05 avril 2012

CPI : Le Procureur Ocampo abandonne la Palestine

Par Gilles Devers

Ocampo abandonne la Palestine. Le procureur Ocampo tente d'interdire aux victimes palestiniennes l’accès à la Cour Pénale Internationale (CPI), la seule juridiction capable de se saisir de la situation en Palestine. Or, il existe un grand principe, qui est celui de l’accès au juge. Le procureur près la CPI est une autorité de poursuite, et pas un juge, et sa manœuvre est vouée à l'échec. Une nouvelle épreuve inutile pour les Palestiniens.
Hier, le procureur Ocampo a décidé, de lui-même c’est-à-dire sans saisir les juges de la Cour, que la compétence de la CPI sur la Palestine dépendait de l’avis du Conseil de sécurité… lequel bloque l’admission de l’Etat de Palestine – reconnu par 130 Etats dans le monde – à l’Assemblée générale de l’ONU. Un abandon, qui est un reniement. Mais le besoin de justice est tel que cette manœuvre sera inévitablement un échec. Ce sera un échec honteux pour le procureur Ocampo.

CPI : Le Procureur Ocampo abandonne la Palestine
Luis Moreno-Ocampo, procureur de la CPI
 
La procédure

A la suite de l’opération militaire Cast Lead en janvier 2009 – 1 500 morts palestiniens, 5 000 blessés et des destructions systématiques – tous les défenseurs de la cause palestinienne s’étaient adressés au procureur de la Cour Pénale Internationale pour dénoncer ces faits, constitutifs de crimes de guerre et de crime contre l’humanité (Art. 15.1 du statut). Le 22 janvier 2009, le ministre de la Justice de Palestine avait déposé (Art. 12‐3 du statut) une déclaration par laquelle son gouvernement demandait à ce que la Cour Pénale Internationale exerce sa compétence à l’égard de « tous les actes commis sur le territoire de la Palestine à partir du 1er juillet 2002 ».  Le 1er juillet 2002 est la date d’entrée en vigueur du statut de la Cour. Il s’agit d’une déclaration rétroactive, comme le permet le statut. D’autres l’ont fait, et cette rétroactivité n’est pas discutée.

Les faits

Le fait qu’aient pu être commis des crimes entrant dans les incriminations prévues par le statut de la Cour n’a pas été discuté, sauf par Israël. Restons légalistes pour deux, quand le procureur ne l’est plus. A ce stade, il ne s’agit pas d’accuser, mais de dire qu’il y a matière à enquête. Les faits commis par l’armée israélienne à Gaza méritent une enquête : ils sont décrits par nombre de rapports : Goldstone pour le Conseil des Droits de l’Homme, Dugard pour la Ligue Arabe, mais aussi par l’ONU et les grandes ONG, d’Amnesty à Human Right Watch. Dans d’autres affaires, le procureur s’était satisfait d’informations communiquées par le presse ou les services secrets, et alors que les opérations étaient en cours, c’est-à-dire qu’aucune vérification sur place était possible. C’est une illustration du double standard, ce qui est la négation de la justice, monsieur le procureur Ocampo.

Non, le débat n’a pas porté sur les faits – la matière de l’enquête – mais sur la compétence de la cour.

Ici, on va voir que le procureur Ocampo n’est pas sérieux. Notamment, car depuis la déclaration de janvier 2009, la CPI s’est prononcé dans d’autres affaires, et sa jurisprudence est établie. Si la décision du procureur est inadmissible, c’est quelle va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour.

Il y aura beaucoup à dire sur cette décision, sur le plan juridique, et sur ce que veut dire cet abandon des fonctions juridictionnelles par le procureur. Les Palestiniens savent que rien ne se fera sans le temps nécessaire. Alors, la concertation va s’organiser. Mais il faut s’organiser pour s’adresser à l’Assemblée des Etats-parties, et à la Cour elle-même.

