12 juin 2011

L'Europe face à la montée des nationalismes et des populismes

Toutes les études le démontrent. Les élections les plus récentes dans les pays européens le confirment. Il y a une réelle montée du nationalisme  et du populisme en Europe. En France, nous n'en sommes pas épargnés.   
Les principales tendances de ces mouvements sont un euroscepticisme à outrance, un discours  très « musclé » contre l’immigration, à caractère raciste, une remise en cause de l'Europe, symbole de l'ouverture des frontières et l'accueil des immigrés, et  un refus des économies fortes de « payer pour les pays laxistes ».  
 
Chahira Boutayeb, universitaire à la Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), est juriste spécialiste notamment  des questions institutionnelles. Elle est membre de l'Institut de recherche en Droit international et européen de la Sorbonne.
Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le droit de l’Europe, cette grande nébuleuse que nous sommes si nombreux à ne pas saisir.
Son dernier ouvrage :  "Droit et institutions de l’Union européenne. La dynamique des pouvoirs", LGDJ, 2011.

Verbatim
Quelle est l'étendue des mouvements nationalistes et populistes en Europe ? 
Chahira Boutayeb - Aujourd'hui,  les mouvements populistes et nationalistes sont une réalité dans de nombreux pays européens.   
 Plus précisément, le mouvement est né dans les pays  d’Europe centrale.
En Autriche, à partir de 1995, on a assisté à une progression très nette du parti d’extrême droite qui s’est confirmée en 2000. De même, en Suisse, l’UDC a recueilli près de 30 % des voix en 2007. 
Ces mouvements nationalistes se sont ensuite déplacés et  gagnent aujourd’hui  les Etats fondateurs ; je citerais les Pays-Bas avec le parti de  Geert Wilder  et son  succès aux  élections municipales du  3 mars 2011, Geert Wilders qui défend des thèses notoirement racistes et islamophobes, l'Italie avec le parti de la Ligue du Nord et la France, avec le Front national dont la progression préoccupe  l'Union européenne. 
En Allemagne, on note un  attrait très vif pour le NPD, le parti d'extrême droite,  parmi les jeunes électeurs.  
Il y a également une percée du parti populiste et nationaliste au Danemark, le Parti du Peuple Danois, et en Suède, le SD est entré au parlement en 2010.  
Le phénomène est tout aussi présent dans les ex-pays de l’Est et les pays balkaniques. En Hongrie, Pologne, Bulgarie, Roumanie,  les partis populistes atteignent les 10% des suffrages. 
Au Parlement européen, 31 députés sur 736 qui y siègent actuellement, relèvent formellement de partis politiques populistes ou nationalistes d’extrême droite.  Ces partis, qui ont constitué un groupe politique, ont gagné 8 sièges aux élections européennes de 2009 par rapport à 2004. Néanmoins, ils restent proportionnellement très minoritaires au sein du Parlement, en dépit de cette réelle poussée,  et ils sont surtout très divisés au sein de ce propre groupe.
 
Comment expliquer qu'il y ait une formation d'extrême droite au sein du  Parlement européen qui défend pourtant des valeurs opposées ?  
 C. B: Ce paradoxe  s'explique simplement  par le fait qu'au sein du Parlement européen, les groupes politiques ne sont qu'une transposition à l'échelle européenne des partis politiques nationaux.  
Vous avez alors une transposition presque mécanique des logiques politiques nationales avec les discours et les thématiques internes.
Au Parlement européen, les groupes politiques se constituent par affinité idéologique ou famille politique, et non par nationalité.
     
Comment peut-on expliquer ce regain, cette montée des populismes et des nationalismes alors que l'Europe a été créée pour contenir ces mouvements  ? C'est encore un paradoxe ?
 C. B : Il existe  à mon sens deux raisons principales à cela, même si des facteurs connexes participent à cette montée en puissance.   
La première raison est la crise économique et financière internationale, qui atteint  naturellement de plein fouet les  Etats européens. Or, cette crise  est un terreau  inespéré pour le populisme et le nationalisme d’extrême droite qui prospèrent précisément sur la misère sociale, le déclassement, le ressentiment des populations, et les peurs qui sont attisées à l'excès.   
A cela, s'ajoute un discours xénophobe classique propre à ces mouvances qui prennent pour cible privilégiée les minorités et de manière générale, l'immigration. 
Cette xénophobie connait une réelle renaissance car elle est  adossée à une  islamophobie clairement identifiée. C’est ce  qui lui donne ce  regain, cette sorte de vitalité. On observe que ce  couplage "xénophobie et islamophobie"  fait renaître de leurs cendres ces mouvements que l’on croyait, à tort,  éteints. 
L'association très prononcée, xénophobie/ islamophobie,  se vérifie presque dans tous les Etats européens où sont présents ces mouvements populistes et nationalistes, à l’exception des pays balkaniques où vous ne retrouvez pas la dimension islamophobe de manière aussi intense.   

