28 novembre 2012

Pour une décolonisation du mouvement de solidarité avec la Palestine

 

« Toute autorisation de se défendre est donnée à ceux qui ont été attaqués parce qu’ils ont été injustement opprimés. »
Coran 22 : 39
Après une semaine de bombardements de la bande de Gaza et suite à l’appel de la GUPS pour organiser un rassemblement, le « Collectif National pour une Paix Juste et Durable entre Palestiniens et Israéliens » s’est enfin décidé à « crier » son « indignation » face aux « opérations militaires » menées par « l’Etat d’Israël » .
Par Youssef Girard


Pour une décolonisation du mouvement de solidarité avec la Palestine


« Toute autorisation de se défendre est donnée à ceux qui ont été attaqués parce qu’ils ont été injustement opprimés. »
Coran 22 : 39


Après une semaine de bombardements de la bande de Gaza et suite à l’appel de la GUPS pour organiser un rassemblement, le « Collectif National pour une Paix Juste et Durable entre Palestiniens et Israéliens » s’est enfin décidé à « crier » son « indignation » face aux « opérations militaires » menées par « l’Etat d’Israël »[1].

L’intitulé de ce Collectif qui met sur le même plan colonisateur et colonisé, oppresseur et opprimé, le vocabulaire « pacifiste » qu’il emploie, les organisations qui le composent et les perspectives politiques dans lesquelles il s’inscrit, n’offrent aucune perspective réelle pour le mouvement de solidarité avec la Palestine en France. Au lieu d’organiser une solidarité effective avec la Palestine, le Collectif National ne fait que rabaisser le niveau des revendications politiques des manifestants qui se déplacent pour apporter un soutien déterminé à la Palestine et à sa résistance.

En lieu et place d’apporter un soutien à la résistance palestinienne, le Collectif National préfère déplorer « toutes les victimes civiles », renvoyant, encore une fois, dos-à-dos la résistance palestinienne qui lutte les armes à la main pour la libération de son peuple et de sa terre et l’armée coloniale sioniste qui assassine et asservit le peuple palestinien depuis plus de soixante ans.

Au-delà de cet appel, nombre d’acteurs sociaux et politiques, mus par un esprit néocolonialiste ou par un fraternalisme suranné, condamnent toute expression de l’identité arabo-musulmane dans le mouvement de solidarité avec la Palestine. Dans les mobilisations concrètes, ils cherchent à empêcher les manifestants, majoritairement Arabes et musulmans, de prononcer des slogans en langue arabe, la langue des Palestiniens et des Arabes vivant en France, ou à limiter et à encadrer les prises de parole des militants arabes présents[2].

Par ces manœuvres néocoloniales, ces fraternalistes de gauche s’efforcent d’enrayer toute expression indépendante de la communauté arabo-musulmane vivant dans l’hexagone, qui pourrait remettre en question la suprématie idéologique et culturelle du « centre » hégémonique au cœur même de l’Occident. Ils se situent clairement dans la tradition occidentalocentriste qui refuse d’entendre et de laisser s’exprimer les sociétés et les cultures différentes, dissemblables et contestataires.

Cette attitude fraternaliste n’est malheureusement pas nouvelle dans l’histoire de la gauche occidentale puisqu’elle a toujours régi les relations entre cette gauche et les mouvements de libération nationale des peuples colonisés. Déjà dans les années 1920-1930, l’Etoile Nord Africaine – mouvement nationaliste révolutionnaire maghrébin ayant revendiqué l’indépendance du Maghreb dès les années 1920 – affirma son indépendance contre les pratiques paternalistes de la gauche coloniale française, dont le PCF était la figure de proue.

En 1954, dans sa préface à l’ouvrage de Bouzar Nadir, Abus de confiance, le nationaliste marocain Allal el-Fassi expliquait les désillusions d’Ali el-Hammami face aux pratiques coloniales du PCF : « Notre compatriote demeurait encore persuadé de ce que les communistes français s’étaient purgés de toute trace de cet esprit bourgeois qui considère les fils d’Afrique comme des gens d’un niveau retardé et, par conséquence, indignes de jouir des droits de l’« homme blanc ». Mais, l’expérience quotidienne […] auprès des combattants du prolétariat, au cœur même de Paris et non en Algérie ou à Rabat, amènera Hammami à cette constatation que, ainsi que l’exprime Schopenhauer, la doctrine n’est qu’un vernis, impuissant à libérer les Français, quelles que sincères soient leurs intentions, de leur mentalité et du complexe de supériorité qui les travaille à l’égard des Maghrébins ».

