02 septembre 2012

Procès des meurtriers de Vittorio Arrigoni : il nous faut des réponses, et pas seulement un verdict !

dimanche 2 septembre 2012 - 05h:03
Ramzy Baroud




Il était une fois un jeune homme originaire d’une très petite ville italienne appelée Bulciago, et qui voulait changer le monde. Dès qu’il eut terminé ses examens, il commença sa quête. 
 
 
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Vittorio

 Il voyagea de plus en plus loin, et quand il arriva à Jérusalem en 2002, il savait avoir trouvé sa vocation.
En 2008, ce jeune homme, Vittorio Arrigoni, navigua en haute mer sur un petit bateau. Son but était d’aider à mettre fin au siège imposé à une population qui vit dans la minuscule bande de Gaza et qui souffre depuis longtemps. Dans un journal qui a été récemment publié dans un livre très attendu, Freedom Sailors, Arrigoni écrivait :
« L’Histoire, c’est nous ; l’Histoire n’est pas faite par des gouvernements sans courage, avec leur loyauté à celui qui a la plus forte armée. L’Histoire est faite par des gens ordinaires. »
L’Histoire de Vittorio voit « les gens ordinaires » comme des acteurs qui peuvent changer le monde : des marins courageux qui peuvent défier les grandes puissances militaires, des médecins qui se précipitent à travers les frontières et sauvent des vies, des écrivains, des professeurs, des conférenciers, des musiciens et des gens de tous les horizons.
Le second prénom de Vittorio était « Utopie », mais il était pourtant loin d’être un utopiste. Vittorio était très réaliste, et traçait de lui-même la voie pour les autres. Une fois dans la bande de Gaza, il fut déterminé à voir aboutir sa mission, jusqu’à la fin, malgré de nombreuses et impérieuses raisons de partir. Il fut blessé en septembre 2008 par la marine israélienne alors qu’il accompagnait les pêcheurs palestiniens dans les eaux territoriales de Gaza. Un mois plus tard, il fut arrêté - ou plutôt « kidnappé » - par l’armée israélienne, puis expulsé. Un mois plus tard, il revint, juste à temps pour pouvoir témoigner sur la ainsi-nommée opération Cast lead. Il s’agissait d’une guerre unilatérale contre Gaza de décembre 2008 à janvier 2009, suite à l’échec des objectifs politiques que les Israélien voulaient imposer par le blocus. Cette guerre de 22 jours a fait plus de 1400 morts et des milliers de blessés dans la population de Gaza.
Vittorio était là, assistant à tout cela. Tandis que beaucoup suivaient la guerre en manipulant le bouton on/off de leur télécommande, Vittorio accompagnait les ambulances au milieu de la nuit, réconfortant les blessés, pleurant avec les personnes en deuil, appelant le monde à l’aide et survivant lui-même à la guerre.
Il envoyait quotidiennement des dépêches aux médias italiens, bloguait sur son site et écrivait à ses amis dans le monde entier. Son livre, Restiamo Umani (Restons humains) offre un aperçu de l’expérience de cet homme courageux. Au début, il écrivait comme un militant italien. À la fin, il était devenu un palestinien assiégé dans la bande de Gaza.
Aux yeux de certains, il était dangereux. Un site Internet d’une association américaine d’extrême-droite appela à son assassinat. Ce n’était pas la personne de Vittorio qui alarmait Israël, mais ce que lui, et d’autres comme lui, symbolisaient - un défi pour la prédictibilité d’un conflit entre un oppresseur puissant et un opprimé faible mais à la résistance intraitable. Du point de vue d’Israël, un idéaliste d’une ville de nord de l’Italie n’avait rien à faire dans la bande de Gaza, où les gens sont pour une durée indéfinie en cage dans une prison à ciel ouvert. Ni Vittorio ni aucune autre militant internationaliste ne devait perturber cette expérience inhumaine.
Mais l’histoire de Vittorio prit une tournure inattendue. En avril 2011, il fut enlevé et assassiné. Ses assassins étaient des Palestiniens de Gaza, commandés par un mystérieux jordanien dont les origines et les motivations restent floues. C’était une fin horrible, des plus absurdes, pour une histoire qui n’était en rien destinée à tourner aussi mal.
