Néo-colonialisme Version 2.0
jeudi 1er septembre 2011 - 15h:45Pepe Escobar - Asia Times
L’homme blanc ne tient pas à ce que l’on demande aux Africains  ce qu’ils pensent de l’actuelle attaque occidentalo-monarchiquo-arabe  sur les côtes nord de leur continent. Mais certains ne tournent pas  autour du pot. 

Le  colonialisme d’aujourd’hui diffère aussi du précédent par la puissance  et la violence des armes employées - Ici des soldats loyalistes  massacrés dans un bombardement de l’OTAN, devenu le véritable "bras  armé" des multinationales.
Plus de 200 dirigeants et intellectuels africains ont  publié une lettre depuis Johannesburg, en Afrique du Sud, en soulignant  « l’exploitation abusive du Conseil de sécurité des Nations Unies pour  s’engager dans une diplomatie militarisée dans le but d’imposer un  changement de régime en Libye », ainsi que la « marginalisation de  l’Union africaine ».
Quant aux « gagnants » occidentaux en Libye, ils n’en  sont même plus à utiliser des écrans de fumée et des effets de miroirs.  Richard Haass, président de ce Gotha de l’establishment américain qu’est le Council on Foreign Relations, a écrit une lettre ouverte dans le Financial Times,  déclarant ouvertement : « Les interventions ’humanitaires’ pour sauver  des vies supposées menacées sont en fait des interventions politiques  conduites pour imposer un changement de régime. »
Et pour ce qui est des acteurs locaux, humbles seconds  rôles - les Libyens de Cyrénaïque - Haass les a les a déjà envoyés à la  poubelle de l’histoire : « les Libyens ne seront pas en mesure de gérer  la situation et de s’en sortir par leurs propres moyens », et avec  « deux millions de barils de pétrole jour » en jeu, la seule solution  est une « force internationale ». Traduction : une armée d’occupation -  comme en Afghanistan et en Irak. Bienvenue dans le néo-colonialisme 2.0.
Retour sur investissement
Ainsi, l’establishment des  Etats-Unis est désormais aussi éhonté que l’est un type comme Donal  Trump [milliardaire de l’immobilier, archétype de la vulgarité et du  fric triomphant - N.d.T]. Trump a déclaré à Fox News :  « Nous sommes dans l’OTAN [Organisation du Traité de l’Atlantique  Nord]. Nous soutenons l’OTAN avec de d’argent et des armes. Que  pouvons-nous en tirer ? Pourquoi ne prendrions-nous pas le pétrole ? »
C’est en effet l’Afghanistan et l’Irak une fois de plus -  une orgie de pillages, de statues fracassées, de clips accrocheurs de  télé-réalité montrant les mêmes banderoles dans les rues pour remercier  l’OTAN (imaginez les Américains remerciant les Chinois pour la  « libération » de New York par des bombardements).
Sans parler de l’ignorance crasse des premières  entreprises médiatiques. CNN a situé Tripoli à l’est - vers la  Méditerranée orientale, quelque part près du Liban. La BBC a montré une  scène du Tripoli Green Square avec des « rebelles »  en fête mais qui se situait en réalité ... en Inde, avec des drapeaux  indiens. Saluons l’intégration totale de l’OTAN et des médias  occidentaux et du CCG. Le CCG est le Conseil de Coopération du Golfe qui  regroupe les six satrapes fondamentalistes les plus riches, et  également connu sous le nom du Club de la Contre-révolution dans le  Golfe.
Considérant que les pays du CCG contrôlent de fait la  Ligue arabe et lui dise ce qu’elle doit faire, il n’est pas étonnant que  celle-ci ait reconnu le douteux Conseil national de transition (CNT)  « rebelle »  comme gouvernement légitime du pays, même si ce CNT ne  représente que la Cyrénaïque et même si le colonel Mouammar Kadhafi [Big  K] court toujours, avec une prime de 1,6 million de dollars US sur sa  tête. Peut-être est-ce le prix que Kadhafi doit payer pour avoir  qualifié le roi Abdallah d’Arabie Saoudite de « stupide » dans sa course  vers le guerre en Irak.
C’est aussi comme si la Libye était maintenant réduite à  être un émirat arabe et n’avait plus rien à voir avec l’Afrique. Le CCG  a financé et armé les « rebelles ». L’Union africaine était presque  unanimement contre la guerre de l’OTAN/CCG. La seule chose qui  intéressera l’OTAN/CCG concernant l’Afrique - stratégiquement - est  l’installation d’une base navale et militaire de l’OTAN et de l’Africom  en Libye.