Mais pour comprendre, dès la première ligne l’aberration de la position prise par le procureur, voici quelques rappels, basiques, qui témoignent de l’abandon de ses fonctions.

La CPI, une cour indépendante du Conseil de sécurité

La CPI est une instance indépendante du système de l’ONU. Il existe un lien avec le Conseil de Sécurité, qui peut saisir la cour et fonder sa compétence ou suspendre une procédure en cours pour un an, si cette procédure est un obstacle à la paix. C’est tout. La CPI n’a pas existé parce que le Conseil de Sécurité l’a voulu. Elle existe car 115 Etats ont ratifié son statut, et elle ne doit son existence qu’aux Etats-parties.

Dans son communiqué (1), le procureur rappelle que 130 Etats ont reconnus la Palestine comme Etat. Cela signifie que pour la majorité des Etats de la planète, la Palestine est un Etat. Le Conseil de Sécurité bloque l’admission à l’ONU, grâce au véto US, mais c’est seulement un abus de pouvoir. La réalité objective est simple : tous les Etats sont juridiquement égaux, et au nom de cette majorité juridique, la Palestine est un Etat. Ocampo préfère les courbettes devant les US,… qui eux refusent de reconnaître la CPI. Et dire que quand on avait créé la CPI, la crainte était que ce procureur soit trop indépendant…

Le plus simple : les Iles Cook

D’après Ocampo, il faudrait être membre de l’ONU pour reconnaître la CPI. Sauf que c’est démenti par la réalité. Les Iles Cook, qui ne sont pas membres de l’ONU, sont reconnues par la CPI et ont ratifié le traité. Cet argument devrait suffire, non ?

J’ai recherché dans les archives, mais je n’ai pas vu de démarche d’Ocampo auprès du Conseil de Sécurité lorsque les Iles Cook ont rejoint la CPI… Un oubli ? Ou alors, deux poids, deux mesures ?

L’Assemblée générale de l’ONU s’est déjà prononcée

L’Etat de Palestine est reconnu par la majorité des Etats, mais l’Assemblée générale de l’ONU a elle-même reconnu  que la Palestine avait, au titre de son inaliénable souveraineté, la fonction judiciaire. En novembre 2009, l’Assemblée générale de l’ONU a homologué le rapport Goldstone, ainsi reconnu comme une base sérieuse, et elle a demandé à la Palestine de conduire un processus juridictionnel pour juger les faits. Ainsi, la reconnaissance qui intéresse la CPI, c’est-à-dire l’existence d’une fonction juridictionnelle, est établie par cette résolution. Or, du fait de l’occupation israélienne aux fins de colonisation, l’Etat de Palestine n’est pas en mesure d’exercer cette fonction. Cela ne veut pas dire que cette fonction a disparu,… sauf à reconnaître que le colonisateur peut tout usurper, même le droit du peuple à demander justice contre les crimes commis contre lui.

Aussi, c’est presque à rire de voir le procureur Ocampo demander l’avis de l’Assemblée générale de l’ONU… laquelle s’est déjà prononcée.

Petite précision pas inutile : au sein de l’Assemblée générale des Etats-parties à la CPI, on retrouve, compte tenu du vote à l’OG ONU, une majorité d’Etats pour avoir reconnu cette fonction judiciaire étatique, et avec une majorité plus forte que pour les Etats ayant reconnu la Palestine comme Etat. Et le procureur se pose encore des questions. C’est d’autant plus anormal, que selon le statut, ce n’est pas au procureur de se prononcer mais à la Cour. Et personne ne confondra le procureur et la Cour…

Le greffe l’avait écrit : c’est une compétence de la Cour… pas du procureur

Le pragmatisme, là encore, est très éclairant. La déclaration de compétence du 21 janvier 2009 a été enregistrée par le greffe, et celui-ci a répondu que l’enregistrement n’établissait pas recevabilité, et que « les juges » de la Cour se prononceraient sur la validité de la déclaration de compétence. Voilà une indication extrêmement forte et qui vient de la Cour elle-même. Ce n’est pas au Procureur de trancher mais aux juges, c'est-à-dire aux magistrats qui composent les chambres. Ce courrier du greffe est cohérent avec les règles jurisprudentielles les plus établies.

