Mahmoud Darwich et Rachid Koraïchi : Une Nation en exil
mardi 21 septembre 2010
Vous êtes artiste plasticien. Depuis plus d’une dizaine d’années, vous vous orientez vers des installations d’œuvres. Que recouvre ce vocable ? En quoi consiste cette démarche ?
R. Koraïchi : Il s’agit essentiellement de réalisations et de célébration de grandes œuvres à partir d’un ensemble d’objets créés par des artisans des pays où ont lieu ces installations. Parmi ces grandes créations, on peut citer « Les sept dormants », présentée en 2010 à Béziers. Cette dernière se décline sous forme d’une série de trois installations qui se différencient entre elles notamment sur le plan esthétique et de la matière (soies de couleurs différentes brodées de fil de soie de trois couleurs).
Ces trois créations ont été rattachées entre elles par le chiffre sept. Cette manifestation avait pour objectif de rendre hommage aux ancêtres défunts.
À travers ces installations, je tente de recréer des signes, des écritures, des symboles, des mots, des atmosphères. Le regardeur est alors invité voire incité à saisir le(s) message(s) en s’imprégnant de cette ambiance recréée.
Cette démarche m’a permis de rencontrer des maîtres artisans dans plusieurs pays où ont eu lieu ces installations d’oeuvres : à Damas, Allep, au Maroc, au Caire, aux Etats-Unis, en l’occurrence à San Francisco et dans le Michigan, en Espagne, en Turquie. Le lieu est déterminé en fonction de la nature du projet.
Ces installations se réalisent sur une période à moyen et à long terme. Je m’installe dans le pays choisi pendant plusieurs mois et des fois, mon installation physique dans ces lieux inspirés peut durer deux voire trois années. Je loue une maison et un atelier. Je repère les corps de métiers pour réaliser le projet et je commence à travailler. Les relations avec les artisans qui participent à la réalisation de ces installations sont basées sur l’échange, la complicité la collaboration et le travail en commun.
Cette démarche participative et interactive permet de tisser des amitiés et de travailler en harmonie. En impliquant des artisans dans mes projets d’installation, j’essaie de les faire dévier des gestes répétitifs de leur travail quotidien pour les inciter à s’engager dans une dynamique de création. Et d’ailleurs, très souvent lorsqu’on se quitte après plusieurs années de travail en commun, leur savoir-faire se transforme. Chacun s’imprègne du travail de l’autre.
Il y a une influence réciproque qui modifie nos savoir-faire, nos représentations et ainsi nos rapports à notre travail et à la création, d’une manière générale.
« Une Nation en Exil » célèbre poétiquement, artistiquement et esthétiquement la nation palestinienne en exil à partir des poèmes de Mahmoud Darwich. Comment l’idée de travailler avec le poète palestinien a-t-elle émergé ?
J’ai connu Mahmoud Darwich à Sidi Boussaid, en 1981, à Tunis où j’avais un atelier. Durant cette période, M. Darwich vivait également à Tunis. Il était conseiller de Lakhdar Brahimi à la Ligue arabe.
Nous avions pris l’habitude de nous rencontrer tantôt chez moi, tantôt chez lui, autour d’un repas agrémenté de discussions et de débats. C’est alors que je lui ai proposé de réaliser un livre en commun. Et je crois bien qu’il a dit oui par amitié. Mahmoud était poète et il était complètement noyé dans son écriture. Les arts ne semblaient pas le passionner. Mais lorsqu’il a vu le résultat de la première édition de ce grand livre, il en était enchanté. Il avait même accroché mes gravures sur les murs de son bureau à Ramallah.
Ce livre s’est construit au fur et à mesure de nos rencontres et de nos échanges. Il y avait une véritable complicité entre nous. Nous étions très proches.
Ce beau livre met en scène vingt planches qui correspondent à vingt poèmes de Mahmoud Darwich. Comment s’est opéré le choix de ces textes ?