Quelles en sont les conséquences pour l'Europe et les européens ? 
 C. B : Les conséquences sont multiples.
D'une part, on assiste à une stigmatisation des Etats considérés comme dépensiers ou laxistes, qui sontlittéralement montrés du doigt, s'agissant particulièrement de la Grèce, du Portugal ou de l'Irlande.
Est ici en réalité remis en cause, insidieusement,  un principe fondamental dans la construction économique de cette Europe, à savoir la solidarité budgétaire et financière qui gouverne tout le système économique et financier.
Le principe de base  est que la solidarité budgétaire doit rester le socle de ce  système pour la simple raison que les politiques publiques que développe l’Union sont redistributives.
Ce sont des politiques, comme la politique agricole, régionale, environnementale, ou bien d'autres politiques, qui redistribuent aux Etats européens sans aucune exception,  les richesses et les bienfaits acquis par l'Union.
Et contrairement  à ce que prétendent  les mouvements populistes, cette redistribution  profite à l'ensemble des Etats.
Aussi, l'argument  populiste,  très sommaire et superficiel, selon lequel « les plus riches payent pour les pays laxistes » est erroné et infondé car même les pays riches au sein de l’Union tirent pleinement profit des bienfaits économiques de ce marché.
Et,  parrallèlement, il y a aussi tout le discours lié à la remise en cause de la libre circulation des personnes qui serait à l’origine d’une massification de flux migratoires.
D'autre part, sur un autre plan, il est aisé de  constater que la parole raciste se libère sans vergogne et  les propos xénophobes se multiplient ouvertement ; jusqu'à présent, cette parole était tue ou, tout du moins, contenue ; elle est aujourd’hui décomplexée et, fait aggravant, elle trouve un écho et une oreille complaisante au sein de certaines formations politiques traditionnelles. Et, s’ajoute  à cela une prolifération de textes législatifs monocentrés sur une confession religieuse déterminée, à savoir l'Islam.  
     
Est-ce nouveau pour les institutions européennes d'être confrontées à cette montée du populisme et de l'extrême droite ?
C. B: Non, ce n'est pas nouveau. Il y a déjà eu un précédent.  Mais,  cela n'avait jamais atteint une telle ampleur. 
En 1999- 2000, l'Union européenne a été secouée, pour ne pas dire prise de panique, par l'entrée dans le gouvernement autrichien de membres du parti d'extrême droite, le FPO.    
L'Union  s'est montrée à cette occasion extrêmement ferme et n'a manifesté aucune complaisance  à l'égard de  la formation démocrate qui s'était alliée avec ce parti d’extrême droite, ouvertement xénophobe, de Jörg Haider.   L'Union avait vite réagi et pris des sanctions de manière diligente. 
   
Que s’est-il passé concrètement ?  
C.B : En fait, l'Union a réagi sur deux plans, sur le plan du droit, et sur le plan politique.  
Sur le plan juridique,  l'Union améliorera  la clause de suspension, une amélioration que l’on appellera  d'ailleurs  ‘la clause autrichienne’ pour rappeler les circonstances de son adoption. Cette clause existait déjà car elle avait été instaurée en 1997 lors du traité d'Amsterdam.
 
Que permet cette clause ?
C. B : Cette clause met en place une procédure dite de suspension, qui permet à l'Union de suspendre à titre temporaire ou définitif certains droits d'un Etat au sein de l'Union, dès l'instant que celui-ci se livre à une violation grave et persistante des droits fondamentaux, parmi lesquels on range évidement la protection des minorités ou toute forme d'atteinte à l'Etat de droit et aux libertés fondamentales.   
Il peut même s'agir d'une violation potentielle, cette potentialité de l'atteinte a été précisement introduite par le traité de Nice face à la sitaution en Autriche. 
Il peut ainsi s’agir de la suspension de droits de nature institutionnelle, comme par exemple le droit de vote au sein des institutions européennes, notamment au sein du Conseil des ministres.
Il est bon de souligner que l'amélioration de cette clause avait été appuyée et instamment demandée par la France et le Président en exercice de l'époque;  cruelle ironie lorsqu'on on sait aujourd'hui  la grande complaisance et  mansuétude   qui règnent en France quant aux thèses défendues par  l'extrême droite, et l'indulgence à l’égard de  cette libération de la parole raciste. 
 
