partenaires. Pour ma part, j’appelle les Libanais à voter pour la grotte de Jeïta qui est véritablement une merveille naturelle. Certains la perçoivent comme un site touristique, ce qui est vrai, alors que nous la considérons comme une manifestation des noms et des attributs  du Créateur. En fin de compte, nous appuyons l’orientation du gouvernement à ce propos, qui aura de bons effets sur l’Economie et le tourisme au Liban. Pour ces raisons je joins ma voix à celles des présidents et des ministres, j’appuie le ministre du Tourisme et j’incite les Libanais à voter pour Jeïta.

Q- Comment qualifiez-vous la relation du Hezbollah avec l’un des piliers du bloc centriste, le président de la République Michel Sleiman ?
R- La relation avec le président de la République est bonne. Elle se caractérise par la communication permanente et la concertation sur les sujets  essentiels et délicats. Vous savez que les positions du président Sleiman notamment  à l’égard de la Résistance sont honorables et claires. Même son récent discours aux Nations unis a été remarquable dans ce sens.

Q- Qu’en est-il de votre relation avec le premier ministre Najib Mikati ? Etes-vous satisfaits de son approche des dossiers ?
R- Bien sûr. Nous étions pour la nomination du premier ministre Najib Mikati à la tête du gouvernement et nous ne regrettons point ce choix que nous appuyons toujours. Lorsque je me prononce sur les réalisations du gouvernement, je considère que le président de la République, le premier ministre et les ministres qui représentent les forces politiques sont partenaires dans ces réalisations, et le mérite essentiel revient à la personne qui est à la tête du gouvernement.

Q- Des propos ont circulé récemment sur une tiédeur  des relations du Hezbollah avec ses alliés et surtout avec le Courant patriotique libre .Ces rumeurs sont-elles exactes ?
R- Les relations du Hezbollah avec tous les alliés sont excellentes, puisqu’elles revêtent un caractère stratégique et qu’elles sont fondées sur des constantes. Je tiens à rassurer tout le monde à ce sujet, car au Liban il existe un problème dans la nature des informations véhiculées et dont une grande partie est  infondée ou ayant un fondement mais qui est amplifiée. En tout état de cause, nos alliés ont prouvé durant  la période précédente et actuelle leur ténacité, leur dévouement et la clarté de leur position, surtout lorsque certains d’entre eux n’ont pas été pratiquement représentés dans ce gouvernement, mais qui le soutiennent, en raison de l’orientation nationale qu’il reflète.  Donc tout ce qui est dit sur  le refroidissement et la tension entre les allies est erroné.
A propos des relations au sein du gouvernement, nous rappelons qu’il est formé de plusieurs forces, dont le Hezbollah, le mouvement Amal, le Courant Patriotique Libre et d’autres partis politiques divers, non d’un parti unique. Ce qui signifie l’existence de points communs et des constantes, mais aussi des différentiations et des visions divergentes, peut être au niveau du discours adopté pour exprimer la position. Parfois les débats y sont calmes, d’autres fois tendus, selon les sujets soulevés.
En ce qui concerne nos relations avec le Courant patriotique libre, il n’existe point de tiédeur, au contraire la relation est solide et effective. Elle est basée sur la communication et la discussion permanente, surtout à propos des dossiers soumis au gouvernement et dont  la majorité n’a pas été évoquée dans le document d’entente entre le Hezbollah et le CPL. Cela est du au mécanisme du travail gouvernemental au Liban, dans la mesure où l’ordre du jour des séances  comprenant parfois entre 80 et 90 points, est distribué 48 heures avant la séance, ce qui ne laisse pas beaucoup de temps aux ministres  pour discuter  leurs points de vue, leurs convictions et  leurs visions ou coordonner leurs positions. Bien sûr nous essayons de coordonner nos positions sur ces dossiers, mais parfois les contraintes du temps et le nombre des dossiers posés pourraient montrer des ministres plus enthousiastes au sujet d’un dossier que leurs  collègues, ce que j’estime constructif. Cependant,  ce fait ne concerne pas uniquement le Hezbollah et le CPL, mais toutes les composantes du gouvernement, et c’est pour ces raisons que nos représentants ont proposé que l’ordre du jour des séances ministérielles, renfermant les sujets délicats, essentiels et les grands projets,  soit distribué avant une semaine ou deux . 