Seule la cour est compétente pour statuer sur sa compétence

Cela répond d’ailleurs à un principe fondamental de la justice internationale que l’on appelle le principe Kompetenz-Kompetenz  qui résulte d’une grande tradition juridique et qui a été repris par la CPI. En droit international, il n’existe pas de législateur, comme dans l’ordre juridique interne avec le parlement. Aussi, il revient à chaque Cour de se prononcer sur sa compétence, et seule la Cour a compétence pour se prononcer sur la compétence.

Et la cour s’est prononcée dans l’affaire Bemba (décision de confirmation des charges du 15 juin 2009) :

"23. Indépendamment de la formulation de l’article 19‐1 du Statut, la Chambre considère que tout organe judiciaire est juge de sa propre compétence, même en l’absence de référence explicite à cet effet. C’est là un élément essentiel de l’exercice des fonctions de tout organe judiciaire. Un tel pouvoir découle du principe reconnu de « la compétence de la compétence »".

Pour adopter cette solution, la CPI fait référence à deux très importants précédents. La Chambre d’appel du TPIY dans l’affaire Tadić, du 2 octobre 1995, a jugé que le pouvoir d’un tribunal international de déterminer sa propre compétence « est un élément et, de fait, un élément majeur de la compétence incidente ou implicite de tout tribunal judiciaire ». La CIJ dans l’affaire Nicaragua, du 26 novembre 1984, avait affirmé que « la Cour doit toujours s’assurer de sa compétence avant d’examiner une affaire au fond. » La CPI a donné tous les détails d’application dans les affaires Kenya (Mars 2010) et Côte d’Ivoire (Octobre 2011).

La gravité des faits impose au procureur de saisir la chambre préliminaire de la Cour

Le Gouvernement de Palestine a donné compétence à la Cour, des faits très graves ont été commis. Le Procureur a ouvert un dossier, a reçu le Ministre de la justice, l’Assemblée générale de l’ONU a reconnu la compétence judiciaire de la Cour, et les autorités judiciaires palestiniennes, avec le soutien des victimes, demandent à la Cour de se prononcer. Le processus de jugement local, souhaité par l’Assemblée générale de l’ONU est un échec, et le Procureur doit transmettre la situation aux juges de la Cour, dans la formation qui s’appelle la « chambre préliminaire » pour ceux-ci, par application du principe compétence – compétence, se prononcent sur la compétence de la Cour à l’égard de la Palestine. Les défenseurs des droits des Palestiniens seront présents, les défenseurs de l’Etat israélien pourront l’être s’ils le veulent, et ce sera un débat judiciaire. Dans la société du droit, le débat contradictoire devant les juges est fondamental.

Et alors ?

Le procureur Ocampo, qui veut jongler avant son départ dans quelques mois, explique que la procédure est juste survendue. Il doit la reprendre dès demain, compte tenu des réponses que lui donne la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU en novembre 2009… et qu’il a oublié de viser dans son communiqué.

Les Palestiniens vont devoir se faire entendre à La Haye, et l’attitude du procureur qui bloque l’accès à la Cour pour lier l’action de la juridiction au bon vouloir du Conseil de Sécurité est une violation telle du statut qu’elle va conduire, inévitablement, à s’adresser directement aux juges de la Cour.

Au final, la décision de M. Ocampo repose sur une grave erreur : il est autorité de poursuite, et non pas juge ; et il n’a pas le pouvoir de priver les Palestiniens du droit au juge.



Photo

Et toujours pas de juge ?



(1) Communiqué du Procureur de la Cour Pénale Internationale ici.

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