Et sur le plan politique ?
C. B : Sur le plan politique, pendant huit mois, l'Autriche a été mise à l'écart de ses partenaires européens.
Elle  était complètement marginalisée et mise au banc en guise de sanction politique à l'encontre de la formation politique qui avait accepté, pour gouverner, la coalition avec l'extrême droite. 
En dépit de ce discours vigoureux  et de ces sanctions,  le parti d'extrême droite s’est maintenu au  gouvernement,  ce qui lui a permis de disposer d'une tribune, et ainsi  de prospérer au sein de l'électorat autrichien même si, aujourd'hui, le parti d'extrême ne siège plus au sien du gouvernement autrichien.   Mais, toutes les enquêtes laissent présager sa percée aux prochaines élections municipales de 2013 en Autriche.    
Aussi, peut-on considérer que cette sanction de nature politique n'a pas été réellement probante. 
En revanche, la sanction sur le plan juridique, à savoir la suspension que je viens de citer, est plus pertinente et peut se révéler être un instrument redoutable.  
 
La suspension a- t-elle déjà été appliquée ? 
C. B : Non, jamais, pour l'instant.
Mais, aujourd'hui compte tenu de la montée de ces populismes et nationalismes, son recours est davantage envisageable.
Si vous voulez, son recours semble moins hypothétique que par le passé.  
 
Mais, pourquoi, à l'époque, l'Union européenne ne l'a pas appliqué à l'Autriche avec le gouvernement de coalition  avec l'extrême droite ?
C. B : La question  s'est  naturellement posée mais ce n'était pas jouable juridiquement  car la procédure telle qu'elle existait à l'époque  exigeait comme condition d'application une violation grave et persistante des droits fondamentaux. Aussi, pour mettre en oeuvre la procédure, il était impératif que l'Autriche se livre à un tel manquement qui soit avéré, ce qu'elle s'est gardée de faire évidemment pour ne pas s'exposer à la sanction que constitue la suspension de certains de ses droits au sein de l'Union.
Et, c'est compte tenu de cette condition fort contraignante, en 2001, le traité de Nice l'a assouplie parce qu'on a compris qu'avec une telle condition, il  était difficilement envisageable d'appréhender, par le le droit et la sanction, des situations comme celle de l'Autriche à l'époque.
 
Et, maintenant, il suffit d'une violation potentielle ?
C. B : Oui, il suffit désormais d'une violation potentielle, et non d'une violation avérée.
 Il s'agit d'un risque de violation;  c'est ainsi plus efficace au regard de la possibilité de poursuivre l'Etat incriminé.
A l'époque, si nous avions eu condition moins contraignante, et non l'exigence d'une violation réelle, nous aurions certainement pu enclencher cette procédure à l'encontre de l'Autriche.
 
Comment est-elle déclenchée ?
C. B : La procédure est lourde et revêt une certaine solennité car la mise en oeuvre d'une suspension renvoie à une crise institutionelle et politique majeure. Et, la suspension emporte des conséquences lourdes  et fâcheuses pour l'Etat qui se voit suspendu. Aussi, de nombreuses garanties et contraintes entourent son recours. 
C'est le  Conseil, dans une formation particulière, celle qui se réunit au niveau des chefs d’État ou de gouvernement,  et  statuant à l’unanimité, qui constate l’existence d’une telle violation.
 Il statue sur saisine, c'est à dire soit sur proposition d’un tiers des États membres  soit sur proposition de la Commission et  il faut l'accord, sous la forme d'un avis conforme, du Parlement européen.
Lorsque la constatation a été faite,  le Conseil dans sa formation plus traditionnelle, celle qui réunit les ministres, statuant à la majorité qualifiée cette fois-ci, qui est une majorité renforcée,  décide de la suspension de certains droits. Le Conseil doit tenir compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales.
Evidement, le Conseil peut décider ensuite  de modifier les mesures qu’il a prises ou d’y mettre fin en fonction du comportement de l'Etat qui obtempère ou non. Mais, l'Etat suspendu ne recouvrera ses droits que s'il met fin à la violation ainsi constatée.
 Il y a deux points positifs dans le déroulement de cette procédure; d'une part, on relève que l'initiative de la procédure peut venir de la Commission qui joue un rôle essentiel dans cette procédure; il s'agit là d'un levier important; et d'autre part,  le Parlement européen, s'il ne peut pas certe initier la procédure, peut cependant la proposer;  c'est une innovation introduite par le Traité de Nice. C'est aussi un point important et un levier intéressant.
 