Q- Comment qualifiez-vous la relation entre le Hezbollah et le député Walid Joumblatt que vous avez rencontré récemment ?
R- Le communiqué publié à l’issue de mon entretien  avec le député Walid Joumblatt a évoqué une alliance et une relation stratégique. Mais nous ne formons pas un  seul parti. Durant l’entretien, le député Joumblatt a exposé ses opinions et j’ai donné les miennes, nos points de vue ont été convergents sur certains sujets et divergents sur d’autres. Pourtant ces attitudes ne signifient pas l’existence de conflit, de différend ou d’antagonisme. Nous sommes deux forces qui font partie de la majorité parlementaire actuelle et du gouvernement et nous sommes attachés à maintenir notre relation, le dialogue et l’entente sur le plus grand nombre possible de dossiers. C’est la réalité de la relation entre le Hezbollah et le PSP.

Q- Avez-vous senti une intention de repositionnement chez le député Joumblatt?

R- Pas du tout. Ces informations  sont citées dans certains médias et salons, mais je n’ai pas point perçu une telle attitude  chez le député Joumblatt.

Q- Votre éminence, lorsque vous avez évoqué les réalisations du gouvernement, vous n’avez pas abordé celles relatives à la situation sécuritaire. Etes-vous satisfaits de la situation sécuritaire au Liban ?
R- Si l’on veut être impartial, on peut dire que la stabilité est assurée  à l’ombre du gouvernement actuel  et elle l’était même à l’ombre du gouvernement précédent.  La stabilité demeure donc toujours et permet le fonctionnement de l’économie. La situation touristique a été affectée par les événements régionaux, mais les touristes affluent toujours venant de toutes les destinations et les congrès prévus sont tenus  au Liban ce qui représente un témoignage régional et international sur la stabilité de la situation sécuritaire au pays. Des incidents d’ordre individuel peuvent  toujours survenir au Liban, à l’ombre de tous les gouvernements, comme c’est  le cas dans tous les pays au monde, même dans les pays européens et aux Etats Unis qui se présentent comme des oasis de sécurité. Je peux affirmer que le nombre d’ incidents individuels observés au Liban, en considérant sa superficie et le nombre de ses habitants, est plus réduit  que ceux qui ont lieu à Washington ou à New York. Par conséquent, on ne peut pas en déduire que la sécurité est absente au Liban. Malheureusement, les forces politiques amplifient les petits incidents dans le cadre de leurs conflits afin de porter atteinte à la partie adverse, mais je considère pour ma part que la situation sécuritaire est stable et il n’y a pas d’inquiétude à ce sujet.

Q- Certains accusent le Hezbollah de troubler la stabilité relative au pays, en fournissant les armes à ses alliés au Liban Nord et en établissant des îlots de sécurité, ce qui a incité des députés de Tripoli à menacer d’avoir recours à la rue ?
R- Notre politique générale consiste à ne pas répliquer aux « torrents d’accusations » lancées contre le Hezbollah par les politiciens  de la parti opposée, dans les médias, les sites d’informations et les magazines qui lui sont affiliés, sinon nous aurions eu besoin d’émettre trente ou quarante communiqués par jour, à cause des mensonges, des fabrications, des calomnies et des accusations dont la majorité est infondée ou amplifiée. Si quelqu’un  bloque une rue, ou lance un coup de feu, ils en accusent le Hezbollah…Pour cela, nous évitons de répondre. Mais je répondrai à votre question à cause de la délicatesse du sujet.
Les problèmes au Liban nord résultent de la mentalité de ceux qui prônent la démocratie, le pluralisme et la diversité au Liban, en les refusant par contre au sein de leur communauté. Et lorsqu’ils trouvent que la popularité des autres forces politiques grandit et que leurs institutions  se développent, ils considèrent que ce fait attire la discorde. En abordant la situation de la communauté chiite où il n’existe pas d’unilatéralisme, ils y critiquent le dualisme. Qu’ils admettent au minimum le dualisme au sein de leur communauté.  Pour plus de précision, et puisque nous abordons la situation au Nord où le courant Futur ne tolère aucune dualité, les forces islamiques et nationales appartenant à l’ancienne opposition et loyalistes actuellement, ont subi des agressions, des menaces et toutes sortes  d’intimidations et de tentatives d’isolation. Elles ont même été accusées du meurtre du premier ministre Rafic Hariri.  En ce moment, et grâce aux mutations dans le monde arabe, à la défaite du projet américain et de ses alliés, et à l’échec de la partie adverse, un revirement de l’opinion publique libanaise a eu lieu. La popularité des forces politiques opposées au courant Futur augmente au Liban nord. On accuse alors ces forces d’établir des îlots de sécurité et de s’approvisionner en armes. J’affirme que ces allégations sont fabriquées et erronées. Elles font partie d’une campagne d’intimidation médiatique, politique et psychique, visant à contrer l’expansion des forces politiques opposées au courant du Futur dans la région du Nord.

Q- Dans quel cadre placez-vous les propos du patriarche maronite Béchara Boutros Raï sur les minorités et les armes du Hezbollah qui ont suscité de vives ripostes et comment commentez-vous ses approches que certains ont qualifiées de positives ?
R- J’estime que la campagne contre le patriarche maronite est injuste, puisqu’à mon avis il n’a pas adopté une position soutenant le régime syrien, ni les armes de la Résistance. Il a exposé des faits, décrit des réalités et exprimé des craintes, tout comme l’ont fait par le passé, plusieurs personnalités chrétiennes dont le général Michel Aoun et le CPL, le député Sleiman Frangié et le courant Marada, le parti Tachnag et beaucoup d’autres responsables. Je donne comme exemple les propos du patriarche sur les armes de la Résistance : il a indiqué que « le Hezbollah se présente en tant que Résistance » et non « j’affirme que le Hezbollah est une résistance ». Pourquoi contestent-ils ces propos ? Quelle serait leur attitude s’il avait dit « je considère que le Hezbollah est une résistance » ? Malheureusement certains députés chrétiens des forces du 14 Mars se sont prononcés en faveur du dépouillement du patriarche de son identité chrétienne... Donc le patriarche a dit ceci : «  Le Hezbollah indique qu’il est une Résistance et qu’il maintient ses armes pour libérer les territoires libanais encore occupés et pour défendre le Liban ». S’adressant à la communauté internationale, il a ajouté : « vous devez exercer des pressions sur Israël pour qu’il se retire du territoire libanais et équiper l’armée libanaise en armes pour qu’elle défende le Liban et puis nous dirons au Hezbollah que son arsenal est inutile », en d’autres termes il a appelé  à « éliminer les prétextes que le Hezbollah avance pour justifier le maintien de ses armes. Où est le problème dans un  tel discours?
Pour ce qui est de la Syrie, le patriarche a exprimé des craintes et il a raison de le faire, puisque tous les peuples de la région ont besoin de protection, y compris les sunnites, les chiites, les alaouites, les druzes et les chrétiens. Cette protection découle de notre unité, de notre alliance et de notre sensibilisation, à l’ombre notamment des troubles qui bouleversent la  région. Quel a été le sort des chrétiens en Irak ?  Et celui des chiites, des sunnites, des turkmènes et des kurdes ? Ils ont tous souffert, ce qui constitue une véritable préoccupation.  Et que se passera-t-il si  la situation en Egypte et en Syrie est poussée vers la discorde confessionnelle ou la guerre civile ?  Les craintes du patriarche sur la présence chrétienne sont donc  justifiées  et celles du public sont légitimes. J’appelle enfin à placer les propos du patriarche dans leur contexte précis sans se lancer dans une fausse interprétation, et à être juste et impartial  envers lui.

Q- Une délégation du Hezbollah a récemment visité la Russie. Cette visite est-elle un prélude à une ouverture du parti sur les Etats puissants, la Chine par exemple ? Et quels sont les objectifs de la visite à Moscou ?
R- Le bloc de la Fidélité à la Résistance avait reçu depuis plus d’un an une invitation de la Douma Russe, question que nous avions suivie avec l’ambassade à Beyrouth afin de préciser la date adéquate pour y répondre. La visite a été reportée jusqu’à la semaine dernière. Elle avait été fixée avant les révolutions arabes, le veto russe en Conseil de sécurité et la publication de l’acte d’accusation du Tribunal spécial pour le Liban et avant même la chute du gouvernement Hariri.  Nous estimons pour notre part que le moment a été opportun pour effectuer cette visite dont l’enjeu est de jeter les fondements d’une relation avec la Russie, où la délégation a rencontré des responsables de la Douma et du ministère des Affaires étrangères. Elle a échangé les points de vue qui ont été convergents  sur la nécessité de préserver la stabilité du Liban et de la Syrie  et de s’opposer à toute ingérence étrangère dans la région, qui pourrait  l’entraîner vers la destruction. D’ailleurs la Russie peut assumer un rôle majeur dans ce contexte. La perspective d’une visite en Chine est posée depuis longtemps et elle sera prochainement effectuée, tout comme dans d’autres pays que nous annoncerons plus tard.