Certaines planches ont été réalisées à partir de poèmes que M. Darwich avaient déjà écrit. D’autres ont été créées au fur et à mesure de l’écriture des poèmes en lien avec les événements, les circonstances et l’inspiration du moment.
Mahmoud a composé La Qasida de Beyrouth durant l’encerclement de la capitale libanaise. Le travail a été réalisé à distance. Lui était prisonnier dans l’encerclement. Et moi, j’étais à Tunis. Il me racontait comment il vivait cette situation d’enfermement. C’était une expérience très éprouvante et extrêmement dure. Il a quitté ce lieu dans la voiture d’un diplomate car il avait refusé de sortir avec les militaires.
La planche intitulée Sabah el kheir ya Majed (1) est un hommage au Président de l’association des écrivains et journalistes palestiniens. Il était venu voir Mahmoud à Tunis. Nous avions déjeuné ensemble. Puis ils sont allés à Rome pour assister à un colloque. Et là, il est mort dans sa chambre d’hôtel dans l’explosion d’une bombe lors d’un attentat perpétré par le Mossad.
Mahmoud m’a téléphoné pour m’annoncer sa mort. La planche que j’ai gravée pour lui rendre hommage met en scène une écriture avec un grand signe portant le nom d’Allah et tous les mots du poème que Mahmoud a composé qui explosent comme pour reproduire le mouvement de l’explosion qui a coûté la vie à Majed. Sur le sol, il y a une forme qui ressemble à un corps d’homme allongé et un signe rouge qui suggère l’idée d’une forme humaine qui soutient sa tête.
Vos gravures ne sont pas une illustration mais plutôt une "redéfinition" des poèmes de M. Darwich. N’est ce pas une sorte de « recomposition » esthétique de l’œuvre poétique ?
Ma démarche visait à saisir esthétiquement l’émotion à la naissance des poèmes de Mahmoud Darwich. Mon objectif n’était pas de les illustrer mais de proposer une réécriture de l’émotion, de la vibration, du sentiment, du drame ou du bonheur, toute cette panoplie de sentiments qui ont permis aux poèmes de naître et d’exister. C’est cet instant précis que je voulais saisir afin de le retranscrire avec ma propre sensibilité, mon savoir-faire artistique et mes outils.
J’ai commencé par lire les poèmes dans leur ensemble. Puis M. Darwich me racontait les circonstances et les contextes dans lesquels ces poèmes ont été écrits. Ces éléments d’explication m’offraient des clés de compréhension et me permettaient d’éclaircir les événements qui ont été à l’origine de la naissance du poème. C’est ce point précis qui était fondamental et le reste je l’oubliais.
J’ai ensuite écrit chaque poème graphiquement. Une fois que j’ai gravé toutes les planches, J’ai demandé à Hassan Massoudy, calligraphe irakien de réécrire les poèmes en y intégrant des calligraphies. Je lui ai suggéré de s’inspirer du modèle des Moualakat, ces textes écrits en lettres d’or, suspendus à la Kaaba, à la Mecque durant la période anté islamique.
Ces planches ne sont pas destinées à êtres lues mais à être regardées. En mettant l’accent sur l’aspect esthétique, je voulais que ces textes écrits, gravés et calligraphiés aient une portée universelle.
Vous suiviez "le jaillissement - des poèmes - dans une exaltante aventure picturale." Comment s’est déroulée cette expérience de compagnonnage ?
Mahmoud composait ses poèmes alors que je les retranscrivais en un second poème graphique, de composition géométrique qui au fur et à mesure, prenait la forme d’un espace différent d’un livre fermé. Je voulais ainsi susciter un regard autre, différent et distancié.
Ce fut un bonheur de travailler avec Mahmoud Darwich. Nous avons vécu des moments de partage, de connivence, de complicité. Ce travail est le résultat de deux voix différentes : un plasticien qui a créé des signes, des tatouages, des dessins, des traces, des talisman, des symboles et un calligraphe qui a participé à la réalisation de ce livre en réinventant à sa manière la calligraphie kufi (2).