Tirant les conclusions de cette expérience, Allal el-Fassi affirmaitque « les Français sont avant tout racistes. Ils se sont toujours déclarés les ennemis du racisme […] mais ils entretiennent toujours dans le fond de leur âme un sentiment de supériorité et un désir de suprématie. Ils utilisent la religion lorsqu’elle se trouve sur leur chemin, ils exploitent l’intérêt matériel lorsqu’il en est besoin, mais ils colonisent parce qu’ils ont un besoin morbide de la domination, de la grandeur, de l’expansion. C’est ainsi que chaque Français est devenu un véritable seigneur pour qui tout colonisé n’est rien d’autre qu’un serviteur. Telle est la vérité amère qui creuse le fossé entre les Français et nous »[3].

Aujourd’hui, cette critique pourrait être étendue à la majorité des militants de la gauche et de l’extrême gauche européenne dont la culture occidentalocentriste s’exprime ouvertement lorsqu’il est question de la Palestine, et plus généralement de la nation arabe et de la communauté arabo-musulmane vivant dans l’hexagone.

Contre le fraternalisme suranné de la gauche européenne, il est grand temps d’imposer une véritable décolonisation au mouvement de soutien à la Palestine en France. Cette décolonisation doit nous permettre de récupérer notre droit d’initiative historique en interdisant à la gauche occidentale de penser et d’agir à notre place. Elle doit lui interdire de nous utiliser comme des pions qu’elle déplace à sa guise. Cette décolonisation doit enfin affirmer l’indépendance organisationnelle et intellectuelle des Arabes et des musulmans qui affichent clairement leur identité et celle du peuple palestinien dans leur soutien à la lutte de libération nationale palestinienne. Dans ce cadre, clamer des slogans en langue arabe n’est pas seulement légitime, mais c’est également nécessaire. Ces slogans sont l’affirmation concrète de notre prise d’initiative historique et un acte de souveraineté communautaire.

Les slogans en langue arabe sont également nécessaires car ils permettent d’élever le niveau d’exigence politique du mouvement de solidarité avec la Palestine. Contrairement aux slogans en français exprimant les positions politiques d’organisations sagement installées dans le confort de la vie politique d’une métropole impérialiste, les slogans arabes sont l’expression de la lutte de libération nationale de la nation arabe. Ils expriment les revendications réelles de ceux qui affrontent directement, et parfois au péril de leur vie, l’entité sioniste, l’Occident impérialiste et ses relais arabes et musulmans.

Au niveau des revendications politiques, les slogans en langue arabe expriment ainsi l’exigence fondamentale du droit à la résistance des peuples colonisés et opprimés. La majorité du mouvement de solidarité avec la Palestine en France est incapable d’élever son niveau d’exigence politique en défendant ce droit politique fondamental pour de basses raisons de calcul politique. La résistance, et singulièrement la lutte armée, est pourtant un droit fondamental pour tous les peuples victimes du colonialisme. Comme l’écrivait Mounir Chafiq, « la résistance à l’occupation étrangère ou à l’agression militaire extérieure est un droit reconnu par le droit international, les traditions des peuples et les traités internationaux. De même, les religions célestes et les gens honnêtes, dans la compréhension de la religion et de la foi, reconnaissent ce droit. Celui-ci se joint, ou est partie intégrante, du droit des hommes à la liberté et à la dignité et du droit des peuples à la souveraineté, à l’indépendance et à l’égalité »[4].

Toutefois, ajoutait M. Chafiq, « il ne suffit plus de traiter la résistance seulement sous l’angle du droit acquis. Il faut soutenir la résistance en la considérant comme une méthode efficace qui permet d’atteindre l’objectif d’éloigner l’occupation, de s’opposer à l’agression et de la faire échouer ». Mounir Chafiq concluait son propos en affirmant que « la résistance est un droit sacré et une stratégie nécessaire pour la libération des peuples »[5]

Un réel mouvement de solidarité avec le peuple palestinien doit nécessairement apporter un soutien à la résistance palestinienne en tant qu’incarnation vivante du droit fondamental à la résistance à l’oppression. Il doit également apporter un soutien à la résistance en tant que stratégie de libération. Eluder le droit à la résistance, notamment armée, refuser de soutenir la lutte de libération nationale palestinienne et arabe et mettre sur le même plan l’oppresseur et l’opprimé participent davantage de la promotion d’une politique volontairement confuse que de l’expression d’une réelle solidarité avec le peuple palestinien en lutte pour sa libération du joug sioniste.

Youssef Girard


[1] « Appel unitaire du Collectif National pour une Paix Juste et Durable entre Palestiniens et Israéliens » : http://www.npa2009.org/content/rassemblement-de-soutien-au-peuple-palestinien-0
[2] Sur cette question Cf. « Retour sur les manifestations de soutien à Gaza et aux “révolutions arabes” », URL : http://www.etatdexception.net/?p=2561
[3] El-Fassi Allal, « L’échec de l’assimilationnisme », URL : http://www.ism-france.org/analyses/L-echec-de-l-assimilationnisme-article-14479
[4] Chafiq Mounir, « La résistance comme choix stratégique », URL : http://www.ism-france.org/analyses/La-resistance-comme-choix-strategique-article-13399
[5] Ibid.

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