Q- En dépit des polémiques en cours depuis deux mois autour du financement du Tribunal spécial pour le Liban, le Hezbollah observe le silence. Quelles en sont les raisons ?
R- Nous avions adopté cette attitude à cause de notre vision des faits. Depuis le premier jour de la formation du gouvernement, la partie adverse a tenté d’exploiter cette question afin d’embarrasser le premier ministre Mikati, par les considérations confessionnelles, en le harcelant d’interrogations. Le premier ministre a bien sûr le droit de répondre et d’exprimer ses convictions en faveur du financement, tout comme les autres qui sont persuadés de sa nécessité. Nous avons intentionnellement gardé le silence sur cette affaire,  non pas faute d’avoir une position, mais par refus d’être entraînés dans des polémiques avec la partie adverse,  qui vise à créer des différends et des conflits entre les composantes du gouvernement. En fin de compte la décision sera tranchée en conseil des ministres, au moment opportun.

Q- Quelle est la position du Hezbollah à l’égard du financement du TSL ?
R- La position du Hezbollah n’a pas besoin d’être déclarée. Nous sommes clairement contre le financement, vu notre interprétation des objectifs du tribunal, de sa ligne de conduite,  de ses lacunes, de ses visées et de la façon dont il a été formé. Pour toutes ces raisons, nous le refusons dans le fond et dans la forme, et par conséquent, nous refusons de le financer.  Si quelqu’un veut le financer de sa propre poche, il est libre de le faire, mais si l’argent doit provenir du Trésor de l’Etat, et donc des fonds du peuple libanais, qui doit alors prendre la décision ? Ou bien le conseil des ministres, ou bien le Parlement. Pourquoi alors se lancer dans des polémiques ? L’affaire sera soumise au conseil des ministres où toutes les forces politiques qui sont pour ou contre le financement peuvent en discuter. Une partie discuterait de la légalité et de la constitutionnalité  du tribunal, une autre poserait sa performance et son comportement, une tierce aborderait son exploitation en politique.  Tous ces débats pourraient aboutir à une position unanime, sinon le président de la République ou le premier ministre peuvent proposer le vote et chacun exprimera sa conviction, en dépit du fait que nous désirons une issue consensuelle à cette affaire.

Q- Ne craignez-vous pas que le vote embarrasse le premier ministre et qu’il conduise à sa démission ?
R- Le premier ministre au Liban est le chef du conseil des ministres, du pouvoir exécutif et non un roi ou un prince, comme certains ont tenté de l’être. Selon l’accord de Taëf, la décision incombe au conseil des ministres réuni, qui exerce le pouvoir. M.Mikati est un démocrate, qui croit dans les institutions, et si le résultat du vote s est opposé au financement, tous doivent le reconnaitre et se conformer à la décision de cette institution constitutionnelle.
Au sujet de l’embarras, certains ont incité le premier ministre à déposer sa démission si le financement du TSL n’est pas approuvé. Ceux-là ont réclamé sa démission depuis sa nomination à la tête du gouvernement, et l’ont accusé de trahison. Ils ont ensuite appelé la communauté internationale à boycotter le gouvernement et son président. Ce ne sont certes que des moyens de pression. A ceux-là je dis : le président Mikati ne s’est pas engagé à ce que vous aviez vous-même accepté. Il ne s’est pas engagé à suspendre le financement du tribunal, ni à retirer les juges libanais du TSL, ni à abroger le protocole signé avec le tribunal,  lors des tractations qui ont précédé sa nomination, comme vous l’aviez fait vous-même à un moment donné. Pour ces raisons, cessez d’embarrassez l’homme sinon nous  serons obligés de révéler au public des faits qui ne sont pas dans votre intérêt et notamment sur le projet turco-qatari dans lequel vous vous étiez engagés.
En fin de compte, le premier ministre Mikati réalise qu’il assume en ce moment une grande responsabilité nationale qui consiste à assurer la stabilité au pays, ce qui représente en premier lieu une priorité nationale, régionale et internationale. S’il parvient à persuader son gouvernement du financement, le tribunal sera financé et s’il n’y arrive pas, j’estime que d’après sa culture, et sa formation,  il ne posera pas de problèmes.

