10 juin 2011

L’organisateur de manifestations en Cisjordanie, Bassem Tamimi, au juge : "Vos lois militaires ne sont pas légitimes. Nos manifestations pacifiques sont justes"

Par Popular struggle coordination committee

Après plus de 2 mois en prison, le jugement de Bassem Tamimi, 44 ans, organisateur de manifestations dans le village de Nabi Saleh en Cisjordanie, a finalement débuté hier (5 juin). Tamimi, coordinateur du Comité Populaire du village de Nabi Saleh, a plaidé non coupable des charges qui pèsent contre lui.

L’organisateur de manifestations en Cisjordanie, Bassem Tamimi, au juge : 'Vos lois militaires ne sont pas légitimes. Nos manifestations pacifiques sont justes'

Dans un discours de défi tenu devant une salle bondée, Tamimi a fièrement revendiqué l’organisation des manifestations du village déclarant, « J’ai organisé ces manifestations pacifiques pour défendre notre terre et notre peuple. » Tamimi a aussi remis en cause la légitimité même du système qui le juge, ajoutant que « Bien que vous vous revendiquiez comme étant la seule démocratie du Moyen-Orient, vous me jugez selon des lois militaires (….) qui sont adoptées par des autorités que je n’ai pas élues et qui ne me représentent pas. »

Tamimi a été interrompu par le juge qui l’a prévenu que ce n’était pas un procès politique, et que de telles déclarations n’avaient pas leur place dans un tribunal. Le juge lui a rapidement coupé la parole et Tamimi n’a pas été autorisé à lire sa déclaration dans son intégralité.

Après que Tamimi ait fini de lire son communiqué abrégé, le juge a annoncé que le protocole de l’audience avait été supprimé par erreur. Cependant, il a refusé de soumettre la déclaration écrite complète à la greffière. Elle s’est servie d’un court résumé écrit avec ses propres mots pour rédiger le compte-rendu officiel.

L’acte d’accusation contre Tamimi est basé sur l’interrogatoire et les aveux extorqués à un jeune du village. Il est accusé d’ « incitation », d’ « organisation et de participation à des manifestations non autorisées», « de sollicitation de jets de pierres », « de ne pas s’être présenté à une convocation légale », et d’une charge scandaleuse de « perturbation de la procédure judiciaire » pour avoir donné des conseils aux jeunes sur la manière d'agir lors d’un interrogatoire policier si jamais ils étaient arrêtés.

Le rapport des interrogatoires policiers de Tamimi démontre à nouveaux les motivations politiques et le mépris de la police et de l’armée vis-à-vis des droits des suspects. Pendant son interrogatoire, Tamimi a été accusé par les enquêteurs d’ « avoir consulté des avocats et des étrangers pour se préparer à l’interrogatoire, » un acte qui n’est pas en contravention avec la loi.

La déclaration complète de Tamimi

« Votre Honneur,

Je tiens ce discours à partir de mes croyances en la paix, la justice, la liberté, le droit de vivre dans la dignité, et par respect de la liberté de penser en l’absence de Lois Justes.

Chaque fois que je suis appelé à comparaître devant votre tribunal, je deviens nerveux et effrayé. Il y a 18 ans, ma sœur a été tuée par un tribunal comme celui-ci, par un membre du personnel. Au cours de ma vie, j’ai été 9 fois emprisonné pour un total d’environ 3 ans, mais je n’ai jamais été accusé ou reconnu coupable. Lors de mon emprisonnement, j’ai été paralysé des suites d’actes de tortures de la part des enquêteurs. Ma femme a été arrêtée, mes enfants ont été blessés, ma terre a été volée par les colons, et maintenant ma maison est menacée de démolition.

Je suis né en même temps que l’occupation et j’ai vécu sous son inhumanité, son inégalité inhérente, son racisme et le manque de liberté. Pourtant, malgré tout cela, ma foi dans les valeurs humaines et ma conviction qu'il faut la paix sur cette terre n’ont jamais été ébranlées. La souffrance et l’oppression n’ont rempli mon cœur de haine pour personne, ni fait surgir des sentiments de revanche. Au contraire, ils ont renforcé ma conviction en la paix et en une position nationale comme réponse adaptée à l’inhumanité de l’occupation.

Le Droit International garantit le droit du peuple occupé à résister à l’occupation. En appliquant ce droit, j’ai appelé et organisé des manifestations populaires pacifiques contre l’occupation, les attaques des colons et la spoliation de plus de la moitié des terres de mon village, Nabi Saleh, où les tombes de mes ancêtres sont enterrés depuis des temps immémoriaux.

J’ai organisé ces manifestations pacifiques dans le but de défendre nos terres et notre peuple. Je ne sais pas si mes actions violent vos lois d’occupation. En ce qui me concerne, ces lois ne s’appliquent pas à moi et sont dépourvues de sens. Ayant été promulguées par des autorités d’occupation, je les rejette et ne peut reconnaître leur validité.

