09 novembre 2011

Entretien avec Nicola Johnson, l’ex-épouse du marchand d’armes Ziad Takieddine : «Ziad Takieddine m’a dit qu’il était protégé»

08 nov
Compagne mais pas complice. Nicola Johnson, l’ex-épouse du marchand d’armes Ziad Takieddine, dont elle a définitivement divorcé en septembre dernier, contre-attaque. Accusée publiquement par son mari d’avoir « volé des documents » et d’avoir« violé le secret défense » en communiquant des pièces à la justice, Nicola Johnson annonce dans un entretien accordé à Mediapart et à L’Express le dépôt de trois plaintes contre Ziad Takieddine, pour « abandon de famille », « faux et usage de faux » et, enfin, « organisation d’insolvabilité ».

Pour M. Takieddine, c’est un front familial qui s’ouvre en parallèle de l’affaire d’Etat, alors qu’il a été entendu pour la quatrième fois par les juges mercredi dernier. Le divorce du couple a déjà incidemment consolidé l’enquête sur les pots-de-vins versés à l’occasion des ventes d’armes à l’Arabie Saoudite et au Pakistan. Lors de la procédure d’appel de son divorce, Nicola Johnson avait en effet communiqué de nombreux documents, archivés par son mari dans leur maison de Londres. En particulier les copies des contrats d’armement et des preuves des versements de commission, mais aussi d’importants renseignements sur les sociétés off-shore et les comptes de l’intermédiaire.


N. Johnson et Z. Takieddine 
N. Johnson et Z. Takieddine
 
Alertés dès le mois d’avril sur l’existence de ces documents, les magistrats instructeurs en obtiennent officiellement la transmission, le 28 juin, par la juge Sylvie Perdriolle, présidente d’une chambre civile de la cour d’appel. Entendue le 8 juin et le 30 août, Nicola Johnson communique, de son côté, à plusieurs reprises des pièces supplémentaires.

Parmi ces documents figurent des déclarations de revenus du couple, sur lesquelles la signature de Nicola Johnson aurait été contrefaite, mais également des notes décrivant très précisément les mécanismes de dissimulation des propriétés de M. Takieddine en France et à l’étranger. D’où les plaintes visant les faux et l’organisation de l’insolvabilité.

Début août, les avocats de Nicola Takieddine, Mes William Bourdon et Joseph Breham,  obtiennent une ordonnance de gel des biens et des avoirs du marchand d’armes. Le jugement du divorce prononcé en appel, le 15 septembre, lui accorde une prestation compensatoire de 3 millions d’euros que son ex-mari ne semble pas disposé à régler. Il a en effet interrompu les paiements en sa faveur, il y a dix huit mois, au moment de déposer plainte contre elle pour « violation du secret défense ».

Britannique naturalisée française, Nicola Johnson répond aux questions, avec prudence, dans le bureau de ses avocats. Les appuis politiques de son mari, et la récente mise en cause de trois proches de Nicolas Sarkozy – Thierry Gaubert, Nicolas Bazire et Brice Hortefeux – ont rendu l’affaire plus sensible à ses yeux. Elle est d’ailleurs l’amie intime d’Hélène Gaubert, une autre épouse devenue témoin, qu’elle a encouragée à se défendre et contre-attaquer.
Pourquoi sortez-vous du silence ?
Je m’y sens contrainte aujourd’hui par les violentes attaques de mon ex-mari, qui porte des accusations graves contre moi. Il m’est insupportable d’écouter ces mensonges et ces falsifications sans répondre. Je veux rectifier les faits.

Quels sont ces mensonges ?

Mon ex-mari tente de se faire passer pour une victime. Il me présente comme « femme qui n’a cessé de mentir aux juges » et m’accuse d’avoir volé des documents. C’est faux. Les papiers que j’ai trouvés dans notre maison de Londres n’étaient même pas sous clef ! Ils étaient simplement rangés dans des cartons, dans un bureau. Il m’accuse aussi d’avoir ouvert par effraction le coffre fort de notre propre maison, à Paris !