Q- Avez-vous des garanties que le premier ministre ne déposera pas sa démission, s’il y a recours au vote et que le financement du TSL est refusé ?
R- Nous n’avons pas encore discuté de la question avec M.Mikati, qui ne s’est pas encore prononcé sur ces faits. Des débats bilatéraux ou dans le cadre du gouvernement se déroulent sur les intérêts du financement ou de l’abstention et sur les conséquences de telles décisions.

Q- Dans ce même contexte, l’arrêt du financement ne place-t-il pas le Liban en porte-à-faux avec  la communauté internationale ? Ne  risquez-vous pas de menacer toutes les réalisations du gouvernent que vous aviez citées ?
R- En premier lieu les discussions au sein du gouvernement  seront axée sur la dimension légale suivante : Le financement est-il est une obligation pour le Liban ? Dans ce contexte il existe deux interprétations, et il suffit qu’il y ait deux jurisprudences pour qu’il existe  une issue. 
Et puis en ce qui concerne l’intimidation exercée à l’encontre du gouvernement, je rappelle que l’on avait affirmé que le gouvernement Mikati provoquera l’isolation du Liban, le retrait des ambassadeurs étrangers et  l’adoption de sanctions contre le Liban. Mais rien n’est arrivé, le gouvernement a été formé et le monde l’a reconnu, puisque la priorité est accordée à la stabilité.
Au cas où le Liban ne versera pas sa part du financement, d’autres le feront de leurs propres poches ou d’ailleurs. Certains ont en outre affirmé que le non financement par le Liban  n’entravera pas les activités et le parcours du tribunal. C’est parfait, pourquoi dans ce cas, amplifier le problème ? Les sommes réservées au Tribunal pourraient être versées au projet du soutien des familles démunies, qui a été parrainé par le président de la République, puisque le tribunal ne sera pas bloqué.

Q- Pour ce qui est des répercussions de l’acte d’accusation sur la scène libanaise, l’on avait dit que sa publication sèmera la discorde au Liban ? Ce tribunal a-t-il perdu son habileté  à semer la confusion ? Et avez-vous de nouvelles preuves de sa politisation ?
R- Durant les deux années précédentes, de grands efforts ont été déployés au Liban et a l’étranger au niveau médiatique, technique, légal et politique afin de clarifier les faits à l’opinion publique, et j’estime que les conférences de presse tenues par des experts et les efforts qui ont mis en évidence l’orientation de l’enquête et la conduite du procureur général ancien et actuel, ont abouti et par la suite, ont porté atteinte à la crédibilité du tribunal au niveau du peuple libanais et de l’opinion publique arabe et islamique. Cela a bloqué les répercussions des actes d’accusations et des fausses accusations visant à semer la discorde.
L’acte d’accusation aura-t-il  des effets plus tard ? A mon avis il n’aura plus d’impact. Le tribunal aura recours au procès par contumace, car les frères injustement  accusés n’accordent aucune confiance à ce tribunal  pour qu’ils chargent des avocats afin de la défendre. Au pire des cas, un verdict sera émis par contumace, puisque le tribunal  a été créé pour cette fin. Mais j’estime que la situation au Liban et dans la région a dépassé le sujet du tribunal et  sa capacité à influer sur la situation.

Q- Le Hezbollah soutient-il une loi électorale fondée sur la proportionnelle ?
R- Le Hezbollah est ouvert à la discussion de la loi électorale et n’a aucun inconvénient si la proportionnelle est adoptée. J’avais d’ailleurs affirmé lors d’un discours qu’en tant que parti,  aucune loi électorale ne nous pose de problèmes. Mais au plan national, nous prenons en considération les craintes que formulent certaines forces, vu que la loi électorale est fondamentale dans la vie politique. La loi sera débattue en conseil des ministres et ailleurs, et sera soumise au Parlement où nous serons ouverts à la discussion de tous les choix.