Ces créations picturales et ces vibrations d’émotions du plasticien et du calligraphe visaient à rendre hommage à M. Darwich qui, même de son vivant était absent de l’histoire qu’il avait écrit et qui a été revisitée par le plasticien et le calligraphe.
Vous avez "ouvragé ensemble à la manière des Moualakat". Que recouvre ce terme et quelle est la signification de cette comparaison ?
Les Moualakat désignent les textes suspendus à la Kaaba, cette construction en forme de cube localisée à l’intérieur de la mosquée Sacrée à la Mecque (Masjid el haram). Ils prenaient la forme de joutes oratoires poétiques et autres qui avaient été remarquées, distinguées et primées. Ces textes étaient alors calligraphiés en lettres d’or et suspendus dans ce lieu qui était l’objet de vénération des tribus arabes avant de devenir le lieu symbolique de l’Islam.
La référence aux Moualakat a toute son importance car la Kaaba a été choisie par le prophète Mohamed pour être un lieu de pèlerinage et un centre culturel. C’est également l’endroit consacré à la prière. C’est le lieu du lever du soleil et là où on se tourne vers la lumière.
Dans l’introduction, Abdelkbir Khatibi (3) écrit : "les poèmes de M. Darwich et les gravures de R. Koraïchi ne sont pas dans un rapport d’analogie mais de parallélismes"...
C’est un peu comme les rails d’un chemin de fer. On a besoin des deux pour que le train avance. Elles sont obligées de se regarder sans jamais se toucher. Elles poursuivent le même but et arrivent à la même gare. Ce livre a regroupé quatre personnalités de renommée dans le domaine de l’art, de la littérature et de la pensée dans le monde arabe. Nous avions voulu donner à la Palestine et à son peuple ce qu’il y a de meilleur dans cette région du monde. A. Khatibi est marocain. H. Massoudy est irakien. M. Darwich est palestinien et moi, algérien. Ce livre est un acte de solidarité à l’égard de la Palestine. C’est ce que les pouvoirs politiques arabes n’ont pas encore réussi à offrir aux Palestiniens (4).
Pourquoi le choix de la gravure ?
On grave le marbre. Et graver, c’est laisser des traces pour la postérité. Les gravures du tassili existent depuis de très nombreuses années.
J’aurai pu opter pour des dessins et des peintures. Mais je voulais que ce livre soit gravé car je souhaitais créer un livre monumental à l’image des grands corans mamelouks. Mon travail a consisté à graver dans du métal, en l’occurrence le zinc. Creuser à l’intérieur, c’est reproduire le mouvement d’une charrue qui laboure la terre. Et pour les Palestinien-ne-s, le rapport à la terre, au labour, à la vigne, aux oliviers, aux orangers est fondamental. Dans les textes poétiques de Mahmoud Darwich, les noms de ces plantes sont très souvent cités. Le travail de gravure se fait à l’envers. Il doit conserver le même souffle et la même rythmique. Lorsque j’ai travaillé sur les planches originales, j’ai commencé par le grand travail en noir qui structurait le mouvement général. La planche N° 18 intitulé Al Katil (5), par exemple met en perspective le signe d’un personnage dont on perçoit la tête, le corps, les deux jambes. Il a les mains levées et tient une arme. Dans cette planche, il ne s’agit pas de figuration mais de symbole qui crée une forme esthétique. Puis il y a une grande barre qui part de bas en haut, de haut en bas et de droite à gauche.
Chaque planche est différente dans la structure et la composition. Certaines sont très grandes. Elles ne sont faites pour être lues mais pour être regardées. Il s’agit là d’une écriture inspirée des Moualakat. Ces textes doivent être vus dans le sens des textes suspendus.
Lorsque je crée, je ne fais jamais de scène préparatoire. Je crée directement sur la planche. Chaque point que je pose en appelle un autre pour le balancer. Il s’agit vraiment d’un travail d’équilibre. C’est ma planche qui me donne le rythme.
