Michel Warschawski : « Israël n’existe que par la guerre »
jeudi 8 novembre 2012 - 06h:12
Alohanews
Israël a besoin d’un ennemi. Il doit être en état de guerre
permanent. Sans beaucoup d’exagération, Israël n’existe que par la
guerre. Israël n’est soutenu par les États-Unis (3,5 milliards $ par an)
que parce qu’il joue un rôle militaire dans la région. La pire
catastrophe qui puisse arriver à Israël, c’est qu’il n’y ait pas de
guerre, qu’il n’y ait pas d’ennemi, pas de menace.
Alohanews est allé à la rencontre de Michel Warschawski.
Sous son allure de peintre des temps modernes, ce journaliste a
longtemps contribué à la cause palestinienne en combattant l’occupation
et le colonialisme organisé depuis plus de quarante ans par les
gouvernements israéliens successifs. Il est notamment le président du
Centre d’Information Alternative (AIC) de Jérusalem. Lors de cet
entretien, il sera question de la société israélienne, la politique
israélienne ainsi que ses rapports avec l’Iran.
Dans le livre Un autre Israël est possible
que vous avez co-écrit avec Dominique Vidal, vous mettez en lumière le
mouvement des “indignés” de la population israélienne qui a planté ses
tentes l’été 2011 à Jérusalem, Haïfa et Tel-Aviv. Quelles étaient leurs
revendications ?
Ce mouvement qu’on appelait le mouvement des tentes ou
mouvement des indignés de 2011, s’est intentionnellement limité à des
revendications d’ordre socio-économiques. Les revendications étaient le
droit au logement, le droit à une santé publique gratuite, le droit à
l’éducation. Il s’agit de droits et pas d’une marchandise dans le cadre
d’une libéralisation et d’un néo-libéralisme débridé. Il a fait
l’impasse sur les questions liées au conflit en Palestine et au conflit
israélo-arabe en général.
Ce mouvement s’est questionné sur
les sujets de société, mais s’est bien gardé de s’exprimer sur les
questions politiques bien qu’il y ait une corrélation entre les deux.
Les injustices naissent en partie d’une politique ultralibérale
sécuritaire qui consacre la majorité de son budget à la Défense. Votre
analyse là-dessus ?
Effectivement, cette séparation entre le social d’un
coté et le politique de l’autre est une scission totalement artificielle
loin de la réalité. Pour satisfaire les revendications du mouvement, il
faut faire des choix politiques ! Il faut réduire substantiellement le
budget militaire. Il faut arrêter de subventionner les colonies. C’est
la faiblesse du mouvement, il fallait lier les deux et ne pas se
focaliser sur l’aspect économique. Le mouvement devait dénoncer une
classe politique qui a fait le choix de l’occupation coloniale depuis
maintenant quarante ans.
Quel est votre rapport à l’État d’Israël ?
Je suis citoyen israélien. Je me sens totalement
impliqué comme citoyen, comme père, comme grand-père dans cette société
israélienne tout en étant radicalement critique non seulement de la
politique menée par les différents gouvernements israéliens depuis qu’il
existe, mais aussi envers la nature même de l’État. Israël n’est pas un
État normal. Israël selon sa propre définition est un État juif dont
l’objectif est de renforcer le caractère juif démographiquement parlant.
C’est-à-dire l’État qui considère l’indigène, le Palestinien comme un
étranger sur sa terre. Une grande partie a été expulsée de cette terre,
ce sont les réfugiés. Et ceux qui sont restés sont perçus comme des
locataires tolérés. Sans parler de la population occupée de Cisjordanie
et de la bande de Gaza qui n’a aucun droit politique et qui vit sous
administration militaire maintenant depuis plus de quarante ans.
Vous êtes président du Centre d’Information Alternative (AIC) de Jérusalem, comment ce projet a vu le jour ?
C’est un projet éminemment politique. Nous étions des
militants et c’était une initiative ancienne puisque le centre a été
constitué en 1984. Sa spécificité est que ce centre est composé de
militants politiques israéliens et palestiniens. C’est une organisation
réellement mixte de militants de la gauche palestinienne et militants
antisionistes israéliens qui collaboraient depuis bien longtemps dans le
combat contre le colonialisme, contre l’occupation coloniale, contre la
politique de guerre.