Il a fallu beaucoup de temps à la société palestinienne pour accepter le fait que les meurtriers de Vittorio étaient en fait des habitants de Gaza, pendant que d’autres se réjouissaient bruyamment. Les détracteurs de Vittorio menaient une guerre médiatique, diffament les Palestiniens, les militants internationalistes et les ainsi-nommés italiens égarés qui croyaient que les peuples pouvaient changer l’Histoire.
Écrivant dans le Jewish Chronicle, l’historien Geoffrey Alderman déclara : « Peu d’événements - pas même l’exécution d’Oussama Ben Laden - m’ont fait plus de plaisir dans les dernières semaines que la nouvelle de la mort du soi-disant ’militant de la paix’ italien Vittorio Arrigoni » (tel que cité dans View from Jerusalem avec Harriet Sherwood le 18 mai 2011). Alors que Sherwood trouvait « choquant » les commentaires, la manifestation de plaisir face au meurtre d’un militant de la paix est pleinement cohérente avec les efforts permanents d’Israël pour « décourager » les militants internationaux de faire preuve de solidarité avec les Palestiniens.
Le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza depuis sa rupture avec l’organisation rivale du Fatah en 2007, semblait sincère dans sa tentative de capturer les assassins de Vittorio. Une enquête s’est rapidement orientée vers des groupes salafistes, Tawhid et Jihad, l’Armée de l’Islam et d’autres. Une chasse à l’homme a suivi, entraînant la mort d’un citoyen jordanien, Abbad a-Rahman al-Brizat, et d’un réfugié palestinien, Balal al-Omari. D’autres ont été capturés et en septembre 2011, leur procès a débuté.
Le procès des assassins présumés de Vittorio n’a pas exactement été un modèle de transparence. Le 4 septembre, un verdict devrait être rendu pour les quatre hommes accusés d’être impliqués dans l’assassinat. Al-Brizat, le Jordanien, était peut-être la clé la plus importante dans le procès. Il a maintenant disparu, et les allégations selon lesquelles son véritable objectif était d’échanger Vittorio contre un chef salafiste emprisonné, Hisham al-Saedni, restent non vérifiées. Juste onze jours avant l’assassinat de Vittorio, un autre militant, Juliano Mer-Khamis, a été assassiné à Jénine, en Cisjordanie. Le moment choisi pour l’assassinat laisse perplexe et suggère un plus large complot. Le Hamas et d’autres responsables palestiniens ont suggéré qu’Israël était impliqué dans les deux actes ignobles, mais le fil doit encore être trouvé et démêlé.
Prétextant le manque de preuves, le Hamas a libéré plus tôt ce mois-ci al-Maqdissi - l’homme que les djihadistes, semble-t-il, voulaient faire libérer. Quelques jours plus tard, après l’assassinat des soldats égyptiens dans le Sinaï, le Hamas avait sévi contre le groupe d’al-Maqdissi. L’intrigue ici commence à s’épaissir au-delà de ce qu’un récit simple peut expliquer pour tous les maillons manquants.
Le 4 septembre, quatre hommes attendront le verdict d’un tribunal militaire de Gaza. Mais beaucoup plus d’éléments seront jugés ce jour-là, et la crédibilité du système judiciaire de Gaza ne sera pas le dernier. Beaucoup de questions devront avoir des réponses pour que l’on comprenne vraiment ce qui s’est passé dans la bande de Gaza, et qui tire les ficelles.
Le meurtre de Vittorio avait pour but non seulement de le tuer en tant que personne. Il avait également pour but de détruire l’idée même qui l’a accompagné lui et ses amis vers la bande de Gaza en 2008 : que les gens ordinaires font l’Histoire et que ce sont eux, et eux seuls, qui finiront par faire la différence dans un monde gouverné par des intérêts sordides et la puissance militaire.
Oui, la justice pour Vittorio Utopia Arrigoni est primordiale, mais nous attendons du gouvernement de Gaza qu’il fasse plus que rendre un verdict, et qu’il réponde à ceux qui veulent tuer le rêve de Vittorio, en même temps que notre humanité.
 
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*Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com
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27 août 2012 - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.net - Claude Zurbach

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