Pourquoi dites-vous que la suspension est une arme redoutable ?    
C. B : Elle est redoutable parce qu'elle est très pénalisante.
Etre privé du droit de vote au sein du Conseil des ministres ampute tout simplement l'Etat suspendu de son droit de regard sur l'ensemble des politiques de l'Union.
   
La montée du nationalisme et du populisme en Europe inquiète donc Bruxelles ? 
C. B: Ou, sans conteste.   
Par exemple, lorsque les premiers sondages ont donné le parti de l'extrême droite en France, à savoir le Front national, en position d'être au second tour des prochaines élections présidentielles, un vif émoi s'est emparé des  institutions européennes, particulièrement la Commission et  le Parlement européen qui naturellement se situent  tout deux aux antipodes  des valeurs, si tenté que l'on puisse parler de valeurs,  qu'incarnent  ces populismes et ces mouvements nationalistes d'extrême droite.
Les sondages sont à cet égard très suivis par la Commission.  
Il en va de même pour la montée des  courants nationalistes et populistes dans les autres Etats membres, dont la Commission, tout particulièrement, scrute l'évolution, notamment avec l'aide de l'Agence européenne des droits fondamentaux qui succède, depuis 2007, à l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC).
Mais, le cas de la France est préoccupant car c'est un État fondateur qui endosse dès lors une responsabilité politique et historique susceptible d'être sérieusement entachée par la confirmation de la montée en puissance de  tels mouvements.  
   
Comme s'opère la dénonciation par l'Europe de la montée du nationalisme et du  populisme  ?  Quel est le discours de l'Europe ?
C. B: Cette dénonciation se caractérise  par un trait particulier :  l'Union ne craint pas d’expliquer que le populisme et le nationalisme ne sont pas le seul fait des partis d'extrême droite mais aussi des formations traditionnelles ; c'est ici que réside la nouveauté et c’est ce qui inquiète l’Union.  
Il y a une importante porosité qui se développe, au sein de certains Etats, entre le discours développé par les formations politiques traditionnelles et celui de l’extrême droite. 
C'est cette porosité qui interpelle certains commissaires européens ainsi que des parlementaires qui n’hésitent à la dénoncer dans de nombreuses déclarations publiques. 
  
L’Europe vise-t-elle des Etats précis lorsqu’elle dénonce la porosité des thèmes ?  
C. B: Naturellement. Et, sont tristement cités en exemple la France, l'Italie  ou le Danemark.  
Pour  ne prendre que l’exemple de la France, pour sa politique très contestée  à l'encontre des Roms, la France a été  menacée de poursuites par la Commission devant la Cour de justice de l’Union. 
Citons également la non-application par la France des accords de Schengen puisque non seulement  la France intercède des migrants entrés en toute régularité d’Italie sur le territoire français,  mais de surcroît elle se livre à des contrôles systématiques à la frontière italienne, ce qui est parfaitement proscrit par les accords de Schengen auxquels la France a pourtant pleinement souscrit en 1985.
Ajoutons  à cela la demande française, conjointe à celle de l’Italie, de réviser ces accords.
Toutes ces initiatives, et bien d'autres, sont autant d’éléments qui témoignent d’un durcissement des positions françaises dans le seul but de séduire l’électorat populiste et nationaliste. Et, ceci est parfaitement compris par les instances européennes qui n’en sont pas dupes. Elles sont, au contraire, très lucides et vigilantes sur ces dérives. 
   
L'Europe peut elle exclure un Etat dont le gouvernement reposerait sur une coalition avec l'extrême droite ? 
C. B : Non,  il n'existe pas de procédure d'exclusion.
Il s'agit là d'une grande différence avec  les autres organisations internationales, plus classiques,  dont la charte fondatrice prévoie une clause d'exclusion ou de retrait. 
Pour l'Union, la possibilité juridique d'exclure un Etat n'existe pas.
D’ailleurs, même le droit de se  retirer de l'Union, c'est-à-dire le retrait,  ne vient d'être rendu possible que récemment,  par le traité de Lisbonne, en 2009.  
   
