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Liberté d’expression n’est pas liberté d’outrager
Le film, aussi débile que grossier, du repris de justice américain
Nakoula Besseley contre les musulmans est évidemment l’une des
manifestations de l’islamophobie générale qui gangrène les pays
occidentaux.
Une islamophobie qu’illustrent et renforcent les
réactions de leurs médias à propos des manifestations d’indignation qui
ont soulevé le Monde arabe. Sous des titres qui englobent l’ensemble des
musulmans et les présentent comme une masse furieuse, dangereuse, avide
de violence – «Le monde arabe s’embrase», «Colère des musulmans» –
journaux, radios, télévisions ont fait une large place aux
manifestations que le film a provoquées en Tunisie, en Egypte, au
Yémen... : la mise à sac de plusieurs ambassades américaines, l’incendie
du consulat de Tunis, des foules hurlantes brûlant le drapeau
américain…, les téléspectateurs européens n’ignorent plus rien. Ou
plutôt, ils s’imaginent savoir. Car les télévisions leur ont livré des
images sans la moindre distance, sans suggérer qu’incendiaires et
casseurs ne sont pas représentatifs des peuples arabes, sans aucun
commentaire sur la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient, sur le
soutien qu’ils apportent aux régimes les plus réactionnaires de la
région, sur leur défense inconditionnelle d’Israël. Montrer n’est pas
neutre, toute image porte un message, illustre et oriente une manière de
voir et de juger, le plus souvent partiale.
Les reportages des
médias n’ont pu que renforcer la conviction de bien des Européens que
les Arabes sont des êtres violents, irrationnels, incapables de se
maîtriser et de raison garder. Il est vrai que les Présidents tunisien
et égyptien ont condamné la violence de certains manifestants, mais de
quel poids peuvent être leurs mots face au choc des photos ? Imprégnés
de l’islamophobie rampante des médias, la plupart des reportages n’ont
pu que renforcer l’islamophobie du public. Une islamophobie que conforte
également le silence d’un certain nombre d’intellectuels. Les plus en
vue, les plus médiatisés, ces droits-de-l’hommistes qu’on n’entend
jamais s’insurger contre les crimes que commet chaque jour l’armée
israélienne, mais qui s’indignent et crient à l’antisémitisme dès qu’on
dénonce ses méthodes et la politique d’Israël. Ni Alain Finkielkraut,
qui célébra le pamphlet raciste et islamophobe d’Oriana Fallaci La Rage
et l’Orgueil, ni Bernard-Henry Lévy qui se garde bien d’intervenir dans
un conflit qui le concerne pourtant au premier chef, ni André Glucksman
qui n’a d’yeux que pour Poutine qu’il attaque d’article en article,
aucun de ces «humanistes» pour qui la défense des droits de l’homme ne
concerne que certains hommes n’a protesté contre le film islamophobe de
l’Américain.
D’autres font mieux encore, si l’on peut dire :
loin d’approuver ouvertement, ce qui abîmerait leur image, les
manifestations les plus grossières d’islamophobie telles les caricatures
danoises du Prophète, ils les approuvent par la bande, indirectement,
au nom de la liberté d’expression qui, disent-ils, doit être totale.
Curieuse exigence qui ne se manifeste, de nouveau, qu’à propos des
musulmans. Exigence de tartuffes, là encore, qui, se posant en
défenseurs de toutes les libertés, incitent et invitent à calomnier
l’islam. Car c’est seulement quand il s’agit de l’islam qu’ils postulent
le droit absolu de tout dire même des insanités, de tout caricaturer
même avec la plus grande vulgarité, le droit, finalement, de ne pas
respecter une religion qu’ils ne connaissent pas, ne comprennent pas et
qu’ils exècrent. Il ne peut être question, évidemment, de restreindre
par la loi la liberté d’expression ni d’appeler au rétablissement de la
censure. Toute intervention de l’Etat doit être bannie. Chacun doit
avoir le droit imprescriptible de dire et d’écrire ce qu’il veut. Mais
cela ne signifie pas qu’il puisse le faire impunément.
Avoir le
droit de tout dire n’accorde aucune immunité et ne protège d’aucune
poursuite. Tout dépend de la nature de ce qu’on dit, de la façon dont on
le dit, du moment où on le dit, des conséquences que ces propos peuvent
entraîner. Qu’un athée ait le droit le plus absolu d’exposer ses
positions et d’expliquer – comme Spinoza hier ou Michel Onfray
aujourd’hui – pourquoi, d’après lui, les religions sont des monuments
d’irrationalité mortifère, c’est une évidence. Mais qu’on poursuive en
justice un caricaturiste qui peint de façon injurieuse le fondateur
d’une religion et déclenche des émeutes n’est nullement une atteinte à
la liberté d’expression : c’est la sanction d’un délit. La liberté
d’expression n’est pas la liberté d’outrager et il est tout à fait
légitime que la victime d’une agression porte plainte. Comme l’écrit
Emmauel Todd(1), l’islamophobie est décidément «le mal du siècle
présent». Elle imprègne à ce point la mentalité d’un grand nombre
d’Occidentaux qu’elle les aveugle, les égare et les incite à dire
n’importe quoi.
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