Au passage de Rafah : l’espoir et l’anxiété
mardi 15 juin 2010
Rami Almeghari
Jamila Hammouda, mère de cinq petits enfants, espère qu’elle sera bientôt réunie avec sa famille au Caire, en Egypte. Elle l’espère, car à cause des fermetures et des restrictions pour pouvoir voyager, sa dernière visite remonte à quinze ans.
Hammouda, son époux et leurs enfants attendent, côté Gaza du terminal de Rafah frontalier avec l’Egypte ; là, les Palestiniens de Gaza font la queue car les autorités égyptiennes viennent de rouvrir le passage mais « sans dire pour combien de temps ». Cette initiative de l’Egypte intervient après le raid meurtrier d’Israël contre la Flottille de la Liberté pour Gaza qui voulait attirer l’attention du monde sur le siège de 36 mois de la bande de Gaza et le briser.
La famille de Hammouda a été rejointe par une foule d’autres voyageurs venant de la bande de Gaza qui se rassemblent aux portes de la frontière. Restant là, ils attendent que leurs noms soient appelés par l’une des autorités Hamas, dans l’espoir qu’ils pourront finalement prendre le car pour le côté égyptien du terminal.
« Pour la première fois, je suis pleine de l’espoir de revoir ma chère famille en Egypte. Durant ces deux dernières années, j’ai respecté les procédures exigées pour me rendre à l’extérieur de Gaza, mais toutes mes tentatives sont restées vaines ; à chaque fois, il m’était dit que je n’avais pas le permis de voyager qu’il fallait, » raconte Hammouda, le visage ruisselant de larmes.
Entourée de sa famille et de leurs bagages, dans une petite aire de repos à la frontière, Hammouda exprime des sentiments mitigés. « Qui dit si je voyage ? que je pourrai ou que je ne pourrai pas voyager ; j’ai entendu dire qu’un grand nombre de voyageurs avaient été refoulés par les autorités égyptiennes. Depuis près de 15 ans maintenant, je n’ai pas la liberté d’aller voir ma famille. Auparavant, on parlait de voyageurs qui étaient autorisés à passer sur des critères humanitaires. Ne suis-je pas un cas humanitaire ? »
Le cas de Hammouda est identique à celui de milliers d’autres Palestiniens de la bande de Gaza durant ces trois dernières années. Avec Israël, l’Egypte a fermé le passage frontalier avec Gaza il y trois ans, empêchant le libre déplacement des un million et demi d’habitants du territoire, pour lesquels le terminal est devenu la seule porte de sortie vers le monde extérieur.
A la station d’attente, dans la ville de Rafah, Hassan Bayouk fait anxieusement les cents pas, impatient que son nom soit appelé par les autorités des frontières. A 45 ans, atteint d’une affection rénale, il voudrait obtenir l’autorisation d’aller en Egypte faire un traitement médical.
« J’ai quelques problèmes rénaux, mais je sais bien que, vu les fermetures des passages (dans le passé), je n’avais aucune possibilité d’aller de mon propre chef au Caire pour un traitement. Cette fois, maintenant que le passage est rouvert, j’ai l’espoir d’avoir le moyen de sortir de Gaza assiégée, » dit Bayouk.
Ehab, jeune homme dans les vingt ans, porte un petit bagage à main, attendant de traverser la frontière pour suivre une formation professionnelle sur le tas en dehors de Gaza. Il n’a pas voulu donner son nom complet, de crainte de compromettre ses chances de partir.
« Désolé, je ne peux pas vous donner mon nom, mais je peux vous dire que j’ai vraiment l’espoir de quitter Gaza, au moins je suis soulagé de sortir de la situation difficile que l’on connaît ici, avec Israël qui impose un blocus total depuis plus de trois ans, » dit-il, laconique.
Subissant la situation, sans guère de garanties, ceux qui attendent pour voyager ressentent un mélange d’espoir et d’appréhension. Leur aptitude à voyager dépend du bon vouloir des autorités égyptiennes ; en tant que Palestiniens de la bande de Gaza occupée, tout comme leurs frères de Cisjordanie, ils ne bénéficient d’aucune souveraineté ni d’aucune liberté de mouvements pour sortir de leurs territoires minuscules.
D’après les autorités du Hamas à la frontière, seuls 500 à 600 voyageurs sont autorisés à traverser le passage frontalier quotidiennement. Elles affirment que les dispositions applicables avant que l’Egypte ne rouvre la frontière la semaine dernière restent toujours valables, et que les seuls autorisés à traverser le terminal sont les étudiants, les malades, et ceux qui ont des permis de séjour pour les pays arabes voisins.
