Alain Chouet, ancien responsable de la DGSE : « Le trafic de drogue en Afghanistan est assuré par des militaires américains »
par  Ian Hamel -  publié le mercredi 7 septembre 2011

C’est  un ouvrage particulièrement dense que nous livrent Alain Chouet, ancien  chef de service de sécurité à la Direction générale de la sécurité  extérieure (DGSE), interviewé par Jean Guisnel, journaliste au Point,  spécialiste des questions militaires. « Au cœur des services spéciaux »  (*) ne se contente pas de mettre les pieds dans les plats. L’ouvrage  piétine carrément certains plats, notamment en ce qui concerne le  printemps arabe.
Oussama Ben Laden a été tué à Abbottabad, au Pakistan.  Alain Chouet prend plaisir à rappeler qu’il s’agit d’un centre de  vacances de l’armée, avec ses hôtels et son golf, où « tout le monde se  connaît », Abbottabad étant réservé aux gradés pakistanais et à leurs  familles. Que faut-il en déduire ? Qu’Oussama Ben Laden était gardé bien  au frais par le régime d’Islamabad depuis des années.
Pourquoi a-t-il été éliminé en 2011 ? Barak Obama, plus  éclairé que son prédécesseur, a compris que le fondateur d’Al-Qaida ne  servait plus à rien. L’intervention occidentale en Afghanistan depuis  2001 est un échec total. Comme les taliban vont de toute façon revenir  au pouvoir à Kaboul, autant faire croire qu’on les invite à la table des  négociations, maintenant qu’ils ne sont plus associés à des  « terroristes internationaux ». Et politiquement, Obama a gagné des  points pour sa réélection en 2012.
               80 à 90 % de la morphine base
L’ancien responsable de la DGSE rappelle qu’en 2002,  l’Occident a mis sciemment en place en Afghanistan un gouvernement  fantoche et mafieux, avec à sa tête, Hamid Karsai, le plus minable des  « parrains ». Les chefs de bandes afghans se sont ensuite répartis « les  rentes du pouvoir, les revenus du pavot, la manne de l’aide  internationale ». Pour rappel, 80 à 90 % de la morphine base mondiale  provient d’Afghanistan.
Le plus compliqué n’est pas de produire de l’opium, mais  de l’exporter vers les consommateurs, sachant que l’Afghanistan n’a pas  de débouché maritime. Contrairement à ce que croit l’opinion publique,  la drogue ne rejoint pas l’Europe et les Etats-Unis par des routes  défoncées et de vieux rafiots rouillés, mais par les voies aériennes,  les gros porteurs de l’armée américaine. Et celle-ci contrôle tous les  aérodromes du pays…
L’ancien chef du renseignement de sécurité ne dit pas  que c’est l’armée américaine qui assure le trafic. Mais plus sûrement  des militaires, qui arrondissent ainsi leurs soldes, et surtout les  mercenaires engagés dans les sociétés militaires privées « pour assurer  des tâches de logistique, d’intendance, de transport et même  d’engagement opérationnel ».
      Pression sur les armées 
Les chapitres consacrés au « printemps » arabe risquent  de faire grincer quelques mâchoires. « Les Arabes et les musulmans sont  comme tout le monde, ils préfèrent la démocratie et la liberté à la  dictature et à la répression », insiste Alain Chouet, soulignant que les  habitants du Nord de l’Afrique n’ont pas attendu 2011 pour se révolter.  Il y a eu des émeutes et des manifestations en Tunisie en 1969, 1978,  1980, 1984, 2000, en Egypte en 1968, 1977, 1986, 1987, 1995. Et qu’en  Libye, les tentatives de coups d’Etat militaires contre Kadhafi  « étaient quasiment mensuelles pendant la décennie 1980 ».
Seulement voilà, l’Occident ne s’en préoccupait pas et  les médias n’en parlaient guère. Qu’est-ce qui a changé cette année ?  Non seulement l’Europe et les Etats-Unis se sont intéressés à la  contestation dans le monde arabe, mais ils sont intervenus…  indirectement. Du moins en Tunisie et en Egypte, en faisant pression  pour que les armées ne jouent plus leur rôle traditionnel de répression.
                               Visées sur la Cyrénaïque
Au lieu de jeter les dictateurs dehors en envoyant des  soldats américains, comme George Bush en Afghanistan et en Irak, Barak  Obama préfère faire jeter aux orties les dictateurs « par leur propre  armée », assure l’ancien responsable des services spéciaux français.  Pessimiste en ce qui concerne la Tunisie, très pessimiste pour l’Egypte,  Alain Chouet est carrément alarmiste quant au devenir de la Libye.
Il souligne que la révolte a débuté le 15 février en  Cyrénaïque, dans la région de Benghazi, « avec l’apparition brutale de  civils armés ». Or, curieusement, les observateurs étrangers ne se sont  pas demandés comment  des centaines d’hommes sont apparus  « armés de  canons B7 et B10 sans recul, de canons bitubes anti-aériens, des  mitrailleuses de 500 et 800, des lance-roquettes individuels ».
L’auteur de « Au cœur des services spéciaux » n’exclut  pas que le haut commandement égyptien ait pu recevoir la promesse de la  part des Américains que la Cyrénaïque, riche en pétrole, soit un jour  rattachée à l’Egypte, surpeuplée, et qui manque cruellement de  ressources.
(*) Alain  Chouet, entretiens avec Jean Guisnel « Au cœur des services spéciaux.  La menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers », La Découverte, 301 pages, 20 €.

 


 
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