28 septembre 2010

   Le régime de Bagdad a décidé de suspendre le versement de 400 millions de dollars aux citoyens américains qui prétendent avoir été torturés, maltraités, ou traumatisés, lors de la crise du Golfe, fin 1990 (1). Cette somme doit être ponctionnée sur les fonds encore gelés du programme « Pétrole contre nourriture » (2), un scandale de plus commis par les Etats-Unis qui n’ont cessé – avec l’aval de l’ONU – de considérer l’Irak comme une pompe à fric.
   Nouri al-Maliki, en répondant au chantage des avocats new-yorkais qui réclamaient – pourquoi pas ? -  plusieurs milliards de dollars, voulait annoncer la fin des sanctions toujours imposées à l’Irak par le Chapitre 7 de la Charte de l’ONU, et booster sa campagne pour se faire réélire Premier ministre. La révélation de cet accord honteux par le Christian Science Monitor - signé discrètement le 2 septembre 2010 par James Jeffrey, nouvel ambassadeur des Etats-Unis, et le Kurde Hoshyar Zebari, ministre irakien des Affaires étrangères - a eu un effet contraire à ce qu’il espérait. L’article a soulevé une vague de protestations indignées jusque dans le camp des partisans du régime. Puis, David Ranz, porte-parole de l’ambassade des Etats-Unis, a mis fin aux espérances du Premier ministre en affirmant que le paiement des 400 millions de dollars n’était qu’une étape pour régler le contentieux Irak-Onu, se gardant bien de dire quelles seraient les autres. Pour calmer les esprits, Al-Maliki a, comme on dit, « botté en touche », laissant le soin à un comité parlementaire d’approuver ou non l’accord Jeffrey-Zebari (2). Il se réunira après l’élection du Président du Parlement, étape précédant celle du Président de la République, puis du prochain Premier ministre…
Souvenirs de l’affaire dite des « otages »
   Je peux témoigner de ce que j’ai vu à Bagdad en octobre 1990, ayant été - avec quelques autres -  un des acteurs de l’affaire dite des « otages ». Après l’entrée des troupes irakiennes au Koweït, le 2 août, tous les étrangers résidant en Irak ou au Koweït avaient été rassemblés dans les hôtels 5 étoiles de la capitale irakienne. Comme Secrétaire général des Amitiés franco-irakiennes, j’étais venu demander aux autorités irakiennes de laisser partir les Français. Les étrangers étaient répartis en deux catégories. Ceux vivant en Irak, qualifiés d’ « invités », étaient libres de leurs mouvements dans la ville. Les autres, arrêtés au Koweït, étaient installés à l’Hôtel Mansour Melia, sur la rive droite du Tigre, avec interdiction d’en sortir. Certains d’entres eux – pas seulement des Etatsuniens – étaient placés sur des sites stratégiques pour dissuader l’aviation américaine de bombarder.
   Pendant mon séjour, je n’ai jamais entendu parler de tortures ou de mauvais traitements. Si certains étrangers ont été malmenés, il devait s’agir d’actes individuels. En tout cas, ces derniers n’ont pas été jugés suffisamment graves, à l’époque, pour que les Etats-Unis les dénoncent ou les médiatisent. Les dirigeants irakiens que j’ai rencontrés pendant les deux semaines que j’ai passées à Bagdad - Taha Yassin Ramadan (vice-Président de la République), Tarek Aziz (ministre des Affaires étrangères) et Latif Nsayef Jassem (ministre de l’Information) – tenaient tous à ce que les étrangers retenus, y compris américains, soient bien traités. Ils auraient, sans aucun doute, réagi avec sévérité si des sévices leur avaient été infligés. En revanche, j’ai constaté que la plupart des « otages » européens ne comprenaient pas ce qui leur arrivait, étaient inquiets, et certains – une minorité – plutôt dépressifs. Les Américains, en situation plus difficile, devaient l’être d’autant plus.
   Sur les quelque 2000 Américains arrêtés au Koweït, environ 120 auraient été transférés sur des sites stratégiques. Avant mon arrivée à Bagdad, en même temps que Hachemi Bounini (ancien Président de la Fédération des Français musulmans), le pasteur baptiste Jesse Jackson et l’ancien Président algérien Ahmed Ben Bella, étaient repartis avec les femmes américaines, leurs enfants et des malades. D’autres « invités » les suivirent avec, notamment, John Connally (ancien gouverneur du Texas), Ramsey Clark (ancien Procureur général des Etats-Unis du Présiden Lyndon Johnson), Muhammad Ali, l’ancien chancelier allemand Willy Brandt, le chanteur Yusuf Islam (ex Cat Stevens), le Président autrichien Kurt Waldheim, Jean-Marie Le Pen. Enfin, le 6 décembre 1990, après un entretien avec le roi Hussein de Jordanie, Saddam Hussein ordonna la libération de tous les Américains. Dans ses mémoires, Joseph Wilson (3), chargé d’affaires américain à Bagdad, raconte que le débriefing des « boucliers humains » permit quelques semaines plus tard, au cours de l’opération Tempête du désert, de bombarder avec plus de précision les sites où ils avaient été placés !
   Il faut être sans amour propre pour maintenir une plainte pour mauvais traitement contre l’Irak après deux guerres américaines et un embargo international dont le bilan total dépasse, au bas mot, les 3 millions de morts. Venant d’un pays où l’argent est roi, qui a enfermé les Japonais et les citoyens américains d’origine japonaise dans des camps de concentration pendant la Seconde guerre mondiale (4), et qui a torturé ces dernières années des musulmans sur simples soupçons ou dénonciations calomnieuses, pour les emprisonner ensuite, sans procès, dans l’enfer de Guantanamo, on peut s’attendre à tout.
 
Notes :
 
(1) Iraq postpone the payment of compensation to American citizens and submit them to parliament
 
(2) Iraq to pay $400 million for Saddam's mistreatment of Americans par Jane Arraf (Christian Science Monitor - 9/9/10).
 
 (3) The Politics of Truth, Ed. Carroll & Graf, New York (avril 2004) – L’ambassadeur Joseph Wilson est l’époux de Valérie Plame, dénoncée par des journalistes américains néo-conservateurs, comme agent de la CIA. Envoyé en mission au Niger, en février 2002, pour savoir si l’Irak s’y était procuré de l’uranium, Joseph Wilson en était revenu persuadé non seulement du contraire mais que les documents sur lesquels se basaient l’administration Bush pour accuser Saddam Hussein de construire une bombe A, étaient des faux. Le dévoilement des activités de son épouse, qui a provoqué un scandale retentissant – livrer l’identité d’un agent secret est un crime, selon la loi -  a eu lieu après qu’il ait déclaré au New York Times (6/7/03) que les Etats-Unis « étaient entrés en guerre sous de faux prétextes ».
 
(4) Environ 127 000 Japonais et Américains d’origine japonaise furent internés dans une dizaine de camps sur ordre du Président Franklin Roosevelt. Le général responsable du Commandement la zone Ouest au ministère de la Guerre justifiait ainsi ces déportations: « La race japonaise est une race ennemie, et même si des Japonais de deuxième ou de troisième génération nés sur le sol des Etats-Unis en possèdent la nationalité et sont américanisés, l’héritage racial demeure intact ». En 1948, certaines victimes furent indemnisées, mais uniquement en dédommagement des pertes matérielles qu’elles avaient subies. Le caractère injustifié de leur détention n’était pas pris en ligne de compte. Il a fallu attendre 1988 pour que le gouvernement étatsunien présente ses excuses aux victimes.
 
Par Gilles Munier

Aucun commentaire: