12 mars 2012

Tunisie. Marzouki prononce un discours fondateur d’une stature présidentielle

lundi 12 mars 2012

 

Dans l’affaire de la profanation du drapeau tunisien, la présidence de la République s’était jusqu’ici contentée d’un classique communiqué de condamnation, même si elle avait été prompte à agir. Aujourd’hui lundi, après avoir décoré Khaoula Rachidi, héroïne nationale qui avait résisté en s’interposant, Moncef Marzouki s’est révélé sous un nouveau visage d’orateur patriote, lors d’un discours mémorable.


S’est-il plié à la pression populaire ou s’agissait-il d’une initiative personnelle ? Le président Marzouki a, ce matin, répondu aux attentes et tenu à décorer la nouvelle égérie de la République tunisienne, l’étudiante en master de langue et littérature françaises, Khaoula Rachidi. Elle était radieuse à l’occasion de cet hommage national au Palais de Carthage, aux accents de cérémonie militaire.
« Aucun drapeau ne flottera en Tunisie plus haut que ce drapeau ! ». Ce sont là les mots forts qui ouvrirent son discours prononcé dans la foulée, devant un parterre d’officiels quasiment au garde-à-vous. Des mots dont la fermeté donnera sa tonalité au reste d’un discours pour une fois clair et sans ambiguïté aucune.
« Ce drapeau est le symbole de la continuité de l’Etat depuis le 19ème siècle », poursuit-il, pour le lier ensuite à la révolution qui lui a rendu ses lettres de noblesse et de gloire.
Soudain, le ton monte avec l’évocation du sang des martyrs que symbolise le rouge du drapeau. Signe de la liberté prise par Marzouki pour marquer le coup, il a dit voir en l’étoile du drapeau le « symbole de l’ambition du peuple tunisien confinant aux étoiles dans les cieux ».
« Ceci est le dénominateur commun qui nous rassemble d’un extrême à l’autre », a-t-il affirmé, rappelant dans un second temps les étapes historiques où fut brandi le drapeau en signe d’unité nationale, notamment lors des luttes sociales et syndicales et contre l’occupation.
« Y porter atteinte est une atteinte à la nation et à l’Etat démocratique », a-t-il martelé, avant d’appeler solennellement le profanateur toujours recherché du drapeau à se rendre et se livrer de son propre chef aux autorités, et à faire ses excuses « devant une justice indépendante et équitable ».
Une adresse implicite aux salafistes
Sans les nommer explicitement, le président provisoire a ensuite appelé ce qu’il a qualifié de « mouvements confessionnels auxquels appartient ce jeune », à faire une condamnation claire de cet acte.
« Il n’y a pas lieu de vouloir se justifier d’une quelconque manière, ni de fuir ses responsabilités », a-t-il prévenu, dans une adresse directe qui sonne comme une déclaration de guerre.
« Il ne sera pas permis à quiconque d’imposer ses vues par la violence ». « Il ne sera pas permis à quiconque de s’autoproclamer détenteur d’une autorité religieuse ». Ce sont là les deux avertissements marquants du discours. Ils engagent le président comme défenseur légitime de la nation, mais aussi en tant qu’individu et militant politique.
Il avait déjà plaidé la même semaine pour une loi contre le « takfir » (le fait de délivrer une fatwa de mécréance contre quelqu'un). L’incident permet par ailleurs à Marzouki de mettre fin plus particulièrement au feuilleton de la Faculté des Lettres de la Manouba. « Aucune perturbation supplémentaire des cours n’y sera tolérée. A l’avenir, elles seront contrées avec la détermination la plus ferme », a-t-il annoncé, invoquant un recours à l’armée nationale si nécessaire.
« J’appelle les Tunisiens à refuser la violence et la polarisation idéologique, source de haine », a-t-il conclu ce qui restera dans les annales comme un discours historique, ponctué d’explosions de décibels, lors d’envolées et de cris de colère.
Dans l’adversité, Marzouki se découvre enfin l’étoffe d’un président rassembleur. Désinhibé par un acte odieux qui nargue sa propre autorité autant que celle de l’Etat de droit, il se libère des chaînes des calculs politiques et autres politesses propres aux coalitions gouvernementales.
L’avenir proche dira si cela marque aussi l’entame d’un affrontement germé entre deux Tunisies.
Seif Soudani

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