Et maintenant, une nouvelle zone verte
Il est maintenant de notoriété publique que les SAS  britanniques [tueurs assermentés de l’armée britannique et chargés de  tous les coups tordus - N.d.T], les services français du renseignement  et les agences américaines, les forces spéciales du Qatar et les  mercenaires de tous bords ont été parachutés sur le terrain depuis des  mois, planifiant les actions des « rebelles » et les formant, en étroite  coordination avec ce prodige de philanthropie qu’est l’OTAN.
Cela n’a jamais été le mandat de l’ONU - mais qui s’en  soucie ? L’OTAN/CCG a payé les factures, l’OTAN a mené l’agression et  l’OTAN/CCG « stabilisera » face au désordre, conformément à un plan de  70 pages révélé par le Times de Rupert Murdoch à Londres.
Seuls des fous pourraient imaginer que ce plan a été  élaboré par le Conseil national de transition (CNT) avec « l’aide  occidentale ». L’OTAN ne serait pas si éhontée - du moins au début - au  point d’envoyer des Caucasiens sur le terrain... Donc la proposition  d’une task force de 10 à 15000 soldats mise en place  et soutenue par les Emirats arabes unis (EAU) peut être mise en oeuvre  plus tôt que tard. La question qui fait saliver est : sera-t-elle formée  avec des mercenaires étrangers de Blackwater  (des Jordaniens, des Sud-Africains, des Colombiens) ? Ou avec des  tribus libyennes et des salaires assurés par les Émirats arabes unis ?
Et après : un remake de la zone verte à proximité de Green Square ?
Il est jouissif d’entendre l’ambassadeur du CNT auprès  de l’EAU, Aref Ali Nayed, regretter douloureusement la fuite du plan en  question tandis que Benghazi confirmait qu’il s’agissait de ce qui avait  réellement été convenu.
Il est aussi maintenant de notoriété publique que les  juteux contrats de reconstruction pour tout ce que l’OTAN a bombardé  profiteront - et à qui d’autres ? - aux « gagnants » : les nations de  l’OTAN/CCG (voir Disaster Capitalism swoops over Libya [un capitalisme désastreux se jette sur la Libye] sur Asie Times Online, 25 août). Le chef du TNC, Mustafa Abdel Jail, l’a une nouvelle fois confirmé depuis Benghazi.
Et voici Véolia ?
Attendez-vous à des feux d’artifice tant qu’il y aura du  butin à saisir. Sans même parler des ressources pétrolières (encore  inexploitées) et des richesses en gaz, les actifs de la Libye  à  l’étranger valent au moins 150 milliards de dollars. La Banque centrale  de la Libye, sur le point d’être privatisée, ne dispose pas moins de  143,8 tonnes d’or. Et il y a des ressources en eau douce pour au moins  un millénaire et qui avaient commencé à être exploitées par Kadhafi via  la spectaculaire rivière artificielle Great Man-Made River  (GMR), un projet de plusieurs milliards de dollars [dont l’objectif  était entre autres d’assurer l’indépendance alimentaire de la Libye -  N.dT].
On trouve là encore une autre réponse solide à la  question de savoir pourquoi la France a agit avec tant de frénésie pour  renverser Kadhafi. Les compagnies françaises pour l’eau  sont les plus importantes au monde, et l’attrait de la privatisation  d’un approvisionnement de 1000 ans de l’eau douce est en train de faire  tourner la tête de leurs dirigeants...
Pour un vaste nouveau marché potentiellement très  rentable pour les entreprises européennes, juste à droite de l’autre  côté de la Méditerranée, la Libye est une véritable occasion, donnant un  tout nouveau sens à la doctrine impérialiste du R2P (« Responsabilité  de protéger »). Un lecteur d’Asia Times Online l’a rebaptisée « Droit de piller ».
Le Premier ministre italien Silvio Berlusconi « Bunga Bunga »  a été rapide, rencontrant à Milan le premier ministre du CNT Mahmoud  Jibril, face au nouveau drapeau libyen (qui est en fait l’ancien drapeau  monarchique) et aux côtés des drapeaux de l’Italie et de l’Union  européenne.
Et de se souvenir qu’il y a à peine deux ans le fringant Silvio organisait une fête somptueuse pour son copain  - dont il aimait à baiser la main - Big K, avec une parade impétueuse  de 30 cavaliers bédouins montés sur des pur-sang libyens spécialement  importés !