 VIDEO : 

Mme Takieddine contre-attaque: entretien avec… parMediapart

« Je savais qu’il avait des liens très étroits avec le pouvoir actuel »

Ziad Takieddine explique que, comme Hélène Gaubert, vous parlez à la police parce que vous êtes intéressée par l’argent. D’autres évoquent une sorte d’association entre deux femmes divorcées qui chercheraient à se venger avec une affaire d’Etat.  Que répondez-vous à cela ?

Ce n’est pas de gaité de cœur que je suis allée parler de mon ex-mari à la police et à la justice. J’ai été convoquée par la police, je n’avais pas le choix. Cela n’a rien à voir avec l’argent.

Ce sont nos maris qui nous ont entraînées, Hélène et moi, dans cette affaire d’Etat ! Je la connais depuis 1993. Nous sommes devenues très proches, les enfants aussi. Hélène est une femme très honnête, incapable de mentir. Et elle n’est pas bête comme son mari aimerait le faire croire.


Ziad Takieddine et Hélène Gaubert 
Ziad Takieddine et Hélène Gaubert


Que comptez-vous faire ?

Je viens de porter plainte pour « abandon de famille ». Mon ex-mari ne me verse plus de pension alimentaire depuis dix-huit mois. En janvier 2010, il a arrêté de payer le loyer de l’appartement que nous occupions à Londres, les enfants et moi, alors qu’il y était tenu judiciairement, si bien que le propriétaire a engagé une procédure contre moi. J’ai sollicité l’aide de la justice anglaise. Elle nous a accordé le droit de vivre dans notre maison de Holland Park, qui était vide mais dont Ziad me refusait l’accès.

Financièrement, dans quelle situation vous trouvez-vous aujourd’hui ?

Extrêmement difficile. Je ne peux pas payer mes factures d’électricité, de gaz, d’eau. Je vis grâce à ma famille qui me prête de l’argent, grâce à l’aide de mes amis. Je viens de recevoir une lettre de l’école de mon fils Nadim, à Londres : mon ex-mari n’a pas réglé les frais de scolarité, alors que le jugement de divorce le lui impose. Mon fils risque de ne pas pouvoir aller à l’école cette semaine…

Pourtant, votre mari a été condamné par la cour d’appel de Paris, en septembre dernier, à vous verser 3 millions d’euros…

Il n’est même pas capable de respecter un minimum d’obligations judiciaires ! Il a commencé à me couper les vivres bien avant que je sois convoquée à la police. Il s’est comporté de la sorte dès que j’ai décidé de faire appel du jugement de divorce de février 2009.

Ce premier jugement de divorce a été prononcé, sans que vous ne cherchiez à vous défendre. Pourquoi ?

J’avais peur de mon mari, qui peut se montrer très intimidant. De septembre 2006 à septembre 2007, j’ai été suivie par des détectives privés. J’ai des photos qui en attestent. J’ai subi des menaces, également. Quand Ziad a déposé sa requête en divorce en 2006, j’ai découvert des papiers embarrassants pour lui, notamment sur l’étendue de sa fortune et sur l’ampleur de la dissimulation de ses biens. Il m’a fait peur parce qu’il m’a dit que j’irais en prison si je produisais en justice ces documents, soit disant classés « secret-défense ». En juin 2010, il a porté plainte contre moi et mon avocat de l’époque – sans suite pour l’instant.

Aviez-vous peur de votre mari ou de ses protections politiques ?
Des deux. Ziad m’a toujours dit qu’il était protégé. Je connaissais ses fréquentations, je savais qu’il avait des liens très étroits avec le pouvoir actuel. Et puis, j’ai espéré longtemps une réconciliation.

« Je savais qu’il touchait des commissions »

Quand avez-vous pris la mesure de la fortune de votre ex-votre mari, évaluée à 100 millions d’euros ?

Au moment de notre divorce. J’ai aussi découvert à cette occasion que Ziad ne payait pas d’impôts. J’ai toujours été tenue à l’écart de ses finances, de ses revenus, de ses déclarations d’impôt. Je m’occupais de la maison, des enfants, des dîners, des réceptions. Bref, je faisais les relations publiques ! Je savais qu’il travaillait sur les contrats entre l’Arabie saoudite et la France, notamment sur Sawari 2. Je savais aussi qu’il touchait des commissions. Il m’a dit que c’était légal et je l’ai cru. Il ne rentrait pas dans les détails des contrats et des sommes d’argent en jeu.