 Q-L’une des critiques adressées aux ministres du Hezbollah concerne leur manque d’interaction avec les affaires socio-économiques, contrairement à l’attitude du Hezbollah envers les questions majeures. Pourquoi le Hezbollah n’aborde-t-il  pas les questions socio-économiques avec plus d’enthousiasme ?
R- Ces critiques sont inexactes. Pour ce qui est des revendications sociales, les anciens gouvernements nous posaient la question suivante : comment participez-vous à un gouvernement contre les politiques duquel les syndicats qui sont sous votre influence manifestent ? Le gouvernement en place est désormais  formé de forces politiques qui font partie des syndicats des travailleurs en action.  Comment réagir à ce fait ? Personnellement je souhaite que l’activité syndicale soit écartée de l’emprise des politiciens et des forces politiques, afin qu’elle revête un aspect purement syndical. En tant que force politique, pourrais-je empêcher le corps syndical, ou les enseignants d’observer une grève ou de manifester ? C’est leur droit naturel. Nous sommes pour les grèves et les manifestations et nous adoptons au gouvernement les revendications syndicales sans exercer des surenchères sur quiconque, mais tous ces problèmes devraient être traités par le dialogue.  C’est pour ces raisons que je dis que les accusations contre nos ministres sont inexactes, car ils ont tenté d’établir un équilibre entre les justes revendications syndicales et l’aptitude du gouvernement à y répondre.
Au second plan, j’indique que nous ne sommes pas entièrement satisfaits des résultats et en fin de compte il est encore possible de prendre en considération les observations et les réclamations du corps syndical et nous encourageons le fait que le gouvernement en place tienne un huit clos pour élaborer une vision socio-économiques et financière claire sur la base de laquelle les problèmes économiques et sociaux seront traités.

Q-A l’ombre de la situation régionale en turbulence, vous attendez vous à ce qu’Israël lance une offensive contre le Liban pour sortir de l’impasse où il se trouve ?
R- Personne ne peut trancher cette question. Nous abordons des possibilités et des interprétations. Au plan de l’interprétation politique, nous estimons qu’à l’ombre des changements dans la région, et des résultats de la guerre de juillet 2006 qui ont entrainé la défaite de l’ennemi, celui-ci  devrait d’abord garantir les résultats avant d’envisager une nouvelle guerre. Puisque ces résultats ne sont point sûrs et que de nouvelles données existent sur la scène régionale et libanaise dont le nouvel environnement stratégique, la puissance de la Résistance au Liban et la nouvelle situation politique qui y prévaut, toutes ces réalités conduisent à écarter la possibilité d’une guerre israélienne contre le Liban.

Q- Dans ce même contexte nous évoquons les récents propos de Ban Ki Moon qui a appelé le Hezbollah à livrer ses armes. Le rassurez-vous que le Hezbollah se prépare à remettre son arsenal ?
R- Pour notre part, nous n’avons même pas émis un communiqué pour commenter les propos du secrétaire général de l’ONU, car nous considérons qu’ils sont hors du contexte régional et international. Les armes, la présence et la culture de la Résistance, et le trinôme « Résistance, armée, peuple » au Liban sont les principaux éléments de force et des constantes intouchables. Ils avaient lancé une offensive de 33 jours, tué, déplacé les gens et commis des massacres et nous n’avions pas toléré  que ces éléments soient touchés. Par conséquent, un communiqué du secrétaire général de l’ONU ou de toute autre instance internationale ne peuvent avoir aucun effet.

Q- Pour clôturer cet entretien : Vous aviez en 2006 assuré la victoire et avorté le projet du nouveau Moyen Orient à l’issue d’une guerre qui a été imposée. Que promettez-vous  à vos partisans d’une part, et à vos opposants ou ennemis d’autre part ?
R- Nous estimons, mes frères et moi que les événements dans la région prennent une tournure en faveur des peuples, du projet de la Résistance, et contre le projet américano-israélien, en dépit de quelques événements préoccupants. Je pense que les marges d’action de l’ennemi sont désormais restreintes, par rapport au passé et que les mutations en cours au sein de la région servent les aspirations de ses peuples. Quant au Liban, l’expérience du passé a prouvé que le peuple libanais détient des éléments de force qui lui permettent de faire face à tous les changements et les défis possibles, sans qu’il y ait de craintes à ce sujet. J’affirme même que les données suscitent l’espoir en l’avenir, s’il plait à Dieu.

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