12 avril 2012

Exclusive à moqawama.org : Aux frontières de Zolmestan 
 
 
En 1994, le grand père du militant bahreïni pour les droits de l’homme, Abdul Hadi Khawaja, décéda alors que son petit-fils Abdul Hadi était exilé au Danemark. Khawaja a décidé de rentrer à son pays, afin d’assister aux funérailles de son grand- père. A son arrivée, les autorités du Bahreïn ont décidé de le déporter vers le Danemark, sans aucune justification légale.


Khawaja a rejeté la décision et lorsque la police est venue pour l’obliger à prendre l’avion, il s’est accroché à son siège, refusant d’obtempérer, ce qui a obligé les policiers à  l’abandonner, pour ne pas provoquer du chaos dans la salle d’arrivée de l’aéroport.

Il est resté onze jours bloqué dans la salle de transit de l’aéroport, refusant de quitter son pays. Il lavait ses vêtements dans les toilettes et poursuivait son sit-in, sur les bancs de la salle d’attente.


Khawaja a subi un interrogatoire à l’aéroport, par l’enquêteur Adel Fleifel, célèbre tortionnaire. Ce dernier a tenté de soutirer des informations sur d’autres militants, par les menaces de torture et les insultes. Khawaja répondait inlassablement : « allez, torturez, je ne vous donnerai aucune information sur qui que ce soit. Je viens uniquement pour prendre part aux funérailles ». L’interrogatoire a pris fin, et le passeport de khawaja a été confisqué. Il reçut un passeport temporaire et fut transporté par la  force, à bord d’un avion, à destination du Liban.


De retour au Danemark, Khawaja avait un bon moral. Il sentait qu’il a vécu une expérience de résistance unique, comme l’a affirmé son épouse Khadija Moussaoui. Il n’était point désespéré, mais avait la certitude que le changement au Bahreïn était inéluctable. Il a dit à sa femme : « Je vous promets que nous serons de retour au pays, un jour ou l’autre ».


Inspiré par cette expérience, Abdul Hadi Khawaja a écrit en 1997 une nouvelle, en guise de projet final d’un cours de formation en journalisme, à l’université de Pennsylvanie aux Etats Unis. Il réussit son examen avec félicitation du jury.


Dans sa nouvelle, Khawaja semblait anticiper la révolution Place de la Perle, du Bahrein. Il a décrit ses concitoyens bahreinis comme étant « en quête des perles de leurs rêves ». Ses textes raffinés, ont reflété ses aspirations et ses rêves de voir son pays se convertir d’un état d’injustice à l’Etat de droit, et son attente semée de ferveur et douleur.


Nous verrons dans cette nouvelle, comment l’histoire de l’injustice et de la tyrannie du régime se renouvelle de la même manière, odieuse et  malveillante,  alors que khawaja espérait que les jours de tortures et de violations seront à Jamais révolus.


Nous verrons, comment la souffrance et le désespoir se sont transformés en un désir de vengeance et puis comment l’homme pacifiste reconnaît que la vengeance n’engendre point le bonheur, pour qu’il réintègre son humanité, quelles que soient les circonstances.


L’un des plus importants épisodes de la nouvelle, celui qui relate un incident authentique vécu par le narrateur  khawaja à l’aéroport, toujours ancré dans sa mémoire. Cet incident l’a tellement secoué qu’il le rapportait  incessamment à son épouse. Son sens humain a été révolté à la vue de bonnes étrangères, agglomérées dans la salle de transit de l’aéroport, sans aucun égard pour leur humanité.



Voici la nouvelle écrite par Khawaja :


Aux frontières de Zolmestan « Royaume de l’injustice »
Ecrit par Abdel Hadi Khawaja


A son arrivée à l’aéroport, Hassan était impatient de voir le changement qui a eu lieu en son pays. 17 ans s’étaient écoulés depuis son exil forcé, vers un pays situé à l’extrême nord de la terre. Il n’estimait pas qu’il soit de retour au « Pays de l’injustice » et n’était pas au courant du changement survenu durant ces années.


« Bienvenues à l’aéroport du «  Pays de justice »,  a lu Hassan sur une pancarte fixée à un grand et bel immeuble. Le « Pays de justice », n’était pas seulement le nouveau nom de l’île, mais aussi l’annonce d’une nouvelle ère au pays.  Une ère de justice et d’égalité, contrairement à son ancien nom.
Sorti de l’avion, Hassan entendait les battements de son cœur et souffrait d’un mal à l’estomac.

Il arriva au bâtiment de l’aéroport, sans que ces pieds ne touchent la terre, qui a porté les empreintes de ses pieds dans son enfance, et puis dans sa jeunesse animée. En passant par Le terminal, de la sortie de l’avion vers le bâtiment, il n’a pu sentir la chaleur du soleil, au crépuscule de ce jour de janvier, ni inspirer l’humidité rafraichissante de l’air, qu’il estimait toujours imbibée de l’odeur particulière des maisons côtières en argile et des palmiers, et mêlée à l’arôme des roses hivernales des champs.


Arrivé au bâtiment de l’aéroport, guidé par les affiches, il cheminait parmi les voyageurs, en toute quiétude. Son moral s’était amélioré à la vue de la modernité du lieu, des agréables couleurs du décor, de la fraîcheur des climatiseurs, en parfaite harmonie avec le son paisible de la musique classique. Il était fier de voir l’aéroport de son pays, rivaliser avec ceux des capitales modernes du monde.
A l’aéroport, nul ne douterait de ses origines. Il a hérité de ses ancêtres le teint légèrement brun, les cheveux  noirs, le corps élancé, les  grandes prunelles et la légère tristesse au visage.


Ses ancêtres prenaient le large durant 4 mois de l’année, leurs corps quasi nus sous la chaleur torride du soleil. Ils pêchaient les perles rarissimes et précieuses. Ils avaient un besoin urgent de rechercher les perles de leurs rêves, protégées dans les profondeurs par les requins. Alors que les capitaines des navires, toujours avides, les attendaient à bord. Les mois restants de l’année, les ancêtres de Hassan crevaient au labeur, les pieds nus, pour cultiver la terre aride et salée, de crainte de la disette et afin d’assurer le payement de l’impôt imposé par les colons qui détenaient le pouvoir. Un pouvoir légué de père au fils, pour qu’il parvienne aux gouverneurs contemporains.

Hassan croyait que ces temps sont révolus. Et même le passé récent, où il a été détenu à plusieurs reprises, et a subi la torture psychique et physique, étant membre du mouvement estudiantin politisé, ce qui a causé son expatriation et la nécessité de suivre un traitement psychique à long terme. Aujourd'hui, après dix sept ans, la situation du pays a changé. Mais il n’était pas sûr dans quelle mesure les blessures du passé affecteraient son sort. Enfin, il  atteint le bureau de l’officier de l’émigration.

« La date de validité de votre passeport a expiré depuis longtemps », dit l’officier.
« J’ai été à plusieurs reprises à l’ambassade, où ils ont refusé de renouveler mon passeport. Vous savez comment les choses étaient au passé » a répondu Hassan, en attendant la réaction de l’officier.
Ce dernier, en tenue militaire verte, examina l’identité de Hassan sur l’ordinateur et l’épia en disant poliment : « Excusez-moi, vous devez attendre la fin de quelques procédures administratives. Le policier vous guidera  à la salle d’attente ».

Hassan suivit le policier impassiblement. Non parce qu’il s’attendait à une enquête de routine, mais aussi à cause des profondes blessures encore vives dans l’inconscient. Il a été battu et humilié, pour avoir refusé de se soumettre à des hommes en tenue militaire verte.

Dans la salle d’attente, Hassan fut surpris par la beauté des plantes vertes qui couvraient le mur de verre qui sépare la salle d’attente de celle des arrivants. Il s’est interrogé sur la couleur verte des plantes qui ne ressemble pas à celle du « Pays de l’injustice ». Mais il s’est dit que peut être ces plantes ont eu une meilleure tourbe et qu’elles ont été protégées du soleil brûlant de l’île.

La brise fraîche et la musique classique eurent des effets sur son corps et son âme. Il s’assoupit sur quelques chaises, dans un coin.
Il fut réveillé à l’aube du jour suivant.
« Préparez-vous, vous serez interpellé dans quelques minutes » lui dit un policier armé, d’une certaine distance.
« Le département de l’émigration ? » a demandé Hassan.
« Non, les Renseignements » a répondu le policier d’une voix plus basse.

La salle était pleine de gens. La majorité des personnes qui affluaient était de jeunes femmes originaires de pays asiatiques pauvres. Elles grelottaient de froid, dans leurs légers saris traditionnels. Il constata que certaines d’entre elles étaient très jeunes, peut être âgées de 14 ou de 15 ans. Un bref dialogue avec l’un des gardes, l’informa qu’il était témoin d’une grande transaction commerciale, faite par un membre de la haute société.

« Ils amènent ces pauvres créatures pour servir dans les demeures des familles riches du « Pays de l’injustice ». Avant qu’elles n’arrivent ici, les courtiers leur confisquent tout leur argent et leur donnent des passeports montrant qu’elles ont atteint les 18 ans. Parfois elles sont rapatriées, après avoir attendu dans cette salle plusieurs jours, sans couvertures ou aliments » a précisé le garde sèchement, dans un accent qui reflète ses origines asiatiques.

