26 mars 2012

Pour quoi luttent les prisonniers palestiniens

Par Ameer Makhoul

Ameer Makhoul, directeur d'Ittijah (Haifa, Palestine 48) est détenu à la prison Gilboa depuis avril 2010.

Le cas du combattant de la liberté Khader Adnan nous rappelle où se trouve la force du peuple palestinien. C'est la force qui a été gaspillée et dissipée dans le processus d'Oslo et dans la poursuite d'un Etat aux dépens de la libération nationale. Avec sa grève de la faim historique et son issue héroïque dans sa lutte contre l'Etat occupant, Adnan a réaffirmé un principe important de résistance aux régimes colonialistes : lorsqu'un peuple, ou des individus, qui sont leurs victimes restent déterminés, le monde réagit. La sympathie se transforme en solidarité, et ceci peut en retour alimenter un mouvement croissant de soutien pour la lutte qui est capable d'ébranler les fondements du système colonialiste.

Pour quoi luttent les prisonniers palestiniens
Badia, la mère de Hana Shalabi, tient un poster de sa fille 
en grève de la faim depuis le 16 février 2012.

Son cas a également confirmé que les structures du colonisateur ne peuvent jamais protéger sa victime. Son projet ne peut être vaincu qu'en détruisant la domination de ses organes et les règles qu'elles appliquent.

La bataille d'Adnan pour la vie et la dignité est un modèle à suivre dans la lutte palestinienne de libération. Il offre des leçons aux participants de cette lutte, y compris aux prisonniers et aux activistes de la solidarité internationale, et la façon dont leur travail peut être intégré.

Campagne de défi

Adnan a pris l'initiative d'entamer une grève de la faim illimitée pour protester contre son emprisonnement selon un ordre de détention administrative. Son but était clair : défier autant l'ordre que le système israélien d'oppression. Il cherchait aussi à signifier que les Palestiniens refusent d'accepter le traitement que leur infligent les autorités d'occupation.

La campagne qu'il a déclenché a illustré la manière dont les composants de la lutte populaire peuvent être réunis. Inspirés par la détermination du prisonnier, les Palestiniens des territoires de 1948 ont vite répondu. Une campagne populaire médiatique de mobilisation a été rapidement lancée, localement et internationalement. Différentes organisations de jeunes et de la base populaire se sont immédiatement impliquées, comme l'ont fait les familles des prisonniers et les groupes politiques. Son activisme s'est répandu aussitôt en Cisjordanie , dans la Bande de Gaza et à Jérusalem, ainsi que parmi la diaspora palestinienne et a engendré un formidable mouvement mondial.

Des prisonniers dans les prisons israéliennes ont également lancé une campagne pour défendre, soutenir et partager la responsabilité avec Adnan. Ils ont adopté les principes de la progression collective organisée, qui a commencé par le rejet des repas et le refus de recevoir des provisions (les autorités carcérales ont répondu en fermant les cours à ciel ouvert et en empêchant les prisonniers de quitter leurs cellules). De plus en plus de prisonniers se sont aussi déclarés en grève de la faim illimitée.

Le maillon faible d'Israël

Les prisonniers savaient que leur bataille n'était pas contre l'autorité carcérale en elle-même, mais contre l'Etat d'occupation en tant que système, avec toutes ses extensions et ses institutions. Mais l'autorité carcérale fut le maillon faible au sein de l'appareil sécuritaire, sur lequel il était possible de faire pression. Les prisonniers ont ainsi envoyé au gouvernement d'Israël le message que Adnan parlait pour eux, et le mettait en garde contre les conséquences de la mise en danger de sa vie.

Les autorités pénitentiaires en retour ont exhorté le gouvernement de résoudre le cas d'Adnan aussi rapidement que possible afin de désamorcer les troubles croissants parmi les prisonniers. Et en effet, le message des prisonniers a été entendu.

L'appareil sécuritaire israélien fut extrêmement inquiet lorsque la grève de la faim a continué et que l'état de santé d'Adnan est devenu critique. Ce n'est pas sa vie qui le préoccupait, mais il craignait que sa mort ne déclenche une nouvelle Intifada palestinienne, y compris dans les territoires 1948.

La stratégie d'action rapide et multiforme a prouvé son efficacité. Outre l'action palestinienne, les mouvements de la solidarité internationale ont joué un rôle majeur et déterminant. Cette pression, conjuguée avec la crainte de ce qui pourrait advenir en cas d'explosion de colère palestinienne, a incité même des pays comme les Etats-Unis et les pays européens à faire des déclarations contre la détention administrative d'Adnan, dans les derniers jours de sa grève de sa faim.


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Une militante internationale tient un poster de Khader Adnan en grève de la faim, lors d'une manifestation de soutien à Ramallah le 20 février 2012 (Photo: Reuters - Mohamad Torokman


Une des forces majeures de la campagne de soutien à Adnan fut qu'il ait raconté son histoire personnelle d'homme, comme celle de sa vie politique et de sa lutte, d'une manière qui a réussi à transmettre tant sa souffrance que sa détermination. L'histoire d'Adnan a incarné aussi l'essence de l'expérience des Palestiniens et leur quête pour leurs droits et la liberté, et a servi à exposer l'essence d'Israël pour ce qu'elle est réellement.