Cet Etat peut alors rester membre de l'Union européenne ? 
C. B : Oui, étrangement, car juridiquement il n’est pas possible de l’exclure.
L'idée est que la pérennité de l'appartenance est un facteur de stabilité institutionnelle important dans le système juridique que présente l'Union. 
C'est ce qui s'est au demeurant produit pour l'Autriche qui ne pouvait pas être exclue à l’époque.    
 
Vous avez indiqué que la suspension peut être définitive. Cela peut donc revenir à une exclusion ?
C.B : Non, juridiquement c'est radicalement différent.
Une exclusion signifie que l'Etat n'est plus membre de l'Union, c'est à dire qu'il n'est lié par aucun droit ni aucune obligations vis à vis de l'Union. Son appartenance à l'Union prend fin.
En revanche, la suspension signifie que l'Etat mis en cause voit certains de ses droits suspendus mais il a toujours les mêmes obligation à l'égard de l'Union, des obligations qui sont très conséquentes et lourdes comme nous le savons tous.
A mon sens, une suspension est plus pénalisante qu'une exlusion pour un Etat , puisque, dans le cadre de la suspension,  les  obligations de l'Etat suspendu restent intangibles. Il est toujours lié par ses obligations mais se voit privé de certains de ses droits. La suspension est donc plus dommageable pour lui dans la mesure où l'exclusion met un terme à la fois aux obligations et aux droits de l'Etat exclu.
 
C'est une suspension totale de l'Etat ?
C. B : Non ce n'est pas une suspension pure et simple de l'Etat;  La suspension est partielle puisqu'elle ne concerne que certains droits. Mais, évidemment, ce sont les droits qui seront les plus pertinents ou emblématiques en termes d'efficacité de la sanction. Il faut bien comprendre que cette procédure a un caractère fortement répressif.

Avec la suspension, est-il  possible d’agir aussi sur le plan politique face une telle situation ?  
C. B : Oui,  et il existe de nombreuses sanctions sur le plan politique que l'on peut envisager, qui permettent de marginaliser un Etat qui se révendiquerait, dans le cadre de son gouvernement, d’une formation d'extrême droite.
L'expérience avec l'Autriche a permis aux institutions de l'Union de reconsidérer la nature des  sanctions politiques qui doivent être désormais plus fortes et plus aiguisées que celles alors appliquées en 2000. 
  
D’après vous, quels sont les meilleurs paravents au niveau des institutions de  l'Europe contre la montée des populismes et des nationalismes?  
 C. B: Les paravents sont nombreux.
En premier lieu, le Parlement européen qui, par les nombreuses forces de progrès qui le composent, et les valeurs qu'il défend,  est indéniablement un paravent contre la montée du populisme et du nationalisme en Europe. 
Le Parlement est un paravent d’autant plus efficace qu’il est loin d’être une chambre d’enregistrement. Il est un réel législateur qui détient de très nombreux pouvoirs et prérogatives, tant sur le plan du contrôle politique à l'égard du Conseil des ministres et la Commission,  que sur le plan  législatif ou encore budgétaire.
Comme autre paravent, il y a évidemment la Cour de justice  de l’ Union européene qui développe, particulièrement  ces derniers mois, une jurisprudence  hautement protectrice des droits fondamentaux et du respect d'un certain nombre de principes comme les principes d'égalité et  de non discrimination.
 
C'est à dire ?
Par exemple, la Cour de justice a récemment condamné la Belgique  pour avoir  prononcé  une mesure d’expulsion à l’encontre  de parents colombiens d'enfants belges. La Cour a considéré que ces parents, étant parents de jeunes citoyens de l‘Union,  avaient le droit de séjourner et de travailler en Belgique et ne pouvaient faire l’objet d’une mesure d’expulsion.
De même,  toujours très récemment, depuis un arrêt rendu le 28 avril à propos de l’Italie, il n'est plus possible d'infliger une peine de prison aux personnes en situation irrégulière. Cette jurisprudence  bouleverse l’état du droit applicable dans certains Etats, et tout particulièrement la France qui mène une politique de pénalisation croissante des étrangers qui sont en situation irrégulière.
En France, une personne qui est en situation administrative irrégulière commet un délit et encourt un an de prison et 3750 euros d’amende.
Désormais, en vertu de cette jurisprudence, ces condamnations sont désormais impossibles sur le territoire français et sur l'ensemble du territoire de l'Union.
Et de manière générale, je dirais que le discours de non-complaisance et d'intransigeance des instances européennes, particulièrement celui de la Commission et de certains des commissaires et parlementaires,  quant aux thèses véhiculées par le populisme et le nationalisme d’extrême droite, sont certainement le meilleur moyen de les endiguer et d’éviter ainsi qu’elles prospèrent.
 