Vous saviez que vous étiez riches, tout de même…

Quand j’ai connu Ziad, il était directeur de la station de ski d’Isola 2000, mais c’était un simple salarié. A partir de 1993, lorsque nous nous sommes installés à Paris, notre train de vie a peu à peu grandi. Il y a d’abord eu de luxueuses vacances, puis des voyages en avion privé et des investissements immobiliers, un chauffeur, des domestiques…

Mais c’est seulement pendant la procédure d’appel de mon divorce que j’ai pu mesurer l’immensité de sa fortune et la complexité des mécanismes mis en place pour la dissimuler. J’ai même découvert récemment qu’il avait déménagé une partie des meubles de notre appartement, avenue Georges Mandel… J’ai d’ailleurs l’intention de porter plainte pour organisation d’insolvabilité.

Nous avons également déposé plainte pour faux et usage de faux. J’ai été entendu la semaine dernière par la BRDA à ce sujet (Brigade de répression de la délinquance astucieuse, NDLR).


Brice Hortefeux (à gauche) et Nicola Johnson (à droite) 
Brice Hortefeux (à gauche) et Nicola Johnson (à droite)


Quelle est la teneur de cette plainte pour faux ?

Elle concerne les falsifications, par mon ex-mari, de ma signature sur les déclarations de revenus de 2003, 2005 et 2006 qu’il a produites dans le cadre de notre divorce. Ma signature est grossièrement contrefaite ! Et si Ziad venait à être condamné pour fraude fiscale, je deviendrais complice à cause de cette falsification… Ce n’est pas acceptable. Tout cela, je ne l’ai découvert qu’en 2010.

Durant toute votre vie commune avec Ziad Takieddine, avez-vous été au courant de problèmes avec le fisc ?

Il avait, je crois, subi un contrôle fiscal quand il était directeur d’Isola 2000. Mais après, rien, à ma connaissance. Encore une fois, je ne m’occupais pas de tout cela.

A-t-il profité, selon vous, d’une clémence particulière de l’administration fiscale grâce à certains soutiens politiques ?

Je ne sais pas.

« J’ai eu honte pour lui »


 
© Hugo Vitrani


Est-ce que vous vous en voulez aujourd’hui, avec le recul, d’être restée un peu trop extérieure à toutes ces questions ?

J’aurais dû être beaucoup plus prudente, bien sûr ! Mais je lui faisais confiance. Complètement. Les yeux fermés. Bêtement, d’accord. Blonde, peut-être (sourires).

Fin septembre, quand vous avez vu votre ex-mari donner à la télévision, sur BFM TV, un ultimatum au président de la République pour que celui-ci le reçoive, quelle a été votre réaction ?

J’ai eu honte pour lui. Honte qu’il se croie au-dessus de la loi, aussi puissant. Mais c’est sûr qu’il a des relations avec des gens du pouvoir. Je l’ai su, je l’ai vu, je l’ai vécu. Il doit sentir qu’il a le pouvoir de faire de ce qu’il fait…

Il s’agit, selon vous, d’un sentiment d’impunité ?


Sûrement. On en a l’impression en regardant les émissions. Encore une fois, je sais qu’il a des amis hauts placés et des relations politiques importantes avec le pouvoir actuel. Je l’ai dit aux policiers et au juge. Je le confirme. Les gens que je l’ai vu fréquenter étaient dans le camp sarkozyste. Les Copé, on les voyait souvent. Ils venaient en vacances avec nous.


Avez-vous été témoin, par exemple, de contacts entre votre ex-mari et l’Elysée au moment de l’affaire de la libération des infirmières bulgares à l’été 2007 ?

Oui. J’étais présente pendant les discussions téléphoniques, nombreuses, que Ziad a eues avec Claude Guéant. J’ai l’impression qu’il a vraiment joué un rôle dans cette histoire.

Vous étiez présente, en avril 2004, sur l’île Moustique, lorsque votre ex-mari a eu un grave accident qui serait, selon lui, une tentative d’assassinat liée à ses activités d’intermédiaire. Quel souvenir en avez-vous ?