Au fur et à mesure de l’avancement du projet, Mahmoud se rendait compte que le travail de gravure était un dur labeur et il ne comprenait que je fasse un travail de forçat sur un texte déjà écrit. Lorsque je lui expliquais ma démarche, il me disait « arrrête-toi. Tu en as déjà crée trois, six , dix... ». Je lui expliquais alors que je m’arrêterai que lorsque j’aurai atteint le chiffre vingt et un car tout mon travail est basé sur la symbolique des chiffres.
Les gravures mettent en scène des motifs architecturaux, des coupoles, des signes qui se juxtaposent, qui communiquent ; des traits symétriques, asymétriques. Certains sont indéchiffrables. D’autres sont illisibles. Les écritures sont inversées... Comment pourrait-on lire ces gravures ?
Lorsque je travaille et que par inadvertance il m’arrive de renverser une tâche sur l’objet de mon ouvrage, je ne l’efface jamais. Je l’interprète comme un moment particulier où ma main a tremblé ; un moment où il y a eu une émotion bien particulière. Ce geste singulier ne doit pas disparaître. C’est à partir de cette tâche que je continue à travailler car elle est née de cette vibration de l’espace.
Mes compositions se créent au fur et à mesure de l’avancement de mon travail. Et ce qui est surprenant pour moi, c’est que je ne vois jamais mon travail dans son ensemble dès le début. Ce n’est que lorsqu’il est fini et qu’il est soumis au regard des spectateurs que je découvre ce que j’ai crée. Très souvent, je suis étonné de découvrir tout ce qui m’a échappé et s’est fait malgré moi. C’est l’appel d’un signe à un autre signe qui me guide vers une voie à laquelle je n’ai jamais pensé.
Un état de transe ?
L’être humain est lui-même surpris par ce que son corps peut donner. Lorsque je crée, j’ai l’impression qu’il y a un fluide qui s’échappe de mes doigts. C’est comme un flux régulier, un peu à l’image d’un fleuve qui se déverse. Je pense que tout être humain qui a une sensibilité a cette possibilité de créer pour peu qu’il ait les outils qui lui permettent de l’exprimer. En tant qu’artistes, nous avons la chance extraordinaire de pouvoir être dans cette liberté d’émotion et de création. C’est pourquoi il ne faut pas la négliger. Cette passion est entretenue et cultivée par le travail. Travailler sans relâche ! Tel est le grand secret !
Quelle est la signification du rouge sur les planches dont la surface blanche est gravée de traits tracés à l’encre noire ?
Je veux d’abord parler du noir et du blanc que j’utilise dans mes gravures. Le noir n’existe que parce que le blanc existe et vice versa. Le noir et le blanc symbolisent la lumière et le deuil.
Je viens d’un pays du soleil, le Sahara algérien. ’ombre et la lumière se côtoient quotidiennement. La dune e a une partie au soleil et une autre à l’ombre. On dirait un corps de femme allongé avec sa douceur et ses perfections de lignes. Le vent continue à la sculpter à l’infini du temps. Il ne peut y avoir de rupture entre la lumière et l’ombre car les deux sont intimement liées. Le même principe s’applique pour la coupole. Une partie est à l’ombre, celle qui rafraîchit, et l’autre versant est exposé à la lumière. Le noir et blanc sont des couleurs très difficiles à manier. C’est la trace parfaite.
Et quelque part, parmi ce blanc et ce noir, une tâche rouge attire le regard. On se demande ce qu’elle fait là. A partir de ce moment, c’est le rouge qui devient la lumière. C’est en quelque sorte un spot. De mon point de vue, ce rouge, c’est le sang versé des Palestiniens. Et d’une manière générale, c’est le sang des êtres humains, c’est-à-dire l’essence de notre corps car c’est cette substance qui nous fait vivre, fait battre notre cœur et irrigue notre cerveau. Cette tâche rouge présente sur toutes les planches, c’est le sang qu’on garde à l’intérieur de notre corps ou qu’on déverse.
