18 novembre 2012

Décès de deux grévistes de la faim tunisiens : De la complicité des médias et de la société civile


Jeudi 15 novembre 2012, Béchir El Golli, jeune tunisien âgé de 28 ans, décède suite à une grève de la faim sauvage. Deux jours plus tard, c’est au tour de Mohamed Bakhti de s’éteindre, à priori suite aux mêmes causes – son avocat ayant souligné tout de même qu’il souffrait également d’une hémorragie cérébrale.
Le point commun entre ces deux tunisiens : leur appartenance à la mouvance salafiste et leur prétendue responsabilité dans les évènements de l’ambassade des Etats-Unis à Tunis survenus suite à la diffusion du film « L’Innocence des Musulmans », prétendue responsabilité qui leur a valu une arrestation dans des conditions inhumaines.
Le 26 septembre 2012, une dépêche de l’AFP annonce que les deux détenus sont entrés en grève de la faim sauvage depuis 3 jours. Leur avocat déclarera à l’agence de presse que les deux jeunes hommes « ont été frappés par la police » et qu’ « on leur refuse de voir des médecins ». L’avocat rajoutera qu’ils ont été placés, ensemble avec sept autres accusés « dans une cellule de 1,5 mètre sur deux » à la suite d’une bagarre avec des prisonniers de droit commun.
Les deux grévistes de la faim réclamaient alors « des conditions de détention humaines ». Leur avocat, Me Ben Mbarek estimait qu’il n’y avait pas de preuve de leur implication dans les violences.
Cependant, la dépêche de l’AFP ne fera pas beaucoup de bruit. Elle sera reprise en diagonale par quelques médias électroniques français, dont Le Figaro, médias qui mettront l’accent sur le passé « sulfureux » de Mohamed Bakhti en le liant – par un lien difficilement intelligible – à Abou Yadh, l’un des chefs de la mouvance Djihadiste en Tunisie. Les médias français ne s’attarderont pas sur la grève de la faim en soi et ce qu’elle révèle au sujet des conditions de détention des prisonniers et du non-respect de leur droit à un traitement digne et à un procès équitable.
« Mohamed Bakhti avait été condamné en 2007 à douze ans de prison après des affrontements sanglants entre l’armée et des islamistes à Soliman, près de Tunis, à l’époque du président Ben Ali. Il a bénéficié de l’amnistie décidée après la révolution de 2011.
Abou Iyadh, libéré lui aussi à la faveur de cette amnistie, est pour sa part considéré comme l’un des dirigeants du groupe de Tunisiens proche des talibans afghans qui aurait organisé l’attentat ayant tué le commandant Massoud le 9 septembre 2001. L’attaque suicide avait été commise par deux Tunisiens déguisés en journalistes. » [Le Figaro, le 26 septembre 2012]
La dépêche est reprise plus en détail par des médias électroniques arabes. Ainsi, Elaph annoncera le nombre de détenus suite aux évènements de l’ambassade – une centaine dont 20 salafistes – et reviendra sur des faits marquants rapportés par l’avocat Ben Mbarek et notamment l’interdiction de se doucher imposées aux détenus depuis leur arrestation.
Puis silence radio.
Ni les médias de masse (télévisions publiques et privées, radios publiques et privées), ni les organisations de défense des droits de l’Homme, ni les figures de la société civile ne s’intéresseront au sujet, leurs combats et leurs débats demeurant, comme toujours, sélectifs et les droits de l’Homme demeurant réservés à tous les Hommes du moment qu’ils ne portent pas de barbes. Leur crédo : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. »
C’est alors que la jeune communauté salafiste tunisienne tente désespérément d’interpeler l’opinion publique à travers les réseaux sociaux.
Le 3 octobre 2012, l’une de mes sources, un jeune salafiste très actif sur le net, m’interpellera, indigné par le silence complice des médias. Il me fera parvenir cette vidéo : (Suivre le lien ici)
C’est le témoignage de l’épouse d’un dénommé Oussama Chebbi, salafiste, disparu le mercredi 22 septembre 2012 soit une semaine après les évènements de l’ambassade des Etats-Unis. L’épouse du salafiste devra attendre 24 heures pour apprendre que son mari est détenu à la prison de Gorjani et inculpé dans l’affaire de l’ambassade. Elle revient sur les conditions d’arrestation et de détention d’Oussema et décrit une institution pénitentiaire indigne et une justice perverse.
Mais le témoignage de la dame passe inaperçu, la burqa qu’elle porte la privant de toute sympathie des internautes et des journalistes à la pêche des infos sur les réseaux sociaux.
Le 8 octobre 2012, c’est une autre page tenue par la communauté salafiste qui tente d’interpeler l’opinion publique. Une photo accompagnée d’une légende décrit l’horreur :
- Issam, enlevé et violenté par les services de la sûreté de l’Etat. En prison. On lui aurait cassé les dents et fracturé les omoplates. Entré en grève de la faim avec Sofiane Touihri pour contester la torture qui se poursuit.
- Hatem, atteint d’une maladie chronique. Souffre de douleurs puissantes au niveau de la jambe gauche. Dénonce la violence dont il est victime en prison.
- Maher Mahjoubi, Imam de la mosquée Errahma. Aurait été enlevé alors qu’il était sur son lieu de travail.
- Khaïri, blessé aux yeux lors d’une décente de police. Aurait perdu un œil en prison à cause de l’absence de soins.


Le 9 octobre 2012, ma source me signale une vaste campagne d’arrestation dans son quartier. Deux de ses voisins sont arrêtés. Il y aurait toute une liste de jeunes salafistes à arrêter et son nom y figurerait. Le jeune salafiste m’informe qu’en cas d’absence, c’est du côté de la prison de Gorjani qu’il faudra le chercher. Je tente de le rassurer mais je sais qu’ils sont seuls face à une machine que plus rien ne peut arrêter. Ils sont seuls contre un gouvernement incompétent, une opposition haineuse, un peuple indifférent et rongé par la peur et une opinion publique internationale complice.
Les pages Facebook et les communautés virtuelles apparentées à la mouvance salafiste continueront pendant plus d’un mois à lancer les S.O.S, à appeler à l’aide. Mais leurs cris atterriront dans les oreilles d’une opinion publique sourde qui éprouve presque du plaisir à les voir maltraités et opprimés de la sorte.
Béchir El Golli et Mohamed Bakhti sont morts. Les médias s’emparent aujourd’hui de la nouvelle et en font leur fonds de commerce peut-être pour un jour, deux jours, une semaine… Les médias aiment le sensationnel… Et la mort fait vendre…
Et comme disait Platon : « Le plus grand mal, à part l’injustice, serait que l’auteur de l’injustice ne paie pas la peine de sa faute. »
Et nous sommes tous coupables.

Par Olfa Riahi

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