Ce jour-là, Ziad nous avait déposés à la plage, nos deux enfants, une amie et moi. Il avait oublié son téléphone portable à la maison. Il a donc repris sa voiturette, une sorte de gros véhicule de golf, pour aller le chercher. Apparemment, c’est sur le retour de la maison à la plage qu’il a eu cet « accident ». Une domestique travaillant dans une maison à côté a appelé les urgences.
D’après le médecin de l’île, Ziad avait subi un grave traumatisme crânien et il fallait tout de suite l’évacuer vers La Barbade pour l’opérer. Dans l’heure qui a suivi, nous avons décollé pour La Barbade où il a été opéré dans la nuit par un neurochirurgien local, qui lui a sauvé la vie.

« Une balle a été tirée dans le pare-brise de ma voiture »

Pouvez-vous confirmer que Jean-François Copé a joué un rôle dans le rapatriement de votre mari ?
Oui, bien sûr. Dans la panique, j’ai appelé les amis. Le premier fut Thierry Gaubert. Il m’a dit :  » Ecoute, je vais voir ce que je peux faire ». Et dans la journée, Jean-François Copé m’a appelée. Il connaissait un neurochirurgien français, en vacances sur une île voisine, qui pouvait nous aider.


MM. Takieddine (à gauche), Gaubert et Copé (à droite) en 2002. 
MM. Takieddine (à gauche), Gaubert et Copé (à droite) en 2002.

Quand ont émergé les premiers doutes sur le caractère accidentel de ce qui s’est passé ?

Pas tout de suite. Les premiers doutes sont apparus quand il était à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, où il a été rapatrié quelques jours plus tard. Le chef de la réanimation m’a dit que les blessures de Ziad ne correspondaient pas aux traumatismes liés à un accident de voiture ; il n’avait aucune plaie, aucune contusion sur le corps, simplement une grosse fracture derrière la tête. Il m’a dit : « Pour moi, il a été frappé par quelqu’un avec un objet contondant ». J’ai eu peur et j’ai pris un agent de sécurité qui l’a surveillé 24heures/24 à l’hôpital.

Votre ex-mari vous a-t-il parlé de ses propres doutes ?

Oui, mais beaucoup plus tard. Il m’a dit avoir appris que c’était une tentative d’assassinat liée à ses activités.

Dans le livre La République des mallettes, de Pierre Péan, il est indiqué que c’est Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, qui a livré à Ziad Takieddine en 2005 un rapport des services secrets avançant cette thèse…

C’est possible. Mon mari m’a effectivement dit qu’il a eu entre les mains un rapport des services de renseignement. Mais il ne m’a pas dit que c’était Nicolas Sarkozy qui le lui avait remis. Il ne m’a pas dit, non plus, qui était le commanditaire.

Le comportement de  votre ex-votre mari a-t-il changé après l’épisode de l’île Moustique ?

Il est devenu très irascible, très colérique, très sombre, beaucoup plus intimidant qu’avant. Un peu comme si tous ses traits de caractère étaient incroyablement amplifiés. C’était impossible d’avoir une discussion avec lui.

En 1996, Ziad Takieddine avait déjà été la cible de menaces au moment où le pouvoir chiraquien a décidé d’interrompre le versement de commissions dans deux marchés d’armement avec le Pakistan et l’Arabie saoudite. Pouvez-vous le confirmer ?

Oui. Une balle a été tirée dans le pare-brise de ma voiture, stationnée dans notre parking. J’ai vu l’impact, je confirme. La veille, j’avais reçu un appel de quelqu’un qui avait camouflé sa voix. Il m’avait dit : « Dis à ton mari d’arrêter tout cela sinon il va se retrouver dans le coffre d’une voiture ». J’étais affolée. Je lui ai dit qu’il fallait tout arrêter. Nous avions assez d’argent. Il m’a répondu : « Ce n’est rien. C’est comme ça ». Il a essayé de me rassurer. En vain. Il fallait faire attention aux écoutes, aux surveillances dans la rue…

Votre ex-mari a dit qu’il n’a jamais transporté de valises d’argent pour qui que ce soit. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Je ne sais pas comment il peut dire ça. Je constate qu’il a été arrêté à son retour de Libye, en mars dernier, avec une mallette contenant 1,5 million d’euros en espèces…

Mediapart

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