Les informations qu’a récemment écoutées Hassan sur son pays, n’étaient pas suffisantes pour le préparer au spectacle suivant. L’homme qui semblait d’origine asiatique, a placé les jeunes bonnes dans une ligne, pour qu’elles soient observées par des clients, l’un après l’autre. Ces clients en longue robe blanche traditionnelle,  dévisageaient les jeunes filles, examinaient leur denture, leurs cheveux et leur allure féminine. Chacune d’entre elles aspirait à être choisie, ignorant le traitement qu’elle a subi, et parfois la raillerie.

Hassan fut surpris. Il croyait que seul le bétail subissait un tel traitement au marché avant d’être conduit à l’abattage, où il avait travaillé au passé. Il détourna le regard et fut attiré par les belles plantes qui couvraient le mur de verre. « Ont-ils l’habitude de dissimuler ce qui se passe dans cette salle » s’est-il dit, avec amertume.  
Un homme âgé est arrivé à la salle, où il épousseta les feuilles des plantes vertes. Hassan se rapprocha de lui et lui dit : « Belles plantes. Comment se nomment-elles ? »
« Je n’en sais rien » répondit le vieil homme, sans le regarder.
« Combien de fois vous les arroser ? »
Le vieil homme le dévisagea, comme s’il voulait s’assurer du sérieux de la question.
« Mais à quoi bon ! Ne voyez-vous qu’elles sont artificielles ?  répondit-il. « Ils paient de grosses sommes pour les apporter de l’étranger. J’ai un champ, qui ne suffit pas pour m’entretenir ces jours-ci. Je n’ai donc que le choix de prendre soin de ces plantes insignifiantes ! ».

Avec les premières lueurs du soleil, et à travers les énormes glaces surplombant la piste de l’aéroport, Hassan vit de loin des maisons blanches et des palmiers. Mais un détail l’empêchait de jouir du beau spectacle ! Il a remarqué que certains palmiers étaient des troncs, sans feuilles. Il se remémora les propos de son grand-père qui lui avait dit un jour : «  Le palmier ressemble au gentilhomme. Il te réclame peu, mais te fournit des choses utiles, durant sa longue vie. Le palmier, contrairement aux autres arbres, ne peut survivre si sa partie supérieure a été amputée ou détruite ».

La vue des palmiers était de mauvais augure pour Hassan, qui suivait un policier à la chambre de l’interrogatoire.

« Pourquoi êtes-vous venus ? » demanda l’un des deux hommes en tenue civile, qui interrogeaient Hassan dans une petite pièce obscure.
« J’ai entendu parler des changements. J’ai cru qu’il est temps d’oublier le passé et d’entamer une nouvelle vie » répondit Hassan, qui se sentait comme un écolier devant le proviseur, tenant un gros bâton à la main.

« Bien, vous avez mal raisonné » dit le second, qui se déplaça lourdement pour se tenir derrière la chaise du jeune homme.
« Jusqu’à ce que tu prouves ta loyauté » a-t-il ajouté.
« J’étais toujours loyal à mon pays » protesta Hassan, sans regarder en arrière.
« Tu insistes toujours que tu as raison et que nous avons tort ! Est-ce la nouvelle vie à laquelle tu aspires ? lui demanda l’enquêteur.

Avant de trouver ses mots pour répondre, l’un d’eux lui asséna une gifle sur son oreille droite, ce qui le renversa de la chaise, pour qu’il se cogne au mur. Il faillit perdre connaissance, au moment où son corps frappa la terre. Une douleur atroce à l’oreille et à la nuque, il tenta de se redresser. L’enquêteur costaud qui l’a giflé, lui pressa les doigts de la main droite, avec sa lourde botte, l’obligeant à s’agenouiller devant lui.

« Tu n’es qu’un sale lâche. Tu t’es enfui du pays comme une femme, estimant que nous ne pourrons pas t’atteindre. D’accord, on ne s’est pas soucié, car on était sûr que tu n’es propre à rien et que tu reviendras pour implorer la clémence », dit-il, cracha sur Hassan, avant de retirer sa botte, laissant les doigts du jeune homme meurtris.

« Tu dois comprendre que tu as commis un crime en fuyant le pays et en habitant à l’étranger toutes ces années » a renchéri le second enquêteur d’un ton conciliant, en l’aidant à se rasseoir sur la chaise. Puis il lui donna des papiers.

« Tu rédigeras une pétition de clémence et un engagement de loyauté au sultan » lui ordonna le même officier.  « Et pour prouver ta fidélité, tu dois nous informer sur les hors la loi, qui vivent toujours à l’étranger. Nous rédigerons alors un rapport en ta faveur, pour que tu puisses rentrer au pays.  Puis, habitant au « Pays de l’injustice », tu dois nous renseigner régulièrement, sur tout ce que tu vois et entends ».