Vos gravures sont des poèmes gravés qui proposent au regard "une cartographie picturale" de la Palestine en tant que nation en exil. Est-ce la manifestation de votre solidarité avec la question de Palestine ?
Je soutiens la Palestine. Je suis solidaire avec le peuple palestinien. Je suis algérien. J’ai vécu la guerre d’Algérie. Et de mon point de vue, il existe un lien très fort entre l’histoire de la Palestine et de l’Algérie. Par conséquent, le problème palestinien ne pouvait que m’interpeler. Je ne pouvais rester insensible à l’histoire particulière de ce pays et de ce peuple.
Les gravures regorgent de références à la Palestine. Au fil des pages, on peut trouver des passerelles avec l’histoire palestinienne. Presque toutes les planches suggèrent des talismans de protection pour les palestiniens car ils ont été déracinés, arrachés à leur terre comme on arrache un arbre.
Une Nation en Exil et La Qasida de Beyrouthseront exposés dans le futur musée qui sera construit prochainement à Ramallah à la mémoire de M. Darwich. Il y aura un grand jardin qui portera le nom de "jardin du poète", un amphithéâtre, des salles souterraines... Dans ce lieu de mémoire seront exposés les documents, les livres et les effets personnels de Mahmoud.
Quel regard portez-vous sur cette expérience de compagnonnage et d’amitié trente années plus tard ?
Dans le cadre de la réalisation de ces deux livres, mon expérience avec Mahmoud Darwich s’inscrivait dans le cadre d’un compagnonnage entre artistes créateurs. Mais Mahmoud est avant tout mon ami. Je ne parviens toujours pas à réaliser qu’il n’est plus là et qu’il ait pu nous quitter aussi rapidement malgré le fait qu’il ait eu plusieurs attaques cardiaques. Ce n’est qu’au regard de l’histoire qu’on peut inscrire le temps des événements.
Mahmoud nous a quitté physiquement mais il est présent parmi nous par sa poésie. Nous avons récemment inauguré la place Mahmoud Darwich à Paris. C’était un événement très émouvant et chargé d’émotion. Ses amis chers étaient présents. Il y avait Elias Sanbar, son ami et traducteur ; Farouk Mardam Bey qui était son ami et éditeur ; Ernest Pignon Ernest, plasticien qui a fait un travail sur Mahmoud Darwich à Ramallah, sur les murs durant la période d’encerclement.
Quels souvenirs gardez-vous de Mahmoud Darwich, l’homme, le poète et le militant ?
Mahmoud était tout cela à la fois. C’était un homme très élégant. Il adorait les belles chaussures. Il aimait la vie, faire la cuisine, manger, partager... Il était très généreux et avait constamment le souci d’être utile aux autres.
Il était aussi paradoxal. Il n’était pas facile et certaines personnes avaient tendance à le trouver abrupte et parfois même cassant. Mais je pense que c’était une manière de se protéger. Il avait besoin de s’enfermer dans son monde pour écrire.
Il n’était intéressé ni par le matériel ni par l’argent. Lorsque ses poèmes étaient piratés par des éditeurs clandestins, il avait tendance à dire que la poésie était faite pour être lue et que ce type de publication allait permettre au plus grand nombre d’ avoir accès à ses poèmes. Il voulait vraiment que ses textes soient accessibles à tout le monde.
Mahmoud aimait vivre et rire. Il avait beaucoup d’humour. Un jour, alors que nous nous trouvions dans la cafétéria d’un hôtel à Tunis, un marchand de jasmin nous avait accosté dans l’espoir de nous vendre sa marchandise. Le même soir, alors que nous dînions dans un restaurant au bord de la mer, nous vîmes le même homme qui essayait de vendre ses couronnes de jasmin. En le voyant, Mahmoud l’interpella et lui lança "toi, tu es comme le bon Dieu. Là où on va, on te trouve !"