À un certain moment, nous avons été confrontés à un
déficit d’informations. Rappelons-nous qu’en Israël, en 1982, c’est la
guerre du Liban, un immense mouvement antiguerre se met en place. Plus
de 400 000 personnes descendent dans les rues de Tel-Aviv pour condamner
les massacres. Nos amis palestiniens avec qui nous étions ensemble dans
le combat politique nous disent : “Nous ne comprenons pas ce qui se passe, nous ne nous attendions pas à une telle mobilisation”.
Il y avait donc une demande d’intelligibilité, de faire comprendre ce
qui se passe en Israël. Et parallèlement en Palestine s’est déroulé à la
même époque un nouveau phénomène à savoir l’émergence des mouvements
populaires qui deviendra plus tard la première Intifada. Les mouvements
de femmes, des syndicats étudiants, des syndicats ouvriers ont pris les
devants de la scène. Ces derniers étaient totalement méconnus du côté
israélien. Il y avait une volonté dans notre centre de faire connaître
la réalité de la société palestinienne aux Israéliens, aux médias
israéliens, aux faiseurs d’opinions, aux militants. Et aussi d’expliquer
aux Palestiniens, de leur donner des clés de compréhension des
évolutions de la société israélienne.
Quelle est votre analyse sur l’actualité entre Israël et l’Iran ?
Israël a besoin d’un ennemi. Il doit être en état de
guerre permanent. Sans beaucoup d’exagération, Israël n’existe que par
la guerre. Israël n’est soutenu par les États-Unis (3,5 milliards $ par
an) que parce qu’il joue un rôle militaire dans la région. La pire
catastrophe qui puisse arriver à Israël, c’est qu’il n’y ait pas de
guerre, qu’il n’y ait pas d’ennemi, pas de menace. Il s’agit donc
toujours d’identifier une nouvelle menace. Nous avons eu le terrorisme
qui est devenu le terrorisme islamiste et qui ensuite s’est généralisé à
l’Islam. Ce n’est pas suffisant, alors on prend le Hezbollah, mais ce
dernier est trop petit. Il faut trouver plus grand, j’irai même à dire
qu’il faut vendre à Washington que cet ennemi ne menace pas seulement
Israël, mais menace la civilisation judéo-chrétienne tout entière. Nous
arrivons à cette équation générale que la civilisation judéo-chrétienne
est menacée par l’Islam représenté par la République Islamique d’Iran.
On prend les fanfaronnades, des déclarations qui parfois
sont stupides de Mahmoud Ahmadinejad monnaie comptant. Le gouvernement
israélien s’insurge en accusant ce dernier de vouloir détruire Israël.
Alors que toute analyste sérieux vous dira que ce n’est pas vrai.
Faisant d’ailleurs le jeu d’Ahmadinejad qui comme cela peut se présenter
comme le seul qui maintient le combat pour défendre le droit des
Palestiniens. De ce fait, Israël permet de justifier cette stratégie de
guerre permanente et préventive dans la région.
Est-ce qu’au final, Mahmoud Ahmadinejad ne serait pas l’ennemi utile d’Israël ?
Tout d’abord, Mahmoud Ahmadinejad est à la tête d’une
puissance régionale. Ce dernier se bat non pas contre Israël, ce n’est
pas du tout son objectif. Ce dernier veut assoir la place de l’Iran
comme puissance incontournable dans la région. L’ennemi d’Ahmadinejad,
le vrai conflit n’est pas du tout avec Israël, mais c’est avec l’Arabie
Saoudite et les pays du Golfe.
Le clivage sunnite-chiite ?
Ce n’est pas essentiellement une question
sunnite-chiite. C’est une question d’ordre économique et de pouvoir
stratégique dans la région. L’hégémonie dans cette région, notamment
dans le détroit d’Ormuz, dans la région du Golfe est extrêmement
importante. Mahmoud Ahmadinejad se sert de la question palestinienne et
d’une rhétorique radicalement anti-israélienne pour renforcer sa
position dans la région. Il veut montrer que ses adversaires arabes en
font moins que lui sur la question palestinienne. Là est véritablement
l’enjeu d’Ahmadinejad. Ce n’est pas du tout la guerre contre Israël.
