06 novembre 2012

Affaire syrienne: Lettre au journal Le Monde



 
Lettre au journal Le Monde
Le traitement de l’affaire syrienne par le journal interpelle trop ma conscience. Les écrits publiés dans l’édition datée du 26 octobre ne sont que la continuation du même discours, mais sans doute la goutte qui fait déborder le vase.
Guy – docteur en géographie
31 octobre 2012
Ce journalisme embarqué avec l’ASL sert-il le projet d’un journal de référence ?
Lettre au journal Le Monde
Objet : Le Monde daté du 26 octobre 2012 et son traitement de l’affaire syrienne.
5 novembre 2012
Monsieur Pascal Galinier
Médiateur
Journal Le Monde
80 bd Auguste-Bianchi
75707 PARIS cedex
Objet : Le Monde daté du 26 octobre 2012 – traitement de l’affaire syrienne
Monsieur le Médiateur,
Comme beaucoup des lecteurs du journal, Le Monde a accompagné mes études il y a quelques décennies, et j’ai pris à sa lecture beaucoup de plaisir, c’est-à-dire d’informations pour penser par moi-même. Après bien des exaspérations ces dernières années – disons au moins depuis 2005, j’en viens au point où je ne peux plus me taire. Le traitement de l’affaire syrienne par le journal interpelle trop ma conscience. Les écrits publiés dans l’édition datée du 26 octobre ne sont que la continuation du même discours, mais sans doute la goutte qui fait déborder le vase.
Que nous y rabâche-t-on sous différentes signatures ? Que de sympathiques « rebelles » viennent « libérer » un pays victime de son « régime criminel » qui bombarde les femmes enceintes dans les hôpitaux. Je passe sur les contradictions qui émaillent le reportage sur Selma, « vidée de ses civils » et où un médecin traite « 20 000 civils, des bébés, des vieillards, des femmes enceintes… » On nous redit qu’il faut absolument et d’urgence livrer des armes lourdes à ces rebelles – sans doute pour consolider la trêve. Que l’attentat à la voiture piégée est « l’une des techniques préférées des services syriens », que 24 964 civils ont péri depuis le début des manifestations en Syrie selon l’« Observatoire Syrien des Droits de l’Homme », que les Djihadistes qui combattent parmi les « rebelles » ne sont pas si méchants que cela, et que plus vite l’État syrien aura été écrasé, plus facile sera la gestion de l’ère post-Assad.
Mais tout cela est-il de l’information ? Ce « journalisme », embarqué « avec l’ASL », sert-il le projet d’un « journal de référence », ou bien avant tout le dessein de la coalition emmenée par les États Unis d’Amérique, financée par l’Arabie saoudite et le Qatar ? Nous savons pourtant que l’invasion de l’Irak, après des années d’embargo meurtrier, a été basée sur un mensonge éhonté relayé par les medias dominants, et a causé des centaines de milliers de morts, essentiellement des civils, et des millions de déplacés, aux existences ruinées. Pourquoi, par ailleurs, la rédaction ne s’embarquerait pas « avec les rebelles du Nord Mali », ou « avec les salafistes tunisiens » ?
Dans le cas de la Syrie, et notamment ce 26 octobre 2012, nous aurions aimé savoir de quelles nationalités sont les rebelles ? Quelles langues ils utilisent ? Quel projet ont-ils pour la société syrienne ? Pour la femme syrienne ? Quels droits pour les minorités ? Nous aurions souhaité plus de nuances sur les attentats, que les rédacteurs ont réussi le tour de force d’attribuer aux services d’un État, alors que depuis des années nous avons constaté que les attentats aveugles et sanglants à Londres, Madrid, New-York, Istanbul, Alger, Bagdad, etc., etc. sont la carte de visite des Djihadistes ! Aux détours de phrases, seulement, nous avons décelé que ces « rebelles » considèrent leurs morts comme des « martyrs », ont une intention génocidaire à l’endroit des Alaouites, sont pour beaucoup le produit d’un tribalisme structuré par les «  jeunes salafistes disciplinés », sont étrangers à la société syrienne – empreinte de laïcité – qu’ils ne connaissent pas, et sont financés par les « mystérieux bienfaiteurs du golfe. »
Nous aurions voulu aussi apprendre ce que fait l’État syrien, pour réparer les écoles, fabriques de médicaments, installations de production d’eau potable et d’électricité, silos à grains, prioritairement détruits par les « rebelles » pour organiser le chaos et une situation de catastrophe humanitaire à l’entrée de l’hiver. Nous aurions voulu savoir pourquoi ce régime forcément haï par son peuple résiste depuis si longtemps. Nous aimerions connaître la position de l’opposition démocratique en Syrie, qui prend part au fonctionnement d’institutions profondément réformées depuis mars 2011 par un processus démocratique et en particulier référendaire – les référendums se faisant rares en Europe, soit dit en passant.
Par-delà ces investigations de terrain plus équilibrées, le journal devrait aussi s’intéresser à l’histoire de la Syrie, depuis les émeutes de Damas en 1860, le bombardement de la même ville par De Gaulle en 1945, en passant par les promesses du Front populaire en 1936, et jusqu’à la création d’Israël en 1947, les résolutions de l’ONU…
Pour finir, comment ne pas souligner le risque moral que prennent la rédaction et les signataires d’articles qui s’apparentent à une propagande de guerre ? Si un génocide – dont le risque est reconnu, se produisait après la destruction de l’État syrien, ces auteurs seraient coupables de complicité. De même si la charia exigée en Syrie depuis les années 1970 par les Frères musulmans venait à y être instaurée : la rédaction du journal Le Monde serait-elle invitée aux lapidations ?
J’apprécierais de connaître votre point de vue sur cette très grave dérive du journal.
J’espère qu’il vous sera possible d’obtenir un sursaut de conscience. Il en va aussi de l’avenir de votre profession, une condition fondamentale de la démocratie réelle.
Je vous prie de bien vouloir recevoir, Monsieur le Médiateur, l’expression de mes salutations les meilleures.

Guy – docteur en géographie
31 octobre 2012

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