En 2008, Silvio et Big K ont signé un traité enterrant  l’amertume de l’ère coloniale de 1911 à 1942 ; contrat dans lequel  l’Italie s’engageait à investir 5 milliards de dollars sur 25 ans dans  des infrastructures comme les autoroutes et les voies ferrées. Grâce à ce traité,  au moins 180 entreprises italiennes obtenaient des contrats libyens  fabuleux et l’Italie devenait le premier partenaire commercial de la  Libye.
Alors forcément, le chef du CNT, Mustafa Abdel Jalil  avait pour mission d’assurer à Silvio que la nouvelle Libye aurait des  « relations spéciales » avec tous les gagnants de la guerre menée par  l’OTAN/CCG, et il a pointé du doigt l’Italie.
La semaine prochaine, se sera au tour du cheikh Abdullah  bin Zayed - le ministre des Affaires étrangères des Emirats Arabes Unis  - de visiter Benghazi pour se goinfrer d’un morceau du juteux gâteau de  la reconstruction. Les EAU sont bourrés de spéculateurs affamés prêt à  se jeter [sur la Libye] depuis que les prix de l’immobilier sont tombés  en chute libre dans les Emirats.
Que va-t-il se passer à présent ?
En attendant, que faire si Big K a piqué tout l’or ?  L’ancien gouverneur de la banque centrale de la Libye à Tripoli affirme  qu’il ne reste réellement qu’une valeur inférieure à 10 milliards de  dollars en réserve d’or.
Ainsi, tandis que des soldats britanniques déguisés en  civils arabes et brandissant la même kalachnikov que les « rebelles » se  bousculent pour capturer un Kadhafi « mort ou vif », dans le plus pure  style texan à la George W. Bush, Big K peut littéralement acheter ses  allégeances tribales avec de l’or. Sans oublier qu’il compte sur le  soutien de la tribu Kadhafi (« les rusés chasseurs de nuit »), de la  tribu al-Magarha (« les tireurs d’élite de première classe ») et de la plus grande part de la tribu de sa femme, les Warfallah (la plus grande du pays, avec au moins 2 millions d’individus).
Alors que le CNT a toujours assuré que l’ère  post-Kadhafi en Libye serait pluraliste et multiculturelle, il y a des  signes avant-coureurs d’une cité des cauchemars.
Les arabes dans le nord méprisent totalement les  Berbères au sud - et vice-versa. Les gens de la Tripolitaine méprisent  complètement les salafistes de la Cyrénaïque - et vice-versa.
Avec un tel butin en jeu, il est facile d’imaginer une  carte routière ressemblant à peu près à cela. Un gouvernement du CNT  faible et fantoche ; des troupes néo-libérales de choc détournant  beaucoup de ce qui avait été utilisé pour l’éducation gratuite, les  services de santé gratuits et les logements gratuits ; une guérilla  contre l’occupation étrangère ; des salafistes jihadistes venus d’autres  latitudes et se jetant dans la mêlée ; des villes du désert se  développant comme autant de bases de guérilla ; des pipelines venant du  sud-est se faisant exploser ; une réplique de la ville de Bagdad entre  2004 et 2007 ; un renforcement de l’intervention militaire étrangère [surge] ;  un scénario non-stop de guerre civile/tribale, et une nouvelle version  2.0 de l’Afghanistan mais avec un double front de guérilla : le groupe  Kadhafi contre les rebelles/OTAN  et les Salafistes contre l’OTAN, parce  que l’Occident ne tolérera jamais que la Libye devienne un État  islamique.
Kadhafi joue sur le fait que le couple OTAN/CCG  transformera la Libye en nouvel Irak/Afghanistan. On peut dire que  l’OTAN elle-même peut apprécier cette idée. Cela va l’obliger à être  encore plus ancrée au nord de l’Afrique. Cela permettra d’avoir recours à  la même vieille stratégie impériale de diviser pour régner tandis que  les sociétés occidentales exerceront « leur droit de pillage ».
Les Américains et les Européens s’inquièteront alors  pour un nouvel épisode de la « guerre contre le terrorisme » alors même  que la récession laminera ce qui subsiste de leurs économies. Et les  figures des industriels du complexe militaro-industriel et de toute la  clique des entrepreneurs en sécurité resteront souriantes. Démarrer un  nouvel Irak/Afghanistan ? Mais allons-y donc !
 
 * Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007) et Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge. Son dernier livre vient de sortir ; il a pour titre : Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009).
On peut le joindre à pepeasia_AT_yahoo.com.
Du même auteur : 
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Traduction : Al Mukhtar
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Traduction : Al Mukhtar
 


 
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