Je partage l’opinion des services de renseignements
israéliens intelligents qui disent qu’il faut arrêter de considérer
l’Iran comme un pouvoir irrationnel, que ce sont des fous, des
fanatiques, ce n’est pas tout sérieux comme analyse. En Iran, il y a un
agenda politique, il y a des objectifs politiques sur lesquels se greffe
cette rhétorique radicale, mais qui est tout à fait rationnelle.
D’ailleurs, Barack Obama l’a compris, car il entreprend des négociations
avec le gouvernement iranien. C’est ce que veut l’Iran, parlez avec eux
et donnez leur la place, arrêtons de les marginaliser.
Quel est l’enjeu réel de la visite de Benjamin Netanyahou dans l’Hexagone ?
Je ne crois pas qu’il y ait d’enjeux importants. C’est
une opération de relations publiques. Le gouvernement d’extrême droite
israélienne est assez isolé et critiqué y compris par des pays de
l’Union européenne, y compris par les États unis bien que ce soit
discret, élections présidentielles obligent. Le gouvernement israélien
est totalement en porte à faux face aux politiques qui se dessinent en
Occident. Ces derniers essayent de se replacer dans la région du
Moyen-Orient qui est en pleine mutation. Pendant ce temps-là, de
nouvelles puissances s’affirment comme la Russie qui revient, la Chine,
l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud. Dans ce cadre-là, les États-Unis
seront obligés de s’adapter à cette nouvelle réalité. Tandis que du côté
du israélien, nous avons un gouvernement qui vit vingt ans en arrière.
Ce dernier agit comme si le président était encore George Bush, qui est
encore dans la guerre globale et préventive. Ce ne peut être la
stratégie américaine d’aujourd’hui parce qu’elle a échoué et leur a
couté très cher.
Il y a donc les germes d’une tension, non pas d’une
remise en question de l’alliance stratégique qui unit les deux pays,
celle-là est malheureusement encore présente pour longtemps. Il y a une
question primordiale qui se pose : comment gérer la nouvelle donne
internationale et régionale ? Benjamin Netanyahou est totalement isolé.
Ce n’est pas le cas en Israël malheureusement, mais nous sommes à
contre-courant de la plupart des chefs d’États européens et des
Américains. Nous ne pouvons pas continuer comme cela.
Alors on essaie de montrer que tout va bien, on va faire
beaucoup de photographies sur le parvis de l’Élysée. C’est une
opération assez inutile. Je ne donne aucune importance à cela. Il y a
quand même quelque chose d’important, l’Union européenne vient de
rehausser le statut d’Israël dans les institutions européennes. Non
seulement, il n’y a pas de sanctions, mais on donne une reconnaissance,
un bonus à Israël. C’est rendre un très mauvais service à la population
israélienne. Je crois que les sanctions, cela permet parfois d’ouvrir
les yeux et de réaliser que nous sommes dans le gouffre. Nous sommes en
train de nous isoler. Qu’on nous caresse dans le sens du poil quoiqu’on
fasse malgré les massacres, malgré la colonisation, malgré le refus de
négocier quoi que ce soit. Nous ne faisons que renforcer les mauvaises
tendances.
Un mot pour Alohanews ?
Continuez ! Je pense qu’il est extrêmement important
d’aider le public à avoir des clés de compréhension. Ce n’est pas
l’information qui manque. Moi je ne suis pas de ceux qui lisent les
journaux. L’important n’est pas de savoir, mais de comprendre. Ce que
beaucoup de citoyens européens n’arrivent pas à comprendre. Qu’est ce
que cela veut dire ? Il faut décrypter l’information qu’on nous donne et
non l’intérioriser de façon passive.
Propos recueillis par Mouâd Salhi
Site du Centre d’Information Alternative
5 novembre 2012 - Alohanews
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