Ghazi Hammad, autorité supérieure du côté palestinien de la frontière, a déclaré à Electronic Intifada dans son bureau du terminal de Rafah : « Nous n’avons pas plus de précisions, pas d’explications sur cette ouverture, le terminal restera peut-être ouvert, ou peut-être qu’ils vont le fermer tout d’un coup. Nous espérons que le passage reste ouvert définitivement, nous avons pris contact avec les autorités égyptiennes. Malheureusement, les Gazaouis avec des passeports palestiniens ne peuvent pas passer et c’est une grande préoccupation pour nous, nous espérons que finalement tous les Gazaouis pourront se déplacer au moins aussi librement qu’ils le faisaient avant que le blocus ne soit imposé par la force. »
Hammad ajoute : « Si le passage doit être ouvert quotidiennement, alors tout d’abord, nous espérons que toute personne pourra circuler librement, sans obstacles. Puis, nous souhaitons que la coordination entre nous et les Egyptiens se fassent avec moins de heurts. Nous avons déjà subi certaines limitations avec des autorités égyptiennes qui, parfois, ont empêché certaines personnes, comme des membres de parti politique, où même des malades, de voyager. »
Quand on lui demande si l’initiative égyptienne ne cherche pas à faire pression sur le gouvernement Hamas dans la bande de Gaza pour fermer les centaines de tunnels souterrains clandestins du côté gazaoui de la frontière, Hammad répond que les tunnels représentent un ultime recours.
« Si le passage de Rafah est ouvert au commerce et aux voyageurs, alors nous n’avons plus besoin de ces tunnels, parce les tunnels sont catastrophiques. Nous proclamons haut et fort que nous voulons travailler en surface et non sous la terre. »
Depuis 2007, l’Egypte a ouvert la frontière occasionnellement pour de courtes périodes. En janvier 2008, quand les forces du Hamas ont fait tomber le mur frontière à Rafah, des centaines de milliers de Palestiniens de la bande de Gaza ont afflué vers l’Egypte toute proche pour s’approvisionner en produits de base, notamment le gaz de cuisson et le carburant, dont le blocus israélien avait fait des denrées rares.
Même si, d’après le ministère des Affaires étrangères égyptien, le passage est ouvert sans limitation de durée, l’Egypte a tout de même comploté avec Israël pour le siège de la bande de Gaza. La fermeture a été imposée après que le parti Hamas, démocratiquement élu, ait pris le pouvoir sur le territoire à l’issue de combats factionnels avec le Fatah du Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, en juin 2007. Le mandat d’Abbas a pris fin en janvier 2009, mais celui-ci est resté à la direction avec les pleins pouvoirs de façon controversée, et il a bloqué à plusieurs reprises les tentatives de parvenir à un accord d’union avec le Hamas, sous les pressions américaine et israélienne, et avec le soutien égyptien.
L’Egypte a insisté antérieurement sur le fait que pour ouvrir totalement le passage de Rafah, le Hamas devait accepter les conditions de l’accord initié par les Etats-Unis en 2005, par lequel l’Autorité palestinienne devait revenir au pouvoir dans Gaza. De 2005 à 2007, la garde présidentielle palestinienne et un groupe d’observateurs européens ont supervisé les mouvements au terminal de Rafah. Aujourd’hui, la Grande-Bretagne et la France se prononcent en faveur du retour de ces observateurs, mais c’est difficile sans un accord d’union entre le Fatah et le Hamas. Le Fatah et l’Autorité palestinienne à Ramallah exigent que le retour au statu quo antérieur soit inscrit dans tout accord d’unification. Pour sa part, le Hamas exige que soit inclus un contrôle de la frontière en commun avec le Fatah dans le cadre d’un accord d’union nationale global.
« Nous voulons un compromis entre nous et nos frères du Fatah pour partager l’administration du terminal frontalier de Rafah. Tout d’abord, nous devons mettre fin à la division (politique), restaurer l’union nationale et conclure une conciliation, ensuite, le monde nous respectera. Nous devons travailler dur afin de nous réconcilier, » explique Hammad.
Après trois ans de siège, il y a beaucoup en jeu dans l’ouverture du passage de Rafah pour le Palestinien moyen de Gaza. Pendant que les efforts diplomatiques pour mettre fin ou au moins alléger le siège se poursuivent à huis clos, les voyageurs, telle Jamila Hammouda, attendent dans l’incertitude, et dans l’atmosphère poussiéreuse et chaude du terminal de Rafah. « Je ne peux dire de façon concluante que je suis en train de voyager : je dois attendre d’être du côté égyptien (pour le savoir), » dit-elle.
Rami Almeghari est journaliste et conférencier universitaire basé dans la bande de Gaza.
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Rafah, bande de Gaza occupée, Live from Palestine, le 11 juin 2010 - The Electronic Intifada - traduction : JPP
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