L'Europe peut-elle devenir un rempart aux populismes et nationalismes?
C. B : Oui, elle peut et elle l'est déjà à bien des égards.
Mais,  il reste que l'Union est juridiquement une organisation internationale, certes très particulière et aux compétences très étendues et exceptionnelles. Néanmoins, l’Union ne pourra jamais complètement se substituer aux Etats qui demeurent souverains sur bien des chefs de compétences, et notamment la conduite de nombreuses politiques internes.
Aussi,  il relève de la responsabilité des Etats de mettre un terme à  la politique du bouc émissaire, aux discours  stigmatisants et  vexatoires et aux débats consternants et inutiles qui nourrissent le populisme et le nationalisme,  à l'endroit de certains minorités, principalement les populations immigrées et leurs descendants, les principales cibles de ces mouvements.
Or, est-il besoin de rappeler que ces descendants sont, en vertu de la loi applicable dans de nombreux Etats, par  droit du sol, comme en France ou en Belgique, des ressortissants de ces Etats et dès lors des citoyens de l'Union européenne.
Ils bénéficient dès lors,  au même titre que leurs concitoyens européens, d’un certain nombres de  droits, notamment garantis par la Charte des droit fondamentaux, comme le principe d'égalité, et dont la Cour de justice assure un respect scrupuleux.
 
Le droit au secours de la démocratie en péril ?
C.B : Oui, on peut le considérer ainsi.
Il faut bien comprendre que l'Europe, cette Union européenne, n'est pas qu'une seule organisation  économique. Elle met certes en place un système économique sous  la forme d'un marché, mais elle est aussi, et surtout je dirais, une organisation internationale à vocation politique au sens noble du terme.
Cette vocation politique l'a conduite à se doter d'un système juridique très élaboré et perfectionné, sur le plan institutionnel et normatif.
Et précisement, vous avez, dans le cadre de ce système juridique, un certain nombre de notions fortement protectrices des citoyens, notamment par le levier de la citoyenneté européenne qui confère de nombreux droits, des droits de nature économique et politique très étendus, et pas symboliques ni artificiels, vous avez des mécanismes d'interprétation de la Cour de justice qui sont très favorables à la protection de ces  droits, vous avez une capacité d'action, notamment sur le plan législatif, importante au profit de cetaines institutions comme le Parlement européen dont on connait les forces de progrès, et une capacité de réaction, sous la forme d'un pouvoir de sanction tout aussi étendu au profit de la Cour de justice mais aussi de la Commission.
Tous ces élements ainsi combinés sont des instruments  de nature préventive ou répressive  qui permettent de contenir, ou sanctionner le cas échéant,  les triste dérives que font naître les mouvements nationalistes et populistes dans les Etats membres, et particulièrement dans certains Etats.
 
 
 
 
La montée de l'extrême droite en quelques chiffres
( donnés établies par la Commission européenne et Euractiv)

 
Pays-Bas: 9 juin 2010 élections législatives, percée sans précédent pour le Parti de la liberté, connu pour son discours islamophobe. Geert Wilders obtient 24 sièges de plus au Parlement. 

 
Hongrie: avril 2010, le Jobbik fait 16,68% aux élections législatives.

 
Suède: septembre 2010, première entrée au Parlement des Démocrates Suédois (SD) connus pour leurs revendications anti-immigration avec 5,7% des voix. 
 
Allemagne: le NDP, principal parti d’extrême droite aurait quadruplé ses suffrages entre 2006 et 2008, d’après un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance.
 
  
Sur la surveillance des mouvements xénophobes,  de 1997 à février 2007, l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC) a fourni à l'Union européenne et à ses États membres des informations objectives, fiables et comparables sur le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme dans l'Union européenne.
Son objectif était d'aider l'Union européenne et les États membres à prendre des mesures et à définir des actions visant à lutter contre le racisme et la xénophobie.
Il a étudié l'ampleur et l'évolution du racisme et de la xénophobie et analysé leurs causes, conséquences et effets,en s'appuyant en particulier sur le Réseau européen d'information sur le racisme et la xénophobie (RAXEN), qui collectait les informations pertinentes au niveau national.
 
Le site de l'Agence européenne des droits fondamentaux
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