Élection au Québec, une tragédie
Voici un excellent commentaire que je vous invite à partager et à faire connaître
LA NUIT DES MONSTRES.
Par Pascale Cormier
Françoise David de Québec solidaire |
Les élections d’hier soir n’ont fait que des perdants. J’aurais voulu
pouvoir me réjouir de l’élection de la première femme première ministre
du Québec. Me réjouir de l’élection de Françoise David dans sa
circonscription, et de la défaite de John James Charest dans la sienne.
Mais nous voilà revenus à la case départ, avec un gouvernement
minoritaire trop faible pour s’imposer, et il est évident que nous
devrons retourner aux urnes très bientôt. Jean-Martin Aussant a été
battu dans sa circonscription, ce qui m’apparaît comme un non-sens.
Visiblement, beaucoup de nos compatriotes n’ont pas compris l’importance
de permettre à la pluralité des voix de s’exprimer à l’Assemblée
nationale. Ils préfèrent tourner en rond sempiternellement avec les
mêmes vieilles idées, la même façon ronronnante et usée de faire de la
politique.
Mais le plus consternant, c’est que malgré son bilan désastreux, malgré
les scandales qui s’accumulent et la crise sociale sans précédent que le
gouvernement Charest a cyniquement déclenchée et entretenue, le Parti
libéral est parvenu à faire élire le nombre incroyable de 50 députés et à
récolter 31,2 % des voix exprimées. Certes, il flotte autour de cette
élection un répugnant parfum de fraude électorale, et je connais
personnellement de nombreuses personnes qui n’ont pas pu voter parce que
leur nom avait mystérieusement disparu de la liste électorale. Le DGE
devra enquêter sérieusement là-dessus. Mais cela ne suffit pas à
expliquer l’ampleur du gâchis.
Pauline Marois du Parti Québécois nouvelle Première ministre |
Nous sortons tous et toutes salis et aigris de cette campagne désolante,
au cours de laquelle les couteaux ont volé très bas. Le Parti québécois
aura, lui aussi, un sérieux examen de conscience à faire. Avec ses 54
députés et un maigre 31,9 % des voix exprimées, il se retrouve
pratiquement nez à nez avec les libéraux. Il n’y a vraiment pas de quoi
pavoiser. C’est dire que ce parti n’est pas parvenu à incarner le
changement et le renouveau, malgré ses prétentions et une conjoncture
qui, a priori, pouvaient lui paraître favorables. Au lieu de tirer à
boulets rouges sur Québec solidaire et Option nationale, les militants
péquistes auraient mieux fait de s’interroger sur les raisons pour
lesquelles de nombreux indépendantistes sincères et convaincus se
retrouvaient dans ces nouveaux partis de gauche, ne pouvant plus prendre
leur place dans le vieux vaisseau amiral de la
souveraineté-association. Malgré ses prétentions, le PQ ne parvient plus
à convaincre qu’il peut gouverner beaucoup plus à gauche que les grands
partis fédéralistes ni qu’il peut réellement nous rapprocher du pays à
bâtir.
Ce qui me déçoit le plus, c’est que le parti que j’appuyais, Québec
solidaire, n’est pas parvenu, lui non plus, à incarner un changement
positif aux yeux de la population. Avec deux députés élus et un
malheureux 6 % des voix, concentrées surtout dans l’île de Montréal, la
preuve est faite que le PQ se trompait de cible en dénonçant la
« division du vote souverainiste » : il aurait mieux fait de surveiller
sa droite, c’est à la Coalition Avenir Québec que tout s’est jouée.
Certes, la CAQ n’a fait élire que 19 députés, mais elle a récolté 27,1 %
des voix et elle a le vent en poupe, visiblement. Comment ce parti à
droite de la droite, ramassis de vieux adéquistes et d’anciens péquistes
repentis, a-t-il réussi à incarner le changement pour une part aussi
importante de l’électorat, alors qu’il n’a rien d’autre à proposer que
des compressions, des mesures d’austérité et des privatisations
sauvages? Voilà qui laisse sans voix. Chose certaine, la CAQ a joué les
trouble-fêtes en se positionnant comme le parti des « nationalistes
raisonnables », des partisans de l’attentisme souverainiste et du « un
jour peut-être on-verra », grugeant ainsi le vote péquiste et permettant
aux libéraux de se faufiler dans de nombreuses circonscriptions.
Personne, à part la CAQ, ne sort indemne de cette triste campagne
déclenchée, on l’a oublié un peu vite, sur le dos de la jeunesse
québécoise qui avait servi de chair à canon dans une crise sociale sans
précédent, montée de toutes pièces par le très cynique gouvernement
libéral. Rien n’est encore joué dans ce dossier, comme dans bien
d’autres tout aussi importants, et quel que soit le gouvernement en
place, la rue devra parler plus fort que jamais dans les mois et les
années à venir. Cette élection prouve une fois de plus, si besoin était,
que la démocratie ne se limite pas à l’exercice électoral et à
l’élection d’un gouvernement. Le scrutin n’est en fait, dans une large
mesure, qu’une mascarade, un ersatz de démocratie, où les gouvernements
sont fabriqués à grand renfort de marketing avec la complicité de médias
tout-puissants. Au mieux, la démocratie commence dans l’isoloir; mais
elle ne s’y arrête surtout pas. Les abstentionnistes n’ont pas tort, au
fond, quand ils affirment que les élections ne changent rien. Nous en
avons, une fois de plus, la triste démonstration sous les yeux.
Le tireur Richard-Henry Bain a fait deux victimes |
Je n’ai que des questions ce matin. Je m’interroge sur la manipulation
des esprits qui embrouille nos choix; sur nos divisions qui alimentent
la haine; sur les murs d’incompréhension qui s’érigent entre nous. Hier,
cette soirée électorale s’est terminée dans la tragédie, alors qu’un attentat
sanglant a été commis au Metropolis. Bien sûr, c’était visiblement
l’acte isolé d’un cerveau dérangé; mais c’était aussi le fruit de
l’enflure verbale, des passions qui flambent, de la paranoïa qu’on
nourrit. Nous ne savons plus dialoguer; nous ne savons que nous crier
des noms. Et c’est cela qui m’inquiète plus que tout. Nos adversaires ne
sont pas forcément nos ennemis; il serait grand temps que nous
réapprenions à faire la différence.
Une seule réponse, pour l’instant, me vient à l’esprit. Un mot : la
peur. Le discours de la peur a gagné. Peur des soi-disant « casseurs ».
Peur de la rue. Peur de la gauche qu'on diabolise et qu'on calomnie.
Peur de l'indépendance. Peur du changement. On a si bien manipulé ce
peuple qu'il a voté dans la terreur. Et un cerveau fêlé est même passé
aux actes; un homme est mort pour rien. C'était écrit. Réjouissons-nous
seulement – s’il y a là motif à réjouissance – que le tueur n'ait pas
fait davantage de victimes. Mais si nous n’arrivons pas à freiner cette
spirale de la manipulation et de la haine, si nous ne mettons pas un
frein à cette folie, si nous ne parvenons pas très vite à renouer le
dialogue avec tous nos compatriotes, il y aura d'autres morts. Beaucoup
d'autres. Notre nation pourrait même ne pas y survivre.
Nous vivons des heures tragiques et cruciales. Laissons retomber la
poussière quelques jours, mais, ensuite, retroussons-nous les manches et
remettons-nous au travail. En cherchant à résoudre les conflits qui
nous divisent, mais, surtout, en nous appuyant sur ce qui nous unit.
Source Facebook
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