Des enfants soldats payés par les contribuables américains
Financé par les Etats-Unis, le gouvernement de transition envoie au front des gamins qui n’ont parfois même pas 10 ans. Washington et Mogadiscio n’ont jamais ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant.
23.06.2010 | Jeffrey Gettleman | The New York Times
© AFP
Awil Salah arpente les rues de la ville en ruine Les vêtements qu’ils portent sont en lambeaux, et rien ne le distingue des autres gamins du coin. Rien, sauf peut-être la kalachnikov chargée qu’il porte à l’épaule et aussi le fait qu’il travaille pour une armée régulière qui est financée par les Etats-Unis. “Arrête”, lance-t-il en brandissant son arme à l’adresse d’un homme qui tente de franchir le barrage. Soudain, la colère défigure son visage angélique. Le chauffeur s’arrête immédiatement. En Somalie, la vie ne vaut pas cher et personne ne se risque à contredire un gamin de 12 ans lorsqu’il est en colère.
Tout le monde sait que les rebelles islamistes de Somalie enrôlent des enfants sur les terrains de foot pour en faire des soldats. Mais Awil n’est pas un rebelle. Il travaille pour le gouvernement fédéral de transition somalien, pièce maîtresse de la stratégie américaine antiterroriste dans la Corne de l’Afrique. Selon les associations des droits de l’homme en Somalie et des représentants des Nations unies, le gouvernement somalien – dont la survie dépend de l’aide de la communauté internationale – envoie des centaines d’enfants sur le front, dont certains n’ont pas plus de 9 ans.
On trouve des enfants soldats partout dans le monde, mais, selon les Nations unies, le gouvernement somalien fait partie des pays qui s’obstinent à violer la Convention relative aux droits de l’enfant au même titre que des groupes rebelles comme l’Armée de résistance du Seigneur [mouvement d’origine ougandaise composé à 80 % d’enfants et qui sévit notamment en République centrafricaine et au Sud-Soudan]. Les représentants du gouvernement somalien reconnaissent ne pas avoir été très regardants. Ils ont également révélé que le gouvernement américain leur apportait une aide financière pour rémunérer les soldats, une information confirmée par Washington. Ces enfants soldats sont donc payés par le contribuable américain.
L’ONU aurait offert au gouvernement somalien de l’aider à démobiliser ces enfants. Mais les dirigeants somaliens sont paralysés par des dissensions internes très graves et n’ont pas donné suite. Plusieurs hauts fonctionnaires américains ont exprimé leurs inquiétudes et appelé leurs homologues somaliens à davantage de discernement. Mais ils reconnaissent leur impuissance à garantir que l’argent des Américains ne sert pas à armer des enfants. Selon l’UNICEF, seuls deux pays n’ont pas ratifié la Convention des droits de l’enfant, qui interdit le recours aux enfants soldats de moins de 15 ans : les Etats-Unis et la Somalie. Pour de nombreux groupes de défense des droits de l’homme, cette situation est inacceptable et même Barack Obama, lors de sa campagne présidentielle, l’avait reconnu. “C’est ennuyeux de se retrouver aux côtés de la Somalie, un pays qui vit dans l’anarchie”, avait-il déclaré.
Dans tout le pays, des visages poupins arborent des armes imposantes. Ils tiennent des barrages et n’hésitent pas à arrêter des énormes 4 x 4 même s’ils arrivent à peine à la hauteur du capot… Les représentants du gouvernement somalien reconnaissent ne pas avoir fait de détails : il leur fallait lever une armée au plus vite. “Je vais être honnête avec vous, nous recrutons toute personne capable de porter une arme !” admet un de ses représentants, qui a tenu à conserver l’anonymat. Awil a d’ailleurs du mal à tenir la sienne. Elle pèse environ 5 kilos. La courroie lui scie l’épaule et il est constamment en train de la changer d’épaule en grimaçant. Parfois, son camarade Ahmed Hassan vient lui donner un coup de main. Ahmed a 15 ans, il raconte qu’il a été envoyé en Ouganda, il y a plus de deux ans, pour une formation militaire. Cette information est difficilement vérifiable. Une chose est sûre, des conseillers militaires américains ont participé à la formation des soldats somaliens en Ouganda. “J’y ai appris à tuer avec un couteau”, explique Ahmed avec enthousiasme.
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