Ce que Barghouti représente vraiment pour les Palestiniens
lundi 9 avril 2012 - 07h:19Ramzy Baroud - The Palestine Chronicle
« C’est le droit du peuple palestinien de s’opposer à l’occupation par tous les moyens, et la résistance doit se concentrer sur les territoires de 1967 »
En 2004, en plein Intifada, l’occupant israélien a condamné Marwan Barghouti, un des premiers dirigeants de la résistance palestinienne, à 5 fois la prison à vie, assorti de 40 années supplémentaires - Photo : Reuters
Récemment Marwan Barghouti, l’éminent prisonnier politique palestinien et cadre du Fatah, appelait les Palestiniens à lancer "une résistance populaire à large échelle" pour "servir la cause de notre peuple".
Ce message a été largement diffusé car il coïncidait avec la Journée de la Terre, événement qui réunit les Palestiniens depuis mars 1976. Sa signification a évolué au fil des ans pour représenter les doléances collectives partagées par la plupart des Palestiniens, notamment la spoliation de leurs terres résultant de l’occupation israélienne.
Barghouti est également une figure d’union parmi les Palestiniens. Même au plus fort des heurts entre le Hamas et le Fatah en 2007, il insistait sur l’unité et rejetait les factions. Il n’est un secret pour personne que Barghouti est toujours un personnage très populaire du Fatah, au grand dam de plusieurs cadres du Fatah, et notamment de Mahmoud Abbas, qui dirige à la fois l’Autorité palestinienne et le parti du Fatah. Tout au long des pourparlers indirects sur l’échange de prisonniers, le Hamas a insisté sur la libération de Barghouti. Israël, qui avait officiellement inculpé et emprisonné Barghouti en 2004 sur cinq charges de meurtre - mais plus probablement en raison de son rôle dirigeant au cours de la Deuxième intifada - n’en voulait pas.
Israël persiste dans sa position sur Barghouti à cause de sa large popularité au sein des Palestiniens. Fin 2009, il déclarait au quotidien milanais Corriere della Sera que « la principale question inscrite à son agenda est de parvenir à l’unité entre factions palestiniennes rivales » (cité dans Haaretz le 25 novembre 2009). Il déclarait en outre qu’une fois un accord d’unité conclu il serait prêt à soumettre sa candidature à la présidence palestinienne. Bien sûr, Barghouti est toujours en prison. Bien qu’un accord d’unité ait été signé, il doit encore être matérialisé.
La dernière déclaration de Barghouti vise clairement la classe politique qui a dirigé les Palestiniens pendant des années et se contente à présent d’administrer en profitant de l’occupation. « Cessez de vendre l’illusion qu’il est possible de faire cesser l’occupation et de parvenir à un Etat via des négociations, alors que cette vision a lamentablement échoué » dit-il. « C’est le droit du peuple palestinien de s’opposer à l’occupation par tous les moyens, et la résistance doit se concentrer sur les territoires de 1967 » (BBC, 27 mars).
En décembre dernier Joseph Dana écrivait : « Barghouti est une figure d’excellence et de respect parmi les Palestiniens et même pour certains Israéliens, indépendamment de leur conviction politique ». Cependant ce n’est pas grâce à ses vues politiques prophétiques ni par ses capacités de négociateur qu’il a conquis sa légitimité parmi les Palestiniens. En réalité il a fait partie des dirigeants du Fatah qui ont désespérément mais sincèrement recherché la paix à travers le « processus de paix » - qui s’est révélé coûteux, voire léthal, pour le mouvement national palestinien. Dana ajoutait : « La démarche de paix pragmatique de Barghouti pendant les années ’90 a prouvé son désir absolu de mettre fin à tout prix à l’occupation israélienne » (The National, 23 décembre 2011).
Bien que son dernier message articule une conclusion devenue évidente pour la plupart des Palestiniens - par exemple : « Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas de partenaire pour la paix en Israël alors que les colonies ont doublé » - l’appel de Barghouti circonscrit un niveau de maturité politique peu susceptibe d’être bien reçu, tant à Ramallah qu’à Tel Aviv.