Ceci s'est avéré plus efficace pour toucher les gens que de simples faits ou chiffres - aussi importants qu'ils soient - auraient pu l'être. La partie principale du drame fut joué par le prisonnier lui-même. La famille d'Adnan, son épouse, son père et ses enfants, ont eux aussi joué des rôles héroïques.

L'échec de la “modération”

Cette bataille souligne l'échec du discours de "modération" qu'Israël et les Etats-Unis ont imposé à la direction palestinienne officielle. Cette position modérée affirme que si nous, Palestiniens, souhaitons obtenir un appui international, nous devons adopter une posture modérée. Dans la pratique, cela signifie d'accepter volontairement les contrôles oppressifs imposés par le terrorisme global de l'Etat. La "modération" signifie ici d'abandonner le droit à résister à l'Etat occupant.

Pourtant, ce à quoi nous venons d'assister, c'est que le monde soutient les Palestiniens lorsque eux-mêmes ripostent et restent fermes, quelle que soit leur affiliation politique. La capacité de toucher et de faire bouger l'opinion publique internationale et de garantir une solidarité efficace à grande échelle ne fut pas le résultat d'une stratégie de relations publiques, mais d'une lutte réelle sur le terrain pour résister à la machine colonialiste oppressive.

Dans tous les cas, lorsque la détention administrative israélienne par ordre militaire a été légalement contestée - ou une disposition de lois d'exception comme l'interdiction de voyager ou d'entrer dans les territoires occupés par Israël en 1967 - la haute cour israélienne a toujours défendu les décisions des services militaires, sécuritaires et du renseignement.

Ce qui se passe au tribunal, c'est que le juge demande au Palestinien de contester l'ordre, qu'il soit un citoyen israélien ou non, pour autoriser les juges israéliens à recourir aux "preuves secrètes" auxquelles n'ont accès ni les victimes ni leurs avocats. Si la victime accepte, le juge décide sur la base de "preuves secrètes" et approuve invariablement les conclusions des services de sécurité, normalement émis au nom d'un ministre ou d'un chef militaire compétent. Si la victime refuse de faire confiance à l'honnêteté ou à la crédibilité de l'Etat occupant, la contestation juridique est de fait terminée, les juges ferment le dossier et accusent la victime de l'échec.

Des notions dangereuses

Pendant la campagne Adnan, de nombreux leaders politiques palestiniens, militants pour les droits de l'homme et médias ont utilisé l'argument selon lequel si Israël avait eu la moindre preuve contre Adnan, il l'aurait traduit devant un tribunal ordinaire. D'autres ont suggéré que le succès de sa campagne devrait en inspirer une nouvelle contre l'usage des ordres de détention administrative en général.

Ce sont des notions dangereuses, en particulier venant de gens réputés et influents. Israël est un Etat occupant et une entité colonialiste. Même le droit international protège les victimes d'une occupation et interdit leur transfert dans des prisons situées à l'intérieur des frontières de l'Etat occupant. La détention administrative et les prisons "ordinaires" de l'occupation sont donc également illégaux.

De plus, qu'est censé signifier "preuve" ici ? La preuve de résister à l'occupation ? Résister à l'occupation est légitime : c'est l'occupation et la colonisation israélienne, avec ses colonies de peuplement et ses tribunaux, qui sont illégitimes. Les milliers de prisonniers palestiniens et arabes dans les geôles israéliennes ont-ils été légitimement condamnés ? Ils ont tous été jugés sur des "preuves" secrètes la plupart du temps, dont ni eux ni leurs avocats n'ont pu avoir connaissance.

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Il y a un autre facteur. Des études universitaires israéliennes ont prouvé sans équivoque l'ampleur de la discrimination scandaleuse des condamnations prononcées par les juges dans les affaires criminelles. Les peines infligées aux Palestiniens sont beaucoup plus dures que celles des condamnés juifs israéliens. Que peut-on donc attendre quand le juge qui représente l'Etat occupant accuse de résistance les victimes de cette occupation ?

Notre bataille

La véritable préoccupation pour les peuples sous occupation n'est pas de savoir si la détention de leurs fils et filles a été prononcée par un ordre administratif israélien ou par l'ordonnance d'un tribunal militaire ou civil. L'oppression, la répression et le pillage sont la même chose, peu importe quel outil utilise l'occupation. La bataille d'Adnan fut un combat contre le projet colonialiste dans son ensemble, et pas seulement contre un de ses outils.

Mais quand des leaders palestiniens et des militants pour les droits de l'homme déclarent que la prochaine étape est d'amplifier la campagne contre les ordres de détention administrative, c'est une faiblesse ou une vision erronée.

La bataille contre les lois d'exception israéliennes est une bataille pour les Israéliens, pas pour le peuple palestinien. Pour les Palestiniens et pour tous ceux dans le monde qui combattent l'occupation et le colonialisme, c'est contre contre l'occupation et l'Etat occupant qu'il faut se battre, et pour la libération nationale, la récupération de la patrie et le retour de son peuple, réfugié ou exilé.

Le cas d'Adnan prouve que vaincre le projet colonialiste n'est pas une mission impossible. C'est possible. Et il a ranimé et renforcé l'espoir que le peuple palestinien est capable de dynamiser sa volonté de victoire.


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Ameer Makhoul


Plus d'informations sur son combat sur le site "Free Ameer Makhoul"



Source : UFree
Traduction : MR pour ISM

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