Bien que vous vous revendiquiez comme la seule démocratie du Moyen-Orient, vous me jugez selon des lois militaires qui n’ont aucune légitimité ; des lois édictées par des autorités que je n’ai pas élues et qui ne me représentent pas. Je suis accusé d’organiser des manifestations pacifiques civiles qui n’ont aucun aspect militaire et qui sont légales selon le Droit International.

Nous avons le droit d’exprimer notre rejet de cette occupation sous toutes ses formes, de défendre notre liberté et notre dignité en tant que peuple et de rechercher la justice et la paix sur notre terre dans le but de protéger nos enfants et d’assurer leur avenir.

La nature civile de nos actions est la lumière qui éclairera l’obscurité de l’occupation, apportant une aube de liberté qui réchauffera nos poignets enchaînés et froids, balayant le désespoir de l’âme et mettant fin à de décennies d’oppression.

Ces actions permettent de découvrir le vrai visage de l’occupation, où les soldats pointent leurs fusils sur une femme marchant vers ses champs ou un checkpoint ; sur un enfant qui veut boire l’eau douce d’une source légendaire appartenant à ces ancêtres, contre un vieil homme qui veut s’asseoir à l’ombre d’un olivier, jadis une mère pour lui, aujourd’hui brûlé par les colons.

Nous avons épuisé toutes les actions possibles pour stopper les attaques des colons, qui refusent de respecter vos décisions de justice, qui ont maintes et maintes fois confirmé que nous étions les propriétaires de ces terres, ordonnant le retrait de la clôture qu’ils avaient érigée.

A chaque fois que nous essayons d’approcher de nos terres, de mettre donc en œuvre ces décisions, nous sommes attaqués par les colons qui nous empêchent de les atteindre comme si elles étaient à eux.

Nos manifestations protestent contre l’injustice. Nous travaillons main dans la main avec des militants israéliens et internationaux qui croient, comme nous, que s’il n’y avait pas l’occupation, nous pourrions tous vivre en paix sur ces terres. Je ne sais pas quelles lois font respecter des généraux habités par la crainte et l’insécurité, je ne sais pas non plus ce qu’ils pensent de la résistance civile de ces femmes, de ces enfants et de ces hommes âgés qui portent l’espoir et des rameaux d’oliviers. Mais je sais ce que sont la justice et la raison. Le vol de terres et la destruction des arbres par les flammes sont injustes. La répression violente de nos manifestations et vos camps de détention ne sont pas des preuves de l’illégalité de nos actions. Il est injuste d’être traduit en justice selon des lois qui nous sont imposées. Je sais que j’ai des droits et que mes actions sont justes.

Le procureur militaire m’accuse d’inciter les manifestants à jeter des pierres sur les soldats. Ce n’est pas vrai. Ce qui incite les manifestants à jeter des pierres, c’est le bruit des balles, des bulldozers de l’occupation quand ils détruisent nos terres, l’odeur des gaz lacrymogènes et de la fumée provenant des maisons qui brûlent. Je n’ai incité personne à jeter des pierres, mais je ne suis pas responsable de la sécurité de vos soldats qui envahissent mon village et attaquent mon peuple avec toutes ces armes de mort et ces équipements de terreur.

Les manifestations que j’organise ont eu une influence positive sur mes convictions ; elles me permettent de voir d’une autre façon les gens qui croient en la paix et partagent ma lutte pour la liberté. Ces combattants pour la paix ont débarrassé leurs consciences de l’occupation et ont mis leurs mains dans les nôtres lors des manifestations pacifiques contre un ennemi commun, l’occupation. Ils sont devenus nos amis, nos sœurs, nos frères. Nous combattons ensemble pour un avenir meilleur pour nos enfants et les leurs.

Si je suis relâché par le juge, serais-je convaincu que la justice prévaut encore dans ce tribunal ? Indépendamment de la façon juste ou injuste de cette décision, malgré tout le racisme, les pratiques inhumaines et l’occupation, nous continuerons à croire en la paix, la justice et les valeurs humaines. Nous continuerons à élever nos enfants dans l’amour ; l’amour de notre terre et de notre peuple sans discrimination de race, de religion ou d’origine ethnique, en incarnant ainsi le message du messager de la paix, Jésus-Christ, qui nous a exhorté à « aimer notre ennemi ». Avec l’amour et la justice, nous ferons la paix et construirons l’avenir.
 »

Contexte

Bassem Tamimi est un vétéran de l’activisme palestinien et vit dans le village de Nabi Saleh, au Nord de Ramallah. Il est marié à Nariman Tamimi, avec qui il a 4 enfants, Wa’ed, 14 ans, Ahed, 10 ans, Mohammed, 8 ans et Salam 5 ans.

En tant qu’activiste vétéran, Tamimi a été arrêté par l’armée israélienne 11 fois jusqu’à ce jour et a passé environ 3 ans dans les prisons israéliennes, sans qu’il n'ait été accusé d’aucune infraction. Il a passé 3 ans en détention administrative sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui. De plus, lui et son avocat se sont vus refuser l’accès à des « preuves secrètes » portées contre lui.