Ce n’est donc pas son savoir-faire politique en soi qui l’a rendu tellement populaire parmi les Palestiniens, mais bien le fait qu’il incarne l’antithèse du dirigeant traditionnel du Fatah et de l’AP. Ayant entamé sa carrière politique à l’âge de quinze ans avant d’être emprisonné et déporté en Jordanie avant ses vingt ans, Barghouti était considéré par les la branche des jeunes du Fatah - la Chabiba - comme le nouveau visage tant désiré du mouvement. Quand il comprit que le « processus de paix » était une mystification destinée à faire gagner du temps aux Israéliens spoliateurs de terres et colonisateurs ainsi qu’à récompenser quelques Palestiniens accommodants, Barghouti rompit avec la hiérarchie du Fatah. Comme on pouvait s’y attendre, c’est à ce moment, en 2001, qu’Israël tenta de l’assassiner.
Marwan Barghouti a toujours un certain soutien en Israël même, en particulier parmi les politiquement raisonnables qui comprennent que le gouvernement droitiste de Netanyahou ne peut pas arriver à une résolution pacifique et que la solution dite « des deux états » est pratiquement morte. Dans un éditorial de Haaretz intitulé « Ecoutez Marwan Barghouti », les auteurs examinent comment « à l’époque où il était un dirigeant populaire et un fervent de la paix qui ne s’était pas encore tourné vers la violence, Barghouti a fait le tour des politiciens et des leaders d’opinion israéliens ainsi que des comités centraux des partis sionistes, afin de les presser de parvenir à un accord avec les Palestiniens ». Les auteurs recommandent à « Jérusalem » d’écouter Barghouti parce qu’il est « le dirigeant le plus authentique que le Fatah a produit et qu’il peut mener son peuple à un accord » (30 mars).
Dans son article intitulé « Le nouveau Mandela », Uri Avnery écrivait que Barghouti « est l’une des très rares personnalités autour desquelles tous les Palestiniens, Fatah comme Hamas, peuvent s’unir » (Counterpunch, 30 mars). Cependant, il est essentiel de garder à l’esprit une ligne de partage entre la manière dont les Palestiniens eux-mêmes voient Barghouti et celle des Israéliens (même ceux de la gauche). Parmi ces derniers, il est présenté comme un personnage qui pourrait être impliqué dans la « terreur meurtrière » de la Deuxième Intifada (Haaretz) mais qui peut également « mener son peuple vers un accord » - comme si les Palestiniens étaient des foules dangereuses ayant besoin d’avoir leur propre Mandela capable, par ses compétence naturelles de leader, de les réunir afin de signer un autre document.
Pendant des années mais en particulier après le processus de paix d’Oslo, les gouvernement israéliens successifs ont répété quil « n’y avait personne à qui parler du côté palestinien ». Cette assertion rabâchée était censée justifier les politiques unilatérales d’Israël, notamment la construction de colonies. Néanmoins Barghouti est un dirigeant précieux aux yeux de beaucoup de Palestiniens, non parce qu’il est l’homme avec qui Israël peut parler, et non à cause de certains stéréotypes laissant entendre qu’il est « l’homme fort » qui sait diriger les arabes indisciplinés. Sa popularité ne peut pas davantage être attribuée à son talent politique ni à l’influence de sa famille.
Au fil des années, des centaines de Palestiniens ont été la cible d’assassinats extrajudiciaires ; des centaines ont été déportés et des milliers continuent d’être emprisonnés. Marwan Barghouti les représente tous et davantage encore, et c’est en raison de cet héritage que ses messages sont tellement importants. Dans son dernier message, Barghouti dit que l’Autorité palestinienne devrait cesser sur le champ « toute coordination économique et sécuritaire avec Israël et travailler dans l’objectif de la réconciliation palestinienne » plutôt que sur un autre accord de paix.
La plupart des Palestiniens sont déjà d’accord sur ce point.
*Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.
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4 avril 2012 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/view_...
Traduction : Info-Palestine.net - Marie Meert
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Traduction : Info-Palestine.net - Marie Meert
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