Mahmoud adorait les chats car ils représentaient pour lui le symbole de la révolte et de la liberté. Il disait "un chat peut toujours te griffer même si tu lui donnes ce qu’il désire. Il garde toujours sa fierté d’être chat." La propreté du chat était un aspect qu’il appréciait beaucoup chez cet animal.
Il me racontait que lorsqu’il était en Israël et qu’il devait être emprisonné, il se sentait rassuré lorsqu’il partageait sa cellule avec un Kurde car les juifs kurdes avaient la réputation d’accorder une grande importance à la propreté.
Il me racontait également qu’il avait très peur de se retrouver en prison avec des prisonniers violents. Il m’expliquait que lorsqu’il était avec des prisonniers de droit commun, ses co-détenus finissaient par l’adopter et comme ils étaient analphabètes, ils lui demandaient de leur écrire des lettres pour leurs amoureuses. Il devenait ainsi leur écrivain public et le lien entre ces hommes et leurs amoureuses. La prison devenait pour lui un lieu de communication avec le reste des prisonniers et avec leurs femmes à qui il écrivait et qu’il ne connaissait pourtant pas.
Notes
1) Il s’agit du poème intitulé Bonjour Majed, p. 36
2) Le Kufi ou le koufi est une forme calligraphique arabe très ancienne qui provient d’une modification du syriaque ancien. Ce style a été développé en Irak dans la ville de Koufa. Les premiers exemplaires du Coran étaient calligraphiés suivant ce style.
3) Abdelkebir Khatibi est marocain. Il est décédé en 2009. Il était romancier, sociologue et spécialiste de la littérature maghrébine francophone. Il a contribué à l’élaboration de ce beau livre en écrivant le texte Comment fonder poétiquement une Nation en Exil ?
4) Abdellatif Laâbi a également participé à la réalisation de ce livre en tant que traducteur des poésies de M. Darwich. A. Laâbi est né à Fès en 1942. Il est poète et traducteur.
5) Ce titre fait référence au poème intitulé Le Mort N° 18, p. 28
Rachid Koraïchi : Bibliographie
Livres d’art :
* Les ancêtres liés aux étoiles, photographies de Ferrante Ferranti / textes de Farouk Mardam-Bey et Mohamed Kacimi, Éditions Actes Sud (Arles, France), septembre 2008, 42,00 €
* Les sept dormants, Editions Actes Sud, Novembre 2004, 448 p.- 69,00 €
* La poésie algérienne, coll. "Dada Il Suffit De Passer", Mango, juin 2003, 15,00 €
Poésie : Extraits choisis
Contrepoint, À Edward Said
New York. Edward se réveille sur la paresse
de l’aube. Il joue un air de Mozart. Dispute
une partie de tennis sur le court de l’université.
Médite sur la migration de l’oiseau par-delà frontières et barrières.
Parcourt le New York Times. Rédige sa chronique
nerveuse. Maudit un orientaliste qui guide un général
au point vulnérable du coeur d’une Orientale.
Se douche. Choisit un costume avec l’élégance d’un coq.
Boit son café au lait et crie
à l’aube : Ne traîne pas...
Le lanceur de Dés
Qui suis-je pour vous dire
ce que je vous dis,
moi qui ne fus pierre polie par l’eau
pour devenir visage
ni roseau troué par le vent
pour devenir flûte...
Je suis le lanceur de dés.
Je gagne dès fois, je perds d’autres fois.
Je suis comme vous
ou un peu moins...
Je suis né près du puits
et de trois arbres solitaires telles des nonnes.
Je suis né sans flonflons ni sage-femme.
J’ai reçu mon nom par hasard,
par hasard, appartenu à une famille,
et hérité de ses traits, ses caractères et ses maladies...
Mahmoud Darwich, Rachid Koraïchi, Une Nation en Exil - Hymnes gravés suivi de La Qasida de Beyrouth
Avignon, Actes Sud, 2010
Editions Barzakh, Alger 2009
139 p.- 39,00 €
9 septembre 2010 - Communiqué par Nadia Agsous et publié à :
http://www.lelitteraire.com/article...
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