De retour à la salle d’attente, Hassan était dans un état déplorable. Il grelottait de l’air froid des climatiseurs, son visage et son corps transpiraient. 

En un regard circulaire, il se vit entouré par les étranges plantes ; La salle se rétrécissait de plus en plus, au son de la musique occidentale exécrable.

Il s’assoupissait sur un fauteuil, et respirait difficilement, lorsqu’un policier l’interpela à nouveau à la salle d’interrogatoire. Il était exténué de fatigue et tendu. Son cœur battait à se rompre et ses yeux étaient brulants. Il pensa à la véritable raison qui l’a poussé à regagner son pays. Une seule idée le tourmentait : le sourire hideux de l’officier de renseignement, qui décrivait en détail la torture qu’il subirait, s’il ne coopère pas avec eux. Ces propos lui rappelèrent des souvenirs, enfouis depuis longtemps dans sa mémoire. Le monstre se réveilla en lui, et la haine le submergea. Le désir de la vengeance se substitua à la crainte. La porte de l’étroite pièce sur renferma.
« Je vais parler », a-t-il dit à l’officier, « je répondrai à toutes vos questions, me concernant et mes amis, mais à seule condition. Que nous soyons seuls ».

Hassan vit le geste de l’officier qui signifia aux autres de sortir. La porte fermée, Hassan se trouva assis sur une chaise, près du fauteuil de l’officier. Il cherchait de sa main droite, le canif enfoui dans sa poche. Il plaça sa main gauche sur le fauteuil, faisant mine de vouloir chuchoter à l’oreille de l’officier. Ce dernier, assis en face, se courba pour l’écouter. Comme un éclair, le canif bien aiguisé blessa la nuque de l’officier, comme il égorgeait d’habitude les moutons à l’abattoir, où Hassan travaillait.
Le cri étouffé de l’officier alerta les gardes, qui accoururent. Mais ils furent tellement pris par la surprise, qu’ils n’arrêtèrent pas le spectre qui quitta la chambre, le visage taché de sang.

Arrivé à la salle d’attente, Hassan se vit arracher les plantes dépourvues de racines, l’une après l’autre. Des applaudissements retentirent. Les servantes, des dizaines d’enfants et même quelques policiers se rangèrent en deux lignes, formant un passage étroit vers le panneau de verre large, qui fut détruit en morceaux. Un nouveau soleil pointait à l’horizon. Il a enfin pu humer la légère brise fraîche, et jouir du spectacle des maisons blanches, encore plus distinct, et des palmiers qui recouvrèrent leurs feuilles.

Cependant,  l’allure des feuilles des palmiers semblait étrange ! La couleur n’était pas verte comme d’habitude. Elle était rouge vermeille ! Le ruisseau étroit qui cheminait dans le champ, ne renfermait pas d’eau, mais du sang épais.

« Eh ! Réveillez-vous, réveillez-vous »…quelqu’un le secouait.
Il s’assit, scrutant son entourage de son regard terrifié.
« Avancez » dit le policier en souriant, « il semble que c’est votre dernier jour à l’aéroport ».
Il le suivit, jusqu’au bureau du chef du département d’émigration.
« Asseyez-vous, s’il vous plait », dit l’officier respectueusement. « Nous vous délivrons un nouveau passeport et un billet de voyage one-way, à destination du pays duquel vous êtes venus ». 
Hassan dévisagea le policier, puis l’officier, sans mot dire.

« Comme vous voyez, le pays témoigne de changements majeurs » dit l’officier, « mais, tu dois comprendre les trucs face auxquels je suis impuissant. Je veux dire, que ce n’est point ma décision. Vous êtes au courant des faits ».

Hassan fixa le mur au-dessus de l’officier, où trônaient trois photos dans des cadres dorés : le sultan, son fils et prince héritier et son frère, ministre de l’Etat.

Face à Hassan muet, l’officier se leva de son siège, et remit le passeport et le ticket au policier. « Il a accepté de partir » lui dit-il. « Le vol aura lieu dans dix minutes, vous devez passer à bord de l’avion », ordonna-t-il.

Hassan, agacé, avait le regard perdu, au-delà du hublot de l’avion, qui décollait. Un steward lui demanda de fixer la ceinture de sécurité. Il ne lui prêta aucune attention. L’homme en uniforme de travail, se pencha pour lui fixer la ceinture. Hassan le prit par son col d’une main, cherchant de l’autre le canif dans sa poche. Ne l’ayant pas trouvé, il dit au steward interloqué : « J’ai me suis débarrassé du diable qui t’a envoyé ici. Si tu ne me laisse pas en paix, tu seras la victime suivante ».




Source : Le miroir de Bahreïn, traduit par : moqawama.org

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