En 1993, Tamimi a été arrêté sur de faux soupçons d'assassinat d'un colon israélien à Beit El, une allégation dont il a été entièrement lavé. Durant ces longues semaines d’interrogatoire, il a été sévèrement torturé par le Shin Bet israélien (service de sécurité intérieure) dans le but d’obtenir ses aveux sous la contrainte. Lors de son interrogatoire, et en conséquence de la torture qu’il a subie, Tamimi s’est évanoui et a dû être évacué à l’hôpital, où il est resté inconscient pendant 7 jours.

Comme tous les leaders des manifestations de Nabi Saleh et tous les coordinateurs du Comité populaire du village, Tamimi a été visé par les mauvais traitements de l’armée israélienne. Depuis que les manifestations ont commencé dans le village, sa maison a été perquisitionnée et saccagée de nombreuses fois, sa femme a été arrêtée deux fois, et deux de ces fils ont été blessés ; Wa’ed, 14ans, a été hospitalisé pendant 5 jours après qu’une balle acier-caoutchouc ait pénétré sa jambe, et Mohammed, 8 ans, a été blessé par une grenade lacrymogène qui avait été tirée directement sur lui et qui l’avait frappé à l’épaule. Juste après le début des manifestations dans le village, l’Administration Civile Israélienne a délivré 10 ordres de démolition de structures situées en Zone C, la maison de Tamimi en faisait partie, malgré le fait qu’elle avait été construite en 1965.

Cadre juridique

Le 24 mars 2011, un contingent important de soldats israéliens a mené un raid sur la maison de Tamimi, vers midi, quelques minutes seulement après qu’il soit rentré chez lui pour préparer une réunion avec un diplomate européen. Il a été arrêté puis accusé.

La principale preuve dans l’affaire Tamimi est le témoignage d’un enfant de 14 ans, Islam Dar Ayyoub, lui aussi de Nabi Saleh, qui a été arrêté dans son lit, des fusils pointés sur lui, dans la nuit du 23 janvier. Lors de son interrogatoire, le matin suivant son arrestation, Islam prétendait que Bassem et Naji Tamimi organisaient des groupes de jeunes en « brigades » chargées de différentes responsabilités lors des manifestations : certaines étaient chargées de jeter des pierres, d’autres de bloquer les routes, etc…

Au cours du procès en première instance d’Islam, mentionnant que son témoignage devait être déclaré irrecevable, il a été prouvé que son interrogatoire avait été fondamentalement vicié et avait violé les lois mises en place dans le cadre des Lois israéliennes concernant les jeunes, de façon suivante :

1) Bien qu’il soit mineur, il a été interrogé le matin suivant son arrestation, et a été privé de sommeil.
2) On lui a refusé l’accès à une aide juridique, bien que son avocat se soit présenté au commissariat pour demander à le voir.
3) On lui a refusé le droit d’avoir un parent auprès de lui lors de l’interrogatoire.
4) Il n’a pas été informé de son droit de garder le silence, et il lui a même été dit par ses enquêteurs qu’ils « attendaient de lui qu’il dise la vérité ».
5) Un seul des quatre enquêteurs était habilité à interroger un mineur.

Bien que la procédure de jugement n’ait pas atteint son terme, les preuves déjà révélées ont été apportés au Tribunal Militaire d’Appel pour réviser sa demande de renvoi et ordonner la relâche d’Islam de la maison d’arrêt.

Depuis les deux derniers mois, l’armée a arrêté 24 habitants de Nabi Saleh. La moitié d’entre eux sont mineurs, et le plus jeune n'a que 11 ans.

Depuis le début de la lutte du village contre le vol de leurs terres par les colons en décembre 2009, l’armée a procédé à 71 arrestations liées aux manifestations. Comme le village est constitué d’environ 500 habitants, ce chiffre représente approximativement 10% de sa population.

L’arrestation de Tamimi correspond à la stratégie d’arrestation systématique des leaders civils des manifestations qui ont lieu dans toute la Cisjordanie , comme c’est le cas dans les villages de Ni’lin et Bil’in.

Récemment la Cour d’Appel Militaire a aggravé la peine d’Abdallah Abu Rahmah résidant dans le village de Bil’in, l’envoyant en prison pendant 16 mois après l'avoir accusé d’incitation et d’organisation illégale de manifestation. Abu Rahmah a été relâché en mars 2011.

L’arrestation et le jugement d’Abu Rahmah ont été largement condamné par la communauté internationale, plus particulièrement par Catherin Ashton, Ministre des Affaires Etrangères de l’UE. Des critiques sévères sur l’arrestation ont aussi été émises par les grands organismes de Défense des Droits de l’Homme en Israël et partout dans le monde, parmi eux B’tselem, ACRI, ainsi que Human Right Watch, qui a déclaré que le jugement de Abu Rahmah était injuste, et Amnesty International, qui a déclaré qu’Abu Rahmah était un prisonnier d’opinion.


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